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27/06/2024 | FRANCE | N°22/03839

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 4ème chambre section 3, 27 juin 2024, 22/03839


27/06/2024



ARRÊT N° 229/24



N° RG 22/03839 - N° Portalis DBVI-V-B7G-PCG2

NA/MP



Décision déférée du 21 Septembre 2022 - Pole social du TJ de TOULOUSE (20/1020)

C. LERMIGNY























[V] [H]





C/





[12]

CPAM HAUTE-GARONNE































INFIRMATION



AVANT DIRE DROIT

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EXPERTISE MEDICALE

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4ème Chambre Section 3 - Chambre sociale

***

ARRÊT DU VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE

***



APPELANTE



Monsieur [V] [H]

[Adresse 8]

[Localité 6]



représenté par Me Marc LE HOUEROU, avocat au barreau de TOULOUSE


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27/06/2024

ARRÊT N° 229/24

N° RG 22/03839 - N° Portalis DBVI-V-B7G-PCG2

NA/MP

Décision déférée du 21 Septembre 2022 - Pole social du TJ de TOULOUSE (20/1020)

C. LERMIGNY

[V] [H]

C/

[12]

CPAM HAUTE-GARONNE

INFIRMATION

AVANT DIRE DROIT

EXPERTISE MEDICALE

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4ème Chambre Section 3 - Chambre sociale

***

ARRÊT DU VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE

***

APPELANTE

Monsieur [V] [H]

[Adresse 8]

[Localité 6]

représenté par Me Marc LE HOUEROU, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

[12]

[Adresse 9]

[Adresse 11]

[Localité 4]

représentée par Me Isabelle BAYSSET de la SCP SCP INTER-BARREAUX D'AVOCATS MARGUERIT - BAYSSET - RUFFIE, avocate au barreau de TOULOUSE substituée par Me Benoît SCHINTONE, avocat au barreau de TOULOUSE

CPAM HAUTE-GARONNE

SERVICE CONTENTIEUX

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Anthony PEILLET, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 mai 2024, en audience publique, devant N. ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente chargée d'instruire l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées.

Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

N. ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente

M. SEVILLA, conseillère

M. DARIES, conseillère

Greffière : lors des débats M. POZZOBON

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

- signé par N. ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente et par M. POZZOBON, greffière

********

EXPOSE DU LITIGE

M.[V] [H], engagé par l'association [12] (ICAM) de [Localité 14] en qualité de maître professionnel de chaudronnerie, suivant contrat de travail à durée indéterminée du 27 février 2017, a été victime d'un accident du travail le 8 février 2018.

La déclaration d'accident du travail souscrite par l'employeur le 8 février 2018 mentionne un accident du travail survenu dans les circonstances suivantes : 'la victime conduisait un transpalette électrique quand tout à coup le guidon s'est bloqué suite à un défaut sur le sol. Siège des lésions : poignet gauche'.

Le certificat médical initial d'accident du travail du 8 février 2018 mentionne une contusion du poignet gauche et prescrit un arrêt de travail.

Le 4 septembre 2018, la CPAM de la Haute Garonne a reconnu le caractère professionnel de l'accident de M.[H]. La caisse a fixé au 25 août 2019 la date de consolidation des lésions, et a retenu un taux d'incapacité permanente partielle de 12%.

M.[H] a été licencié pour inaptitude le 29 octobre 2019.

Par lettre du 20 octobre 2020, après échec de la tentative de conciliation, M.[H] a saisi le tribunal pour obtenir reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement du 21 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Toulouse a rejeté les demandes de M.[H].

M.[H] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 28 octobre 2022.

M.[H] conclut à l'infirmation du jugement, à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, à la majoration de la rente incapacité à son maximum, à l'organisation d'une expertise avant dire droit sur la réparation de son préjudice, et au paiement de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, et 3.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

Il soutient que l'ICAM avait ou aurait dû avoir conscience du risque. Il expose que l'engin de levage a basculé, entraînant son poignet, et que ce risque de dérapage, consubstantiel à l'usage d'un tel engin, est identifié dans le DUER. Il indique qu'en tout état de cause, l'employeur aurait dû avoir connaissance du risque compte tenu des dispositions légales l'obligeant à garantir un sol en bon état ainsi que la stabilité des équipements de travail. Il reproche à l'ICAM l'absence de mesures permettant de le préserver du risque auquel il s'est trouvé confronté, en ce que l'ICAM n'a pas respecté ses obligations en matière d'évaluation des risques, ne l'a pas informé des risques liés à la conduite des équipements de travail servant au levage, ne l'a pas formé à la conduite des équipements de travail servant au levage, n'a pas entretenu le sol, et à mis à sa disposition des engins inadaptés.

L'ICAM conclut à titre principal à la confirmation du jugement et au paiement d'une indemnité de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles. A titre subsidiaire, l'institut demande à la cour d'ordonner une expertise conforme au régime d'indemnisation forfaitaire et dérogatoire des victimes d'accident du travail.

L'ICAM invoque l'absence de faute inexcusable. L'institut soutient que M.[H] ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de la conscience du danger par l'employeur. Il conteste les témoignages et photographies produits par M.[H] quant à l'état du sol de l'atelier, et fait valoir que le 25 octobre 2017, soit peu avant l'accident, le CHSCT à l'initiative du nouveau directeur de l'ICAM a procédé à une visite du site et n'a relevé aucune défectuosité du sol de l'atelier. Il indique que de manière régulière le CHSCT opère des visites et des contrôles, soutient que le matériel mis à disposition des salariés pour les manipulations ou manutentions était adéquat et conforme à la réglementation, et fait valoir que pour la conduite ou la manutention des engins de type gerbeur ou chariot le CACES (Certificat d'Aptitude à la Conduite en Sécurité) n'est pas obligatoire, et que M.[H] n'occupait pas des fonctions de cariste mais d'enseignant.

La CPAM de la Haute-Garonne s'en remet à la décision de la juridiction, et dans l'hypothèse où une faute inexcusable serait retenue, demande remboursement par l'ICAM des sommes qu'elle serait amenée à avancer.

MOTIFS

* Sur la faute inexcusable

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Pour rejeter les demandes de M.[H], le tribunal a en l'espèce considéré que l'ICAM n'avait pas conscience du risque auquel son salarié était exposé.

Les circonstances précises de l'accident du travail sont établies par le procès-verbal du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) du 26 février 2018, qui confirme que le gerbeur électrique que conduisait M.[H] a basculé: 'M.[H], chaudronnier de l'école de production, s'est blessé début février en utilisant le gerbeur au niveau de la chape située à l'entrée de la chaudronnerie. Celui-ci a basculé dans un trou de la chape partiellement délitée et le tire-palette s'est positionné de travers, entraînant le poignet droit de M.[H]'.

Le risque qui s'est réalisé est donc le risque de basculement d'un engin de levage.

Ce risque est identifié dans le document unique d'évaluation des risques produit par les deux parties, révisé le 31 décembre 2015, qui vise notamment le risque de dérapage ou de renversement existant lors de l'utilisation du transpalette ou du gerbeur.

L'employeur ne pouvait donc légitimement ignorer le risque qui s'est réalisé. Il le pouvait d'autant moins que l'article R 4323-50 du code du travail, concernant les dispositions particulières aux équipements de travail mobiles, impose à l'employeur de veiller à ce que les voies de circulation empruntées par les équipements de travail mobiles 'présentent un profil permettant leur déplacement sans risque' et soient 'maintenues libres de tout obstacle'. La dégradation du sol, confirmée par la CHSCT dans son procès-verbal du 26 février 2018, était apparente puisque trois témoins dont M.[H] produit les attestations régulières avaient pu la constater.

Le fait que l'ICAM n'ait pas été alerté spécifiquement, préalablement à l'accident survenu le 8 février 2018, sur la nécessité de remédier au mauvais état du sol, qui n'a pas été signalée lors de la visite du site effectuée le 25 octobre 2017 par le CHSCT, n'est pas de nature à exclure l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur. Il prive seulement le salarié de la faculté d'invoquer la présomption de faute inexcusable qui résulte de l'article L 4131-4 du code du travail, applicable lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail avaient signalé à l' employeur le risque qui s'est réalisé.

M.[H] démontre d'autre part que l'ICAM n'a pas mis en oeuvre les mesures qui l'aurait préservé du danger.

D'une part M.[H] n'a pas bénéficié de la formation spécifique prévue par l'article R4323-55 du code du travail, qui dispose que 'La conduite des équipements de travail mobiles automoteurs et des équipements de travail servant au levage est réservée aux travailleurs qui ont reçu une formation adéquate'. Or en sa qualité de maître professionnel de chaudronnerie, il était nécessairement amené à utiliser des équipements de manutention et de levage.

Le fait que l'obtention du CACES (Certificat d'Aptitude à la Conduite en Sécurité) ne soit pas obligatoire pour la conduite ou la manutention des engins de type gerbeur ou chariot est indifférent. L'existence d'une formation à la conduite de tels équipements est imposée par le code du travail, même si l'obtention d'un certificat d'aptitude ne l'est pas.

D'autre part, le défaut d'entretien du sol contrevient aux dispositions particulières de l'article R 4323-50 du code du travail, concernant les équipements de travail mobiles, qui imposent à l'employeur de veiller à ce que les voies de circulation empruntées par les équipements de travail mobiles 'présentent un profil permettant leur déplacement sans risque' et soient 'maintenues libres de tout obstacle'.

Enfin, M.[H] fait valoir que le document unique d'évaluation des risques révisé, avant l'accident du travail du travail du 8 février 2018, en dernier lieu le 31 décembre 2015, n'a pas été mis à jour 'au moins chaque année', comme le prescrit l'article R 4121-2 du code du travail .

La faute inexcusable de l'employeur est établie.

* Sur les conséquences de la faute inexcusable:

Dès lors que la faute inexcusable de l'employeur est établie, le salarié peut prétendre à la majoration de rente prévue à l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale, majoration qui sera fixée au maximum prévu par cet article.

L'article L 452-3 du code de la sécurité sociale prévoit que la victime d'un accident du travail imputable à la faute inexcusable de l'employeur peut demander, en sus de la majoration de la rente qu'elle reçoit, indemnisation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d'agrément, et du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Il résulte par ailleurs de la décision du conseil constitutionnel du 18 juin 2010 que la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut également demander réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale, soit notamment le déficit fonctionnel temporaire, l'assistance par tierce personne avant consolidation, le préjudice sexuel et le préjudice exceptionnel.

L'assemblée pleinière de la cour de cassation retient, dans deux arrêts rendus le 20 janvier 2023, que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. Il en résulte que ce poste de péjudice peut faire l'objet de l'indemnisation complémentaire prévue par l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale.

Une expertise doit être ordonnée avant dire droit sur cette réparation, aux frais avancés de la CPAM de la Haute-Garonne, qui en récupèrera le montant auprès de l'employeur.

Conformément aux dispositions de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, la réparation des préjudices sera être versée directement à M.[H] par la CPAM de la Haute-Garonne, qui en récupérera le montant auprès de l'employeur.

L'ICAM doit payer à M.[H] une indemnité de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Les dépens sont réservés en fin de cause.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 21 septembre 2022 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que l'association [12] (ICAM) a commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail dont M.[H] a été victime,

Ordonne la majoration de la rente servie à la victime dans les limites maximales prévues par l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, et dit que la majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité de M.[H],

Avant dire droit sur l'indemnisation des préjudices subis par M.[H], ordonne une expertise médicale, confiée au docteur [S] [X] (Service Médecine Légale-CHU [13] [Adresse 1] [Localité 3] ) et en cas d'indisponibilité au docteur [K] [L] ([Adresse 10] [Localité 7]), qui aura pour mission de:

- convoquer les parties qui pourront se faire assister par le médecin de leur choix,

- se faire remettre les documents nécessaires à la réalisation de sa mission, y compris ceux détenus par des tiers,

- décrire les lésions subies par la victime, en relation directe avec l'accident du travail, et recueillir ses doléances,

- préciser les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, avant consolidation, dans l'incapacité de poursuivre ses activités personnelles habituelles, et le taux de cette incapacité temporaire; indiquer le cas échéant si l'assistance d'une tierce personne a été nécessaire pendant cette période,

- déterminer la nature et évaluer la gravité des souffrances physiques et morales endurées par la victime, avant consolidation, selon l'échelle de sept degrés,

- déterminer la nature et évaluer la gravité du préjudice esthétique, temporaire et définitif, selon l'échelle de sept degrés,

- évaluer l'existence et l'importance du préjudice d'agrément, résultant de la répercussion des troubles sur les activités de loisir et sportives,

- évaluer le déficit fonctionnel permanent,

- le cas échéant, donner au tribunal tous éléments médicaux d'information lui permettant d'apprécier les préjudices liés aux frais d'aménagement d'un véhicule ou d'un logement, le préjudice sexuel et les préjudices permanents exceptionnels,

- donner tous éléments médicaux d'information utiles sur l'existence d'un préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle,

- soumettre un pré-rapport aux parties et répondre à leurs dires avant de déposer un rapport définitif;

Dit que l'expert devra déposer son rapport dans le délai de six mois à compter de la notification de la présente décision,

Dit que les frais d'expertise seront avancés par la caisse qui en récupèrera le montant auprès de l'employeur ou son substitué;

Dit que la CPAM de la Haute-Garonne doit faire l'avance des réparations dues à M.[H], et en récupèrera le montant auprès de l'employeur ou son substitué;

Dit que l'ICAM doit payer à M.[H] une indemnité de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel;

Réserve les dépens;

Dit que l'affaire sera rappelée à l'audience du 20 mars 2025 à 14H, à laquelle les parties devront comparaître.

Le présent arrêt a été signé par N. ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente et par M. POZZOBON, greffière,

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

M. POZZOBON N. ASSELAIN.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 4ème chambre section 3
Numéro d'arrêt : 22/03839
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;22.03839 ?
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