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26/03/2024 | FRANCE | N°18/02983

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 1ere chambre section 1, 26 mars 2024, 18/02983


26/03/2024



ARRÊT N°



N° RG 18/02983

N° Portalis DBVI-V-B7C-MMWR

CR/JM/ND



Décision déférée du 24 Mai 2018 -

Tribunal de Grande Instance d'ALBI -

(16/00933)

Mme. MUNIER

















[O] [E]

[X] [E]

[T] [E]

[W] [H]

[M] [Y] épouse [E]

[P] [E]





C/



[K] [A]

MSA MIDI PYRENEES NORD







































INFIRMATION







Grosse délivrée



le



à

Me Marie BELLEN-ROTGER

Me Emmanuel GIL

Me Hervé RENIER

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT SIX MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE

***



APPELANTS



Monsieur [O] [E]...

26/03/2024

ARRÊT N°

N° RG 18/02983

N° Portalis DBVI-V-B7C-MMWR

CR/JM/ND

Décision déférée du 24 Mai 2018 -

Tribunal de Grande Instance d'ALBI -

(16/00933)

Mme. MUNIER

[O] [E]

[X] [E]

[T] [E]

[W] [H]

[M] [Y] épouse [E]

[P] [E]

C/

[K] [A]

MSA MIDI PYRENEES NORD

INFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

Me Marie BELLEN-ROTGER

Me Emmanuel GIL

Me Hervé RENIER

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT SIX MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE

***

APPELANTS

Monsieur [O] [E]

agissant en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de monsieur [N] [E]

[Adresse 7]

[Localité 15]

Représenté par Me Marie BELLEN-ROTGER de la SCP PAMPONNEAU TERRIE PERROUIN BELLEN-ROTGER, avocat au barreau de TOULOUSE

Madame [X] [E]

agissant en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de monsieur [N] [E]

[Adresse 12]

[Localité 15]

Représentée par Me Marie BELLEN-ROTGER de la SCP PAMPONNEAU TERRIE PERROUIN BELLEN-ROTGER, avocat au barreau de TOULOUSE

Monsieur [T] [E]

agissant en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de Monsieur [N] [E]

[Adresse 9]

[Localité 4]

Représenté par Me Marie BELLEN-ROTGER de la SCP PAMPONNEAU TERRIE PERROUIN BELLEN-ROTGER, avocat au barreau de TOULOUSE

Madame [W] [H] épouse [E]

agissant en son nom personnel

[Adresse 12]

[Localité 15]

Représentée par Me Marie BELLEN-ROTGER de la SCP PAMPONNEAU TERRIE PERROUIN BELLEN-ROTGER, avocat au barreau de TOULOUSE

Madame [M] [Y] épouse [E]

agissant en son nom personnel et en sa qualité d'ayants droits de Monsieur [N] [E]

[Adresse 16]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie BELLEN-ROTGER de la SCP PAMPONNEAU TERRIE PERROUIN BELLEN-ROTGER, avocat au barreau de TOULOUSE

Monsieur [P] [E]

agissant en son nom personnel et en qualité d'ayants droits de Monsieur [N] [E]

[Adresse 11]

[Localité 13]

Représenté par Me Marie BELLEN-ROTGER de la SCP PAMPONNEAU TERRIE PERROUIN BELLEN-ROTGER, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMES

Monsieur [K] [A]

[Adresse 14]

[Localité 15]

Représenté par Me Emmanuel GIL de la SCP SCPI BONNECARRERE SERVIERES GIL, avocat au barreau de TOULOUSE

MSA MIDI-PYRENEES NORD

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Hervé RENIER de la SCP APR AVOCATS, avocat au barreau D'ALBI

COMPOSITION DE LA COUR

Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 23 Octobre 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :

M. DEFIX, président

C. ROUGER, conseiller

A.M. ROBERT, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : N.DIABY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par M. DEFIX, président, et par N.DIABY, greffier de chambre.

OBJET DU LITIGE ET PROCÉDURE

Le 30 septembre 2013 [D] [E] se plaignant d'une douleur à l'épaule gauche, avait

consulté son médecin traitant le docteur [A] qui diagnostiquait une atteinte rhumatologique

à l'épaule.

Le [Date décès 6] 2013, les douleurs persistant, il retournait consulter son médecin qui maintenait son diagnostic initial et lui prescrivait du Biprofenid et de l'Ixprim pour le soulager, l'invitant à faire réaliser en urgence une radio et une échographie de l'épaule gauche.

Pris en charge en urgence au service d'imagerie médicale de la Clinique [19] où son épouse l'avait accompagné, il a présenté un malaise brutal avec perte de connaissance pendant l'échographie. Un massage cardiaque externe a été réalisé sur place par des médecins anesthésistes présents, puis un monitoring cardiaque suivi d'une intubation, d'une ventilation et de l'injection par voie veineuse d'adrénaline. Après plusieurs tentatives de réanimation par défibrillateur cardiaque et poursuite du massage cardiaque, malgré l'intervention du Samu, M. [E] est décédé des suites d'une dissociation électromécanique, c'est-à-dire d'une absence d'activité du muscle cardiaque.

Invoquant l'erreur de diagnostic du médecin traitant, le docteur [A], les ayants- droits d'[D] [E] à savoir, son épouse [W] [E] née [H], ses deux enfants [O] et [X] [E], ses parents [N] [E] et [M] [E] née [Y], ainsi que ses deux frères [T] et [P] [E], ont saisi le juge des référés pour solliciter une expertise médicale sur pièces.

Par ordonnance du 13 mars 2015, le juge des référés a ordonné une expertise et commis pour y procéder le docteur [I].

Ce dernier a conclu dans un rapport du 27 février 2014 à une erreur de diagnostic ayant conduit au décès de M. [D] [E], en raison d'une analyse insuffisante et d'une prise en charge inadaptée pour M. [E], homme de 53 ans avec des facteurs de risque, en omettant l'hypothèse d'une atteinte coronarienne. Il a néanmoins retenu que le diagnostic était motivé par les antécédents de douleurs cervico-brachiales du patient, le traitement prescrit ainsi que

la demande d'examen avec radiographie du rachis cervical et d'échographie de l'épaule gauche découlant selon lui logiquement de ce diagnostic après l'examen du patient, dont l'auscultation cardiaque se serait avérée normale, mais que le médecin avait oublié chez un homme de 53 ans ayant des facteurs de risque (antécédents familiaux de coronopathie chez son père, existence d'un stress professionnel, taux LDL de cholestérol élevé, et tabagisme persistant) la possibilité d'une symptomatologie liée à une atteinte coronarienne.

Par acte des 12 et 18 mai 2016, les ayants-droits de [D] [E] ont assigné le docteur [K] [A], en présence de la Mutualité Sociale Agricole, devant le tribunal de grande instance d'Albi sur le fondement de l'article 1147 du code civil et de l'article L 1142-1 du code de la santé publique aux fins de voir reconnaître la responsabilité du médecin pour son erreur de diagnostic et d'obtenir l'indemnisation de leurs préjudices.

[N] [E] étant décédé le [Date décès 10] 2017, [M] [E] son épouse, [T], [P] [E], ses fils, [X] et [O] [E], ses petits enfants venant en représentation de leur père [D] [E], sont intervenus volontairement à la procédure en qualité d'ayants droits pour reprendre les demandes qu'il avait formulées dans le cadre de l'instance.

Par jugement contradictoire en date du 24 mai 2018, le tribunal de grande instance d'Albi a :

- ordonné, le rabat de l'ordonnance de clôture au jour de l'audience de plaidoiries,

- constaté l'intervention volontaire des ayants-droits de [N] [E],

- dit que l'erreur de diagnostic commise par le docteur [A] n'est pas fautive,

- dit en conséquence que la responsabilité du docteur [A] n'est pas engagée,

- débouté les consorts [E] de l'ensemble de leurs demandes,

- débouté la Mutualité Sociale Agricole de l'ensemble de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire,

- condamné les consorts [E] aux entiers dépens de l'instance.

Le premier juge, au vu tant d'un rapport amiable du docteur [L], mandaté par la Maif, que du rapport d'expertise judiciaire, a estimé qu'au jour de la consultation du docteur [A] le 30 septembre 2013, M. [D] [E], à l'exception du tabagisme compensé par une activité sportive régulière, ne présentait pas d'autres facteurs de risque connus du praticien ; que cette consultation avait été motivée par une douleur au bras gauche et non une douleur thoracique, alors que M. [E] présentait des antécédents rhumatologiques avec névralgie cervico-brachiale depuis 2006 ; que lors de la consultation l'examen rhumatologique mené par le médecin s'était révélé positif (tests de l'épaule et palpation) évoquant une atteinte de la bourse sous acromiale et du sus épineux ; que l'auscultation cardiaque et pulmonaire s'était révélée normale; que M. [E] s'était rendu normalement à son travail le 30 septembre et le 1er octobre 2013 ; que lors de la consultation du [Date décès 6] à laquelle s'est présentée M. [E], portant une attelle pour le soulager, le nouvel examen avait conduit le médecin à maintenir son diagnostic et à préconiser une radiographie du rachis et une échographie de l'épaule, l'auscultation pulmonaire et cardiaque étant normale.

Il a déduit du tout que M. [D] [E] avait présenté une pathologie cardiaque particulièrement atypique au regard du siège de la douleur localisée dans le bras gauche, qui avait perduré de façon tout à fait atypique pendant 5 jours avant son décès et qu'il n'était dès lors pas démontré un manquement du médecin à ses obligations dans la réalisation de son diagnostic alors qu'il ne pouvait être exigé du médecin traitant à chaque consultation de multiplier les actes médicaux et précautions pour confirmer ou éliminer un diagnostic ; que dès lors, l'erreur de diagnostic commise par le docteur [A] ne pouvait être considérée comme fautive.

Par déclaration en date du 6 juillet 2018, les ayants-droits de M. [D] [E] ont relevé appel de cette décision à l'encontre de M. [A] et de la Mutualité Sociale Agricole Midi Pyrénées Nord en ce qu'elle a jugé que l'erreur de diagnostic commise par le docteur [A] n'était pas fautive et que sa responsabilité n'était pas engagée et les a consécutivement déboutés de l'ensemble de leurs demandes.

Par arrêt contradictoire en date du 21 mars 2022, rectifié par arrêt du 21 avril 2022, la présente cour d'appel a :

- infirmé le jugement entrepris en ce que le premier juge a dit que l'erreur de diagnostic commise par le docteur [A] n'était pas fautive et que sa responsabilité n'était pas engagée

Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,

- dit que lors de la consultation du [Date décès 6] 2013 le docteur [K] [A] a commis une erreur de diagnostic fautive de nature à engager sa responsabilité, ayant généré pour M. [D] [E] une perte de chance de survie,

Avant dire droit sur l'évaluation de cette perte de chance et l'indemnisation des préjudices allégués,

- ordonné une expertise judiciaire, désignant pour y procéder le docteur [Z] [C], lui donnant notamment pour mission de, compte tenu de l'état général et de l'âge de [D] [E] le [Date décès 6] 2013 au matin et des données de la science de l'époque, déterminer si une prise en charge sur le plan cardiologique de [D] [E] dès le [Date décès 6] 2013 à 10 h aurait permis d'éviter l'issue fatale de la déficience cardiaque survenue le même jour vers 12h, en précisant les diligences qui auraient pu être entreprises raisonnablement dans le contexte d'une consultation en cabinet de médecin généraliste, y compris en urgence, de nature à prévenir, réguler ou éviter la défaillance majeure du muscle cardiaque deux heures plus tard, et statistiquement, dans quelle proportion exprimée en pourcentage, si ces diligences avaient été entreprises immédiatement, elles auraient pu permettre d'éviter le décès,

- sursis à statuer sur le surplus des demandes

- réservé les demandes relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

L'expert a déposé son rapport le 22 août 2022 concluant que la consultation du docteur [A], 2 jours et 4 jours après l'apparition des premiers symptômes n'avait pas permis la prise en charge du syndrome coronarien aigu du fait d'une erreur de diagnostic vers une pathologie rhumatismale ; que si lors de la première consultation, M.[E] ne se plaignait que d'une douleur à l'épaule gauche, ce qui a orienté le médecin vers une pathologie rhumatismale en raison des antécédents de cervicalgies avec arthrose associée bien établis, lors de la 2ème consultation, soit le [Date décès 6] 2013, devant la persistance des douleurs du bras gauche isolées et importantes, non calmées par les antalgiques, chez un patient tabagique de 53 ans, le diagnostic d'un problème cardiologique aurait dû être soulevé et que le patient aurait dû, soit être dirigé vers un service d'urgences cardiologiques, soit bénéficier en urgence d'une prise de sang avec dosage de la troponine et la réalisation d'un électrocardiogramme ; qu'il y avait donc erreur de diagnostic fautive, à l'origine du décès de M.[E]. Retenant une perte de chance de 10% il explique qu'entre la consultation auprès du docteur [A] et la survenue du décès le laps de temps a été très court et que vu ce faible délai horaire, il est peu probable que M.[E] eut pu bénéficier d'une coronographie de revascularisation, seul acte de nature à, peut-être, permettre d'éviter le décès.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans leurs dernières conclusions signifiées le 6 décembre 2022 par voie électronique, Mme [W] [H] épouse [E], agissant en nom personnel, Mmes [X] [E], [M] [Y] épouse [E] et MM. [O], [T], et [P] [E], agissant tant en nom personnel qu'en qualité d'ayants droits de M. [N] [E], appelants, demandent à la cour, au visa des articles 1147 du code civil et L1142-1 de la santé publique, de :

- condamner le Docteur [A] à leur payer la somme de 445 € au titre des frais d'obsèques ;

- condamner le Docteur [A] à leur payer la somme de 900 € au titre de l'assistance par médecin conseil lors de l'expertise judiciaire ;

- condamner le Docteur [A] à leur payer la somme de 54 € au titre des frais de déplacements ;

- condamner le Docteur [A] à payer à Mme [W] [E] la somme de 73.029,49 € en réparation du préjudice économique subi.

- condamner le Docteur [A] à leur payer les sommes suivantes en réparation de leur préjudice d'affection :

- [W] [E] : 3.500 €

- [X] [E] : 2.500 €

- [O] [E] : 2.500 €

- [M] [E] : 2.000 €

- [T] [E] : 1.200 €

- [P] [E] : 1.200 €

- [M] [E], [T] et [P] [E], [X] et [O] [E] venant aux droits de [N] [E], père d'[D] [E] : 2.000 €

- condamner le Docteur [A] à leur payer la somme de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner le Docteur [A] au paiement de tous les dépens comprenant les frais de la procédure de référé et d'expertise médicale.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 9 janvier 2023, la MSA Midi-Pyrénées Nord, intimée et appelante incidente, demande à la cour, au visa de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale, de :

Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées

- réformer la décision dont appel.

- condamner le Docteur [A] à lui régler la somme de 933.57 euros au titre des prestations versées par l'organisme social.

- le condamner à lui verser la somme de 311.19 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'Article L 376-1 du code de la sécurité sociale.

- le condamner à régler la somme de 800,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 5 octobre 2023, M. [A] [K], intimé, demande à la cour, au visa des articles 1147 du code civil et L1142-1 de la santé publique, de :

- fixer la perte de chance de survie de Monsieur [D] [E] à 5 % ;

- évaluer les préjudices des ayants-droits de Monsieur [D] [E] comme suit :

* Préjudices patrimoniaux

Frais d'obsèques : 222,50 €

Frais d'assistance à expertise médicale 45,00 €

Frais de déplacement : 27,00 €

Préjudice économique de Mme [W] [E] 22.817,72 €

* Préjudices extra-patrimoniaux, préjudice d'affection

[W] [E] : 1.250,00 €

[X] [E] : 750,00 €

[O] [E] : 750,00 €

[M] [E] : 1.000,00 €

[T], [P], [X] et [O] [E], ayants-droits de [N] [E] : 1.000, 00 €

[T] [E] : 300,00 €

[P] [E] : 300,00 €

- rejeter toutes demandes plus amples ou contraires à l'encontre du Docteur [K] [A], y compris sur le fondement de l'article 700 ;

- ramener, à défaut, à de plus juste proportions, l'indemnité sollicitée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- statuer enfin ce que de droit sur les dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 octobre 2023.

L'affaire a été examinée à l'audience du 23 octobre 2023.

SUR CE, LA COUR :

1°/ Sur l'importance de la perte de chance de survie

L'erreur de diagnostic fautive de nature à engager la responsabilité du docteur [A] est déjà jugée par l'arrêt mixte du 21 mars 2022. L'existence d'une perte de chance résultant de cette erreur de diagnostic n'est pas discutée, le débat entre les parties se situant uniquement sur le taux de la perte de chance de survie de M.[D] [E] du fait de l'erreur de diagnostic, soit 10 % selon les consorts [E] sur la base des conclusions de l'expert judiciaire, et 5% selon M.[K] [A].

L'expert [C] a clairement retenu que devant l'apparition de douleurs brachiales gauches évoluant depuis plusieurs jours chez un homme tabagique de 53 ans, non calmées par des antalgiques simples, l'hypothèse d'un syndrome coronarien aigu aurait dû être envisagée, et qu'un bilan d'orientation cardiologique aurait dû être réalisé rapidement, le patient ayant dû soit être adressé en service de cardiologie interventionnelle en urgence, soit bénéficier en urgence d'un bilan biologique comprenant la troponine et la réalisation d'un électrocardiogramme.

Il ressort de l'historique médical établi à partir des différents rapports versés au débat, que M.[D] [E] et son épouse se sont présentés le [Date décès 6] 2013 en début de matinée au cabinet du docteur [A] en consultation pour des douleurs persistantes, voire plus importantes malgré les antalgiques pris depuis les 27 et 30 septembre précédents, avec irradiations au bras gauche. Compte tenu de la prescription d'un bilan radiologique par le médecin traitant, M. et Mme [E] ont dû se mettre en quête d'un service d'imagerie médicale acceptant de réaliser en urgence les clichés radiographiques et l'échographie prescrits, et se sont finalement présentés à la clinique [19] vers 10h, le bilan prescrit ayant finalement été entrepris en fin de matinée et M.[D] [E] ayant fait un malaise brutal avec perte de connaissance pendant l'examen échographique en cours à 12h. A cette heure il a pu immédiatement être pris en charge dans l'établissement outre par le radiologue, par deux médecins anesthésistes présents sur site avec massage cardiaque, monitoring cardiaque, intubation, ventilation, injections d'adrénaline, défibrillation cardiaque et chocs électrique le temps que le Samu arrive à 12H30, interventions qui ont permis la récupération électrique pendant uniquement une demi-heure. Il en ressort que si, au moment où M. [D] [E] se trouvait dans son cabinet le [Date décès 6] en début de matinée, le docteur [A] avait, comme il aurait dû le faire, envisagé un syndrome coronarien aigu et prescrit et organisé depuis son cabinet, comme il pouvait le faire, un bilan cardiologique d'urgence, ce qui était envisageable sur l'agglomération toulousaine disposant d'une infrastructure de soins conséquente, environ deux heures auraient été gagnées avant l'intervention de l'infarctus massif survenu, en l'absence de tous soins cardiologiques, à 12 h et ayant entraîné le décès de M.[D] [E]. Au regard de ce contexte, la perte de chance de survie subie par M.[D] [E] des suites de l'erreur de diagnostic du docteur [A] du [Date décès 6] 2016 au matin doit être retenue, comme le préconise l'expert judiciaire, à hauteur de 10%.

2°/ Sur les préjudices indemnisables

A- Sur les préjudices patrimoniaux

A-1 Frais d'obsèques

Les frais d'obsèques exposés par Mme [W] [H] veuve [E] selon factures à son nom produites au débat se sont élevés à 4.450 €.

Compte tenu du taux de perte de chance indemnisable, M. [K] [A] doit être condamné à payer à Mme [W] [H] veuve [E] la somme de 445 € au titre des frais d'obsèques.

A-2 Frais d'assistance à expertise judiciaire

Selon les pièces justificatives produites Mme [W] [H] veuve [E] s'est faite assister lors de la première expertise médicale judiciaire confiée par l'ordonnance de référé du 13 mars 2015 au docteur [I] aux fins d'investigations sur les circonstances du décès de M.[D] [E] et les diligences du docteur [A] par le docteur [N] [G], médecin conseil. Ce dernier a facturé au titre de cette assistance à expertise une somme de 1.800 € Ttc, réglée, selon les écritures des appelants, par Mme [W] [E], la société d'assurance Maif les ayant quant à elle pris en charge à hauteur de 900 € Ttc, soit une somme de 900 € Ttc restée à charge effective de Mme [W] [E].

Ces frais d'assistance à la première expertise judiciaire médicale, cette assistance médicale étant un droit dont la nomenclature dite « Dintilhac » préconise l'indemnisation au titre des frais divers des victimes de dommages corporels, sont en lien direct avec la faute de diagnostic commise par le docteur [A], caractérisant un préjudice financier intégralement indemnisable par le médecin fautif, indépendamment du taux de perte de chance de survie du patient retenu, lequel ne peut s'appliquer qu'aux préjudices découlant directement du décès de M.[D] [E].

En conséquence, M. [K] [A] doit être condamné à payer à Mme [W] [H] veuve [E] la somme de 900 € restée à sa charge effective au titre des frais d'assistance à expertise médicale judiciaire.

A-3 Frais de déplacements pour suivi psychologique

Suite au décès brutal de M.[D] [E], Mme [W] [H] veuve [E] et la fille du couple, [X] [E], ont été suivies psychologiquement par un médecin psychiatre, le docteur [F], sur [Localité 18], ce qui a occasionné à Mme [W] [E] des frais de déplacements dont le principe et le montant à hauteur de 540 € n'est pas contesté.

Compte tenu du taux de perte de chance de survie indemnisable, soit 10%, M. [K] [A] doit être condamné à indemniser Mme [W] [H] veuve [E] de ces frais à hauteur de la somme de 54 €.

A-4 Perte de revenus des proches

Les parties sont d'accord sur le montant de la perte annuelle effective de revenus du foyer subsistant après le décès de M.[D] [E] soit la somme de 20.886,74 € par an.

Mme [W] [H] veuve [E] indique qu'à la date du décès elle avait encore deux enfants à charge, soit [X] et [O] [E], respectivement âgés de 26 et 21 ans pour être nés la première le [Date naissance 1]/1987, le second le [Date naissance 17]/1991. Dans le dispositif des dernières écritures des appelants la demande d'indemnisation du préjudice économique n'est formulée qu'au seul profit de Mme [W] [H] veuve [E], de sorte que la somme de 20.886,74€ représente en conséquence uniquement la perte annuelle de revenus de Mme [W] [H] veuve [E] des suites du décès de son mari.

Cette perte annuelle de revenus doit être capitalisée au moyen de l'euro de rente viagère correspondant à l'âge et au sexe de celui des deux conjoints qui serait normalement décédé le premier, en l'espèce, l'homme qui a une espérance de vie moindre que la femme, M.[D] [E] étant né le [Date naissance 3]/1959 et son épouse [W] [H] étant née le [Date naissance 8]/1958.

M. [D] [E] étant décédé brutalement le [Date décès 6] 2013 à l'âge de 54 ans , la détermination de l'euro de rente viagère s'effectuera à partir des tables de capitalisation 2020 publiées par la Gazette du Palais établies à partir des tables Insee 2014-2016 et d'un taux d'actualisation de 0,00 %, plus adaptées à la date du décès de la victime directe que celles publiées le 31 octobre 2022, établies à partir de tables Insee bien postérieures au décès (2017-2019), ou encore celles de 2018 construites avec les tables Insee 2010-2012 mais un taux d'actualisation de 0,50% qui n'était déjà plus adapté à la situation économique effective début 2014.

Au regard de l'âge de M.[D] [E] à la date de son décès, l'euro de rente viagère à retenir pour calculer la perte du conjoint survivant ressort à 27,426, soit une perte de revenus capitalisée de 572.839,73 € (20.886,74x27,426).

Compte tenu du taux de perte de chance de survie indemnisable, soit 10%, la perte de revenus de Mme [W] [H] veuve [E] indemnisable par le tiers responsable ressort à 57.283,97 €. De cette somme doit néanmoins être déduite celle de 9.258 € représentant le montant du capital décès versé par la Mutualité Sociale Agricole Midi-Pyrénées Nord, organisme social du défunt, selon décompte de prestations produit au débat, prestation de nature indemnitaire, et ce, en application de l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985. Il convient en conséquence de condamner M.[K] [A] à payer à Mme [W] [H] veuve [E] au titre de la perte de revenus subie des suites du décès de son mari, dans la limite de la perte de chance de survie indemnisable, la somme de 48.025,97 €. Il sera en outre condamné à rembourser à la Mutualité Sociale Agricole, laquelle exerce son recours subrogatoire sur ce poste de préjudice conformément aux articles 31 de la loi du 5 juillet 1985 et L 376-1 du code de la sécurité sociale, la somme de 925, 80 € qu'elle sollicite au titre du capital décès dans la limite de la perte de chance indemnisable, et ce outre intérêts au taux légal à compter du 21 novembre 2016, date des conclusions de première instance portant demande en paiement conformément aux dispositions de l'article 1153 ancien devenu 1231-6 du code civil.

A-5 Sur les dépenses de santé actuelles

Selon décompte définitif de prestations arrêté au 26/09/2018, la Mutualité Sociale Agricole a versé au titre des frais médicaux et pharmaceutiques exposés pour le compte de M.[D] [E] la somme de 77,73 € dont elle demande le remboursement au tiers responsable au titre de son recours subrogatoire dans la limite du taux de perte de chance indemnisable. M.[K] [A] ne formule aucune contestation à ce titre.

En conséquence, il convient de condamner M.[K] [A] à rembourser à la Mutualité Sociale Agricole la somme de 7,77 € au titre des dépenses de santé actuelles exposées pour le compte de l'assuré social des suites de l'erreur de diagnostic génératrice de responsabilité, et ce outre intérêts au taux légal à compter du 21 novembre 2016, date des conclusions de première instance portant demande en paiement conformément aux dispositions de l'article 1153 ancien devenu 1231-6 du code civil.

B- Sur les préjudices d'affection

b-1 Mme [W] [H] veuve [E]

Mariée avec le défunt depuis 29 ans, l'indemnisation sur une base de 35.000 € telle que sollicitée par Mme veuve [E] ne présente aucun caractère excessif. Dans la limite de la perte de chance de survie de 10%, M.[K] [A] doit être condamné à payer à Mme [W] [H] veuve [E] en réparation du préjudice d'affection résultant du décès brutal de son époux une indemnité de 3.500 € comme sollicité.

b-2 [X] et [O] [E]

Enfants majeurs du défunt vivant encore au foyer parental à la date du décès brutal de leur père, la base d'indemnisation sollicitée de 25.000 € par enfant ne présente aucun caractère excessif. Dans la limite de la perte de chance de survie de 10%, M.[K] [A] doit être condamné à payer à [X] et [O] [E] la somme de 2.500 € chacun en réparation du préjudice d'affection résultant du décès brutal de leur père.

b-3 Mme [M] [E] et les ayants droits de [N] [E] venant en représentation de ce dernier

Mme [M] [Y] veuve [N] [E] et M.[N] [E], décédé en cours de procédure le [Date décès 10]/2017, sont les parents de [D] [E]. M.[N] [E] est désormais représenté en leurs qualités d'héritiers par sa veuve [M] [Y], ses deux fils survivants, [T] et [P] [E], et ses deux petits-enfants, [X] et [O] [E] par représentation de leur propre père [D] [E] prédécédé.

La base d'indemnisation de 20.000 € sollicitée pour chacun des parents de [D] [E] ne présente aucun caractère excessif.

En conséquence dans la limite de la perte de chance de survie de 10% indemnisable, M.[K] [A] doit être condamné à payer en réparation du préjudice d'affection résultant du décès brutal de [D] [E] à Mme [M] [Y] veuve [N] [E], sa mère, à titre personnel, la somme de 2.000 €, à [M] [Y] veuve [N] [E], [T], [P], [X] et [O] [E] pris ensemble, en leur qualité d'héritiers de [N] [E] décédé le [Date décès 10]/2017, père de [D] [E], la somme de 2.000 € en réparation du préjudice d'affection ayant résulté pour lui du décès brutal de son fils.

b-4 MM. [T] et [P] [E]

Frères de [D] [E], nés respectivement en 1965 et 1969, [T] et [P] [E] sont fondés à solliciter l'indemnisation de leur préjudice d'affection résultant du décès brutal de leur frère alors âgé de 54 ans sur une base d'indemnisation de 12.000 € chacun. En conséquence, dans la limite de la perte de chance de survie de 10% indemnisable, M.[K] [A] doit être condamné à leur payer à chacun en réparation de leur préjudice d'affection la somme de 1.200 €.

C-Sur les intérêts des indemnisations accordées

En application des dispositions de l'article 1153-1 devenu 1231-7 du code civil, les indemnités allouées aux ayants-droits de [D] [E] en réparation de leurs préjudices porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

3°/ Sur l'indemnité forfaitaire réclamée par la Mutualité Sociale Agricole

En application de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale, la Mutualité Sociale Agricole Midi-Pyrénées Nord est en droit de réclamer au tiers responsable une indemnité forfaitaire égale au tiers des sommes dont elle a obtenu le remboursement, soit en l'espèce la somme de 311,19 € (933,57/3). M.[K] [A] doit en conséquence être condamné à lui payer ladite indemnité forfaitaire. Cette indemnité ne fait pas obstacle à l'obtention par ailleurs d'une indemnité au titre des frais irrépétibles.

4°/ Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Partie succombante, M.[K] [A] supportera les dépens de première instance contrairement à ce qu'à retenu le premier juge dont le décision doit être infirmée, en ceux compris les frais du référé ayant donné lieu à l'ordonnance du 13 mars 2015 et les frais de l'expertise médicale du docteur [I], ainsi que les dépens d'appel, en ceux compris les frais de l'expertise médicale du docteur [C]. Il se trouve redevable d'indemnités sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile tant au titre de la procédure de première instance, contrairement à la décision de première instance qui doit être infirmée, que de la procédure d'appel dans les conditions définies au dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Vu l'arrêt de la présente cour du 21 mars 2022 rectifié par arrêt du 21 avril 2022,

Infirme le jugement du tribunal de grande instance d'Albi en date du 24 mai 2018 en ce que le premier juge a débouté les consorts [E] de l'ensemble de leurs demandes, débouté la Mutualité Sociale Agricole Midi-Pyrénées Nord de l'ensemble de ses demandes, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et condamné les consorts [E] aux entiers dépens de l'instance,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que l'erreur de diagnostic fautive imputable à M.[K] [A] a généré pour M.[D] [E] une perte de chance de survie de 10 %

Condamne en conséquence, M.[K] [A] à payer avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt à :

1°/ Mme [W] [H] Veuve [E], les sommes de :

-445 € au titre des frais d'obsèques

-900 € au titre des frais d'assistance à la première expertise judiciaire médicale,

-54 € au titre des frais de déplacement pour suivi psychologique après le décès de son époux,

-48.025,97 € au titre de sa perte de revenus des suites du décès de son époux,

-3.500 € au titre de son préjudice d'affection des suites du décès de son époux,

2°/ Mme [X] et M. [O] [E] la somme de 2.500 € chacun en réparation de leur préjudice d'affection des suites du décès de leur père [D] [E]

3°/ Mme [M] [Y] veuve [N] [E] la somme de 2.000 € en réparation de son préjudice d'affection des suites du décès de son fils [D] [E]

4°/ Mme [M] [Y] veuve [N] [E], MM [T], [P] et [O] [E] et Mme [X] [E], pris ensemble, ès qualités d'héritiers de M.[N] [E], la somme de 2.000 € en réparation du préjudice d'affection subi par ce dernier des suites du décès de son fils [D] [E]

5°/ MM.[T] et [P] [E] la somme de 1.200 € chacun en réparation de leur préjudice d'affection des suites du décès de leur frère [D] [E]

Condamne M.[K] [A] à payer avec intérêts au taux légal à compter du 21 novembre 2016 à la Mutualité Sociale Agricole Midi-Pyrénées Nord, d'une part la somme de 925,80 € au titre du capital décès versé par elle suite au décès de M.[D] [E], d'autre part la somme de 7,77 € au titre des dépenses de santé actuelles exposées pour le compte de son assuré social

Condamne en outre M.[K] [A] à payer à la Mutualité Sociale Agricole Midi-Pyrénées Nord une indemnité forfaitaire de 311,19 € en application de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale

Condamne M.[K] [A] aux dépens de première instance, en ceux compris les frais du référé ayant donné lieu à l'ordonnance du 13 mars 2015 et les frais de l'expertise médicale du docteur [I], ainsi qu'aux dépens d'appel qui comprendront les frais de l'expertise médicale du docteur [C]

Condamne M.[K] [A] à payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile tant au titre de la procédure de première instance que de celle d'appel :

1°/ à Mmes [W] [H] Veuve [E], [M] [Y] veuve [N] [E], [X] [E], et MM.[T], [P] et [O] [E], pris ensemble, une indemnité de 8.000€

2°/ à la Mutualité Sociale Agricole une indemnité de 800 €

Le Greffier Le Président

N. DIABY M. DEFIX

.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 1ere chambre section 1
Numéro d'arrêt : 18/02983
Date de la décision : 26/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-26;18.02983 ?
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