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26/04/2024 | FRANCE | N°22/02861

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 4eme chambre section 1, 26 avril 2024, 22/02861


26/04/2024



ARRÊT N°2024/145



N° RG 22/02861 - N° Portalis DBVI-V-B7G-O5RH

MD/CD



Décision déférée du 16 Juin 2022 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( F 20/00620)

S. BOST

Section Commerce chambre 2

















[E] [L] [U]





C/



S.A.S. AVIAPARTNER [Localité 7]




































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INFIRMATION PARTIELLE







Grosse délivrée

le 26/4/24

à Me FRECHIN, Me REY-SALETES

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT SIX AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE

***



APPELANT



Monsieur [E] [L]...

26/04/2024

ARRÊT N°2024/145

N° RG 22/02861 - N° Portalis DBVI-V-B7G-O5RH

MD/CD

Décision déférée du 16 Juin 2022 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( F 20/00620)

S. BOST

Section Commerce chambre 2

[E] [L] [U]

C/

S.A.S. AVIAPARTNER [Localité 7]

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le 26/4/24

à Me FRECHIN, Me REY-SALETES

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT SIX AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE

***

APPELANT

Monsieur [E] [L] [U]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Renaud FRECHIN de la SCP CABINET DENJEAN ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 31555/2022/017867 du 24/10/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de TOULOUSE)

INTIM''E

S.A.S. AVIAPARTNER [Localité 7]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Emmanuelle REY-SALETES, avocat au barreau de TOULOUSE

Autre Partie :

Madame [M] [H], Défenseur des droits

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représentée par Madame [C] [I], juriste

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant S.BLUM'', présidente, et M. DARIES, conseillère, chargée du rapport. Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

S. BLUM'', présidente

M. DARIES, conseillère

F. CROISILLE-CABROL, conseillère

Greffière, lors des débats : C. DELVER

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par S. BLUM'', présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre

FAITS ET PROCÉDURE

M. [E] [L] [U] a été embauché le 12 octobre 2015 par la Sas Aviapartner [Localité 7] en qualité d'agent de passage suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale du transport aérien (personnel au sol).

Il a été victime d'un accident du travail le 28 août 2018.

A compter de fin 2019, M. [L] [U] a été placé en arrêt de travail. Il n'a pas repris son poste.

Par courrier du 16 novembre 2019, le salarié s'est plaint de discrimination pour refus de changement horaire auprès du chef d'escale M. [K].

Par courrier du 11 décembre 2019, M. [L] [U] a informé la société Aviapartner [Localité 7] qu'il estimait être victime de harcèlement moral et d'une discrimination à raison de son état de santé.

Par courrier du 1er février 2020, M. [L] [U] a indiqué à son employeur qu'il estimait que son état de santé s'était dégradé en raison de sa souffrance au travail.

M. [L] [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse le 20 mai 2020 pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, la condamnation de son employeur pour harcèlement moral, discrimination raciale et sexuelle ainsi que le versement de diverses sommes.

Lors de la visite de pré-reprise du 15 janvier 2021, la médecine du travail s'est opposée à une reprise de M. [L] [U] à son poste, mais a déclaré qu'étaient envisageables un aménagement de poste, un reclassement ou une inaptitude.

Lors de la visite de reprise du 4 février 2021, la médecine du travail l'a déclaré inapte définitivement à son poste.

Après avoir été convoqué par courrier du 18 mars 2021 à un entretien préalable au licenciement fixé au 21 mars 2021, il a été licencié par courrier du 6 avril 2021 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le conseil de prud'hommes de Toulouse, section commerce chambre 2, par jugement du 16 juin 2022, a :

- jugé que M. [L] [U] ne fait pas la démonstration de l'existence de faits répétés ou de pratiques de nature à caractériser le harcèlement moral subi à son poste de travail,

- jugé que M. [L] [U] ne fait pas la démonstration qu'il a été victime de discrimination,

- jugé que la Sas Aviapartner [Localité 7] a mis en oeuvre la procédure de reclassement suite à l'inaptitude de M. [L] [U],

- jugé que le licenciement de M. [L] [U] pour cause réelle et sérieuse est fondé,

- débouté M. [L] [U] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la Sas Aviapartner [Localité 7] de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire,

- condamné M. [L] [U] aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration du 26 juillet 2022, M. [E] [L] [U] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 11 juillet 2022, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 19 octobre 2022, M. [E] [L] [U] demande à la cour de :

- déclarer recevable en la forme l'appel interjeté contre la décision déférée ;

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il :

* a jugé qu'il ne fait pas la démonstration de l'existence de faits répétés ou de pratiques de nature à caractériser le harcèlement moral subi à son poste de travail,

* a jugé qu'il ne fait pas la démonstration qu'il a été victime de discrimination,

* a jugé que la société Aviapartner [Localité 7] a mis en 'uvre la procédure de reclassement suite à son inaptitude,

* a jugé que son licenciement pour cause réelle et sérieuse est fondé,

* l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,

* l'a condamné aux entiers dépens de l'instance.

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Aviapartner [Localité 7] de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

A titre principal :

- juger que la société Aviapartner [Localité 7] s'est rendue responsable de harcèlement et de discrimination raciale et sexuelle à son encontre, qu'elle a manqué à son obligation de sécurité et qu'elle a gravement fautivement exécuté le contrat de travail,

- prononcer en conséquence la résiliation judiciaire du contrat de travail.

A titre subsidiaire :

- juger le licenciement nul ou à défaut sans cause réelle et sérieuse.

En tout état de cause :

- condamner la société Aviapartner [Localité 7] à lui verser les sommes suivantes avec intérêts au taux légal au jour de la demande :

2.685,82 euros (2 mois) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 268,58 euros au titre des congés payés afférents,

8.057,46 euros (6 mois) au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,

30.000 euros au titre de dommages et intérêts pour discrimination raciale, sexuelle et fondée sur l'état de santé,

15.000 euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

15.000 euros au titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.

- ordonner la délivrance conforme sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir d'un certificat de travail, d'une attestation destinée au Pôle Emploi et d'un bulletin de salaire,

- juger que son salaire moyen était de 1.342,91 euros,

- condamner la société Aviapartner [Localité 7] à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 17 janvier 2023, la Sas Aviapartner [Localité 7] demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement et notamment en ce qu'il a débouté M. [L] [U] de l'intégralité de ses demandes.

Y ajoutant

- condamner M. [L] [U] à lui régler la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Le Défenseur des droits a adressé, suite à la saisine de M. [L] [U], ses observations écrites reçues à la Cour par courrier du 22 janvier 2024 et les a développées oralement à l'audience.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance en date du 26 janvier 2024.

Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la résiliation judiciaire:

L'article 1224 du code civil permet à l'une ou l'autre des parties à un contrat synallagmatique d'en demander la résolution judiciaire en cas d'inexécution des obligations découlant de ce contrat.

Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d'une gravité suffisante.

Lorsque, comme en l'espèce, un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail est justifiée par des manquements de l'employeur d'une gravité suffisante.

M. [L] [U] fonde sa demande de résiliation judiciaire emportant les effets d'un licenciement nul sur des agissements de harcèlement moral et de discrimination liée à l'origine ethnique, à l'orientation sexuelle et à l'état de santé ainsi que sur le non respect par l'employeur de l'obligation de sécurité.

A titre subsidiaire, il sollicite que la résiliation judiciaire emporte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le harcèlement moral , la discrimination et l'obligation de sécurité:

En application de l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L1154-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L1152-1 à L 1152-3 et L1153-1 à L 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Par application de l'article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap.

En ce cas le licenciement est nul de plein droit.

Selon le régime probatoire de l'action en discrimination fixé par l'article L. 1134-1 du code du travail, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Aux termes des articles L 4121-1 et 4121-2 du code du travail, l'employeur doit mettre en oeuvre des mesures de prévention pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1.

****

L'appelant soutient que le contexte de travail s'est dégradé à compter de 2017 et s'est aggravé à compter de 2018 pour avoir été victime de remarques racistes quant à ses origines (mexicaines) et homophobes et s'être vu refuser des avantages sociaux du fait de son orientation sexuelle, ce qui a eu une forte incidence sur son état de santé, ce d'autant qu'à partir de 2019, la charge de travail s'est intensifiée avec l'arrivée des compagnies low cost comme Raynair.

Il explique que l'employeur lui a refusé:

. le bénéfice de congés pour PACS avec son compagnon en juillet 2018 et il a dû solliciter l'intervention des représentants du personnel,

. également et de façon systématique, des permutations d'horaires de vacations de journée ou de soirée vers des vacations matinales, au motif de ses précédentes absences, pourtant médicalement justifiées, ce qui constitue une discrimination fondée sur l'état de santé.

Il se rapporte à cet effet à un tableau des permutations horaires fourni par la société pour septembre et octobre 2019, l'un des refus faisant l'objet de la mention « Non. Pas l'amplitude pour [L] ».

L'appelant expose en outre avoir fait l'objet, lors d'une soirée du 11 septembre 2018, de propos injurieux, racistes ('connard de mexicain') de la part d'un de ses collègues, [A] [D] [W], lequel l'avait antérieurement et publiquement mis en cause le 17 décembre 2017 via le groupe d'échanges entre les différents salariés selon la pièce 10 versée, comportant une image d'une personne portant des moustaches et mentionnant sous les hashtags: « #mecinutile, #fuckinmexican, #lowcost, #aucunepersonnaité, #acheteutouiunepersonnalité #sans goût#je suiscopiémaisjamaiségalé#lowcost#Bulgari#».

Il produit des attestations de personnes proches témoignant des insultes reçues et

de la dégradation de son état de santé à la suite des agissements subis. Ainsi:

. M. [O] écrit avoir accompagné M. [L] [U] à la soirée du mardi 11 septembre 2018 lors d'un événement interne à l'entreprise Aviapartner qui a lieu dans un bar/restaurant '[6]' situé à [Localité 5]; qu'au milieu de la soirée, un de ses collègues, [A] [W], l'a insulté avec des propos racistes sans aucune raison, de 'connard de mexicain'; que [E] est resté neutre mais il souffre de cette situation .

. M. [F] indique avoir accompagné le mardi 11 septembre 2018 l'intéressé à une soirée organisée par les salariés de l'entreprise Aviapartner et que [A] [W] a agressé verbalement [E] [L] tandis qu'ils étaient en train d'échanger, en tenant des propos injurieux et discriminatoires.

. M. [S], déclare être un ami de l'appelant depuis juin 2018 et avoir vu que son moral se dégradait à partir de l'automne 2018. M. [L] lui a fait part d'une dégradation de son cadre de travail du fait de nombreux refus non justifiés par sa hiérarchie face à diverses demandes (échanges horaires - demande de congés payés) alors que ses collègues avaient un traitement plus favorable. A partir de l'été 2019, sa hiérarchie a refusé son congé pour PACS mais le syndicat a fait le nécessaire. Il a eu des idées suicidaires.

. M. [Y], compagnon de l'appelant depuis novembre 2018, explique avoir constaté la dégradation de l'état émotionnel de ce dernier du fait de divers évènements intervenus sur le lieu de travail et les réseaux sociaux liés à son accent avec son collègue [W].

. Mme [X], connaissant M. [L] depuis l'été 2018, certifie avoir vu son moral baisser à cause de problèmes liés à son travail.

. Mme [R], ancienne salariée de Aviapartner d'octobre 2016 à août 2019, atteste que M. [L] lui a fait part à plusieurs reprises de sa démotivation, tristesse et détresse qui ont suivi son accident du travail du 28 août 2018 outre du sentiment qu'il avait de ce que la hiérarchie s'acharnait sur lui, rendant l'ambiance de travail de plus en plus difficile à supporter.

M. [L] dénonce que la société a seulement informé la CSSCT ( Commission Santé Sécurité et Conditions de Travail) et n'a pas saisi le référent harcèlement moral, ce qui caractérise un manquement grave à l'obligation de sécurité.

Il ajoute que les agissements subis ont entraîné une grande souffrance et un état anxio-dépressif réactionnel pour lequel il a fait l'objet d'un suivi psychiatrique, tel que soulignés par les certificats médicaux des médecins généralistes ( Dr [JF] du 08 novembre 2019 et Dr [Z] du 09 décembre 2019), du référent du service des maladies professionnelles et environnementales du 22 janvier 2020 et des psychologue et psychiatre ayant assuré le suivi ( des 18-02 et 11-09 et 06-11-2020 et 21-01-2021).

M. [B], psychologue, écrit que le patient rapporte des événements et propos témoignant de la discrimination subie de la part d'un collègue, qu'il a le sentiment de faire l'objet d'un traitement de défaveur de la part de sa responsable qui selon ses dires lui refuse congés et permutations depuis l'été 2019 à raison d'absences trop fréquentes bien que justifiées.

L'ensemble des éléments présentés par le salarié laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et d'une discrimination.

Il appartient à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à un harcèlement moral ou une discrimination.

La société réfute tout manquement.

Sur les faits allégués à raison de l'origine à savoir la publication snapchat et les propos tenus lors la soirée du 11 septembre 2018:

La société oppose que:

. il n'est rapporté aucun élément probant,

. la soirée du 11 septembre 2018 constitue un événement privé, non rattaché à la sphère professionnelle,

. Messieurs [O] et [F] sont des proches de l'appelant et non des salariés de l'entreprise, lesquels ne peuvent attester de faits intervenus dans le cadre professionnel,

. Les témoignages ont été rédigés de manière opportune avant la saisine du conseil de prud'hommes et près de deux ans après les prétendus faits de septembre 2018.

Sur ce:

- S'agissant de la publication sur Snapchat du 17 décembre 2017:

La copie d'écran versée à la procédure comporte le nom de [A] [D] [W], et des propos injurieux sur une origine mexicaine. Aucune date de publication n'est précisée.

A supposer que les propos injurieux ont été tenus sur un groupe de discussion entre salariés de l'entreprise, la vocation première d'un réseau Snapchat étant l'échange de messages à caractère privé, ils ne sont pas de la responsabilité de l'employeur qui n'est pas l'administrateur de ce réseau et à défaut de preuve rapportée, ces propos n'ont été connus de lui que par courrier d'alerte du 11 décembre 2019.

Il n'est pas non plus établi que cette publication ait été vue par nombre de salariés, les témoignages versés par M. [L] émanant de collègues et notamment Mme [R], en poste depuis octobre 2016, n'en faisant pas état.

- S'agissant des insultes lors la soirée du 11 septembre 2018:

Les attestations de Messieurs [F] et [O], amis de M. [L], en date des 28 février et 24 mars 2020, rédigées près de deux ans après la soirée du 11 septembre 2018, sont concordantes en ce qu'elles relatent les circonstances de propos tenus à l'encontre de M. [L], la nature des injures en raison de son origine et précisent le nom de leur auteur. Il est en outre indiqué que l'incident a eu lieu au cours d'une soirée organisée entre salariés de l'entreprise Aviapartner dans un bar restaurant.

Il s'évince du procès-verbal d'enquête de la CPAM du 20-05-2020 à la suite d'une déclaration de maladie professionnelle de M.[L], que la soirée n'était pas organisée par l'entreprise, ni qu'elle était interne à celle-ci, puisque l'appelant a précisé qu'il s'agissait d'une soirée privée pour fêter le retour du Canada d'une ancienne collègue.

Par ailleurs la soirée, ayant eu lieu dans un restaurant, n'était pas exclusivement réservée à des salariés puisque des amis de M. [L], non employés par la société Aviapartner y participaient.

M. [G], délégué syndical, interrogé dans le cadre de l'enquête CPAM et qui avait été sollicité en juillet 2019 par M. [L] pour des congés et avait évoqué

les injures subies, avait expliqué au salarié que les faits s'étaient déroulés lors d'une soirée privée.

La cour considère que les éléments développés ne permettent pas de rattacher les faits allégués et relevant de la vie personnelle, à la vie professionnelle et à l'entreprise.

Aussi, à défaut de témoignages faisant état d'incidents intervenus sur le lieu de travail, les griefs à raison de l'origine seront écartés.

Sur les faits allégués à raison de l'orientation sexuelle: le refus, en juillet 2019, des congés exceptionnels à proximité de la date du PACS en août 2019

La société explique que la demande initiale de congés du salarié ne comportait pas la mention « PACS » et que si M. [N], Défenseur syndical, est intervenu, elle lui a précisé que M. [L] devait modifier sa demande en ce sens et elle y a ensuite fait droit.

Sur ce

La société verse à la procédure la demande d'autorisation d'absence de M. [L], en date du 20-07-2019, sollicitant des congés pour PACS du 14-08 au 20-08-2019, laquelle a été acceptée le 22-07-2019.

Dans le cadre de l'enquête effectuée par la CPAM du 29-05-2020, M. [G], délégué syndical sollicité par M. [L], expose que ce dernier n'ayant pas formé sa demande par écrit sur l'applicatif dédié et dans le délai d'un mois avant la date souhaitée, il n'avait pu être répondu à la demande mais qu'une fois effectuée, elle a été satisfaite.

Ces éléments objectifs ne caractérisent pas une discrimination en raison de l'orientation sexuelle. Le grief sera écarté.

Sur les faits allégués à raison de l'état de santé: le refus des changements horaires

La société dénie tout refus systématique de permutation des horaires et tout traitement différencié des autres salariés auxquels il a été également opposé des refus de permutation.

Elle fait valoir que plusieurs demandes de M. [L] ont été acceptées sur la période antérieure à son arrêt-maladie à compter du 02 octobre 2019 tel qu'il résulte des plannings versés et elle explique qu'il a été positionné sur des horaires de journée pendant son arrêt, afin de permettre d'être plus facilement remplacé.

Sur ce:

Comme l'a rappelé M. [J] [K], chef d'escale, dans sa réponse du 12 décembre 2019, au courrier de 'signalement de harcèlement et de discrimination en raison de l'état de santé' de M. [L] du 11-12-2019, l'activité de la société induit une variation des horaires et le changement des horaires de travail relève du pouvoir de direction de l'employeur.

Le contrat de travail ne prévoit pas d'horaires fixes de travail. Si au début de son contrat, l'appelant travaillait souvent le matin à 04 H, il travaillait avant son arrêt-maladie en journée.

Les plannings du 1er septembre 2019 au 31 octobre 2019 (pièce 13) montrent que:

. 7 demandes de permutations le matin ont été acceptées, pour 19 jours sur 30 travaillés le matin, à savoir pour les 3 - 4 et 6 septembre 2019, les 4 - 5 - 6 et 15 octobre 2019,

. des demandes de permutations d'autres salariés ont été refusées et pour l'un, le motif est identique à celui relevé par M. [L]: 'pas l'amplitude'.

La société énonce que l'appelant étant en arrêt-maladie non professionnelle depuis le 02 octobre 2019, les demandes de permutation horaire des vacations des 22, 23 et 24 octobre, et 17 et 19 novembre 2019 étaient sans objet et ne pouvaient être validées.

Mais à défaut d'arrêt-maladie produit à compter du 02 octobre, il résulte de divers éléments dont l'enquête CPAM et l'avis de pré-reprise du médecin du travail qu'un arrêt maladie a débuté le 08 novembre 2019.

Selon des échanges SMS produits à la procédure entre le 08 et le 21 novembre 2019 avec Mme [P], déléguée du personnel, M. [L] faisait état de changements horaires refusés pour cause d'absences pourtant médicalement justifiées et liées à son épuisement professionnel dont un accident du travail ( chute de vélo). Il déclarait: 'je suis dans un état qui me mine. Tout çà me détruit. C'est une accumulation de choses. Horaires atypiques, remarques déplacées, jour de repos séparés, discrimination pour les permutations, spéculation de mon état de santé, etc'.

Lors de l'enquête CPAM, M.[K], chef d'escale, a expliqué que M. [L], ayant eu des problèmes de santé à partir de début 2019, cela a posé des problèmes d'exploitation à plusieurs reprises, car l'absence d'un salarié à son poste à 04 H est difficile à remplacer; il lui a été demandé de travailler en journée à compter de 10H et en cas d'absence, il était demandé à un collaborateur du matin de finir sa vacation plus tard pour compenser l'absence; M.[L] a fait des demandes pour travailler le matin à partir de 04 H et quand il n'obtenait pas le changement souhaité, il sollicitait un collègue pour une permutation horaire, système dérogatoire devant rester exceptionnel; plus de 50% des permutations ont été acceptées; un courrier du 05 juin 2019 a été adressé quant à des retards (après 3 minutes ce qui entraîne des pénalités) et deux avertissements ont été notifiés les 14-01-2019 et 05-06-2019.

La gestion d'une entreprise implique de la part de l'employeur anticipation et adaptation au regard des contraintes de l'activité.

Mais il s'évince des éléments de la procédure que la société a refusé des permutations horaires, non en considération de manquements du salarié à ses missions ou des seules contraintes d'exécution, mais en présumant de nouveaux arrêts-maladie, ce qui s'analyse en une discrimination en raison de l'état de santé.

Sur l'obligation de sécurité de l'employeur

La société réplique qu'à la suite des échanges de SMS de novembre et décembre

2019, Mme [P], déléguée du personnel à laquelle l'appelant a demandé un rapport de ses interventions, lui a répondu de contacter directement M. [K],

chef d'escale, pour lui faire part de sa situation, outre que son alerte relative au harcèlement moral a été prise en compte par sa hiérarchie dès qu'elle en a eu connaissance.

L'intimée objecte également qu'aucune disposition légale n'impose à l'employeur de mener une enquête en cas de dénonciation de harcèlement moral et elle a saisi la CSSCT du Comité Social et Economique du dossier de M. [L], examiné dès la réunion du 15 janvier 2020. Les membres du CSE ont préconisé à l'intéressé de se rapprocher du référent harcèlement moral et sexuel de la société, ce qu'il n'a pas fait, ainsi que le confirme Mme [T] [V], agent d'escale et référente. La société énonce que le médecin du travail, destinataire du procès-verbal de la réunion, n'a pas alerté sur un harcèlement moral.

Elle ajoute que le 30 septembre 2020, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie a refusé de prendre en charge la maladie de M. [L] au titre de la législation professionnelle.

Sur ce:

Par correspondance du 11 décembre 2019, le salarié se plaignait, à la suite d'un précédent courrier du 16 novembre 2019, que des demandes de changement de ses horaires de travail pour faire des vacations le matin avaient été refusées par sa hiérarchie, ce qui est constitutif d'un harcèlement moral; qu'en outre un salarié lui a tenu des propos calomnieux, qu'il a subi des humiliations, des injures et des offenses publiques sur son lieu de travail, qu'il a été menacé d'abandon de poste et a été la cible de remarques déplacées pour le faire culpabiliser lorsqu'il ne pouvait pas rester pour faire des heures supplémentaires.

Si la société n'a pas engagé d'enquête formelle, elle a néanmoins saisi la CSSCT ( commission de santé et de sécurité au travail), dont le procès-verbal de la réunion du 15 janvier 2020 mentionne: ' concernant le sentiment de harcèlement moral perçu par un salarié, celui-ci est invité à se rapprocher du référent harcèlement moral ou sexuel au sein de l'escale de [Localité 7]'.

Par ailleurs, préalablement, tel qu'il s'évince du rapport d'enquête de la CPAM,

le chef d'escale M. [K], a rencontré M. [L], pour s'entretenir sur son alerte.

S'agissant des propos injurieux et connus de l'employeur fin 2019, M. [K], informé lors de l'entretien par M. [L] du dénigrement intervenu sur les réseaux sociaux à la suite de l'achat d'un parfum, a rencontré M. [W], lequel a répondu qu'il s'agissait d'une plaisanterie relevant de la sphère privée. Le chef d'escale a également rappelé à M. [L] qu'il pouvait saisir le référent harcèlement.

Les témoignages communiqués par M. [L] rapportent une souffrance et une dégradation de son état de santé face à des agissements dénigrants et un traitement de défaveur dont il se plaint.

Les certificats médicaux décrivent un sujet, se disant fortement affecté, dans l'attente de la reconnaissance par l'employeur des torts qu'il lui a causés.

Les éléments médicaux attestent en outre du suivi psychologique pour état anxio-dépressif dont M. [L] a bénéficié en 2020.

Le 05 mai 2021, la CPAM lui a notifié la prise en charge à 100% pour affection longue durée, postérieurement au licenciement pour inaptitude prononcé le 06 avril 2021.

Si M. [L] exprime à travers ses difficultés psychologiques un très fort ressenti face à des insultes en lien avec son origine, à défaut d'incidents établis dans le cadre des missions, il ne peut être fait grief à l'employeur de ne pas avoir engagé d'action à l'encontre de M. [W].

Au regard des éléments développés, à défaut d'injures répétées dans la sphère professionnelle, il ne peut être retenu d'agissements de harcèlement moral auquel l'employeur n'aurait pas répondu.

Le manquement de l'employeur concernant les refus de permutations horaires caractérise une discrimination en raison de l'état de santé et un manquement à l'obligation de sécurité en ce qu'elle a eu une incidence sur l'état psychologique de M.[L].

Le chef d'escale a répondu aux interrogations du salarié lors d'un entretien et par courrier du 12 décembre 2019, non pas après un premier courrier d'alerte du 16 novembre 2019 sur les vacations horaires, mais après le second courrier du 11 décembre 2019, alors qu'il ressort des échanges SMS avec Mme [P], que M. [L] avait tenté à plusieurs reprises de le joindre.

Par ailleurs l'employeur ne démontre pas, hormis la désignation d'un référent harcèlement moral, avoir mis des mesures en place pour prévenir des faits de discrimination.

Il ne peut donc être exonéré d'une demande de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité.

La discrimination en raison de l'état de santé est un fait suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail emportant les effets d'un licenciement nul, par infirmation du jugement déféré, à la date du licenciement pour inaptitude.

Sur les demandes indemnitaires

En application de l'article L.1235-3-1 du code du travail, lorsque la rupture du contrat de travail est entachée d'une nullité pour cause de harcèlement moral ou discrimination, à défaut de réintégration du salarié, l'indemnité à la charge de l'employeur ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Il prétend au paiement, sur la base d'un salaire de référence de 1342,91 euros, de:

- 2.685,82 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 268,58 € bruts au titre des congés payés afférents (deux mois)

- 8.057,46 € (six mois de salaire) à titre de dommages et intérêts pour licenciement

nul.

En outre il sollicite des dommages et intérêts spécifiques au titre du harcèlement moral, de la discrimination et du manquement à l'obligation de sécurité.

La société conclut au débouté.

Sur ce:

M. [L] [U] n'a pas retrouvé ni conservé un emploi après le licenciement pour inaptitude. En février 2022, il percevait des indemnités journalières.

La société sera condamnée au paiement des indemnités réclamées pour licenciement nul et préavis et congés payés afférents, le préavis n'ayant pu être exécuté du fait de la société.

Elle sera également condamnée au paiement de 5000,00 euros pour préjudice subi du fait de la discrimination en raison de l'état de santé et de 3000,00 euros pour manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité.

Le salarié sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral en l'absence de caractérisation d'agissements à ce titre.

Sur les demandes annexes

La SASU Aviapartner [Localité 7] devra remettre au salarié des documents sociaux conformes à l'arrêt sans qu'il y ait lieu à astreinte.

La SASU Aviapartner [Localité 7], partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

La condamnation de M. [L] [U] aux dépens par le conseil de prud'hommes sera infirmée.

M. [L] [U] est en droit de réclamer l'indemnisation des frais non compris dans les dépens exposés à l'occasion de cette procédure.

La SASU Aviapartner sera condamnée à lui verser une somme de 2000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La SASU Aviapartner sera déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [L] [U] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant:

Dit que M. [L] [U] a fait l'objet d'une discrimination en raison de l'état de santé,

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail emportant les effets d'un licenciement nul à la date du licenciement pour inaptitude,

Condamne la SASU Aviapartner à payer à M. [L] [U] les sommes de:

. 2.685,82 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 268,58 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 8.057,46 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

- 5000,00 € de dommages et intérêts pour discrimination en raison de l'état de santé,

- 3000,00 € de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

Dit que la SASU Aviapartner [Localité 7] devra remettre des documents sociaux conformes au présent arrêt sans qu'il y ait lieu à astreinte,

Condamne la SASU Aviapartner aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. [L] [U] la somme de 2000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la SASU Aviapartner de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile .

Le présent arrêt a été signé par S. BLUM'', présidente, et par C. DELVER, greffière.

La greffière La présidente

C. DELVER S. BLUM''

.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 4eme chambre section 1
Numéro d'arrêt : 22/02861
Date de la décision : 26/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-26;22.02861 ?
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