Vu le titre Ier du livre III du code des juridictions financières, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ; la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ; la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 modifiée, sur les sociétés commerciales, notamment son article 113 ; la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 modifiée relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit, notamment ses articles 37 et 42 ;
Vu la lettre du 20 juillet 1994, enregistrée au Parquet le même jour, par laquelle la Cour des comptes, sur déféré décidé par la troisième chambre dans sa séance du 18 juillet 1994, a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans différents engagements de la banque du Crédit chimique ; le réquisitoire du 5 octobre 1994 par lequel le Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, a transmis le dossier au Président de la Cour, conformément à l'article L. 314-3 du code des juridictions financières ;
Sur la compétence de la Cour :
Considérant que les faits ici en cause ont été commis entre 1989 et 1991, époque à laquelle le Crédit chimique était une filiale à 100 % du groupe Péchiney, entreprise publique relevant du contrôle de la Cour des comptes en application des dispositions de l'article L. 111-4 du code des juridictions financières ; qu'après la fusion avec la banque du Phénix le 31 décembre 1990, le Crédit chimique devenait une filiale à 71 % du groupe des Assurances Générales de France, entreprise publique alors soumise au contrôle de la Cour des comptes ; qu'ainsi le Crédit chimique était donc lui-même soumis à ce contrôle, en application de l'article L. 133-2 de ce même code ;
Considérant que M. X... en sa qualité de président, M. Wagner en sa qualité de directeur général, M. Bibé en sa qualité de directeur bancaire du Crédit chimique puis de la Banque du Phénix et du Crédit chimique et M. Y... en sa qualité de vice-président du Crédit chimique étaient, pour la période considérée, justiciables, de la Cour de discipline budgétaire et financière en application des dispositions de l'article L. 312-1 I c) du code des juridictions financières ;
Sur la régularité de la procédure ;
Considérant, en premier lieu, que les procédures de la Cour des comptes sont sans influence sur la régularité de la procédure devant la Cour de discipline budgétaire et financière ; que, dès lors, M. Wagner ne peut utilement se prévaloir de ce quantérieurement au déféré des faits à la Cour de discipline budgétaire et financière, il n'a jamais été interrogé par la Cour des comptes ;
Considérant, en deuxième lieu, que si M. Wagner a soutenu qu'il n'avait pas été informé de l'éventuel engagement de sa responsabilité lors de ses auditions des 16 octobre, 27 novembre, 12 décembre 1997, 8 janvier et 19 janvier 1998, la lettre de mise en cause qui lui a été adressée le 25 juillet 1997 avec le réquisitoire précise que les faits en cause sont "susceptibles d'engager sa responsabilité" ;
Considérant, en troisième lieu, que si M. Wagner a soutenu que pendant la période d'instruction devant la Cour de discipline budgétaire et financière, il n'a pas eu connaissance de la totalité des déclarations des personnes interrogées par le rapporteur, il a eu connaissance du dossier complet de l'affaire, y compris des conclusions du Procureur général en application des dispositions de l'article L. 314-8 du code des juridictions financières ; qu'il n'est établi ni que M. Wagner ait demandé à consulter le dossier pendant la procédure d'instruction, ni qu'une telle consultation lui ait été refusée ;
Considérant que, dans ces conditions, le droit des parties à une contradiction équitable a été respecté ;
Sur la prescription :
Considérant que seuls les faits incriminés, qui se sont produits ou poursuivis postérieurement au 20 juillet 1989, ne sont pas couverts par la prescription édictée par l'article L. 314-2 du code des juridictions financières ;
Sur les faits :
Le dossier NISSILIOS :
Considérant que le dossier de présentation d'un engagement ayant pour objet le financement complémentaire de la construction d'un navire de croisière de luxe, le NISSILIOS, ne comportait pas d'informations fiables sur les conditions probables d'exploitation du navire ; qu'y manquaient notamment des engagements contractuels essentiels à l'évaluation de l'équilibre économique de l'opération, en particulier le contrat de gestion ;
Considérant que c'est sur la base de ce dossier constitué par M. Bibé et d'une note de ce dernier, datée du 26 juillet 1989, que le comité de crédits présidé par M. Wagner, a accordé ce même jour un prêt de 17 millions de dollars à la société panaméenne INTERCONTINENTAL DEVELOPMENT SA ; qu'alors même que le Crédit chimique ne possédait aucune expérience des crédits shipping, l'examen des garanties et le contrôle des tirages se sont révélés nettement insuffisants ; que le versement d'une commission de 850.000 dollars à FINEX INTERNATIONAL, apporteur de l'affaire, n'était pas prévu au dossier initial et n'a été révélé qu'incidemment par M. Bibé à M. Wagner ; que, bien que des renseignements inquiétants sur la valeur réelle des garanties et l'utilisation des fonds prêtés soient parvenus à la banque entre septembre et novembre 1989, M. Bibé n'a informé que tardivement et imparfaitement sa hiérarchie ;
Considérant que les pertes de la banque sur ce dossier se sont élevées à près de 5 millions de dollars ;
Le dossier KELPIE :
Considérant que le dossier remis à M. Bibé par la société WELFIN SA concernant le financement d'un type présenté comme nouveau de fourgonnettes à hayon élévateur conçu par la société australienne KELPIE INDUSTRIES LIMITED était insuffisant et ne contenait ni calcul du rendement économique de l'opération, ni analyse rigoureuse de la concurrence, ni projections financières chiffrées, ni précisions sur le montage du prêt relais ; que sur cette base, M. Bibé a cependant engagé la banque le 27 septembre 1989, en signant une offre de crédit conditionnelle de 5,5 millions de dollars, adressée à WELFIN FINANCIAL SERVICES LTD, au bénéfice d'un emprunteur à désigner ; que le montant en cause dépassait le plafond en deça duquel M. Bibé était autorisé à engager la banque ;
Considérant que, malgré les avertissements du cabinet d'avocats de la banque concernant la valeur réelle des garanties apportées, le comité de crédits a avalisé le 4 octobre 1989 cet engagement assimilable à un prêt sur gage ; que la banque n'a pas assuré le contrôle des tirages effectués dès le 10 octobre par l'emprunteur, INTERNATIONAL DEVELOPMENT, qui avait été désigné, par un pouvoir signé le 3 octobre 1989 par M. Bibé, pour un objet différent du projet initial ;
Considérant qu'au terme d'une procédure contentieuse, les pertes de la banque sur ce dossier se sont élevées à plus de 5 millions de dollars ;
Le dossier PECCA TRICOREX :
Considérant qu'à la suite de découverts non autorisés de la société SPAD INVEST, M. Bibé a signé le 7 août 1989 un contrat de prêt de 50 MF au profit de cette même société, prêt gagé par le nantissement d'actions de la société PECCA TRICOREX détenues par SPAD INVEST ; que le comité de crédits a avalisé ce prêt le 30 août 1989 ; que le comité a accordé un nouveau prêt de 25 MF le 24 janvier 1990 à SPAD INVEST ; que, malgré la vente de PECCA TRICOREX qui avait pour effet de réduire la valeur des garanties détenues par la banque, la succession de découverts non autorisés attestant des difficultés financières de SPAD INVEST, les recommandations de fermeté de M. Wagner à l'égard des emprunteurs et la suspension provisoire de la délégation de signature dont M. Bibé bénéficiait par M. Wagner le 23 avril 1990, M. Bibé a octroyé le 5 juillet 1990 un prêt de 70 millions de francs à PECCA TRICOREX ; que suite à une défaillance de l'emprunteur, le comité de crédits a prorogé le prêt au 31 mars 1991 au vu d'une note rassurante de M. Bibé ; qu'il est constant que la banque n'a, à aucun moment, disposé d'informations précises et fiables sur ce dossier ; que la direction bancaire du Crédit chimique, à laquelle il incombait d'informer la Banque de France de tout engagement sur un même client supérieur à 30 MF, conformément au règlement n° 86-09 du 27 février 1986, n'a pas respecté cette obligation ; que le total des pertes de la banque dans cette affaire s'est élevé à 20 millions de francs ;
Le dossier MONTLAUR :
Considérant qu'à partir de 1987 une série d'informations préoccupantes ont alerté la banque sur la situation financière du groupe de distribution familial MONTLAUR, client de longue date du Crédit chimique ; que néanmoins le comité de crédits, ayant accordé un nouveau prêt de 50 MF sur 3 mois le 14 juin 1989, M. Bibé a signé le lendemain le contrat de prêt correspondant, mais en portant son échéance à 6 mois ; que ces faits sont prescrits dès lors qu'ils sont antérieurs au 20 juillet 1989 ;
Considérant toutefois que, malgré des informations alarmantes sur la situation financière du groupe MONTLAUR, le comité de crédits a prorogé une nouvelle fois le prêt pour trois mois le 20 décembre 1989 ; que l'avenant au premier contrat, signé par M. Bibé le 29 décembre 1989, a prorogé ce prêt non de 3 mois mais de 24 mois ; que le 3 avril 1990, une note du service de l'inspection et du contrôle de la banque a relevé une anomalie dans le nantissement du prêt ; que le groupe MONTLAUR a été mis en redressement judiciaire le 13 mars 1991, entraînant une perte de plus de 45 MF pour le Crédit chimique ;
Le dossier DIGITAL DESIGN :
Considérant que M. Bibé a signé, le 3 octobre 1989, un contrat de prêt de 18 MF avec la société DIGITAL DESIGN ; que ce prêt, qui excédait les limites de sa délégation a été avalisé par le comité de crédits du 11 octobre 1989, l'opération requérant, du dire des dirigeants du Crédit chimique, une grande confidentialité ;
Considérant que des impayés sont survenus dès 1990 et que DIGITAL DESIGN déposa son bilan en 1992, entraînant une perte de 19,7 MF pour la banque ;
Le dossier BERN 3/GENERAL VIDEO :
Considérant que le 20 janvier 1989, le Crédit chimique représenté par M. Bibé, avait accordé un prêt de 30 MF à une société BERN 3 pour racheter la société GENERAL VIDEO sur la base de garanties d'une valeur imprécise ; que ces faits sont prescrits ;
Considérant en revanche que la première échéance du 31 juillet 1989 étant demeurée impayée, M. Bibé a accordé seul, ce même jour, une prorogation de 3 mois ; que pendant cette période, les frais généraux ont crû plus rapidement que le chiffre d'affaires et que les impayés se sont accumulés jusqu'au 27 février 1991, date de la première mise en demeure de la banque ; qu'à la suite de la cession de GENERAL VIDEO, la perte de la banque s'est montée à 17 MF ;
Considérant qu'il est constant que pendant cette période, M. Bibé n'a exercé aucun contrôle sérieux de la compétence professionnelle des acquéreurs, de leur apport personnel en fonds propres, qui n'a jamais eu lieu, ni de la gestion de l'affaire ;
Sur les infractions et les responsabilités :
Considérant, en premier lieu, que la directive du 7 février 1989, fixant la procédure de décision et de suivi en matière de risques de solvabilité au Crédit chimique, signée par M. Wagner plafonnait la délégation de signature accordée à M. Bibé à 10 MF pour le risque direct et 20 MF pour le total des crédits ; qu'elle précisait que "les accords de principe entraînant une correspondance ou un accord verbal avec le client, même assortis de réserves devront respecter les procédures normales (...)" ;
Considérant que les engagements de M. Bibé dans les affaires KELPIE (offre du 27 septembre 1989), PECCA TRICOREX (contrat de prêt du 7 août 1989) et DIGITAL DESIGN (contrat du 3 octobre 1989) ont été signés en méconnaissance de cette directive ; qu'il en a été de même pour les modifications apportées par M. Bibé aux décisions prises par le comité de crédits dans les affaires MONTLAUR et GENERAL VIDEO ;
Considérant que M. Bibé a signé le contrat de prêt du 5 juillet 1990 en faveur de PECCA TRICOREX alors qu'il n'avait plus délégation pour engager la banque ; qu'à ce titre il a enfreint la décision du 23 avril 1990 de M. Wagner suspendant la délégation dont il bénéficiait sur le fondement de la directive du 7 février 1989 ;
Considérant toutefois que les engagements pris par M. Bibé dans les affaires en cause ont été avalisés par le comité de crédits ; qu'en outre M. Bibé a affirmé qu'il avait tenu informé M. Wagner, président du comité, de l'envoi des offres avant leur examen par celui-ci ; que M. Wagner n'a pas apporté d'éléments permettant de remettre en cause ces affirmations ; que, pour ce qui concerne la délégation de M. Bibé, M. Wagner n'en a tiré aucune conclusion avant le 23 avril 1990 ;
Considérant que l'infraction aux règles écrites de la banque constitue une violation des règles relatives à l'exécution des dépenses et recettes de l'établissement au sens de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières, et qu'elle est, à ce titre, passible des sanctions prévues à l'article L. 313-1 du même code ;
Considérant en conséquence que M. Wagner, en ses qualités de supérieur hiérarchique de M. Bibé et de directeur général de l'établissement, ayant entériné la violation de règles internes qu'il avait lui-même fixées dans sa note du 7 février 1989, assume la responsabilité de ces infractions au même degré que M. Bibé signataire des actes en cause ;
Considérant en deuxième lieu que, pour les affaires soumises à la Cour, l'instruction portant sur la solvabilité des emprunteurs et la valeur des garanties, le montage des prêts et le suivi de la situation financière des emprunteurs se sont révélés déficients ; que, par leur répétition et leur gravité, ces défaillances constituent une violation des règles de bonne conduite de la profession bancaire mentionnées aux articles 37 et 42 de la loi du 24 janvier 1984 susvisée, notamment du devoir de s'informer sur la situation réelle de l'emprunteur et du devoir de prudence dans l'instruction et le suivi des dossiers qui comptent au nombre des règles d'exécution des recettes et des dépenses du Crédit chimique ;
Considérant que M. Bibé, en tant que directeur bancaire chargé d'instruire, de mettre au point et de suivre les dossiers d'emprunts, assume à ce titre la responsabilité principale ; que M. Wagner, en ses qualités de directeur général et de président du comité de crédits, assume une responsabilité accessoire ; qu'il est pas établi en revanche, que M. Y... ait manqué aux obligations de prudence et de vigilance propres à la profession bancaire ;
Considérant en troisième lieu que la lettre du Gouverneur de la Banque de France du 7 mars 1946, le règlement n° 86-09 du 27 février 1986 modifié du comité de la réglementation bancaire et la lettre de la Banque de France du 3 mars 1988 faisaient obligation au Crédit chimique de déclarer à cette institution tout concours supérieur à 30 MF ; que M. Bibé, en sa qualité de directeur bancaire, avait la responsabilité de cette déclaration qu'il n'a pas effectuée pour le dossier PECCA TRICOREX ;
Considérant en quatrième lieu, que la commission répétée des infractions susmentionnées résulte d'un défaut de surveillance par M. X... dans chacun des cinq dossiers soumis à la Cour ; que ce défaut de surveillance constitue une infraction aux règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses du Crédit chimique, règles qui, eu égard aux dispositions de l'article 113 de la loi du 24 juillet 1966 susvisée, comportaient l'obligation, pour le président de cette entreprise publique, de veiller aux conditions de la sauvegarde des intérêts de celle-ci dans son activité d'octroi de prêts ;
Considérant en revanche que les pièces du dossier n'établissent pas l'attribution d'avantages injustifiés à autrui ;
Considérant qu'il n'apparaît pas que M. Y..., en sa qualité de vice-président, ait eu les moyens juridiques de participer ni même de s'opposer à la commission des infractions ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en infligeant une amende de 50.000 F à M. Bibé, de 30.000 F à M. Wagner, de 10.000 F à M. X... et en relaxant M. Y... ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française.
Condamnation de M. Bibé à une amende de 50.000 F ; de M. Wagner, à une amende de 30.000 F ; de M. X... à une amende de 10.000 F ; relaxe de M. Y... ; publication de l'arrêt au Journal officiel de la République française.