Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités, et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision en date du 10 juin 1986, communiquée le 6 mai 1987 et enregistrée le même jour au Parquet de la Cour de discipline budgétaire et financière, par laquelle la Cour des comptes a déféré à ladite Cour des irrégularités constatées dans la gestion des crédits inscrits au budget de l'Etat sous la dénomination de "fonds d'aide et de coopération" (FAC) ;
Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 15 septembre 1987 désignant comme rapporteur Mme Legras, conseiller référendaire à la Cour des comptes ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée par le Procureur général de la République le 8 mars 1988 à MM. Z..., ancien directeur des moyens du développement, et B..., ancien chef du département de la comptabilité et de l'ordonnancement au ministère de la coopération et du développement les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
Vu l'avis émis le 2 avril 1989 par le ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget, et le 4 septembre par le ministre de la coopération et du développement ;
Vu la décision du Procureur général de la République en date du 23 janvier 1990 renvoyant MM. Z... et B... devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu les accusés de réception des lettres en date du 31 janvier 1990 adressées par le Président de la Cour à MM. Frasseto et Trillaud les avisant qu'ils pouvaient dans un délai de 15 jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par eux-mêmes, soit par un mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 18 avril 1990 par le Procureur général de la République à MM. Z... et B... les citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu le mémoire en défense, enregistré au Greffe de la Cour le 24 avril 1990, présenté pour M. B... par Maître Baudelot, avocat à la Cour, ensemble les pièces annexées ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment le procès-verbal d'audition de M. B... et la réponse écrite de M. Z... ;
Entendu Mme Legras, conseiller maître à la Cour des comptes en son rapport ;
Entendu le Procureur général de la République en ses conclusions ;
Entendu MM. Z... et B... en leurs explications ;
Entendu le Procureur général de la République en son réquisitoire ;
Entendu Me Baudelot en sa plaidoirie et MM. Z... et B... en leurs observations, les intéressés ayant eu la parole les derniers ;
Sur le fond :
En ce qui concerne les irrégularités ayant affecté l'engagement de dépenses :
Considérant que le décret n° 76-830 du 28 août 1976, modifiant le décret n° 47-233 du 23 janvier 1947 autorisant les ministres à déléguer leur signature, a limité cette possibilité ; qu'en particulier il résulte de ces dispositions qu'un fonctionnaire n'ayant pas au moins atteint le grade d'administrateur civil de deuxième classe ne peut recevoir une telle délégation par arrêté et doit donc, pour être habilité à signer au nom du ministre, faire l'objet d'une délégation par décret, renouvelée lors de chaque nomination d'un nouveau ministre ;
Considérant que M. B... a signé, après la désignation le 8 décembre 1982, de M. A... comme ministre de la coopération, des ordonnances de paiement d'un montant de 816 672 francs (ordonnance n° 1356 du 10 décembre 1982), de 750.000 francs (ordonnance n° 1366 du 14 décembre 1982) et de 21.000 francs (ordonnance n° 1413 du 21 décembre 1982), alors qu'il n'était pas administrateur civil et que le décret d'habilitation le concernant n'a été publié que le 11 février 1982 ;
Considérant, toutefois, qu'une décision signée conjointement par M. A..., ministre délégué auprès du ministre des relations extérieures, chargé de la coopération et du développement, et par M. Y..., ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des Finances, chargé du budget, a habilité, le 9 décembre 1982, M. B... a signé, en cas d'absence ou d'empêchement de M. Z..., les actes pour lesquels ce dernier avait reçu délégation de signature ;
Considérant que cette décision, bien que n'ayant pas été prise dans les formes prévues par l'article 8 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée, peut néanmoins être assimilée à l'ordre écrit prévu par ledit article ;
Considérant que, faisant usage de la délégation qui lui a été accordée par différents décrets, M. B... a signé diverses décisions allouant des subventions sur les crédits du FAC ou apposé son visa valant décision d'attribution au nom du ministre sur des propositions des services ayant le même objet ;
Considérant que si la délégation accordée à M. B... était plus restreinte dans ses termes que celles dont bénéficiaient M. Z... et en son absence M. X..., M. B... était néanmoins habilité à signer tous engagements de dépenses et que les usages qui s'étaient instaurés lui reconnaissaient la capacité de signer ou de viser les décisions précitées ;
Que ces pratiques ne tombent donc pas sous le coup des dispositions de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
En ce qui concerne les irrégularités ayant affecté l'exécution des dépenses :
Considérant que l'article 6 du décret n° 59-887 du 25 juillet 1959 relatif au financement des opérations d'aide et de coopération prévues par le décret n° 59-462 du 27 mars 1959 dispose que "les opérations du Fonds d'aide et de coopération sont décidées, sur la proposition du ministre d'Etat chargé de l'aide et de la coopération, par le comité directeur du Fonds" ;
Que par décision du 21 septembre 1983 le comité directeur du FAC avait prévu l'octroi d'une subvention de 500.000 Francs au Centre de relations internationales entre agriculteurs pour le développement - Rhône-Alpes (CRIAD) pour l'organisation de rencontres de paysans africains ;
Considérant que par décision du 20 janvier 1984, M. B... a attribué cette subvention à l'association "Agriculteurs Français et développement international" (AFDI) ;
Considérant toutefois que le changement de destinataire de la subvention peut s'expliquer par le fait que le CRIAD est un élément constitutif de l'AFDI et que cette dernière est mentionnée dans le rapport de présentation du projet au comité directeur du FAC ; qu'il n'apparaît pas en conséquence que M. B... ait pris une décision différente de celle du comité directeur ;
Mais, considérant que dans une note du 15 décembre 1983 adressée à M. B..., par la direction des projets de développement il était prévu que la subvention à l'AFDI serait versée en trois tranches, le montant des deux dernières n'étant versé qu'après présentation des travaux effectués dans la phase précédente ;
Que si le règlement de la subvention a bien fait l'objet de trois versements, le deuxième s'est élevé à un montant supérieur à ce qui avait été fixé et ce n'est qu'à l'appui du troisième qu'ont été produits les rapports établis par l'AFDI ;
Que M. B... a donc réglé des acomptes sur subvention sans respecter les conditions prévues ; que ces paiements constituant des infractions aux règles d'exécution de la dépense correspondante que l'administration s'était, en l'espèce, fixée à elle-même tombent sous le coup de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Considérant, d'autre part, que certaines prestations fournies à l'Etat, qui auraient dû faire l'objet d'une lettre de commande, d'un marché ou d'une convention, ont été réglées par subvention ;
Qu'il en est ainsi notamment des prestations fournies par la Fédération nationale pour l'enseignement de la gestion des entreprises (FNEGE) pour un montant de 491.165 francs et relatives à l'organisation d'un séminaire de gestion d'entreprises destiné à des cadres africains ; par le Centre de données audiovisuelles et l'informatiques pour la communication sociale, l'analyse et la diffusion du français (DAICADIF) pour un montant de 150.000 francs et relatives à la réalisation d'un recueil de données sur l'état de la langue française à des fins didactiques ; par le Groupe de recherches et d'échanges technologiques (GRET) pour un montant de 93.000 francs et relatives à la définition de plans sectoriels de coopération ;
Considérant toutefois que cette pratique, pour irrégulière qu'elle fût, était bien connue du comité directeur du FAC par l'intermédiaire des rapports de présentation des projets et que, dans de nombreux cas, les décisions de ce dernier la prévoyaient expressément ;
Qu'elle ne saurait donc, en l'espèce, donner lieu à l'application des sanctions prévues par la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Irrégularités ayant affecté l'imputation des dépenses :
Considérant que plusieurs dépenses du fonds d'aide et de coopération ont été engagées et imputées sur des crédits affectés à des opérations différentes et restés temporairement ou définitivement inemployés ; que certains engagements ont fait l'objet de réimputations successives sur des crédit ouverts à d'autres fins par le comité directeur du FAC ;
Qu'il en est ainsi notamment dans le cas du marché conclu le 7 mars 1983 entre l'Etat et la société Syseca-Logiciel, d'un montant de 875.935,52 francs pour la réalisation d'un logiciel de "gestion intégrée de l'assistance technique du ministère de la coopération et du développement" ; de la lettre de commande adressée le 20 juillet 1983 à la même société pour obtenir les services d'un analyste programmeur ; du marché du 14 novembre 1983 entre l'Etat et la société CII-Honeywell-Bull, d'un montant de 590.974,30 francs, pour la réalisation de "l'analyse organique et de la programmation de la tranche gestion financière des personnels d'assistance techniques des services de la coopération et du développement" ; du marché passé le 23 février 1978 avec la société Péritel pour la mise au point d'un commutateur électrique (95.000 francs) ; du solde du contrat conclu le 9 mars 197B avec "Coopération et aménagement" (11.850 francs) et du solde d'un marché passé avec l'ORSTOM le 13 avril 1978 (30.000 francs) ;
Considérant que, si quelques unes de ces imputations irrégulières ont été effectuées en exécution de décisions personnelles du ministre, il n'en est pas ainsi pour la totalité d'entre elles ;
Considérant que l'utilisation à des fins manifestement différentes de crédits ouverts pour des opérations déterminées par une décision du comité directeur du FAC constitue une violation de cette décision et un empiètement sur les pouvoirs du comité même si ces crédits étaient restés inutilisés ; que ce procédé tombe sous le coup de l'article 5 de la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée ;
Considérant qu'en outre diverses dépenses de fonctionnement du ministère de la coopération et du développement ont été payées sur les crédits affectés aux interventions du FAC ; qu'il en va ainsi de l'achat d'une assembleuse automatique et d'une piqueuse acquises auprès de la société Pitney-Bows (marché du 16 avril 1984), de fournitures diverses émanant de la société française de pliage (commande du 27 mars 1984), de l'achat d'un composeur titreur électronique à clavier auprès de la société DS-Equipement (commande du 16 mars 1984) ;
Que les dépenses correspondantes, dont le montant a dépassé 363.000 francs, ont été imputées sur les dotations du titre VI du budget de l'Etat en violation des dispositions tant de l'article 7 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 que de la décision du 11 janvier 1980 du comité directeur du FAC qui affectait les crédits à d'autres fins ;
Que ces irrégularités tombent sous le coup des articles 3 et 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Sur les responsabilités :
Considérant que la responsabilité des irrégularités ci-dessus mentionnées incombe d'abord à M. B... en sa qualité d'ordonnateur délégué du Fonds d'aide et de coopération ;
Qu'il y a lieu, cependant, de tenir compte du fait qu'il se conformait à des pratiques anciennes du ministère dont, à aucun moment, ses supérieurs hiérarchiques n'ont tenté de le détourner ;
Considérant que M. Z..., chef du service de l'administration générale puis directeur des moyens du développement du ministère, n'a pas visé les différentes pièces irrégulières ; que cependant, en tant que supérieur hiérarchique de Monsieur B... il ne pouvait, compte tenu de la nature et du nombre de ces irrégularités, ignorer, en l'espèce, leur existence ; qu'il a donc une part importante de responsabilité dans les infractions commises par ce dernier pour ne pas avoir donné les directives de nature à les éviter ;
Qu'il y a lieu, toutefois, de tenir compte, outre l'ancienneté des pratiques irrégulières constatées, du fait qu'absorbé par la réforme du ministère entreprise au moment des faits, M. Z... se trouvait conduit à faire confiance à son subordonné dont la compétence était reconnue ;
Considérant, d'autre part, en ce qui concerne l'imputation des dépenses, que les intéressés peuvent invoquer l'imprécision des décisions du comité directeur du FAC, qui laissait au ministre et à ses services une marge d'appréciation très importante ; que la la lenteur des procédures explique l'existence de crédits inutilisés, dont l'emploi à d'autres fins était d'autant plus tentant que le comité directeur ne semble avoir accordé ni au suivi des opérations décidées par lui ni à l'emploi des fonds une attention soutenue ; que, si ces explications ne peuvent exonérer les auteurs des infractions de leurs responsabilités, elles constituent des circonstances atténuantes ;
Considérant enfin que le dévouement des intéressés n'est pas mis en cause et qu'ils n'ont pas tiré d'avantages personnels des irrégularités constatées ;
Qu'il sera ainsi fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'affaire en infligeant à M. B... une amende de 1000 francs et à M. Z... une amende de 5000 francs ;
Article 1er : M. B... est condamné à une amende de mille francs (1000 francs).
Article 2 : M. Z... est condamné à une amende de cinq mille francs (5000 F).
Article 3 : La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.