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12/07/2024 | FRANCE | N°22/03939

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 4eme chambre section 1, 12 juillet 2024, 22/03939


12/07/2024



ARRÊT N°2024/210



N° RG 22/03939 - N° Portalis DBVI-V-B7G-PCWA

NB/CD



Décision déférée du 29 Septembre 2022 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Toulouse ( 21/00196)

C. COLOMBO BILLAUD

Section Industrie

















S.A.S. NEHIA





C/



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INFIRMATION PARTIELLE







Grosses délivrées

le 12/7/24

à Me JOLIBERT, Me PEYROT

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

***

ARRÊT DU DOUZE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE

***



APPELANTE



S.A.S. NEHIA

[Adresse 1]

[Localité ...

12/07/2024

ARRÊT N°2024/210

N° RG 22/03939 - N° Portalis DBVI-V-B7G-PCWA

NB/CD

Décision déférée du 29 Septembre 2022 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Toulouse ( 21/00196)

C. COLOMBO BILLAUD

Section Industrie

S.A.S. NEHIA

C/

[C] [D]

INFIRMATION PARTIELLE

Grosses délivrées

le 12/7/24

à Me JOLIBERT, Me PEYROT

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

***

ARRÊT DU DOUZE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE

***

APPELANTE

S.A.S. NEHIA

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Patrick JOLIBERT de la SELAS MORVILLIERS SENTENAC & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIM''E

Madame [C] [D]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Magali PEYROT de la SELARL LUMIO AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant N. BERGOUNIOU, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport. Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. BRISSET, présidente

M. DARIES, conseillère

N. BERGOUNIOU, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffière, lors des débats : C. DELVER

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par C. BRISSET, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre

FAITS - PROCÉDURE - PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [C] [D] a été embauchée à compter du 1er septembre 2013 par la Sas Enseignes Hode en qualité de technicienne opératrice machine, niveau V, échelon 2, coefficient 115 suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des peintres en lettres, graphistes décorateurs en signalisation, enseignes, publicité peinte.

Par courrier du 12 juin 2020, la société employeur a informé l'ensemble de son personnel d'un projet de restructuration de l'entreprise incluant des suppressions de postes et corollairement, un licenciement collectif pour motif économique.

Par lettre remise en main propre contre décharge le 24 juin 2020, Mme [D] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement, envisagé pour motif économique, et fixé au 2 juillet 2020.

Le 26 juin 2020, un traité de fusion entre la Sas Enseignes Hode et la société Piem a été déposé auprès du tribunal de commerce de Toulouse, avec effet rétroactif au 1er janvier 2020. La nouvelle société formée a été renommée Sas Nehia.

Mme [D] a été licenciée par courrier recommandé du 16 juillet 2020 pour motif économique. La lettre de licenciement est ainsi motivée : ' La société Enseignes Hode est contrainte par une situation économique délicate et des difficultés qui grèvent son activité qui nous imposent de décliner et de porter les mesures de restructuration nécessaires.

Ces difficultés ont été exposées, de manière générale, à l'ensemble du personnel et vous ont été rapportées plus précisément.

Pour rappel et postulat, la société Enseignes Hode développe son activité dans le secteur du marquage industriel et de l'événementiel.

Son activité principale et dominante l'amène à réaliser des travaux de marquage pour le compte d'une clientèle professionnelle, essentiellement constituée de structures oeuvrant dans le secteur industriel et, surtout, de l'aéronautique.

L'activité événementielle, plus accessoire, l'amène à intervenir sur des travaux ponctuels, pour tout compte de clientèle, en support d'opérations marketing ou publicitaires.

De manière générale, la société Enseignes Hode a connu une perte d'activités sur l'exercice 2019 qui a généré une diminution sensible de son activité et, notamment, du chiffre d'affaires, puisque de plus de 9 %.

Ce résultat, pour la première fois constaté, est lié à une conjoncture économique difficile sur un secteur très concurrentiel, avec le constat que l'activité événementielle qui, elle, est en diminution d'activité depuis plusieurs exercices, a plus particulièrement été impactée.

Ce résultat, considéré comme non satisfaisant et qui, à ce titre, a été relevé n'a pour autant pas amené une prise de décision particulière dans la mesure où, de manière générale, l'activité n'a pas été trop lourdement impactée, que le pôle industriel restait

à cette date en tout cas, en croissance et que, en toute hypothèse, des plans de relance, notamment commerciaux, avaient été prévus sur les mois suivants pour tenter de juguler ce résultat, que nous avions considéré comme ponctuel.

Cependant, au-delà de cette difficulté, il convient aujourd'hui de considérer que la société Enseignes Hode est désormais contrainte par des problématiques complémentaires, lourdes, qui viennent grever voire hypothéquer de manière certaine son activité sur les prochains mois et vraisemblablement les prochains exercices.

Cette difficulté se concentre autour du constat suivant lequel la société Enseignes Hode développe une partie importante de son chiffre d'affaires dans le secteur de l'aéronautique puisqu'elle est, notamment, prestataire du Groupe Airbus avec qui elle réalise environ 70 % de son chiffre d'affaires, sur le marquage industriel.

Or, dans le contexte de la crise sanitaire puis économique qui a été générée par l'épidémie du coronavirus et les mesures qui ont été mises en oeuvre pour diminuer sa propagation, la société Enseignes Hode a été destinataire, de la part de ce client spécifique, de décisions venant diminuer le lot des commandes et engageant une baisse significative de celles-ci, à raison de - 30 % sur les exercices 2020 et 2021.

A ce jour d'ailleurs, le carnet de commandes a déjà lourdement diminué et le volume de charges confiées à la société a été considérablement impacté.

Si l'on se concentre uniquement sur le prévisionnel arrêté pour l'exercice 2020, il faut estimer la perte nette de chiffre d'affaires autour de 2.200.000 euros hors taxes ; le chiffre d'affaires sur les mois de mars, avril et mai 2020 a chuté de plus de 30 % par comparaison avec l'exercice 2019 et se poursuit dans des proportions identiques pour le mois de juin.

Indépendamment de cette situation, il faut aussi relever que d'autres clients se sont désengagés.

Cette situation, engageant une perte de chiffre d'affaires de 30 %, impose, obligatoirement et nécessairement, une prise de décision et des mesures immédiates pour remédier à ces difficultés et préserver l'activité et la compétitivité de la société Enseignes Hode.

En effet, il convient de faire le constat objectif suivant lequel

Aucune mesure commerciale ou de stratégie ne peut permettre de compenser dans de brefs délais cette perte ;

La situation de crise que rencontre le secteur aéronautique va malheureusement perdurer sur de nombreux mois et engage cette situation sur le moyen terme ;

Le secteur dit de l'événementiel est tout aussi frappé par cette situation et il faut objectivement constater que nous ne disposons d'aucune visibilité sur une reprise normale d'activité, étant précisé que, pour l'heure, des projets sont bloqués et que l'activité reste très résiduelle.

Enfin, pour évoquer les mesures qui ont été mises en place, à considération de ces événements sanitaires exceptionnels, de nature à limiter les difficultés rencontrées par de nombreux acteurs économiques, relatives, entre autres, aux aides, aux accompagnements ou aux mesures d'activité partielle, il faut faire le constat que celles-ci sont insuffisantes à l'examen des pertes générées, des contraintes engagées et du fait que nous ne disposons, comme précisé, d'aucun élément laissant supposer que, sous quelques mois, la situation est susceptible de se redresser.

Dans ce contexte objectif, qui s'impose, la Direction est contrainte de faire le choix de mesures qui soient adaptées, ce dans l'objet de, comme indiqué, préserver la compétitivité de la société, mais aussi sa pérennité et les emplois qui y sont attachés étant encore une fois précisé qu'une perte de chiffre d'affaires à proportion des annonces opérées est de nature à mettre en place, sous un court délai, l'activité même de la société Enseignes Hode.

Il a donc été fait le choix de supprimer des emplois et de recourir à des mesures de licenciements de nature économique.

Pour l'heure, dans un premier temps, il a été décidé de supprimer 4 emplois :

- Un emploi au niveau du pôle communication, dans l'activité événementielle ;

- Trois emplois dans le secteur de l'activité industrielle, au cas particulier, deux postes d'Opérateurs Machine Découpe et Impression et celui de Technicien Opérateur PAO Industriel que vous occupez.

Ce choix est guidé par deux constats.

Le premier est relatif au fait que l'activité industrielle ainsi qu'il l'a été exposé ci-dessus voit son volume d'activité diminué d'au moins 30 %.

Il est donc impossible de maintenir l'intégralité des emplois attachés à cette activité, à peine de générer une charge d'exploitation incompatible avec la préservation des intérêts de la société Enseignes Hode.

Ensuite, à l'examen de ce constat, il apparaît que le maintien de l'intégralité des emplois sur les activités de découpe industrielle ne se justifie plus, l'activité pouvant être, à considération de sa diminution, répartie dans le service.

Vous êtes concerné par cette mesure dès lors que, comme exposé, vous occupez cet emploi et du fait des critères qui ont été définis, de manière générale, au sein de la structure, pour ces ruptures.

Nous précisons également que nous n'avons pu identifier d'autres solutions alternatives à ces mesures de licenciement.

Comme nous vous l'avons précisé, les aides qui peuvent être proposées dans le cadre de la réglementation spécifique et conjoncturelle ne sont pas suffisantes.

Nous n'avons pu, par ailleurs, appréhender d'autres solutions dans le Groupe puisque, succinctement évoqué :

La société Marquages 2 qui est la société holding ne dispose pas d'emplois disponibles.

La société HD 34 est une société située dans l'Hérault qui développe une activité quasi identique à la société Enseignes Hode mais dont il convient de constater que, postérieurement à l'acquisition du fonds de commerce, elle a été grevée par des difficultés.

Si celles-ci sont en partie résorbées, l'activité n'est pas toutefois suffisamment pérenne pour abriter un poste complémentaire.

Enfin l'autre société du Groupe, la société PIEM, est, elle, très lourdement impactée, dans une situation quasi identique à celle de la société Enseignes Hode, qui nécessitera la prise de décisions prochaines.

C'est donc dans ce cadre que nous vous avons convoquée à l'entretien et que nous vous avons exposé l'ensemble de ces éléments.

Au cas particulier, ils sont confirmés par le présent courrier(...) '

Le 18 juillet 2020, Mme [D] a indiqué à la société employeur vouloir adhérer au dispositif du contrat de sécurisation professionnelle. Son contrat de travail a donc été rompu à l'issue du délai de réflexion de 21 jours, soit le 23 juillet 2020.

Mme [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse le 10 février 2021 pour contester le motif économique de son licenciement, solliciter la condamnation de la Sas Nehia pour déloyauté dans la détermination des critères d'ordre du licenciement, et demander le versement de diverses sommes.

Le conseil de prud'hommes de Toulouse, section industrie, par jugement du 29 septembre 2022, a :

- dit que le licenciement de Mme [D] repose sur des difficultés économiques réelles,

- dit que l'application des critères d'ordres est viciée par une mauvaise définition des catégories socioprofessionnelles,

- débouté Mme [D] de sa demande de requalification de son licenciement,

- condamné la société Nehia prise en la personne de son représentant légal à verser à Mme [D] la somme de :

*l0 322,41 euros a titre de dommages et intérêts pour mauvaise application des critères d'ordres du licenciement,

*1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société Nehia prise en la personne de son représentant légal aux entiers dépens.

***

Par déclaration du 10 novembre 2022, la Sas Nehia a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 13 octobre 2022, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.

***

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 25 juillet 2023, la Sas Nehia demande à la cour de :

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il :

* a dit que l'application des critères d'ordres est viciée par une mauvaise définition des catégories socioprofessionnelles,

* l'a condamnée à verser à Mme [D] les sommes de 10 322,41 euros à titre de dommages et intérêts pour mauvaise application des critères d'ordres du licenciement et de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* l'a condamnée aux entiers dépens.

Statuant à nouveau,

- débouter Mme [D] de l'intégralité de ses demandes,

- la débouter de son appel incident visant à voir requalifier le licenciement sans cause réelle et sérieuse tenant à l'objet d'une absence de motif économique et de recherche de reclassement,

- la condamner à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de l'instance.

Elle fait valoir, pour l'essentiel, que le licenciement est justifié par la nécessaire restructuration de la société, qui rencontrait des difficultés économiques en raison des conséquences de la crise sanitaire liée au COVID 19, afin de sauvegarder sa compétitivité ; que des explications ont été apportées à Mme [D] sur l'impossibilité de la reclasser au sein des autres sociétés du groupe ; qu'elle a justement identifié 21 catégories socio-professionnelles, chacune regroupant au sein de l'entreprise, les salariés exerçant des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle et une compétence commune ; que Mme [D] était seule dans sa catégorie socio- professionnelle, de sorte que les critères d'ordre des licenciements n'avaient pas vocation à s'appliquer.

***

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 25 avril 2023, Mme [C] [D] demande à la cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il dit que le licenciement reposait sur des difficultés économiques et qu'il l'a déboutée de sa demande de requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- confirmer le jugement qui a dit que l'application des critères d'ordre du licenciement était viciée par une mauvaise définition des catégories socioprofessionnelle mais le reformer sur le quantum des dommages et intérêts alloués.

Statuant à nouveau,

- requalifier le licenciement en licenciement sans cause réelle et réelle du fait de l'absence de motif économique et de l'absence de recherche de reclassement,

- en conséquence, condamner la société Nehia à lui payer :

*4 595 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (2 mois), outre 459 euros bruts de congés payés y afférents,

*16 085 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (7 mois).

- condamner la société Nehia à lui verser la somme de 14.010 euros à titre de dommages et intérêts pour la déloyauté dans l'application des critères d'ordre du licenciement (6 mois),

- condamner la société Nehia à lui verser la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile pour la procédure d'appel et confirmer la somme allouée à ce titre devant le conseil de prud'hommes,

- condamner la société Nehia aux entiers dépens de l'instance.

Mme [D] conteste la réalité des difficultés économiques de la société employeur, qui aurait réalisé en 2020 un bénéfice supérieur à celui de l'année 2019; elle soutient en outre qu'aucune recherche de reclassement n'a été effectuée en ce qui la concerne, alors qu'au moins deux postes auraient pu lui être proposés (un poste d'assistant commercial embauché le 1er septembre 2020, et un poste d'opératrice pré-presse embauchée le 1er juin 2020; que la société Enseignes Hode, qui comptait 32 salariés le 25 juin 2020, a identifié 21 catégories socio-professionnelles dans le seul but d'échapper à l'application des critères d'ordre, alors qu'elle est âgée de 51 ans, vit seule avec deux enfants à charge et comptait près de 7 ans d'ancienneté.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance en date du 24 mai 2024.

***

Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

***

MOTIFS DE LA DECISION :

- Sur le motif économique du licenciement :

Mme [D] a été licenciée en raison de la suppression de son poste dans le secteur de l'activité industrielle, rendue nécessaire par la sauvegarde de la compétitivité de la société Enseignes Hode devenue Sas Nehia.

Selon l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable,

' Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

La nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécie au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national.

Pour l'application du présent article, le groupe est défini, lorsque le siège de l'entreprise dominante est situé sur le territoire français, comme l'ensemble des entreprises implantées sur le territoire français.

Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits bien sou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution se rapportant à un même marché.'

La société Nehia appartient à un groupe (Nehia Group) qui comprend deux autres sociétés, implantées sur le territoire français :

- la société Nehia Group qui est la société détentrice des participations;

- la société HD 34, domiciliée dans l'Hérault, qui a une activité similaire à celle de la société Nehia.

Elle verse aux débats le compte de résultat de la Sas Enseignes Hode pour l'exercice 2019, qui fait mention d'une diminution de chiffre d'affaires de la société de 8,71% par rapport à l'année précédente (pièce n°29), ainsi que celui de la société PIEM pour l'exercice 2019, avant son absorption par la Sas Nehia, qui fait mention d'une diminution de chiffre d'affaires de la société de 30,23% par rapport à l'année précédente (pièce n°30).

Les difficultés économiques qui affectent l'activité de la Sas Enseignes Hode, lesquelles ont justifié, à compter du 1er janvier 2020, la fusion avec la société PIEM au sein de la Sas Nehia, et l'annonce par la société Airbus à ses fournisseurs (dont la Sas Nehia) d'une remise en cause à la baisse de ses plans de production impliquant une réduction des commandes (pièce n° 39), impliquent l'existence d'une menace sur la compétitivité de l'entreprise ou le secteur d'activité du groupe nécessitant une anticipation des risques et le cas échéant, des difficultés à venir. Ce faisant, le projet de restructuration envisagé (suppression de 4 postes au sein de la société Enseignes Hode et de 2 postes au sein de la société PIEM ) apparaît nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise.

Le jugement déféré doit dès lors être confirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement de Mme [D] reposait sur un motif économique.

- Sur la recherche de reclassement :

Selon l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, 'le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe forme par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies a l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A default, et sous réserve de l'accord exprès du salarie, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement a chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.'

En l'espèce, la société Enseignes Hode a établi le 23 juin 2020 un document intitulé 'Note d'informations déclinée sous forme de décision unilatérale de l'employeur sur un projet de licenciement économique collectif de la société', qui fait état sans ambiguïté de la suppression du poste occupé par Mme [D] (pièce n° 13).

Cette note a été diffusée à l'ensemble du personnel par voie d'huissier; elle n'a pas été communiquée au CSE dont la société Enseignes Hode est dépourvu, ainsi que cela résulte d'un procès verbal de carence des 6 et 20 décembre 2019 (pièce n° 12).

Elle a, dans la lettre de licenciement, indiqué à Mme [D] qu'elle ne disposait pas d'emplois disponibles au sein des autres entreprises du groupe.

Elle a néanmoins procédé, concomitamment au licenciement de Mme [D], à deux embauches :

- celle de Mme [Y] [U] à compter du 1er juin 2020(promesse d'embauche du 22 janvier 2020 : pièce n° 28) en qualité d'opérateur pré-presse, avec une rémunération brute mensuelle de 2000 euros par mois pour 169 heures travaillées(2 293,87 euros pour Mme [D]).

Ce poste comporte des missions proches de celles du poste occupé par Mme [D], et aurait pu lui être proposé dès le mois de janvier 2020, la fusion des sociétés Enseignes Hode et PIEM étant déjà envisagée);

- celle d'une assistante commerciale en date du 1er septembre 2020 (pièce n° 20).

Il résulte de l'ensemble des observations qui précèdent que la Sas Nehia n'a pas satisfait à son obligation loyale de recherche de reclassement.

Le licenciement de Mme [C] [D] doit dès lors, par infirmation sur ce point du jugement déféré, être jugé sans cause réelle et sérieuse.

- Sur les conséquences du licenciement :

Mme [C] [D] a été licenciée sans cause réelle et sérieuse d'une entreprise employant plus de onze salariés, à l'âge de 51ans et à l'issue de près de sept ans de présence effective. Elle a droit au paiement des indemnités de préavis et de congés payés y afférents à hauteur des sommes brutes de 4 595 euros et de 459 euros qu'elle réclame, ainsi qu'à une indemnité calculée en application de l'article L. 1235-3 du code du travail que la cour estime devoir fixer à la somme de 16 085 euros représentant l'équivalent de 7 mois de salaire brut.

Dès lors que le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, le débat sur l'application des critères d'ordre n'a pas lieu d'être et Mme [D] sera dès lors déboutée de sa demande formée à ce titre.

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner d'office le remboursement par la Sas Nehia à Pôle Emploi Occitanie des indemnités chômage payées à la salariée licenciée, dans la limite de six mois d'indemnités.

- Sur les autres demandes :

Le jugement déféré sera confirmé dans ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.

La société Nehia, qui succombe, sera condamnée aux dépens de l'appel et déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Il serait en l'espèce inéquitable de laisser à la charge de Mme [D] les frais exposés non compris dans les dépens; il y a lieu de faire droit, en cause d'appel, à sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'une somme de 2000 euros.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Toulouse le 29 septembre 2022 en ce qu'il a :

- dit que l'application des critères d'ordres est viciée par une mauvaise définition des catégories socioprofessionnelles,

- débouté Mme [D] de sa demande de requalification de son licenciement,

- condamné la société Nehia prise en la personne de son représentant légal à verser à Mme [D] la somme de l0 322,41 euros a titre de dommages et intérêts pour mauvaise application des critères d'ordres du licenciement,

Et, statuant de nouveau et y ajoutant :

Dit que la société Nehia n'a pas respecté son obligation de reclassement, de sorte que le licenciement de Mme [C] [D] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Condamne la société Nehia à payer à Mme [C] [D] les sommes suivantes :

- 4 595 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 459 euros bruts de congés payés y afférents,

- 16 085 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Ordonne le remboursement par la société Nehia à Pôle Emploi Occitanie des indemnités chômage payées à la salariée licenciée, dans la limite de six mois d'indemnités sous déduction des sommes versées par l'employeur dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle.

Confirme le jugement déféré dans ses autres dispositions non contraires.

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Condamne la société Nehia aux dépens de l'appel.

Condamne la société Nehia à payer à Mme [C] [D] , en cause d'appel, une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La déboute de sa demande formée à ce même titre.

Le présent arrêt a été signé par C. BRISSET, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

C. DELVER C. BRISSET

.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 4eme chambre section 1
Numéro d'arrêt : 22/03939
Date de la décision : 12/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 20/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-12;22.03939 ?
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