12/07/2024
ARRÊT N°2024/211
N° RG 23/01888 - N° Portalis DBVI-V-B7H-PO6R
NB/CD
Décision déférée du 17 Avril 2023 - Pole social du TJ d'AGEN (22/0005)
J.P MESLOT
S.A. [13]
C/
[Z] [P] [L]
Organisme CPAM DU GERS
S.A.S. [8]
CONFIRMATION
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1 - Chambre sociale
***
ARRÊT DU DOUZE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE
***
APPELANTE
S.A. [13]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Emmanuel GILLET de la SCP CARCY-GILLET, avocat au barreau de TOULOUSE substituée par Me Emilie MARCON, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIM''S
Monsieur [Z] [P] [L]
[Adresse 7]
[Localité 6]
représenté par Me Laurence BOUTITIE, avocat au barreau d'AGEN substitué par Me Camélia DILMI, avocat au barreau de TOULOUSE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro C-31555-2023-7836 du 15/04/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de TOULOUSE)
CPAM DU GERS
SERVICE CONTENTIEUX
[Adresse 1]
[Localité 4]
Partie dispensée de comparaître au titre de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile
S.A.S. [8]
[Adresse 10]
[Localité 5]
non comparante ni représentée
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945.1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Juin 2024, en audience publique, devant N. BERGOUNIOU, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles chargée d'instruire l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées. Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
C. BRISSET, présidente
M. DARIES, conseillère
N. BERGOUNIOU, magistrate honoraire exerçant des fonction juridictionnelles
Greffier, lors des débats : C. DELVER
ARRÊT :
- R''PUT'' CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile
- signé par C. BRISSET, présidente et par C. DELVER, greffière de chambre.
FAITS - PROCÉDURE - PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 24 janvier 2019, M. [Z] [P] [L], salarié de la SA [13] depuis le 3 septembre 2018 en qualité d'apprenti conducteur de véhicules et d'engins lourds, a été victime d'un accident de travail sur le chantier STEP à [Localité 12] : alors qu'il chargeait des rouleaux de géomembrane sur un plateau de camion et détachait les sangles des rouleaux une fois déposés, un rouleau est tombé du camion sur le sol, entraînant la chute de la victime qui se trouvait devant le rouleau.
Suite à cet accident, M. [P] [L] a présenté une fracture des deux os de l'avant-bras droit.
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Gers a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels suivant décision notifiée à l'assuré et à l'employeur le 31 janvier 2019.
À la suite d'un électromyogramme réalisé le 19 février 2019, ont été également constatées des atteintes extrêmement sévères aux nerf médian, nerf ulnaire et nerf radial.
Le 15 avril 2021, M. [P] [L] a été reconnu travailleur handicapé par la maison départementale des personnes handicapées.
L'état de santé de l'assuré, en rapport avec son accident de travail, a été déclaré consolidé par la caisse primaire le 18 mai 2021.
Après échec de la procédure de conciliation, M. [P] [L] a saisi le 9 février 2022, le pôle social du tribunal judiciaire d'Agen d'une demande de reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur à l'origine de l'accident de travail dont il a été victime le 24 janvier 2019.
La SA [13] a appelé dans la cause la Sas [8], qu'elle avait missionnée pour charger les rouleaux dans le camion à l'aide d'une pelle, aux fins d'entendre lui déclarer commun le jugement à intervenir.
Le pôle social du tribunal judiciaire d'Agen, par jugement du 17 avril 2023, a :
- dit que l'accident du travail dont M. [P] [L] a été victime le 24 janvier 2019 est dû à la faute inexcusable de son ancien employeur, la SA [13],
- débouté la SA [13] de sa demande tendant à être mise purement et simplement hors de cause,
- réservé l'éventuelle majoration de la rente susceptible d'être servie à M. [P] [L] par la CPAM du Gers,
- ordonné avant-dire droit une expertise judiciaire sur l'indemnisation complémentaire des préjudices de M. [P] [L],
- désigné pour y procéder le docteur [S] [E] lequel aura pour mission de :
* convoquer toutes les parties en cause qui pourront se faire assister ou représenter par un médecin de leur choix,
* se faire remettre les documents nécessaires à la réalisation de sa mission,
* se faire remettre par les parties et par les services du contrôle médical de la CPAM du Gers toutes pièces utiles et tous les documents médicaux en leur possession relatifs aux lésions résultant de l'accident survenu le 24 janvier 2019 à M. [P] [L], à leur traitement, à leurs séquelles,
* se faire communiquer par tous les établissements et services hospitaliers où M. [P] [L] a pu être soigné en raison de son accident du travail, les dossiers d'hospitalisation de ce patient,
* recueillir les doléances de M. [P] [L] et les transcrire fidèlement, l'interroger sur 1'importance, la répétition et la durée des douleurs et leurs conséquences,
* procéder à l'examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par M. [P] [L],
* caractériser les éventuels préjudices subis par M. [P] [L] résultant de l'accident du travail survenu le 24 janvier 2019, à savoir :
- les souffrances de M. [P] [L],
- le préjudice d'agrément,
- le préjudice esthétique,
- le préjudice sexuel,
- le déficit fonctionnel temporaire et le déficit fonctionnel permanent,
- le préjudice né des dépenses liées à la réduction de l'autonomie avant consolidation (besoin d'assistance d'une tierce personne),
- le préjudice d'établissement,
- le préjudice esthétique temporaire et permanent,
- le préjudice résultant de la perte ou de diminution de ses possibilités de promotion professionnelle,
- les frais d'aménagement du logement,
- les frais d'aménagement du véhicule,
- les frais d'assistance par un médecin expert,
- les préjudices permanents exceptionnels.
* communiquer un pré rapport aux parties et recueillir leurs observations avant de rédiger le rapport final.
- autorisé l'expert commis à se faire assister d'un spécialise de son choix s'il le juge indispensable,
- ordonné que de ces opérations et constatations, l'expert dressera un rapport, le déposera dans le délai de trois mois a compter de sa saisine au greffe du pôle social et l'adressera aux parties,
- dit qu'en cas d'empêchement de l'expert commis, il sera procédé à son remplacement par ordonnance du Président rendue sur simple requête de la partie la plus diligente,
- dit que les frais d'expertise seront avancés par la caisse primaire d'assurance maladie du Gers,
- ordonné le versement de la somme de l 000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation des préjudices subis par M. [P] [L] dont la caisse primaire d'assurance maladie du Gers fera l'avance,
- accueilli en son principe 1'action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie du Gers à l'encontre de la SA [13],
- déclaré le présent jugement commun à la société [8],
- dit qu'i1 sera sursis à statuer sur le surplus des demandes dans l'attente du rapport d'expertise,
- réservé les dépens.
***
Par déclaration du 24 mai 2023, la SA [13] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 28 avril 2023, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
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Dans ses dernières conclusions reçues au greffe le 13 mai 2024, reprises oralement à l'audience, la SA [13] demande à la cour de :
- réformer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire d'Agen en date du 17 avril 2023 ;
- débouter M. [P] [L] de l'ensemble de ses demandes ;
- mettre purement et simplement hors de cause la société [13];
A titre subsidiaire, pour le cas où la faute inexcusable de l'employeur serait retenue par la cour :
- réformer le jugement déféré en ce qu'il a demandé à l'expert judiciaire de caractériser le préjudice sexuel, le préjudice d'établissement, le déficit fonctionnel permanent, le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, les frais d'aménagement du logement et du véhicule et les préjudices permanents exceptionnels de M. [P] [L] ;
- dire que l'expertise médicale portera exclusivement dans les termes de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale tel qu'interprété par la décision du Conseil Constitutionnel du 18 juin 2010, sur la recherche et la définition du pretium doloris, du préjudice d'agrément, du préjudice esthétique et du préjudice fonctionnel temporaire ;
- réformer le jugement en ce qu'il a alloué à M. [P] [L] une provision de 1 000 euros à valoir sur son préjudice définitif ;
- déclarer l'arrêt à intervenir commun à la société [8] ;
- rejeter toute demande de condamnation de l'employeur au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [P] [L] aux entiers dépens de l'instance.
Dans ses dernières conclusions reçues au greffe par voie électronique le 3 juin 2024, soutenues oralement à l'audience, M. [Z] [P] [L] demande à la cour de :
- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le Pôle social du tribunal judiciaire d'Agen le 17 avril 2023 ;
- débouter la société [13] de toutes demandes plus amples ou contraires ;
- condamner la société [13] au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions reçues au greffe le 29 mai 2024, la caisse primaire d'assurance maladie du Gers demande à la cour :
- qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour sur le point de savoir si l'accident dont a été victime M. [Z] [P] le 24 janvier 2019, est imputable ou non à la faute inexcusable de l'employeur ;
- dans l'affirmative, réserver le montant de l'éventuelle majoration de la rente et condamner la société [13] à rembourser à la caisse les sommes qu'elle sera amenée à verser au titre des préjudices extra-patrimoniaux.
La Sas [8] a été régulièrement convoquée à l'audience du 4 juin 2024 par ordonnance du 12 mars 2024 fixant les dates d'audience et de dépôt de conclusions, dont elle a accusé réception le 18 mars 2024. Elle n'a pas comparu à l'audience et ne s'est pas fait représenter.
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Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues à l'audience.
MOTIFS DE LA DECISION :
- Sur la faute inexcusable de l'employeur :
Dans le cadre de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
L'employeur a, en particulier, l'obligation d'éviter les risques et d'évaluer ceux qui ne peuvent pas l'être, de planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants.
Les articles R. 4121-1 et R. 4121-2 du code du travail lui font obligation de transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.
Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il suffit que la faute inexcusable de l'employeur soit une cause nécessaire de l'accident du travail pour engager sa responsabilité.
C'est au salarié qu'incombe la charge de la preuve de la faute inexcusable, et par voie de conséquence d'établir que son accident du travail présente un lien avec une faute commise par son employeur, dans le cadre de son obligation de sécurité.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, même si d'autres fautes ont concouru au dommage.
La société [13] soutient qu'elle n'a commis aucun manquement aux règles du code du travail; que le chargement des rouleaux de géomembrane s'est déroulé en conformité avec les règles de l'art et que son apprenti avait compétence, même en l'absence du chef de chantier, pour détacher les sangles du godet de la pelle qui chargeait les rouleaux de géomembrane ; que le camion plateau, affrété par la société [9], n'appartenait pas la société [13] ; que son chef de chantier a émis des réserves sur la possibilité de charger les rouleaux de membrane sur ce type de camion, mais a été rassuré par le chauffeur du camion; que l'apprenti était en possession des équipements de protection collective; que le document unique d'évaluation des risques indique qu'il existe un risque de retombée d'un rouleau de l'appareil de levage et prévoit l'installation d'un palonnier; qu'il prévoit également l'existence d'un risque de blessures liées à la chute de matériaux sur le personnel à pied, et les moyens de prévention pour éviter ce risque ; que l'apprenti a bénéficié de plusieurs formations à la sécurité, a signé la fiche d'accueil sécurité individuelle , la fiche accueil spécifique et a participé aux rendez vous de prévention deux fois par mois; que ce faisant, elle ne pouvait avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié.
M. [Z] [P] [L] soutient en réponse que l'enquête réalisée par le CHSCT fait ressortir qu'il aurait du être interdit qu'une personne soit présente dans la zone de charge, et que M. Criado, en sa qualité d'apprenti, aurait du bénéficier d'un encadrement lors du chargement des rouleaux de géomembrane; qu'il s'est toutefois trouvé dans la zone de charge avec des rouleaux humides, glissants en raison de leur texture lisse, particulièrement lourds, sans personne pour le superviser dans la manoeuvre, et ce au mépris des règles élémentaires de sécurité.
A l'appui de ses allégations, M. [Z] [P] [L] verse aux débats :
- un procès -verbal établi par l'inspecteur du travail le 8 novembre 2019 qui relate les circonstances de l'accident dont il a été victime le 24 janvier 2019, lequel relève que l'interaction entre les sociétés [9] et [11] TP n'a fait l'objet d'aucune coordination SPS assurée par le maître de l'ouvrage, en l'occurrence le syndicat des eaux de la Barousse, du Comminges et de la Save; une telle coordination aurait eu pour mission d'établir des mesures organisationnelles pour assurer le transport des matériaux permettant d'anticiper et de gérer ces opérations dangereuses en prenant des dispositions en vue de prévenir au mieux les accidents lors de ces phases (pièce n° 10);
- une ordonnance de composition pénale validée le 29 septembre 2020 par le président du tribunal judiciaire d'Auch, qui déclare le syndicat des eaux de la Barousse, du Comminges et de la Save, représentée par son président, coupable de blessures involontaires sur la personne de M. [Z] [P] [L], ainsi que d'avoir omis d'avoir à Montferran Save le 24 janvier 2019, de désigner un coordonnateur en matière de sécurité et de santé (pièce n° 4);
- un compte rendu du CHSCT extraordinaire de la société [11] TP en date du 4 février 2019, dans lequel il est noté, en commentaires, que l'entreprise Malet TP aurait du interpeller le maître d'ouvrage sur l'absence de coordination SPS avant de démarrer les travaux, et de l'absence du chef de chantier pour superviser directement l'opération les travaux de chargement des rouleaux de géomembrane sur le camion plateau en présence d'un transporteur extérieur, d'un locatier et d'un apprenti (pièce n° 5).
La société employeur produit le document d'évaluation des risques : le risque de blessures liées à la chute de matériaux sur le personnel à pied y est identifié, et les moyens de prévention mis en oeuvre consistent en port de casque obligatoire dans les tranchées, sous le godet de la pelle et sur les chantiers de bâtiments, pas de surcharge du godet, charge équilibrée dans la benne, port du casque du personnel à pied en bordure de piste si besoin, matériaux préfabriqués stockés sur palette, rangement des stocks, ne pas rester derrière les camions lorsqu'ils relèvent la benne.
Il n'est pas contesté en l'espèce que la responsabilité de l'accident incombe au maître de l'ouvrage, le syndicat des eaux de la Barousse, du Comminges et de la Save, qui a manqué à son obligation de prévoir une mission de coordination SPS et a néanmoins organisé l'opération de chargement et d'évacuation des matériaux de façon impromptue et sans évaluation des risques découlant de l'interaction entre les sociétés [9] et [11] TP; que si aucune infraction pénale n'a été relevée à l'encontre de l'entreprise [11] TP, celle ci s'est abstenue d'interpeller le maître de l'ouvrage sur l'absence de coordination SPS avant de démarrer les travaux; que son chef de chantier , après s'être étonné d'apprendre que le camion affrété était un camion plateau et non un camion benne, a décidé du mode opératoire de chargement des rouleaux de géomembrane et a laissé son apprenti, âgé de 19 ans et présent dans l'entreprise depuis seulement cinq mois, effectuer seul cette manoeuvre, sur un chemin boueux et par temps froid et humide, sans évaluer les risques liés à cette opération; ce faisant, c'est par une juste appréciation des faits de l'espèce que les premiers juges ont, par de justes motifs que la cour adopte, retenu l'existence d'une faute inexcusable de la société employeur.
- Sur les conséquences de la faute inexcusable :
La victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne peut pas poursuivre, devant les juridictions du contentieux général de la sécurité sociale, la réparation de son préjudice selon les règles du droit commun de la responsabilité contractuelle.
En effet, l'article L 451-1 du code de la sécurité sociale pose le principe selon lequel aucune action en réparation des accidents du travail ou des maladies professionnelles ne peut être exercée conformément au droit commun par la victime ou ses ayants droits ; en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle due à la faute inexcusable de l'employeur, l'article L 452-1 du même code ouvre droit au salarié-victime ou à ses ayants droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles L 452-2 et L 452-3 du même code.
Le premier de ces textes prévoit une majoration du capital ou de la rente allouée, tandis que le second permet à la victime de demander à l'employeur la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées, ainsi que celle de ses préjudices esthétiques et d'agrément, et celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.'
Par application des dispositions de l'article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable. Par décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010 rendue sur renvoi par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L 451-1 et L 452-1 à L 452-5 du code de la sécurité sociale.
Les dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel, ne font pas obstacle à ce que, lorsque la faute inexcusable de l'employeur est reconnue, indépendamment de la majoration de la rente servie à la victime de l'accident du travail, celle-ci puisse demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, réparation non seulement des chefs de préjudice énumérés par le texte susvisé, mais aussi de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.
Par arrêt rendu en Assemblée plénière le 20 Janvier 2023, la Cour de cassation a jugé que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent, de sorte que la victime peut prétendre, au titre des souffrances endurées post consolidation, à une réparation complémentaire.
Dès lors que la faute inexcusable de l'employeur est établie, le salarié peut prétendre à la majoration de rente prévue à l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale.
Eu égard à l'absence de décision de la caisse primaire d'assurance maladie du Gers relative aux séquelles présentées par l'assuré post-consolidation, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- réservé l'éventuelle majoration de la rente susceptible d'être servie à M. [P] [L] par la caisse primaire d'assurance maladie du Gers,
- ordonné avant-dire droit une expertise judiciaire sur l'indemnisation complémentaire des préjudices de M. [P] [L],
- ordonné le versement de la somme de l 000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation des préjudices subis par M. [P] [L] dont la caisse primaire d'assurance maladie du Gers fera l'avance,
- Sur l'action récursoire de la caisse :
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a accueilli l'action de la caisse primaire à l'encontre de l'employeur, la société [13] , étant précisé que la caisse primaire récupérera directement et immédiatement auprès de l'employeur le montant des sommes allouées au titre de la majoration de la rente et de la réparation des préjudices extra patrimoniaux de M. [Z] [P] [L].
- Sur les autres demandes :
La présente décision sera déclarée opposable à la société [8] et à la caisse primaire d'assurance maladie du Gers.
La SA [13], qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
M. [Z] [P] [L] est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale; il y a lieu de faire droit à sa demande formée au titre de l'article 700-2° du code de procédure civile , sous réserve que Maître Laurence Boutitie, conseil de l'intimé, renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire d'Agen le 17 avril 2023.
Y ajoutant :
Condamne la société [13] aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la société [13] à payer à Maître Laurence Boutitié, avocat de M. [Z] [P] [L], une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700-2° du code de procédure civile, sous réserve que Maître [C] [H] renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.
Déclare la présente décision opposable à la société [8] et à la caisse primaire d'assurance maladie du Gers.
Ordonne le renvoi de l'affaire auprès du Pôle social du tribunal judiciaire d'Agen, en vue de la fixation, après dépôt du rapport d'expertise, de l'indemnisation définitive des préjudices personnels de M. [Z] [P] [L].
Le présent arrêt a été signé par C. BRISSET, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
C. DELVER C. BRISSET
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