Vu, enregistrée au greffe du tribunal le 7 septembre 1992 sous le n° 923613, présentée pour M. et Mme Patrick Y..., demeurant ..., agissant tant en leur nom qu'en celui de leurs enfants mineurs,
- Mme Hélène Z..., demeurant ...,
- M. Jean-François X..., demeurant ...,
la requête tendant à ce que le tribunal :
1°) déclare le centre hospitalier de Seclin entièrement responsable du décès du jeune Frédéric Y..., consécutif à une intervention chirurgicale pratiquée le 9 juin 1988 dans cet établissement et survenu, le 11 juin 1988, au centre hospitalier régional de Lille,
2°) condamne ledit centre hospitalier à payer :
- à M. Patrick Y..., père de la victime, une somme de vingt-deux-mille-cent-quatre-vingt-dix francs et quatre-vingt-dix centimes (22.190,90 F) en réparation du préjudice matériel qui lui a été ainsi causé, ainsi qu'une somme de cent-mille francs (100.000 F) au titre du préjudice moral,
- à Mme Patrick Y..., mère de la victime, une somme de cent-mille francs (100.000 F) au titre du préjudice moral,
- à M. et Mme Patrick Y..., en qualité de représentants de Cédric, Nathalie et Audrey Y..., frère et soeurs mineurs de la victime, une somme de cinquante-mille francs (50.000 F) pour chacun d'entre eux, soit au total cent-cinquante-mille francs (150.000 F) au titre du préjudice moral,
- à Mme Hélène Z..., grand-mère de la victime, une somme de cinquante-mille francs (50.000 F) au titre du préjudice moral,
- à M. Jean-François X..., grand-père de la victime, une somme de cinquante-mille francs (50.000 F) au titre du préjudice moral,
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 8 septembre 1994 :
- le rapport de M. Van Hullebus, Conseiller,
- les observations de Maître A..., pour les requérants,
- les conclusions de M. Laugier, commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Frédéric Y..., alors âgé de onze ans, a subi le 9 juin 1988, vers 11 heures 10, au centre hospitalier de Seclin, une anesthésie générale en vue d'une intervention ayant pour objet la réduction et l'embrochage d'une fracture du col huméral gauche ; qu'en fin d'intervention, il a présenté les symptômes d'une hyperthermie maligne ; qu'en l'absence sur place de dantrolène, agent spécifique pour traiter l'hyperthermie maligne, le SAMU de Lille a été appelé à 12 heures 30 ; que l'ambulance étant arrivée au centre hospitalier de Seclin vers 12 heures 45, le dantrolène a été administré immédiatement à deux reprises avant le transfert de l'enfant au centre hospitalier régional de Lille où il devait décéder le 11 juin 1988, malgré divers traitements, d'une insuffisance cardio-vasculaire ; que M. et Mme Patrick Y..., parents de la victime, agissant en leur nom et en celui de leurs autres enfants mineurs, Mme Hélène Z..., sa grand-mère et M. Jean-François X..., son grand-père, soutiennent qu'en ne détenant pas de dantrolène, le centre hospitalier de Seclin a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
Considérant que, dans les circonstances de l'affaire et alors que l'accident survenu à la victime n'était pas prévisible, le centre hospitalier de Seclin n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité en ne disposant pas de dantrolène, médicament peu usité en France à la date du décès de la victime et ne faisant pas encore l'objet de prescriptions réglementaires ;
Considérant, toutefois, que lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ;
Considérant que le risque inhérent aux anesthésies générales et les conséquences de cet acte pratiqué sur le jeune Frédéric Y... répondent à ces conditions ; que dès lors, les requérants sont fondés à demander que le centre hospitalier de Seclin soit déclaré responsable du décès de l'enfant et condamné à en réparer les conséquences ;
Sur le préjudice :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que les frais d'obsèques supportés par M. Patrick Y... s'élèvent au montant non contesté de vingt-deux-mille-cent-quatre-vingt-dix francs et quatre-vingt-dix centimes (22.190,90 F) ; que le préjudice moral de chacun des parents de la victime peut être évalué à 80.000 F ; que, par suite, il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Seclin à payer à M. Patrick Y... la somme de cent-deux-mille-cent-quatre-vingt-dix francs et quatre-vingt-dix centimes (102.190,90 F) et à Mme Patrick Y... la somme de quatre-vingt-mille francs (80.000 F) ;
Considérant, en deuxième lieu, que le préjudice moral subi par le frère et chacune des soeurs de la victime peut être évalué à 15.000 F ; que, par suite, il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Seclin à payer à M. et Mme Patrick Y..., au nom de leurs enfants mineurs Cédric, Nathalie et Audrey Y..., la somme de quinze-mille francs (15.000 F), pour chacun d'entre eux, soit au total quarante-cinq-mille francs (45.000 F) ;
Considérant, en troisième lieu, que le préjudice moral subi par les grands-parents de la victime peut être évalué à 15.000 F ; que, par suite, il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Seclin à payer respectivement à Mme Hélène Z... et à M. Jean-François X..., la somme de quinze-mille francs (15.000 F) ;
Sur les intérêts :
Considérant que les requérants ont droit à ce que le montant des indemnités que le centre hospitalier de Seclin est condamné à leur verser soit majoré des intérêts au taux légal à compter du jour de l'enregistrement de leur requête, soit le 7 septembre 1992 ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 8 juillet 1993 ; que, d'une part, à cette date, il n'était pas dû au moins une année d'intérêts ; que, d'autre part, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, la capitalisation des intérêts ne peut être demandée pour l'avenir ; que, dès lors, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande ;
Article 1er : Le présent jugement est déclaré commun à M. et Mme Patrick Y..., à Mme Hélène Z... et à Mr Jean-François X... ainsi qu'à la caisse primaire d'assurance maladie de Lille.
Article 2 : Le centre hospitalier de Seclin est condamné à payer à M. Patrick Y..., la somme de cent-deux-mille-cent-quatre-vingt-dix francs et quatre-vingt-dix centimes (102.190,90 F) majorée des intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 1992.
Article 3 : Le centre hospitalier de Seclin est condamné à payer à Mme Patrick Y..., la somme de quatre-vingt-mille francs (80.000 F), majorée des intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 1992.
Article 4 : Le centre hospitalier de Seclin est condamné à payer à M. et Mme Patrick Y..., au nom de leurs enfants mineurs Cédric, Nathalie et Audrey Y..., la somme de quarante-cinq-mille francs (45.000 F), majorée des intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 1992.
Article 5 : Le centre hospitalier de Seclin est condamné à payer respectivement à Mme Hélène Z... et à M. Jean-François X... la somme de quinze-mille francs (15.000 F), majoré des intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 1992.
Article 6 : Le surplus des conclusions de Mr et Mme Patrick Y..., de Mme Hélène Z... et de M. Jean-François X... est rejeté.
Article 7 : Le présent jugement sera notifié à M. et Mme Patrick Y..., à Mme Hélène Z..., à M. Jean-François X..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Lille et au centre hospitalier de Seclin.