Vu la requête enregistrée le 29 décembre 1992, sous le n° 924751, et les mémoires complémentaires enregistrés respectivement les 1er février et 17 février 1993 par laquelle l'A.F.R.P.N. du Bas-Rhin demande au tribunal administratif de prononcer l'annulation de la décision du préfet du Bas-Rhin datée du 25 août 1992, autorisant la communauté urbaine de Strasbourg à importer des déchets ménagers en provenance de l'Ortenaukreis (R.F.A.) pour leur incinération à l'usine de traitement des ordures ménagères de Strasbourg-Rohrschollen ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience publique qui a eu lieu le 18 mars 1993 ;
Le tribunal a examiné la requête, la décision attaquée, et pris connaissance de l'ensemble des mémoires et pièces produits par les parties ;
Il a entendu à l'audience publique :
- le rapport de Mme MAZZEGA, conseiller,
- les observations de M. A..., pour l'A.F.R.P.N., de M. X..., attaché, pour la communauté urbaine de Strasbourg et de MM. Z... et Y..., pour l'Ortenaukreis,
- les conclusions de Mme HUGODOT, commissaire du gouvernement ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la Convention de Bâle, ratifiée par la loi n° 90-1078 du 5 décembre 1990 et publiée par décret n° 92-883 du 27 août 1992, le traité de Rome du 25 mars 1957, la directive n° 84-631 du Conseil des communautés européennes du 6 décembre 1984, la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets complétée par la loi n° 88-1261 du 30 décembre 1988, la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées, le décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 pris pour son application, le décret n° 90-267 du 23 mars 1990, complété par le décret n° 92-798 du 18 août 1992, relatif à l'importation, à l'exportation et au transit des déchets générateurs de nuisances ;
Considérant que l'Association "Alsace-Nature", A.F.R.P.N. du Bas-Rhin demande l'annulation de la décision du préfet du Bas-Rhin en date du 25 août 1992 autorisant la communauté urbaine de Strasbourg à importer des déchets ménagers en provenance de l'Orte naukreis (R.F.A.) en vue de leur incinération à l'usine de traitement des ordures ménagères (U.T.O.M.) de Strasbourg-Rohrschollen ; que l'association requérante fait valoir, à l'appui de sa requête, que l'autorisation contestée méconnaît la Convention de Bâle du 22 mars 1989 sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et leur élimination, ainsi que le décret n° 90-267 du 23 mars 1990 relatif à l'importation, à l'exportation et au transit de déchets générateurs de nuisances ;
Sur le moyen tiré de la violation de la Convention de Bâle du 22 mars 1989 :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 : "Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie" ; que la Convention de Bâle susmentionnée a été signée par la France le 22 mars 1989, puis ratifiée par la loi n° 90-1078 du 5 décembre 1990 et publiée par le décret n° 92-883 du 27 août 1992 ; qu'en application des stipulations de l'article 25-1 de ladite convention, celle-ci est entrée en vigueur en France, à la suite du dépôt du vingtième instrument de ratification, le 6 mai 1992 ; que la réserve, figurant à l'article 55 de la Constitution, de l'application de la convention internationale "par l'autre partie" ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce, s'agissant d'un traité multilatéral dont il n'est pas allégué que les autres parties à ladite convention omettraient de l'appliquer ; que celles des stipulations de la convention susmentionnée qui, en raison de leur objet et de leur caractère, sont exécutoires par elles-mêmes, s'imposent aux autorités administratives françaises, même en ce qui concerne les déchets importés d'Etats non parties au traité en cause ;
Considérant en deuxième lieu qu'aux termes de l'article 4-5 de la Convention de Bâle : "Les parties n'autorisent pas l'importation de déchets dangereux ou d'autres déchets en provenance d'un Etat non partie" ; que si la R.F.A. a signé la Convention de Bâle, elle ne l'a pas ratifiée et n'a, dès lors, pas exprimé son consentement à être liée par ce traité ; que par suite, cet Etat n'est pas partie à la Convention ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 11 de ladite convention : "1. Nonobstant les dispositions de l'article 4 paragraphe 5, les parties peuvent conclure des accords ou arrangements bilatéraux, multilatéraux ou régionaux touchant les mouvements transfrontières de déchets dangereux ou d'autres déchets avec des parties ou des non parties à la condition que de tels accords ou arrangements ne dérogent pas à la gestion écologiquement rationnelle des déchets dangereux et d'autres déchets prescrite dans la présente convention. Ces accords ou arrangements doivent énoncer des dispositions qui ne sont pas moins écologiquement rationnelles que celles prévues dans la présente convention, compte tenu notamment des intérêts des pays en développement. 2. Les parties notifient au Secrétariat tout accord ou arrangement bilatéral, multilatéral ou régional visé au paragraphe 1, ainsi que ceux qu'ils ont conclus avant l'entrée en vigueur à leur égard de la présente convention aux fins de contrôler les mouvements transfrontières de déchets dangereux ou d'autres déchets qui se déroulent entièrement entre les parties auxdits accords. Les dispositions de la présente convention sont sans effet sur les mouvements transfrontières conformes à de tels accords à condition que ceux-ci soient compatibles avec la gestion écologiquement rationelle des déchets dangereux et d'autres déchets tel que décrit dans la présente convention" ; que si, contrairement à ce que fait valoir le préfet, la République fédérale d'Allemagne n'a pas conclu avec la France d'accord bilatéral répondant à l'objet et aux conditions définis à l'article 11 de la convention de Bâle, ni le document en date du 31 août 1992 intitulé "communiqué - 3e conseil franco-allemand de l'environnement", ni le document de suivi du 25 août 1992 signé par le préfet du Bas-Rhin et le Landrat de l'Ortenaukreis ne pouvant tenir lieu d'accords au sens de l'article 11 de la convention, il y a lieu de relever d'office que le droit communautaire, constitué par les principes figurant dans le traité de Rome du 25 mars 1957 instituant une Communauté européenne modifié notamment par l'Acte unique européen du 1er juillet 1987 et par le droit dérivé de ce traité, notamment les directives ne 75/442 du 15 juillet 1975 modifiée, n° 78/319 du 20 mars 1978, n° 84-631 du 6 décembre 1984 modifiée et n° 91-689 du 12 décembre 1991 du Conseil des Communautés européennes s'analyse, en ce qui concerne le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets, comme un accord multilatéral régional au sens de l'article 11 de la convention de Bâle, qui, pour ce qui est du type de déchets dont l'importation a été autorisée par l'arrêté attaqué, institue des règles qui ne sont pas moins écologiquement rationnelles que celles figurant dans ladite convention ; que la circonstance que ces règles de droit communautaire relatives aux mouvements transfrontaliers de déchets n'ont pas été notifiées au Secrétariat de la convention de Bâle dans les conditions de l'article 11 n'a pas pour effet d'écarter l'application des stipulations de cet article qui prévoient que les dispositions de la convention sont sans effet sur les mouvements transfrontières conformes à de tels accords dès lors que ceux-ci sont compatibles avec une gestion écologiquement rationnelle telle que décrite dans la convention ;
Considérant que, dans ces conditions, l'A.F.R.P.N. du Bas-Rhin n'est pas fondée à soutenir que c'est en méconnaissance des articles 4-5 et 11 précités de la convention de Bâle que le préfet du Bas-Rhin a, par la décision attaquée du 25 août 1992, autorisé la communauté urbaine de Strasbourg à importer des déchets ménagers en provenance de l'Ortenaukreis ; que, dès lors, le premier moyen invoqué par l'A.F.R.P.N. du Bas-Rhin manque en droit et doit être écarté ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du décret du 23 mars 1990 :
Considérant en premier lieu qu'aux termes de l'article 23-1 de la loi n° 75-633 modifiée du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux : "L'importation, l'exportation et le transit de déchets sont interdits lorsque le détenteur n'est pas en mesure de faire la preuve d'un accord le liant au destinataire des déchets ou que celui-ci ne possède pas la capacité ou les compétences pour assurer l'élimination de ces déchets dans des conditions qui ne présentent pas de danger ni pour la santé humaine ni pour l'environnement" ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement applicable aux installations d'élimination des déchets en application des dispositions de l'article 7 de la loi du 15 juillet 1975 susmentionnée : "Sont soumis aux dispositions de la présente loi les usines, ateliers, dépôts, chantiers, carrières et d'une manière générale les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature et de l'environnement, soit pour la conservation des sites et des monuments" ; qu'aux termes de l'article 6 de la même loi du 19 juillet 1976 : "Les conditions d'installation et d'exploitation jugées indispensables pour la protection des intérêts mentionnés à l'article 1er de la présente loi, les moyens d'analyse et de mesure et les moyens d'intervention en cas de sinistre sont fixés par l'arrêté d'autorisation et, éventuellement, par des arrêtés complémentaires pris postérieurement à cette autorisation ..." ;
Considérant en troisième lieu qu'aux termes de l'article 34-2 du décret n° 90-267 du 23 mars 1990, complété par le décret n° 92-798 du 18 août 1992, relatif au régime applicable aux déchets de ménages et déchets assimilés : "L'importation en vue de leur élimination par un moyen autre que la mise en décharge de déchets appartenant à l'une des catégories définies à l'annexe III est soumise à autorisation dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles 2 à 12 inclus ci-dessus" ; qu'aux termes de l'article 6 dudit décret : "Le préfet refuse l'autorisation d'importation par décision motivée : si le dossier est incomplet ou si l'élimination de déchets prévue n'est pas compatible avec les dispositions législatives ou réglementaires en matière de protection de l'environnement ou de la santé ou avec les prescriptions édictées par un plan d'élimination des déchets arrêté en application de l'article 10 de la loi du 15 juillet 1975 susvisée ...";
Considérant que ces dispositions, qui sont conformes aux règles susrappelées du droit communautaire et aux objectifs de gestion écologiquement rationnelle des déchets définis par la convention de Bâle, ne font pas obstacle à l'importation de déchets, notamment dans le cadre d'une coopération transfrontalière en vue d'une élimination coordonnée des déchets concernant des zones frontalières voisines ; que par contre, lesdites dispositions imposent à l'autorité administrative de refuser une autorisation d'importation de déchets si l'élimination de ceux-ci est réalisée dans des conditions irrégulières ou susceptibles de présenter un danger pour l'environnement et, notamment, si l'élimination de ces déchets est prévue dans une installation classée dont le fonctionnement, non conforme à son autorisation d'exploitation, présente un danger pour la santé humaine et pour l'environnement ;
Considérant que l'autorisation d'importation contestée prévoit l'élimination des déchets ménagers en provenance de l'Ortenaukreis par incinération à l'U.T.O.M. de Strasbourg-Rohrschollen ; qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est pas contesté, que le fonctionnement de cette installation classée n'est pas conforme aux prescriptions contenues dans l'arrêté préfectoral d'autorisation, modifiées et complétées en dernier lieu le 14 mars 1988 ; qu'il ressort notamment d'une étude effectuée par l'A.P.A.V.E. sur demande de la communauté urbaine de Strasbourg que les émissions de matières polluantes sont, mis à part pour l'arsenic, les métaux lourds sur le four n° 3 et les hydrocarbures totaux sur les fours 1, 2 et 3, largement supérieures aux valeurs autorisées, ainsi qu'il ressort du tableau reproduit ci-dessous ;
Polluant mesure
- Poussières :
- mg / Nm3
Four 1 : 241
Four 2 : 298
Four 3 : 217
Four 4 : 417
Valeur réglementaire : 50
Polluant mesure
- HCI :
- mg / Nm3
Four 1 : 937 Four 2 : 929,7
Four 3 : 1091
Four 4 : 1288,4
Valeur réglementaire : 100
Polluant mesure
- Hydrocarbures totaux
- ppm vol
Four 1 : 9,8
Four 2 : 7,8
Four 3 : 8,5
Four 4 : 20
Valeur réglementaire : 10
Polluant mesure
- métaux totaux particulaires
- micron de grammes / Nm3
Four 1 : 13.311,7
Four 2 : 8.433,4
Four 3 : 4.323,3
Four 4 : 9.687,5
Valeur réglementaire : 5000
Polluant mesure
- Hg + Cd particulaires et totaux
- micron de grammes / Nm3
Four 1 : 458,8
Four 2 : 307,2
Four 3 : 434,3
Four 4 : 609
Valeur réglementaire : 300
Polluant mesure
- Arsenic
- micron de grammes / Nm3
Four 1 : inférieur à 89,1
Four 2 : inférieur à 81,8
Four 3 : inférieur à 56
Four 4 : inférieur à 79
Valeur réglementaire : 1000
Teneurs exprimées à 7 % CO2 sur gaz humide ;
Considérant que le fonctionnement de l'usine d'incinération d'ordures ménagères de Strasbourg-Rohrschollen n'étant pas conforme à l'arrêté d'autorisation la concernant et les émissions de cette installation présentant un risque pour la santé publique, l'élimination par incinération dans ladite installation des déchets dont l'importation a été autorisée ne peut actuellement être regardée comme compatible avec les règles posées par les lois susévoquées du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux et du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement ; que dès lors, c'est en méconnaissance des dispositions susrappelées des articles 6 et 34-2 du décret du 23 mars 1990 que le préfet a, par la décision attaquée, autorisé l'importation litigieuse ; que l'A.F.R.P.N. du Bas-Rhin est fondée, par ce deuxième moyen, à demander l'annulation de cette décision ;
Article 1er : La décision susvisée du préfet du Bas-Rhin en date du 25 août 1992 est annulée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à l'A.F.R.P.N. Alsace, au préfet du Bas-Rhin, au Landratsamt Ortenaukreis et à la Communauté urbaine de Strasbourg.