Vu le premier jugement du 3 avril 1995 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Lyon a renvoyé à la formation collégiale du tribunal la requête n° 9501291 présentée pour M. Vasile Y..., actuellement retenu au centre de rétention administrative de Sainte-Foy-les-Lyon, par Me Frery, avocate au barreau de Lyon, tendant à l'annulation de la décision du 30 mars 1995 par laquelle le préfet du Rhône décide qu'il sera reconduit à la frontière à destination de la Roumanie, et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 1.500 francs au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le deuxième jugement du 3 avril 1995 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Lyon a renvoyé à la formation collégiale du tribunal la requête n° 9501292 présentée pour Mlle Citadela Y..., actuellement retenue au centre de rétention administrative de Sainte-Foy-les-Lyon, par Me Frery, avocate au barreau de Lyon, tendant à l'annulation de la décision du 30 mars 1995 par laquelle le préfet du Rhône décide qu'elle sera reconduite à la frontière à destination de la Roumanie, et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 1.500 francs au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967,
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
Vu le décret n° 95-304 du 21 mars 1995 portant publication de la Convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les Gouvernements des Etats de l'Union économique du Benelux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française relative à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, lignée à Schengen le 19 juin 1990,
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945,
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986,
Vu les articles 1089 B et 1090 A du code général des impôts et l'article 10 de la loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977, complétés par l'article 44 de la loi de finances pour 1994. Le tribunal a entendu à l'audience publique :
le rapport de M. ALBERTINI, conseiller,
les observations de Me Frery, avocat de M. Vasile Y... et de Mlle Citadela Y..., de Me DEBRAY, avocat de l'association "TIBERIUS Z..." et de M. A... et de M. X..., pour le préfet du Rhône ;
les conclusions de Mme HELMLINGER, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées présentent à juger des questions semblables et ont ait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement ;
Sur l'intervention de l'Association "Tiberius Claudius" :
Considérant que l'association susvisée a pour objet le respect et la défense du droit des étrangers et la lutte contre toutes les discriminations raciales dont ils pourraient être l'objet ; qu'elle a intérêt à l'annulation des décisions attaquées ; que, dès lors, son intervention est recevable ;
Sur la compétence de la formation collégiale du tribunal administratif pour statuer sur les requêtes :
Considérant qu'aux termes du 2ème alinéa de l'article 26 bis de l'ordonnance susvisée du 2 novembre 1945 : "Lorsqu'un étranger non ressortissant d'un Etat membre de la Communauté économique européenne a fait l'objet d'un signalement de non-admission en vertu d'une décision exécutoire prise par l'un des autres Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et qu'il se trouve irrégulièrement sur le territoire métropolitain, le représentant de l'Etat (...) (peut) décider qu'il sera d'office reconduit à la frontière" ; qu'il résulte des dispositions précitées, éclairées par les travaux préparatoires à l'intervention de la loi n° 92-190 du 26 février 1992 dont elles sont issues, que les requêtes tendant à l'annulation des décisions par lesquelles le préfet prescrit la reconduite à la frontière d'un étranger, en se fondant sur un signalement de non-admission pris par l'un des autres Etats parties à la convention dite de Schengen, ne sont pas au nombre de celles qui doivent être examinées par le tribunal administratif selon les modalités prévues par l'article L. 28 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel issu de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 ; qu'en conséquence, en l'absence de disposition contraire, il doit être statué sur ces requêtes par une formation de jugement collégiale du tribunal ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation des décisions attaquées :
Considérant qu'il résulte des dispositions précisées de l'article 26 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 que le représentant de l'Etat dans le département, ou, à Paris, le préfet de police, ne peuvent décider qu'un étranger non ressortissant d'un Etat membre de la Communauté économique européenne sera reconduit à la frontière que lorsque l'intéressé a fait l'objet d'un signalement de non-admission en vertu d'une décision exécutoire prise par l'un des autres Etats parties à la convention dite de Schengen ;
Considérant que les requérants soutiennent que le préfet du Rhône ne s'est pas fondé sur une décision exécutoire prise par une autorité administrative ou judiciaire d'un Etat partie à la Convention pour décider qu'ils seront reconduits à la frontière, à destination de la Roumanie ; que le représentant de l'Etat se borne à se référer, dans ses observations en défense, aux signalements de non-admission qu'il a produits aux débats, concernant M. Vasile Y... et Mlle Citadela Y..., établis par les autorités allemandes dans le cadre du "système d'information Schengen" (SIS), régi par les stipulations des articles 92 à 101 de la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 ; que ces signalements ne font pas mention de la décision exécutoire en vertu de laquelle les intéressés ne peuvent être admis sur le territoire des pays signataires de la convention dite de schengen ; qu'ainsi c'est à tort que le préfet du Rhône s'est fondé sur les signalements en question pour prononcer la reconduite à la frontière à destination de la Roumanie de M. Vasile Y... et de Mlle Citadela Y... ; qu'il y a lieu, en conséquence, sans qu'il soit besoin de d'examiner les autres moyens des requêtes, d'annuler les décisions attaquées à raison de l'erreur de droit dont elles sont entachées ;
Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Rhône d'instruire la demande d'asile que souhaitent former les requérants sous peine d'une astreinte de 1000 francs par jour de retard :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Lorsqu'un jugement ou un arrêt impliquent nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel, saisi de conclusions en ce sens, prescrit cette mesure, assortie le cas échéant, d'un délai d'exécution, par le même jugement ou le même arrêt (... )" ; qu'en application de l'article L. 8-3 du même code, le tribunal ou la cour, saisi de conclusions en ce sens, peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application de l'article L. 8-2 d'une astreinte ;
Considérant que le présent jugement, par lequel le tribunal administratif annule les décisions du 30 mars 1995 par lesquelles le préfet du Rhône prononce la reconduite à la frontière à destination de la Roumanie de M. Vasile Y... et de Mlle Citadela Y... n'implique pas nécessairement qu'il soit enjoint au préfet du Rhône, d'instruire la demande d'asile politique que souhaitent former les intéressés ; que, par suite, les conclusions susmentionnées de M. Vasile Y... et de Mlle Citadella Y... doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ; qu'en application de ces dispositions il y a lieu de condamner l'Etat à payer à M. Vasile Y... d'une part et à Mlle Citadela Y... d'autre part la somme de 2000 F pour le cas où la section du bureau d'aide juridictionnel compétent pour statuer sur la demande déposée à la barre du tribunal par les requérants ne leur accorderait pas le bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
Considérant, d'autre part, que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions susmentionnées de l'association "Tiberius Z..." qui n'est pas mentionnée en tant que partie dans les instances soumises au tribunal ;
Article 1er - L'intervention de l'association "Tiberius Z..." est admise.
Article 2 - Les décisions du 30 mars 1995 par lesquelles le préfet du Rhône décide que M. Vasile Y... et Mlle Citadela Y... seront reconduits à la frontière à destination de la Roumanie sont annulées.
Article 3 - L'Etat est condamné à payer à M. Vasile Y... d'une part, et à Mlle Ciadela Y... d'autre part, une somme de deux mille francs (2000 F) dans le cas où la section du bureau d'aide juridictionnelle ne leur accorderait pas le bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 4 - Le surplus des conclusions des requêtes susvisées de M. Vasile Y... et de Mlle Citadela Y... est rejeté.
Article 5 - Le présent jugement sera notifié conformément aux dispositions de l'article R. 211 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.