Vu le titre Ier du livre III du code des juridictions financières relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ; le réquisitoire du 6 juillet 1994 par lequel le Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, usant des pouvoirs conférés par l'article L. 314-3 du code des juridictions financières, a saisi la Cour de faits relevés dans l'exécution des dépenses informatiques ..., ensemble la lettre du 19 avril 1994 du président de la quatrième chambre de la Cour des comptes et la lettre enregistrée au Parquet le 27 juin 1994 du ministre ..., portant ces faits à la connaissance du Procureur général, en application de l'article L. 314-1 du code des juridictions financières ;
Sur la compétence de la Cour :
Considérant que dans son mémoire en défense M. C soutient que la Cour de discipline budgétaire et financière, instituée pour réprimer les actes irréguliers des ordonnateurs, ne saurait être compétente pour juger des contrôleurs financiers à raison de faits relevant de leur contrôle ; qu'en effet, ce contrôle ne constitue qu'un simple avis et nullement une décision d'engagement ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 312-1 du code des juridictions financières est justiciable de la Cour tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l'Etat ; que les contrôleurs financiers sont des fonctionnaires civils de l'Etat ; que si l'alinéa II du même article spécifie limitativement la liste des personnes qui ne sont pas justiciables de la Cour, cette liste n'inclut pas la catégorie des contrôleurs financiers ; qu'ainsi les contrôleurs financiers sont justiciables de la Cour ;
Considérant, d'autre part, que l'infraction définie par l'article L. 313-4 du code des juridictions financières vise toute personne qui aura enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses de l'Etat ou des autres collectivités, établissements et organismes mentionnés à l'article L. 312-1 ; que les règles relatives aux dépenses de l'Etat comportent les dispositions arrêtées par la loi du 10 août 1922 relative à l'organisation du contrôle des dépenses engagées ; que l'article 5 de ladite loi dispose que toutes mesures émanant d'un ministre ou d'un fonctionnaire de l'administration centrale et ayant pour effet d'engager une dépense sont soumises au visa préalable du contrôleur des dépenses engagées ; que si les mesures proposées lui paraissent entâchées d'irrégularité, le contrôle refuse son visa ; qu'il ne peut être passé outre au refus de visa du contrôleur que sur avis conforme du ministre des finances ; que sans visa les ordonnances de paiement ou de délégation sont nulles et sans valeur pour les comptables du Trésor ; que dès lors, le visa n'a pas la portée d'un simple avis mais participe à la décision d'engagement ; qu'ainsi le fait pour un contrôleur financier d'accorder son visa à une proposition de dépense entachée d'irrégularité constitue une infraction définie et réprimée par l'article L. 313-4 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'exception d'incompétence de la Cour de discipline budgétaire et financière doit être rejetée ;
Sur le fond :
Lettres de commande adressées en 1989 à des prestataires de services informatiques :
Considérant qu'afin de mettre en place un nouveau schéma directeur informatique, le ministère ... avait consulté, au mois de janvier 1989, des sociétés de service ou d'ingénierie informatique ; qu'après le dépouillement des offres, en avril 1989, le ministère a demandé aux sociétés Airial, Cap Sesa, Gamma, GSI Erli, Infi, Itrec, Silogia et Steria de commencer leurs prestations dans le cadre de marchés à commande en cours d'élaboration ;
Considérant qu'une telle lettre a été expédiée à la société Steria, le 9 mai 1989, sous la signature de M. E., chef du département études et réalisations informatiques de la division de l'informatique, et qu'une deuxième lettre a été adressée le 20 juillet 1989 à la même société, par M. F., chef de bureau administratif et financier de la même division, précisant que les prestations seraient à imputer sur un marché de sous-traitance en cours de rédaction ; que par une lettre du 6 juin 1989 et deux lettres du 15 juin 1989, M. E a demandé aux sociétés Infi, Airial et GSI-Erli de commencer leurs prestations conformément aux marchés en cours d'élaboration ; que le 16 juin 1989, M. E a adressé une commande d'un montant de 1.202.980 F à la société Cap Sesa Tertiaire, en précisant, là encore, que cette prestation s'inscrivait dans le cadre d'un marché en cours d'élaboration ; que le 11 septembre 1989, M. E a saisi la société Silogia d'une demande de prestations rédigée dans les mêmes termes ;
Considérant que des notes de la division de l'informatique et d'un centre de traitement de l'information faisant état de la présence de personnels sous-traitants des sociétés Itrec, Steria, Airial, Cap Sesa, Gamma, Oracle, Silogia, GSI-Erli et Infi au sein des services informatiques du ministère ont été adressées les 23 août et 7 novembre 1989 à Mme B, en charge de la division de l'informatique de la direction de l'administration générale et de l'équipement ; qu'une autre note, du 8 novembre 1989, à Mme B. signalait que la société Airial émettait des craintes quant au règlement dans l'exercice des prestations déjà effectuées ;
Considérant que l'article 39 du code des marchés publics, applicable aux actes passés par les services informatiques du ministère ..., prescrit de notifier un marché avant tout commencement d'exécution ; que le fait d'inviter de futurs fournisseurs à commencer leurs prestations avant la notification des marchés, en violation de cet article 39, constitue une infraction aux règles d'exécution des dépenses de l'Etat sanctionnée par l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ; que de surcroît ces engagements sans visa préalable du contrôleur financier sont aussi constitutifs d'infractions au sens de l'article L. 313-1 du même code ;
Considérant qu'en signant les lettres de commande ci-dessus mentionnées aux sociétés Steria, Infi, Airial, GSI-Erli, Silogia et Cap Sesa Tertiaire, M. E a engagé sa responsabilité au regard des articles L. 313-1 et L. 313-4 du code des juridictions financières ; que si M. E a déclaré au cours de l'instruction qu'il ne connaissait pas précisément le code des marchés publics, il lui appartenait, compte tenu de ses attributions, de prendre connaissance des dispositions de ce code ; que M. E a ajouté qu'il n'a fait qu'exécuter les directives de sa hiérarchie qu'il avait informée des procédures adoptées ; que si cette seconde circonstance est de nature à atténuer sa responsabilité, elle ne saurait la faire disparaître ;
Considérant que M. F a signé une des lettres de commande à la société Steria et doit être considéré comme responsable des mêmes infractions ; que M. F soutient que les commandes étaient faites à l'initiative des services techniques et en accord avec sa hiérarchie ; que M. F était notamment chargé de rédiger les actes contractuels ; qu'à ce titre, il ne pouvait ignorer le caractère irrégulier des lettres de commande en cause ; qu'ainsi M. F n'est pas exonéré de sa responsabilité ;
Considérant que Mme B a confirmé qu'elle avait été destinataire des notes ci-dessus mentionnées et qu'elle n'avait pas donné d'instruction pour faire cesser la mise à disposition de personnels, mais exposé qu'elle avait fait confiance à M. F pour veiller à l'application du code des marchés ; que, dans son mémoire en défense, Mme B déclare qu'elle n'a pas été choquée par cette procédure d'engagement, que l'impatience des futurs utilisateurs des applications informatiques justifiait, selon elle, cette anticipation et que "le recours à la sous-traitance s'imposait compte tenu de l'indigence des personnels du ministère, que ces raisons ne sont pas de nature à exonérer Mme B, supérieure hiérarchique de MM. E et F, qui était informée par ses subordonnés du commencement des prestations, de ses responsabilités au regard des articles L. 313-1 et L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Conclusion et exécution de marchés à commande notifiés en décembre 1989 :
Considérant que M. A, alors directeur de l'administration générale et de l'équipement du ministère ..., personne responsables des marchés du ministère, a transmis le 16 octobre 1989 à la commission spécialisée des marchés d'informatique un rapport de présentation signé par lui et huit projets de marchés à commandes avec les sociétés Airial, Cap Sesa Tertiaire, Gamma, GSI Erli, Infi, Itrec, Silogia et Steria, pour un montant total de 109,46 millions de francs hors taxes, relatifs à des prestations d'assistance à la conception et à la réalisation d'applications informatiques ; qu'au cours de sa séance du 10 novembre 1989, à laquelle participaient MM. E et F, représentant la personne responsable des marchés, et M. D alors adjoint au contrôleur financier près le ministre ..., la commission spécialisée a donné un avis défavorable aux marchés soumis à son examen, au motif notamment qu'il ne lui semblait "pas acceptable d'utiliser la potentialité d'un ensemble de marchés à commande établis sans véritable cahier des charges" pour la réalisation d'une opération précise ;
Considérant que le 24 novembre 1989, M. A a décidé de passer outre à l'avis de la commission, au motif en particulier que l'appel à la sous-traitance présentait "un caractère d'urgence pour respecter le planning de réalisation des applications prioritaires du schéma directeur du ministère ...", en ajoutant que toute demande de prestation serait précédée d'une nouvelle mise en concurrence et que tout bon de commande serait présenté au visa du contrôleur financier ; que les huit marchés ont été notifiés le 8 décembre 1989, en application des disposition de l'article 103-4 du code des marchés publics, qui prévoyait que des marchés négociés pouvaient être conclus dans les cas d'urgence impérieuse motivée par des circonstances imprévisibles ;
Considérant que la mise en place d'un schéma directeur informatique ne saurait être considérée comme une circonstance imprévisible ; que les huit marchés notifiés le 8 décembre 1989, dont l'exécution avait, de surcroît, commencé avant cette date, sont donc entachés d'irrégularités, constitutives d'infractions aux règles d'exécution des dépenses de l'Etat, sanctionnées par l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant sur ce premier point que M. A, personne responsable du marché au sens de l'article 44 du code des marchés publics, et informé des critiques émises par la commission spécialisée des marchés, a personnellement décidé de passer outre, en négligeant d'exercer la vérification qu'il revient à la personne responsable des marchés d'exercer sur la régularité de la passation de ceux-ci, en l'espèce sur le bien-fondé du recours à l'article 103-4 du code ;
Considérant que M. A a exposé à la Cour qu'il avait accepté les modalités de contractualisation proposées par ses services, alors en cours de réorganisation ; que l'urgence se justifiait, selon lui, par la situation d'obsolescence des applications informatiques et l'absence de solutions contractuelles alternatives, que ni les instances de contrôle ni le cabinet du ministre ne lui avaient demandé d'informations complémentaires ;
Que toutefois les fonctions de direction de M. A ... s'étendaient à l'organisation de la division de l'informatique et que l'importance du dossier du schéma directeur aurait dû lui commander de surveiller particulièrement la procédure de passation de ces marchés ; que la responsabilité de M. A est ainsi engagée au regard de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant qu'après la notification des huit marchés signés le 8 décembre 1989, des lettres de commande de régularisation ont été adressées aux fournisseurs afin de permettre d'assurer le paiement des prestations que ceux-ci avaient effectuées antérieurement ;
Qu'une commande signée par M. F et visée par M. D. pour le contrôleur financier, adressée le 8 janvier 1990 à la société GSI-Erli pour des prestations, à compter du 2 janvier 1990, d'un montant de 1.095.640 F H.T., sur le fondement du marché notifié le 8 décembre 1989, se rapporte ainsi à des factures établies par la société le 29 décembre 1989 pour des prestations effectuées "durant les mois avril et mai 1989" et "mai septembre 1989", "factures refaites et payées", ainsi qu'il ressort des pièces du dossier ;
Qu'une commande du 2 janvier 1990, signée par M. F et visée par M. D à la société Infi Gestion pour des prestations à compter du même jour, d'un montant de 950.000 F se rapporte de même à des prestations effectuées entre juin 1989 et janvier 1990, ainsi que l'établissent des registres du service faisant référence à une "proposition de facturation à faire à Infi sur janvier 90" ;
Considérant que l'établissement de ces commandes de régularisation, présentées de manière fallacieuse, constitue une infraction au code des marchés publics, qui tombe sous le coup de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant sur ce deuxième point que M. F, en signant les deux commandes de prestations susmentionnées à engagé sa responsabilité au regard de l'article L. 313-4 ; que M. F a soutenu qu'il aurait établi ces commandes en l'absence d'autres moyens disponibles pour rémunérer les prestations déjà effectuées et que sa hiérarchie en était avisée, mais que ces explications ne justifient pas le caractère fallacieux de la présentation faite de la date des prestations ;
Considérant que M. D a fait valoir sans être contredit par les pièces du dossier que la division de l'informatique lui avait dissimulé le commencement d'exécution des prestations sur lesquelles portaient les commandes à GSI-Erli et Infi Gestion, que sa responsabilité n'est donc pas engagée ;
Considérant que des commandes ont été adressées à différentes sociétés afin de permettre, par refacturation entre prestataires de services, le règlement de prestations effectuées par des fournisseurs retenus le 8 décembre 1989 pour lesquels le montant maximum des marchés était atteint ; qu'il en est ainsi de commandes adressées aux sociétés Cap Sesa, Steria et Meta pour régulariser des prestations effectuées par les sociétés Gamma et Silogia ;
Considérant, en effet, que par lettre du 23 novembre 1990 Mme B., chef de la division de l'informatique, a confirmé à la société Gamma International que le montant des prestations restant à régulariser au profit de celle-ci s'élevait à 3.403.500 francs et que la facturation correspondante serait imputée, d'une part, sur un avenant du marché du 8 décembre 1989 et, d'autre part, "sur le marché en cours avec la société Cap Sesa" ; que la division de l'informatique avait passé commande, le 3 septembre 1990, à la société Cap Sesa Tertiaire, de prestations d'assistance conseil aux applications du casier judiciaire de Nantes pour un montant de 4.973.027,08 francs ; que la lettre de commande a été signée par M. F ; que Mme B et M. F ont reconnu que cette commande était en réalité destinée à Gamma, dont la créance sur le ministère atteignait 4.863.649 francs au 31 décembre 1990 ; que les dispositions arrêtées par la division de l'informatique revenaient à régler les sommes dues à Gamma après épuisement du marché, par l'intermédiaire d'une autre société à laquelle étaient adressées des commandes, qui revêtaient dès lors le caractère de commandes fictives ;
Considérant que ces pratiques se sont poursuivies en 1991 ; qu'une commande à Cap Sesa Tertiaire, d'un montant de 1.900.568,68 francs, en date du 13 septembre 1991, dont la signature est illisible mais qui émane de la division de l'informatique et porte le visa de M. D se réfère à des prestations effectuées au casier judiciaire national de Nantes à compter du 2 avril 1991, soit cinq mois plus tôt ; que la société Cap Sesa Tertiaire a adressé au ministère une facture de même montant le 16 septembre 1991 ; qu'ont été versées au dossier des factures d'honoraires du 30 septembre 1991 adressées par Gamma International à Cap Sesa Tertiaire pour "prestations dans le cadre des applications informatiques du casier judiciaire de Nantes" dont le montant est de 1.900.568,68 francs ;
Que M. A a été informé, le 6 août 1991, par une note de ses services que le ministère était redevable à Silogia de prestations pour un montant approchant 3 millions de flancs, que les prestations ne pouvaient être interrompues et que la structure du groupe auquel appartenait Silogia permettait "de monter plusieurs marchés, tous inférieurs au seuil CSMI" afin d'apurer cette dette ; que quatre commandes distinctes de la division de l'informatique, visées par M. D, d'un montant total de 2.299.056,70 F TTC ont été adressées le 1er octobre 1991 à société Steria pour des prestations à effectuer à compter de la même date ; qu'a été versée au dossier une facture d'un montant identique que la société Silogia a adressé le 30 novembre 1991 à la société Steria, au sujet de prestations d'assistance technique au ministère ... ; que Mme B a reconnu qu'elle avait accepté ce montage ;
Considérant que M. A et Mme B ont été informés le 5 décembre 1991 par une note d'un bureau de la sous-direction de l'informatique qu'un marché du 15 novembre 1991 avec Meta Informatique était, en réalité, "le dernier des marchés de régularisation avec Silogia" ; qu'en toute connaissance de cause, M. A a certifié le 3 février 1992 que la prestation avait été réalisée par Meta Informatique du 18 novembre au 31 décembre 1991 et en a prononcé la recette définitive ;
Considérant que le fait de faire payer les prestations des sociétés Gamma International et Silogia par l'intermédiaire de prête-nom, Cap Sesa Tertiaire, Steria et Meta Informatique, constitue une infraction aux règles relatives à l'exécution des dépenses de l'Etat, en particulier à l'article 75 du code des marchés publics qui impose de déterminer aussi exactement que possible les spécifications et la consistance des prestations qui font l'objet des marchés avant tout appel à la concurrence ou toute négociation, infraction sanctionnée par l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant sur ce troisième point que Mme B, en signant la lettre du 23 novembre 1990 à la société Gamma pour l'aviser de la procédure de substitution de marchés et en laissant la division informatique qu'elle dirigeait établir les lettres de commande du 3 septembre 1990 à Cap Sesa Tertiaire et du 1er octobre 1991 à Steria pour régler des prestations dues à d'autres sociétés, a engagé sa responsabilité au regard de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ; que le signataire de la commande du 3 septembre 1990, M. F., voit lui aussi sa responsabilité engagée sur le même fondement ; que M. F a exposé à la Cour que les commandes fictives avaient été engagées par Mme B et qu'elles avaient continué après son départ du service de l'informatique le 18 avril 1991 ; que Mme B. a soutenu, pour sa part, que son service ou elle-même avaient eu recours à des solutions irrégulières pour régler des situations ponctuelles et exceptionnelles ; que, par leurs fonctions mêmes, Mme B et M. F ne pouvaient ignorer le caractère irrégulier du procédé qu'ils mettaient en oeuvre ;
Qu'en laissant la division informatique de sa direction établir les commandes du 1er octobre 1991 alors qu'il avait été informé de leur caractère fallacieux, puis en certifiant le 3 février 1992 un service fait par la société Meta Informatique qu'il savait ne pas correspondre à une prestation fournie par cette société, M. A a engagé sa responsabilité au regard de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ; que M. A a exposé à la Cour qu'il n'avait pas perçu, à l'époque, qu'il violait des règles juridiques ; que le directeur de l'administration générale et de l'équipement ne pouvait pas ne pas percevoir le caractère irrégulier du montage que les notes de ses services lui proposaient de façon très claire ;
Que M. D qui bénéficiait d'une délégation de signature du contrôleur financier, ne pouvait ignorer, au vu des dates, que la commande du 13 septembre 1991 à Cap Sesa Tertiaire qu'il a visée régularisait des prestations antérieures, même s'il a pu ignorer que le destinataire de la commande était en réalité un prête-nom, comme il a pu l'ignorer pour les commandes du 1er octobre 1991 ; que sa responsabilité est engagée de ce fait au sens de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ; que M. D a exposé à la Cour que les bons de commande auraient pu ne pas être soumis au contrôle financier ; que toutefois dès lors que d'un commun accord l'ordonnateur et le contrôleur financier avaient décidé que les lettres de commande, qui constituaient des engagements de l'Etat vis-à-vis de ses fournisseurs, seraient soumises au visa du contrôleur financier, les dispositions de l'article 5 de la loi du 10 août 1922 s'appliquaient et qu'en conséquence le contrôleur financier devait refuser son visa si ses engagements de dépenses lui paraissaient entachés d'irrégularité ;
Marchés négociés du 31 décembre 1991 :
Considérant que le 31 décembre 1991 trois marchés signés par M. A, directeur de l'administration générale et de l'équipement, et visés par M. D pour le contrôleur financier ont été notifiés à la société Bull pour un montant total de 3.419.912 francs, porté par avenant à 3.612.318,80 francs ; qu'un seul des trois marchés, d'un montant de 1,8 million de francs, a été présenté à la commission spécialisée des marchés d'informatique ; que le montant des deux autres marchés, 807.922 francs chacun, était, en effet, inférieur au seuil de saisine de la commission spécialisée des marchés d'informatique, qui était à l'époque de 1 million de francs ;
Considérant que le premier marché était relatif à des missions d'expertise, d'optimisation et préparation de l'administration de base de données relationnelles dans un environnement GCOS7/TDS Oracle et Unix Oracle ; que les deux autres marchés portaient sur la mise en oeuvre d'environnements systèmes sous GCOS7/VS pour l'application nouvelle chaîne pénale et sur la mise en oeuvre de bases de données relationnelles sous GCOS7/TDS et Oracle V6 pour l'intégration de l'application nouvelle chaîne pénale et la préparation de la réalisation de l'application nouveau casier judiciaire ;
Qu'il ressort du dossier que le service informatique du ministère avait demandé une prestation unique et complète à des intervenants nommément désignés et qu'une fiche "demande d'assistance informatique" mentionnait le fournisseur Bull et un montant de prestation de 3.670.022,33 F ; que figure aussi au dossier une "liste des dépenses" au 17 décembre 1991, date antérieure à la notification des marchés, qui mentionne les mêmes noms d'intervenants sous la dénomination unique "Bull - assistance système CGOS7" pour une période allant de juillet à décembre 1991, et pour le même montant de 3.670.022,33 F ; que l'ensemble de ces documents établit qu'il s'agit d'une unique prestation et qu'elle était entièrement exécutée avant la notification des marchés ;
Considérant que les trois marchés passés avec la société Bull ont, par conséquent, été notifiés au fournisseur après leur complète exécution, en violation des dispositions de l'article 39 du code des marchés publics et qu'une seule et même prestation a été découpée artificiellement en trois marchés, dont deux était inférieurs au seuil de saisine de la commission spécialisée des marchés d'informatique ; que cette double irrégularité constitue une infraction aux règles d'exécution des dépenses de l'Etat sanctionnée par l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant que la responsabilité de cette infraction incombe principalement à M. A, en tant que personne responsable et signataire des marchés ; que Mme B, responsable de la sous-direction informatique, a indiqué au cours de l'instruction qu'elle avait été au courant de ces pratiques de fractionnement et de régularisation, qui lui semblaient avoir été couramment employées, et que sa responsabilité est engagée aussi ;
Considérant que M. D a visé les marchés en cause ; qu'il a soutenu devant la Cour que les sujets de commandes étaient complémentaires mais faisaient appel à des qualifications différentes et que, dès lors, s'il avait émis des réserves sur la complémentarité des trois études, il aurait exercé un contrôle en opportunité qui excédait l'habilitation découlant de la loi du 10 août 1922 ; que l'exécution anticipée du marché a pu lui être dissimulée par la direction de l'administration générale et de l'équipement ; qu'en revanche, l'intitulé analogue de l'objet des deux derniers marchés, leur signature le même jour et leur montant identique auraient dû le conduire à constater un fractionnement artificiel de la commande ; qu'en apposant son visa sur des marchés entachés d'irrégularité, il a engagé sa responsabilité au regard de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Passation d'autres marchés de régularisation :
Considérant que de nombreux autres marchés ont été passés en régularisation, contrairement aux dispositions de l'article 39 du code des marchés publics ;
Considérant qu'il en est ainsi d'un marché notifié le 18 juillet 1990 à la société Jistral pour la maintenance de matériels informatiques Secretex 2200, marché signé par M. A et visé par M. D ; que le marché comporte un article 3 intitulé expressément "régularisation" aux termes duquel l'administration devait payer au titulaire les prestations de maintenance qu'il avait effectuées du 24 février 1989 au 12 juin 1990 et pour lesquelles des factures d'un montant total de 1.349.239,77 francs avaient été émises le 15 juin 1990 ; que ni le signataire ni le contrôleur financier ne pouvaient donc ignorer que l'acte contractuel était passé en violation de l'article 39 du code des marchés publics ;
Qu'un marché négocié passé en application de l'article 103-4 du même code et notifié le 19 décembre 1991 à la société Thomainfor pour la maintenance de matériels Goupil a été signé par M. A et visé par M. D ; que ce marché comporte de même un article 3 intitulé "régularisation" aux termes duquel les interventions de dépannages exécutées par le titulaire à compter du 15 juillet 1991 jusqu'à la date de la notification lui seraient réglées jusqu'à concurrence de 450.000 H.T. ;
Qu'un marché négocié notifié le 16 mars 1992 à la société Integro Advanced Computers Systems, signé par M. A et visé par M. D, comportait un article 3 aux termes duquel les prestations assurées par le titulaire depuis le 3 décembre 1991 jusqu'à la date de la notification lui seraient réglées "au titre de la régularisation" ; que le service informait la société Integro, le 7 juillet 1992, que le montant disponible sur le marché ne permettait pas de régler la totalité de sa facture du 17 mars 1992 ; qu'un second marché négocié, signé par M. A, et visé par M. D, notifié le 2 novembre 1992, comportait une clause de régularisation à hauteur de 834.993,35 TTC pour les prestations assurées par le titulaire depuis le 4 mai 1992 jusqu'à la date de la notification ;
Qu'un marché négocié, signé par M. A et visé par M. D, notifié le 27 avril 1992 à la société Siemens Nixdorf Information Systems, spécifie en son article 3 que les prestations assurées par le titulaire depuis le 1er juillet 1991 jusqu'à la date de la notification "lui seront réglées de façon forfaitaire, au titre de la régularisation" ; que la facture émise le 11 août 1992 par Siemens Nixdorf au titre de ce marché, pour un montant de 4.313.220,37 francs, se rapporte, de fait, à des prestations effectuées sur la période courant du 1er juillet 1991 au 27 avril 1992 ; que l'ordonnance de paiement du 4 novembre 1992 a été visée par M. C, contrôleur financier près le ministre de la justice ;
Considérant sur ce premier point que les marchés de régularisation énumérés ci-dessus, avec les sociétés Jistral, Thomainfor, Integro et Siemens Nixdorf ont été passés en violation de l'article 39 du code des marchés publics ; que leur signature et leur visa constituent des inactions sanctionnées par l'article L. 313-4 du code des juridictions financières qui engagent les responsabilités de M. A., qui les a signés et de M. D qui les a visés ;
Considérant que M. A a exposé à la Cour que les irrégularités relevées pour les marchés antérieurs à 1992 résultaient de défaillances du service de l'informatique et de l'équipement et que les délais de préparation de marchés de maintenance nationaux de 1992 avaient été plus longs que prévu ; que les circonstances qu'il invoque n'exonèrent pas M. A de sa responsabilité au titre du devoir de surveillance qui s'attachait à ses fonctions ; que les défaillances de ses services, manifestes ds la signature du marché de 1990, auraient dû au contraire l'inciter à engager rapidement une action pour mettre fin à ces irrégularités ;
Considérant que M. D a admis devant la Cour qu'il avait manifesté en la matière une indulgence excessive motivée par son souci de la continuité du service public ; qu'il a soutenu que l'absence de paiement de ces marchés de maintenance aurait entraîné un arrêt des prestations et que le ministre du budget aurait autorisé sans difficulté les régularisations si elles lui avaient été demandées ; que les circonstances évoquées, à supposer qu'elles soient établies, n'exonèrent pas M. D de sa responsabilité ; que l'article 5 de la loi du 10 août 1922 impose, en effet, au contrôleur financier de refuser de viser si les mesures proposées lui paraissent entachées d'irrégularité ; qu'en l'espèce, l'irrégularité était manifeste et n'était d'ailleurs nullement dissimulée par l'ordonnateur ;
Considérant que M. C a visé l'ordonnance de paiement réglant le marché avec Siemens Nixdorf dont l'engagement était irrégulier ; que M. C était toutefois dans une situation difficile pour s'opposer au paiement d'un marché dont l'engagement avait été autorisé par son adjoint, délégataire de sa signature ; que ce fait, s'il ne peut l'exonérer totalement de sa responsabilité, atténue largement celle-ci ;
Considérant que M. F a retourné le 13 décembre 1990 à la société Hewlett Packard des factures établies au titre d'un marché du 8 novembre 1990 mais relatives à des prestations réalisées antérieurement, notamment en avril 1990, et a invité l'entreprise à ne faire apparaître aucune date antérieure au 8 novembre 1990 ;
Considérant, sur ce deuxième point, que la demande faite à un fournisseur de porter sur ses factures des dates de prestations qui ne correspondent pas à la réalité constitue une infraction aux règles d'exécution des dépenses de l'Etat, qui engage la responsabilité de M. F au regard de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant que Mme B. a signé deux marchés notifiés à la société JWS Jackson le 11 septembre 1991 ; que Mme B ne disposait pas de la délégation de signature lui permettant de se substituer à la personne responsable du marché ; que les pièces du dossier établissent que les marchés concernaient des prestations effectuées pour partie entre les mois de juillet 1990 et mai 1991 ;
Considérant sur ce troisième point que la signature d'actes engageant l'administration sans disposer d'une délégation de signature est une infraction au sens de l'article L. 313-3 du code des juridictions financières ; que Mme B a exposé qu'elle avait signé ces marchés par erreur et que le service de la comptabilité lui ayant signalé le fait, elle n'en a plus signé ; que cette circonstance peut atténuer sa responsabilité au regard de l'article L. 313-3 du code des juridictions financières, mais qu'elle ne pouvait ignorer que les actes en cause régularisaient des prestations déjà effectuées pour partie ; que sa responsabilité est, dès lors, engagée au regard de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant que le 8 décembre 1992 M. C a refusé de viser trois projets de marché avec la société Bull au motif que, selon les renseignements communiqués par les services, ladite société avait commencé ses prestations avant que l'administration eût choisi le titulaire dudit marché ; que le même jour il a refusé, pour le même motif, de viser quinze marchés avec les sociétés AMR, Gemini Consulting, Steria et Itrec ; qu'il a refusé de viser cinq autres marchés pour le même motif le 11 décembre 1992, et huit nouveaux marchés le 24 décembre 1992 ; qu'en définitive 43 marchés passés en régularisation pour un montant total de 68 millions de francs n'ont été visés que sur autorisation expresse du ministre chargé du budget en date du 8 janvier 1993 ;
Considérant qu'en présentant au contrôle financier ces 43 marchés relatifs à des prestations qui avaient connu au moins un commencement d'exécution en violation des dispositions de l'article 39 du code des marchés publics, M. A a engagé sa responsabilité au regard de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant que M. A a soutenu devant la Cour que ces faits découlaient principalement du retard pris par la sous-direction de l'informatique, du fait notamment d'un manque de moyens qu'il rattache à une absence d'arbitrage du budget informatique en faveur du schéma directeur de la part du cabinet, ce qui aurait rendu nécessaire une réorganisation du pilotage des projets informatiques ; que toutefois M. A a reconnu qu'il n'avait pas informé le cabinet au début de l'année 1992 que des prestations importantes n'avaient plus de support contractuel et que les circonstances évoquées ne sont pas dès lors de nature à l'exonérer de ses responsabilités ;
Sur les responsabilités :
Considérant que les irrégularités analysées ci-dessus ont été commises dans le cadre de la gestion des nombreux marchés relatifs à la réalisation d'un plan d'informatisation du ministère ..., mis au point en 1990 mais qui a dû être abandonné en décembre 1992 ; que les difficultés de conception et de mise en oeuvre, qui avaient été gravement sous-estimées, ne peuvent justifier les infractions à la réglementation des marchés publics ;
Considérant que les infractions relevées doivent, au premier chef, être imputées à M. A, en sa qualité de directeur de l'administration générale et de l'équipement, ayant notamment autorité sur la division de l'informatique, devenue en 1992 la sous-direction de l'informatique, et sur les services administratifs participant à l'exécution des opérations de dépenses, ainsi qu'en sa qualité de personne responsable des marchés du ministère au sens de l'article 44 du code des marchés publics ;
Que sa responsabilité est entière dès lors qu'il a été rendu destinataire de documents faisant état d'irrégularités qu'il n'a pas fait cesser et qu'il a signé lui-même des documents entachés d'irrégularités ; que sa responsabilité est engagée aussi à raison du défaut de surveillance sur ses services et ses subordonnés qui peut lui être reproché et à raison des indications inexactes qu'il a données au contrôle financier sur différents engagements présentés au visa ;
Considérant qu'une partie des mêmes faits doit être imputée à Mme B, alors chef de la division de l'informatique puis sous-directeur de l'informatique, qui avait notamment autorité sur le bureau administratif et financier et sur le département des études et des réalisations informatiques ;
Que Mme B a signé elle-même des documents entachés d'irrégularités ; qu'elle était pleinement informée des pratiques irrégulières imputables à la division de l'informatique et qu'elle ne les a pas fait cesser ; que, d'une façon générale, ses fonctions lui faisaient une obligation de se tenir au courant de l'avancement des prestations demandées aux sociétés de services informatiques ;
Considérant que M. F, alors chef du bureau administratif et financier de la division de l'informatique, a rédigé et parfois signé des documents entachés d'irrégularités au regard de la réglementation des marchés publics qu'il était dans ses attributions de faire appliquer exactement ;
Considérant que M. E, alors chef du département des études et réalisations informatiques de la même division, a signé, lui aussi, des documents entachés d'irrégularités ;
Considérant que M. A, Mme B, MM. F et E n'ont pas excipé d'un ordre écrit ne les rendant passibles d'aucune sanction par application de l'article L. 313-9 du code des juridictions financières ;
Considérant que M. D, adjoint au contrôleur financier, a engagé sa responsabilité en donnant son visa à des actes d'engagement manifestement irréguliers, sans que, contrairement aux indications données par M. D au cours de l'instruction, M. C, contrôleur financier, qui avait reconduit, à sa nomination, une délégation accordée par son prédécesseur, ait été tenu par lui au courant des pratiques irrégulières ; que M. D a été toutefois en plusieurs circonstances informé de façon incomplète ou inexacte par l'ordonnateur ;
Considérant que si M. D jouissait d'une délégation large en matière de dépenses informatiques, sa signature engageait, en fait, le contrôleur financier ; que dès lors ce dernier, M. C, devait s'assurer de l'exacte application des principes régissant le contrôle financier ; que M. C a reconnu devant la Cour qu'il avait manqué de vigilance vis à vis de son délégataire ; que le défaut de surveillance dont a fait preuve M. C engage sa responsabilité au regard de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ; que de multiples et graves irrégularités entachant des engagements de 1992 ont toutefois pris fin du fait des interventions de M. C ; que ces circonstances sont de nature à atténuer sa responsabilité ;
Considérant que les faits incriminés, qui se sont produits postérieurement au 19 avril 1989, ne sont pas couverts par la prescription instituée par l'article L. 314-2 du code des juridictions financières ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en infligeant une amende de 50.000 F à M. A, de 10.000 F respectivement à Mme B et à M. D, de 5.000 F à M. F et de 2.000 F respectivement à MM. C et E ;
Condamnation de M. A à une amende de cinquante mille francs ; de Mme B et M. D à une amende de dix mille francs chacun ; de M. F à une amende de cinq mille francs, et de M. C et M. E à une amende de deux mille francs chacun ; non publication de l'arrêt au Journal officiel de la République française.