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27/06/2024 | FRANCE | N°22/04420

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 4ème chambre section 3, 27 juin 2024, 22/04420


27/06/2024



ARRÊT N° 205/24



N° RG 22/04420 - N° Portalis DBVI-V-B7G-PFDI

NA/MP



Décision déférée du 09 Novembre 2022 - Pole social du TJ de [Localité 21] (22/1063)

J-P [Localité 22]























[D] [L] [V]





C/





S.E. [R]

MMA [19]

[14]



Partie intervenante



[12]































































INFIRMATION



SURSIS A STATUER PARTIEL



RADIATION



































REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4ème Chambre Section 3 - Chambre sociale



***

ARRÊT DU VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE

***







APPELANT
...

27/06/2024

ARRÊT N° 205/24

N° RG 22/04420 - N° Portalis DBVI-V-B7G-PFDI

NA/MP

Décision déférée du 09 Novembre 2022 - Pole social du TJ de [Localité 21] (22/1063)

J-P [Localité 22]

[D] [L] [V]

C/

S.E. [R]

MMA [19]

[14]

Partie intervenante

[12]

INFIRMATION

SURSIS A STATUER PARTIEL

RADIATION

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4ème Chambre Section 3 - Chambre sociale

***

ARRÊT DU VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE

***

APPELANT

Monsieur [D] [L] [V]

[Adresse 9]

[Localité 6]

représenté par Me Catherine CARRIERE-PONSAN de la SCP CANDELIER CARRIERE-PONSAN, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEES

S.E. PAOLETTI

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Olivier BOONSTOPPEL de la SCP SCP BOONSTOPPEL LAURENT, avocat au barreau de CASTRES

MMA [19]

[Adresse 1]

[Localité 8]

représentée par Me Olivier BOONSTOPPEL de la SCP SCP BOONSTOPPEL LAURENT, avocat au barreau de CASTRES

[16]

SERVICE CONTENTIEUX

[Adresse 7]

[Localité 10]

représentée par Me Anthony PEILLET, avocat au barreau de TOULOUSE

PARTIE INTERVENANTE

[15]

SERVICE CONTENTIEUX

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté par Me Anthony PEILLET, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 mai 2024, en audience publique, devant N. ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente chargée d'instruire l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées.

Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

N. ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente

M. SEVILLA, conseillère

M. DARIES, conseillère

Greffière : lors des débats M. POZZOBON

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

- signé par N. ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente et par M. POZZOBON, greffière

EXPOSE DU LITIGE

M.[D] [L] [V], salarié de la société des Etablissements [R] en qualité de métallier depuis le 3 octobre 2005, a été victime d'un accident du travail le 24 juillet 2019.

La déclaration d'accident du travail souscrite par l'employeur le 25 juillet 2019 mentionne un accident du travail survenu la veille à 13H30, sur le parking de l'entreprise, relaté ainsi:

'M.[V] est sorti de l'atelier mécanique pour amener deux palettes à sa voiture garée sur le parking de l'entreprise.

Sur le parking, M.[V] a été agressé par une personne inconnue. M.[V] est tombé et a reçu des coups de poing'.

Le certificat médical initial du 24 juillet 2019 mentionne une contusion de l'épaule droite et une lombalgie sur contusion lombaire, et prescrit un arrêt de travail. Les arrêts de travail ont été prolongés, avec la prise en charge d'un état de stress post-traumatique. La date de consolidation de l'état de santé de M.[V] n'était pas encore fixée au mois d'avril 2024.

Le 14 octobre 2019, la [12] a reconnu le caractère professionnel de l'accident de M.[V].

Par requête du 16 décembre 2019, M.[V] a saisi le tribunal pour obtenir reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement du 9 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Toulouse a rejeté les demandes de M.[V].

M.[V] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 21 décembre 2022.

M.[V] conclut à l'infirmation du jugement, à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, à la fixation au maximum prévu par la loi de la majoration de rente versée par la [11], à l'organisation d'une expertise avant dire droit sur la réparation de son préjudice, et à l'attribution d'une provision de 4.000 euros, outre 6.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Il expose avoir été victime d'une agression violente de la part d'un individu qui voulait du titane, et indique que sans l'intervention d'un passant l'agression aurait continué et mis sa vie en danger. Il indique qu'il y avait déjà eu des vols de métal, en produisant une attestation d'un collègue en ce sens, et que rien n'a été fait pour sécuriser l'ateIier et le parking, alors qu'un portique et des caméras auraient pu être installés pour assurer la sécurité des salariés et du matériel. Il précise qu'il a développé un trouble anxieux et un syndrome dépressif évolutif à la suite de cette agression. Il soutient qu'en cas d'agression par un tiers sur le lieu de travail, c'est à l'employeur qu'il appartient de démontrer le caractère irrésistible et imprévisible de l'évènement, et non au salarié de rapporter des preuves qu'il ne peut posséder, comme le document d'évaluation des risques, ou encore une facture pour attester des moyens engagés par l'employeur pour la protection de ses salariés. Il fait valoir qu'il ne s'agit pas de la première intrusion au sein de la société des [17], et conclut que l'employeur ne peut valablement prétendre ne pas avoir eu conscience du risque d'intrusion pour le vol, et donc d'agression de ses salariés. Il ajoute qu'il était autorisé à quitter l'atelier.

La société des Etablissements [R] et son assureur la société [20] concluent à la confirmation du jugement. A titre subsidiaire, ils demandent à la cour d'enjoindre à M.[V] de rapporter la preuve qu'il n'a pas été indemnisé de son préjudice corporel à un autre titre, de limiter la mission de l'expert aux postes de préjudices indemnisables et de réduire la provision à de plus justes proportions.

La société des Etablissements [R] soutient que l'agression dont M.[V] a été victime ne relève pas d'une faute inexcusable de son employeur, mais d'un évènement de force majeure. Elle indique que cette agression est un fait nouveau dans cette entreprise créée il y a 48 ans, et que le risque d'agression n'a jamais été envisagé et n'est pas mentionné dans le document d'évaluation des risques qu'elle verse aux débats. Elle précise que quelques vols ont été commis, mais que la plupart du temps les vols sont commis à des heures où le personnel est absent, de sorte qu'il ne peut être estimé que l'employeur aurait dû avoir conscience d'un danger. Elle souligne que l'agression ne s'est pas produite dans les locaux couverts de l'entreprise, mais sur le parking qui en dépend et où M.[V] n'avait, pendant son temps de travail, aucun motif professionnel de se trouver. Elle indique enfin qu'elle a rehaussé la clôture le long de l'avenue [Localité 18] Verdier, installé une protection au fond du terrain, et mis en place un portail sur la droite de l'atelier pour fermer l'accès à l'arrière des ateliers.

La [13] demande sa mise hors de cause. Elle indique que M.[V] est de nouveau affilié auprès de la [12] depuis le 22 septembre 2023, de sorte que si une faute inexcusable était retenue, c'est la [12] qui serait amenée à verser les indemnités correspondantes.

La [12], intervenue volontairement à l'instance, demande la mise hors de cause de la [13]. Elle s'en remet à la décision de la juridiction, et dans l'hypothèse où une faute inexcusable serait retenue, demande à la cour de surseoir à statuer sur la demande de majoration de rente et d'expertise, puisque l'état de M.[V] n'est pas consolidé. Elle demande remboursement par la société des Etablissements [R] des sommes qu'elle serait amenée à avancer.

MOTIFS

* Sur la faute inexcusable

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, même si d'autres fautes ont concouru au dommage.

En l'espèce, M.[V] a été victime d'une agression sur le parking de son lieu de travail, commise par une personne qui voulait se procurer du titane.

Pour refuser de reconnaître une faute inexcusable de son employeur, à l'origine de l'accident du travail, le tribunal considère que l'employeur ne pouvait pas avoir conscience d'un risque d'agression de ses salariés.

Cependant, le risque d'intrusion dans les locaux professionnels, exposant nécessairement les salariés présents à un danger, compromettant tant leur sécurité physique que psychologique, était connu de l'employeur.

La société des Etablissements [R] ne conteste pas en effet que l'entreprise ait préalablement fait l'objet, à plusieurs reprises, de vols avec effraction dont elle ne précise ni les dates ni les circonstances. Elle indique dans ses conclusions que 'la plupart du temps les vols sont commis à des heures où le personnel est absent', ce dont il résulte qu'il arrive qu'ils soient également commis lorsque les salariés sont présents.

Les risques d'intrusion pour voler des métaux étaient également parfaitement connus des salariés, comme en témoigne M.[N], ajusteur, qui indique que 'des vols de titane et vols de matériel dans les fourgons ont déjà eu lieu plusieurs fois avant l'agression de M.[V]'.

Les risques d'intrusion, et le danger qui en résulte pour les salariés présents, étaient donc prévisibles, de sorte que l'employeur ne peut pas invoquer la force majeure.

Immédiatement après l'agression dont il venait d'être victime, M.[V], en déposant plainte auprès des services de police le 25 juillet 2019, et lorsqu'il a écrit à son employeur le 30 juillet 2019, a signalé l'absence de portique et de caméras de surveillance.

Il incombait à la société des Etablissements [R], conformément aux articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, et préalablement d'évaluer les risques, et notament ceux qui résultent d'une intrusion.

Or, la copie illisible du document unique d'évaluation des risques professionnels, mis à jour le 14 juin 2023, que la société verse aux débats, est en toute hypothèse insusceptible d'établir une quelconque évaluation des risques liés au vol et à l'intrusion dans l'année précédant l'agression dont M.[V] a été victime.

La société des Etablissements [R] ne produit aucune pièce de nature à établir les mesures préventives qu'elle aurait mises en oeuvre pour assurer la sécurité des salariés. L'employeur se contente en effet d'affirmer avoir 'en fonction des intrusions et des vols qui ont été constatés lors des 15 dernières années, rehaussé la clôture le long de l'avenue [Localité 18] Verdier, installé une protection au fond du terrain, et mis en place un portail sur la droite de l'atelier pour fermer l'accès à l'arrière des ateliers'.

Aucune pièce justificative n'est versée aux débats, ni aucune précision apportée sur les dates auxquelles ces travaux auraient été effectués.

Aucune indication n'est davantage donnée sur les intructions qui auraient dû être transmises aux travailleurs, ni sur les moyens de protection mis à leur disposition.

La faute inexcusable de la société des Etablissements [R] est donc caractérisée.

En revanche, aucune faute de M.[V], n'est établie, alors que M.[I] témoigne que son collègue avait été autorisé à aller déposer des palettes dans sa voiture. Il est rappelé en tout état de cause que seule la faute inexcusable du salarié, qui se définit comme la faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience, est de nature à réduire son indemnisation, mais non à la supprimer, ainsi que cela résulte de l'article L 453-1 du code de la sécurité sociale.

Le jugement est infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de M.[V].

* Sur les conséquences de la faute inexcusable:

Dès lors que la faute inexcusable de l'employeur est établie, le salarié peut prétendre à la majoration de rente prévue à l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale.

L'article L 452-3 du code de la sécurité sociale prévoit d'autre part que la victime d'un accident du travail imputable à la faute inexcusable de l'employeur peut demander, en sus de la majoration de la rente qu'elle reçoit, indemnisation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d'agrément, et du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Il résulte par ailleurs de la décision du conseil constitutionnel du 18 juin 2010 que la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut également demander réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale, soit notamment le déficit fonctionnel temporaire, l'assistance par tierce personne avant consolidation, le préjudice sexuel et le préjudice exceptionnel.

L'assemblée pleinière de la cour de cassation retient, dans deux arrêts rendus le 20 janvier 2023, que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. Il en résulte que ce poste de péjudice peut faire l'objet de l'indemnisation complémentaire prévue par l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale.

En l'espèce, la [12] précise que l'état de santé de M.[V], consécutif à son agression, n'est pas consolidé.

Les pièces que M.[V] verse aux débats n'établissent pas le contraire.

En l'absence de consolidation, la rente d'indemnisation de l'accident du travail ne peut être liquidée, ni la majoration de rente fixée. Le préjudice définitif de M.[V], et notamment son déficit fonctionnel permanent, ne peut davantage être évalué.

Il doit donc être sursis à statuer sur les demandes de M.[V] tendant à la majoration de rente et à l'organisation d'une expertise médicale, dans l'attente de la consolidation de son état de santé.

Par ailleurs, M.[V] ne précise pas s'il a saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pour obtenir réparation de son préjudice. Il sera également sursis à statuer sur sa demande de provision.

La société des Etablissements [R] doit payer à M.[V] une indemnité de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés, et doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 9 novembre 2022 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la société des Etablissements [R] a commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail dont M.[V] a été victime,

Met hors de cause la [13], M.[V] étant affilié auprès de la [12];

Sursoit à statuer sur les demandes de M.[V] tendant à la majoration de rente, à l'organisation d'une expertise médicale et à l'attribution d'une provision, dans l'attente de la justification de la consolidation de son état de santé;

Dit que la société des Etablissements [R] doit payer à M.[V] une indemnité de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles;

Dit que la société des Etablissements [R] doit supporter les dépens de première instance et d'appel;

Dit que l'affaire est radiée et retirée du rang des affaires en cours, et sera réinscrite à la demande de la partie la plus diligente, avant l'expiration du délai de péremption de l'instance, sur justification de la consolidation de l'état de santé de M.[V].

Le présent arrêt a été signé par N. ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente et par M. POZZOBON, greffière,

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

M. [Z] N. ASSELAIN.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 4ème chambre section 3
Numéro d'arrêt : 22/04420
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;22.04420 ?
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