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19/03/2024 | FRANCE | N°18/03801

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 1ere chambre section 1, 19 mars 2024, 18/03801


19/03/2024



ARRÊT N°



N° RG 18/03801

N° Portalis DBVI-V-B7C-MPVI

MD/DG/ND



Décision déférée du 30 Juillet 2018

Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE

16/03980

M. [X]

















[E] [N]

[B] [N]





C/



SA ALLIANZ I.A.R.D



Société CPAM de [Localité 7]



































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CONFIRMATION



















Grosse délivrée



le



à



Me KREMER

Me MONFERRAN

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU DIX NEUF MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE

***



APPELANTS



Monsieur [E] [N]

[Adresse 3]

[Localité 5]



Représenté par Me Chr...

19/03/2024

ARRÊT N°

N° RG 18/03801

N° Portalis DBVI-V-B7C-MPVI

MD/DG/ND

Décision déférée du 30 Juillet 2018

Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE

16/03980

M. [X]

[E] [N]

[B] [N]

C/

SA ALLIANZ I.A.R.D

Société CPAM de [Localité 7]

CONFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

Me KREMER

Me MONFERRAN

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU DIX NEUF MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE

***

APPELANTS

Monsieur [E] [N]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Christoph KREMER, avocat au barreau de TOULOUSE

Madame [B] [N]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Christoph KREMER, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIME

COMPAGNIE ALLIANZ I.A.R.D

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Jacques MONFERRAN de la SCP MONFERRAN-CARRIERE-ESPAGNO, avocat au barreau de TOULOUSE

Représentée par Me Charlotte GUESPIN de la SCP SCP INTERBARREAUX D'AVOCATS GUESPIN ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

INTERVENANT

CPAM de [Localité 7]

[Adresse 4]

[Localité 5]

sans avocat constitué

COMPOSITION DE LA COUR

Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 18 Septembre 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :

M. DEFIX, président

J.C. GARRIGUES, conseiller

A.M. ROBERT, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : N.DIABY

ARRET :

- Réputé contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par M. DEFIX, président, et par N.DIABY, greffier de chambre.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [B] [Z] épouse [N], a présenté, en 1991-1992, une grossesse dont le suivi a été effectué par le docteur [Y], gynécologue obstétricien, exerçant au sein de la Clinique [6].

L'enfant [E] est né le [Date naissance 2] 1992 et, en raison de sa présentation défavorable en occipito-sacrée, le docteur [Y] a procédé à l'extraction de l'enfant à l'aide de spatules de Thierry.

L'utilisation de ces spatules a occasionné un traumatisme à l''il gauche qui a nécessité une prise en charge tout au long de l'enfance. [E] [N], désormais majeur, présente encore, à ce jour, un préjudice ophtalmologique.

La Clinique [6] était assurée auprès de la Compagnie Axa France Iard.

Le docteur [Y] était assuré auprès de la compagnie Allianz.

La Clinique [6] a fait l'objet d'une fusion-absorption par la Clinique [8].

Par ordonnance de référé en date du 18 février 2015, une expertise a été ordonnée et confiée au Docteur [J] [O] qui a mené ses opérations d'expertise en présence de la clinique, de l'assureur de cette dernière et de l'assureur du docteur [Y] décédé en mars 2007, et a fait appel à un sapiteur ophtalmologique en la personne du Docteur [L] [T].

Le rapport définitif a été déposé le 2 juillet 2015.

Par actes d'huissiers de justice des 18 et 23 août et 21 octobre 2016, M. [E] [N] et sa mère [B] [Z] ont fait assigner, la compagnie Allianz, la Sas Clinique [8], la compagnie Axa et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 7] pour obtenir l'indemnisation des préjudices subis par eux à la suite de l'accouchement qui a été pratiqué le 11 juin 1992 à la clinique [6].

Par jugement réputé contradictoire en date du 30 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Toulouse a :

- débouté [E] [N] et [B] [Z] de l'ensemble de leurs demandes,

- condamnés ces derniers aux dépens et à payer à la compagnie Allianz, la Sas [8] et la compagnie Axa la somme de 500 euros chacune,

- déclaré le jugement commun à la Caisse.

Pour statuer ainsi, le tribunal a notamment considéré que les experts qui sont intervenus ont constaté que la présentation défavorable de l'enfant justifiait l'emploi des spatules et que l'atteinte à la cornée du foetus était une complication rare mais classique dans cette opération. Il en résulte qu'aucun élément médical ne confirme la brusquerie et la rapidité excessive que les demandeurs reprochent au médecin, ni l'obligation de recourir à une césarienne et qu'en conséquence aucune faute n'est établie ni à l'encontre du médecin, ni de la clinique.

Les demandeurs ont donc été déboutés de l'ensemble de leurs prétentions.

Par déclaration en date du 30 août 2018, M. [E] [N] et

Mme [B] [N] ont interjeté appel de ce jugement en ce qu'il les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnés aux dépens et à payer à la compagnie Allianz la somme de 500 euros. La compagnie Allianz, assureur du docteur [Y], est la seule partie intimée par les appelants.

Par acte d'huissier du 25 février 2022, M. [E] [N] et Mme [B] [Z] ont fait assigner en intervention forcée la Cpam de [Localité 7].

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 19 août 2023,

M. [E] [N] et Mme [B] [N], appelants, au visa de l'article 1147 du code civil et 145 et suivants du code de procédure civile, demandent à la cour de :

Avant dire droit,

- ordonner une contre-expertise judiciaire et mandater un nouvel expert judiciaire qui plaira à la cour d'appel ;

- donner mission à l'expert de :

* se faire communiquer tous documents utiles, y compris le cas échéant le dossier médical auprès de tout tiers détenteur ;

* à partir des déclarations de la victime, au besoin de ses proches et de tout sachant,

des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités de traitement, en précisant le cas échéant, les durées exactes d'hospitalisation, et pour chaque

période d'hospitalisation, le nom de l'établissement, les services concernés et la nature des

soins ;

* recueillir les doléances de la victime et au besoin de ses proches ; l'interroger sur les

conditions d'apparition des lésions, l'importance des douleurs, la gêne fonctionnelle subie et

leurs conséquences ;

* procéder, en présence des médecins mandatés par les parties avec l'assentiment de la victime, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances

exprimées par la victime ;

* à l'issue de cet examen, analyser dans un exposé précis et synthétique, la réalité des

lésions initiales, la réalité de l'état séquellaire et l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales en précisant au besoin l'incidence d'un état antérieur ;

* dire si les lésions initiales sont dues à une faute professionnelle, à un traitement

médical qui n'a pas été fait selon les données acquises de la science à la date des faits ;

* déficit fonctionnel temporaire : indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire dans l'incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles et en cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée ;

* fixer la date de consolidation et, en l'absence de consolidation, dire à quelle date il

conviendra de revoir la victime ; préciser, lorsque cela est possible, les dommages prévisibles

pour l'évaluation d'une éventuelle provision ;

* dépenses de santé futures : décrire les soins futurs et les aides techniques compensatoires au handicap de la victime (prothèses, appareillages spécifiques, véhicule) en précisant la fréquence de leur renouvellement

* pertes de gains professionnels futurs : indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si le déficit fonctionnel permanent entraîne l'obligation pour la victime de cesser totalement ou partiellement son activité professionnellement ou de changer d'activité

professionnelle ;

* incidence professionnelle : indiquer notamment, au vu des justificatifs produits, si le déficit fonctionnel permanent entraîne d'autres répercussions sur son activité professionnelle actuelle ou future (obligation de formation pour un reclassement professionnel, pénibilité accrue dans son activité, « dévalorisation » sur le marché du travail, etc.) ;

* souffrances endurées : décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subies pendant la maladie traumatique (avant consolidation) et les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7;

* préjudice esthétique temporaire et/ou définitif : donner un avis sur l'existence, la nature ou l'importance du préjudice esthétique, en distinguant éventuellement le préjudice temporaire et le préjudice définitif. Evaluer distinctement les préjudices temporaire et définitif sur une échelle de 1 à 7;

* préjudice d'agrément : indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si la victime est empêchée en tout ou partie de se livrer à ces activités spécifiques de sport ou de loisir ;

* préjudice permanents exceptionnels : dire si la victime subit des préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents ;

* dire si l'état de la victime est susceptible de modification en aggravation ;

* établir un état récapitulatif de l'ensemble des postes énumérés dans la mission;

- fixer la provision à verser à l'expert pour l'expertise dans le délai qu'il plaira à la cour de préciser ;

- indiquer le délai dans lequel, sauf prorogation dûment sollicitée en temps utile, l'expert devra déposer son rapport ;

En tout état de cause,

- reformer la décision dont appel ;

- rejeter toutes conclusions contraires comme injustifiées ou en tout cas mal fondées ;

- 'dire et juger' que le Docteur [Y] a commis une faute consécutive à une utilisation inappropriée des spatules de Thierry lors de la naissance de [E] [N] ;

- 'dire et juger' que le Docteur [Y] est responsable des préjudices consécutifs aux blessures présentées par l'enfant [E] [N], à sa naissance, et aux séquelles aujourd'hui définitives ;

- condamner la Sa Allianz à régler à [E] [N] la somme de 45.000 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire ;

- condamner la Sa Allianz à régler à [E] [N] la somme de 6.000 euros au titre des souffrances endurées ;

- condamner la Sa Allianz à régler à [E] [N] la somme de 71.500 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent ;

- condamner la Sa Allianz à régler à [E] [N] la somme de 3.000 euros au titre du préjudice esthétique ;

- condamner la Sa Allianz à régler à [E] [N] la somme de 20.000 euros au titre de son préjudice d'agrément ;

- condamner la Sa Allianz à régler à [E] [N] en viager les frais médicaux futurs dont mémoire ;

- condamner la Sa Allianz à régler à Mme [B] [Z] la somme de 20.000 euros au titre de son préjudice d'affection ;

- condamner la Sa Allianz à la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Les appelants considèrent qu'au regard de la position de l'enfant au moment de sa naissance et compte tenu des risques, le docteur [Y] aurait dû pratiquer une césarienne, ce qui aurait évité les séquelles.

Se prévalant d'un avis technique rendu par le Docteur [D] [P] le 17 décembre 2018 présenté comme un élément nouveau, ils sollicitent une nouvelle expertise médicale au vu de l'aggravation de l'état de santé de M. [N] qui a développé un ulcère à son 'il gauche, susceptible de mener à la perte de cet 'il.

Soutenant que la rentrée à la clinique, non pour des contractions utérines mais pour un déclenchement qui n'était justifié par aucune raison médicale, si ce n'est les souvenirs de

Mme [N], pour convenance personnelle de l'obstétricien 'qui partait en vacances', les appelants affirment qu'à 4 h 45 du matin, 'il semblerait' que le Docteur [Y] ait réalisé l'extraction de l'enfant par application de spatules alors que la patiente n'était pas à dilatation complète, que la présentation 'n'est peut-être pas' engagée, et qu'elle est mal orientée en occipito-sacrée. Ils ont présenté tous ces éléments comme caractérisant une contre-indication à une extraction par voie basse et devant conduire soit à une situation d'attente pour laisser spontanément tourner la tête, pour laisser spontanément le col se dilater et laisser spontanément la tête s'engager, soit à la réalisation d'une césarienne qui pouvait être indiquée du fait de la stagnation à 9 cm de la présentation ou de la durée du travail. Ils affirment qu'il avait été administré à la parturiente un médicament visant à accélérer les contractions.

Les appelants considèrent que les conclusions du rapport qui a été déposé sont biaisées au motif qu'il ne prend pas en compte des éléments essentiels qui se trouvaient dans le dossier médical et qui sont communiquées au soutien de leur action. En tout état de cause, ils soutiennent qu'en ayant eu recours de manière précipitée aux spatules de Thierry alors que la position du f'tus rendait plus indiqué le recours à une césarienne, l'obstétricien a commis une faute, ajoutant par ailleurs que ce cas n'était pas isolé en affirmant que le Docteur [Y] a été condamné 'post-mortem' par la Cour d'appel de Toulouse le 14 janvier 2013 pour un cas similaire.

Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 12 septembre 2022, La compagnie Allianz Iard, intimée, au visa des articles 1315 du code civil et 9, 15 et 16 du code de procédure civile, demande à la cour de :

- juger que M. [N] ne verse aucune pièce aux débats permettant de justifier du bien fondé de ses demandes,

- débouter par suite M. [N] de l'ensemble de ses prétentions.

En tout état de cause,

Pour mémoire,

- juger que l'indemnisation du préjudice de M. [N] ne saurait se faire au-delà

des sommes suivantes :

* déficit fonctionnel temporaire ''''''''' 45.000,00 euros

* souffrances endurées ''''''''''''.. 3.500,00 euros

* déficit fonctionnel permanent ''''''''' 53.750,00 euros

* préjudice esthétique ''''''''''''' 1.000,00 euros

* préjudice d'agrément''''''''''''... 5.000,00 euros

- débouter M. [N] de ses demandes au titre des frais futurs qu'il ne justifie pas ni dans leur principe, ni dans leur quantum,

- débouter Mme [Z] de sa demande au titre de son préjudice d'affection,

- juger en tout état de cause que celui ne saurait être indemnisé au-delà d'une somme de 3.500,00 euros,

- débouter M. [N] et Mme [Z] de toutes demandes plus amples ou contraires à son encontre,

- débouter M. [N] et Mme [Z] de leurs demandes au titre des frais irrépétibles,

- condamner M. [N] et Mme [Z] à verser à la compagnie Allianz la somme de 3.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile afin de tenir également compte de l'incident dont ils se sont finalement désistés,

- condamner M. [N] et Mme [Z] aux dépens de l'instance.

Rappelant que le régime de la responsabilité médicale recherchée par les appelants est celui de la responsabilité pour faute prouvée, la compagnie Allianz a opposé les constatations et conclusions du rapport d'expertise judiciaire faisant état d'une entrée à la Clinique [6] pour des contractions utérines régulières et douloureuses et qu'au moment de l'accouchement, l'enfant avait une présentation défavorable puisque les experts ont confirmé qu'il arrivait en occipito-sacrée et que le docteur [Y] avait, selon des conclusions claires des experts, eu recours de manière justifiée à l'extraction instrumentale qui est indiquée chez une primipare dont le f'tus était en présentation défavorable (occipito-sacrée).

La compagnie Allianz ajoute que les faits ayant donné lieu à une autre affaire soumise en 2013 à la cour d'appel sont sans aucun rapport direct avec la présente espèce et que l'avis médical du docteur [P] sans avoir eu connaissance du dossier médical entre en contradiction avec le rapport d'expertise judiciaire. Elle s'est opposée à la demande de nouvelle expertise en raison de la défaillance des appelants dans l'administration de la preuve à laquelle une telle demande ne peut pallier.

Sur la liquidation du préjudice, la compagnie Allianz soulève l'irrecevabilité de la demande de la liquidation de son préjudice au motif que les appelants ne versent pas aux débats la créance définitive de l'organisme social dont il dépend quel que soit les difficultés pour retrouver les références de l'affiliation. Il a en tout état de cause discuté les poste de préjudice allégué.

La CPAM de [Localité 7] n'a pas constituée avocat. L'assignation d'appel en cause lui a été signifiée le 25 février 2022 par remise à personne habilitée à la recevoir.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 septembre 2023. L'affaire a été examinée à l'audience du 18 septembre 2023.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

1. Il sera rappelé à titre liminaire que les faits à l'origine de l'action en responsabilité médicale engagée par les consorts [N] sont survenus le 11 juin 1992.

Sur le fondement de l'article 1147 du code civil en vigueur à la date des faits, un contrat de soins se forme entre les patients et les professionnels de santé, et ces derniers ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute étant précisé que les soins reçus par le patient avant, pendant et après l'intervention doivent être adaptés à son état et conformes aux données de la science médicale. Ce contrat médical comporte à la charge du médecin une obligation de moyens et la responsabilité médicale est une responsabilité contractuelle pour faute prouvée.

L'atteinte, par un chirurgien, à un organe ou une partie du corps du patient que son intervention n'impliquait pas, est fautive en l'absence de preuve, qui lui incombe, d'une anomalie rendant l'atteinte inévitable ou de la survenance d'un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relèverait de l'aléa thérapeutique.

2. En l'espèce et selon les éléments non discutés du dossier, le 11 juin 1992 le docteur [J] [Y], gynécologue en service à la clinique [6], a procédé à l'extraction instrumentale après 10 mn d'efforts expulsifs, de l'enfant [E] [N]. Sa mère, Mme [B] [Z], alors épouse [N], était entrée dans l'établissement le 9 juin 1992.

L'expert judiciaire note que le docteur [Y] a procédé le lendemain à 8 heures à un déclenchement du travail par perfusion de Syntocinon® et prévu une analgésie péridurale. Il est également noté que le 11 juin 1992, à 4 heures, Mme [N] présentait une dilatation complète (10 cm de dilatation), l'expert indiquant 'Le travail a donc été rapide'. À 4 h 20, la patiente a été amenée au bloc chirurgical pour débuter les efforts expulsifs. L'enfant est né à 4 heures 45 et il est relevé par l'expert que 'la présentation du mobile foetal est défavorable puisqu'il s'agit d'une occipito-sacrée. Une épisiotomie a été nécessaire'.

Le docteur [I] [K], ophtalmologue, a écrit le 15 juin 1992 qu' 'à l'examen on pouvait noter une écchymose de la région temporale et frontale ainsi que de la région orbitaire gauche, une exophtalmie modérée sans lagophtalmie. L'oculo-motricité semblait bonne dans toutes les directions. À l'examen des globes oculaires on pouvait noter à gauche un oedème cornéen central ; le réflexe oculo-modeur était bon des deux côtés. Je pense qu'il faut reporter l'ensemble de ce problème à un hématome par traumatisme orbitaire contusif lié à l'accouchement'.

Le suivi ophtalmologique de l'enfant a relevé la persistance d'une vergeture de la Desceme qui intéresse la région para-centale temporale de la pupille dont il était attendu une cicatrisation la plus fine possible. Toutefois, une diminution fonctionnelle sévère de l'acuité visuelle de cet oeil gauche, bien traitée ainsi que le relève le sapiteur opthalmologue, a entraîné une photophobie importante et invalidante et une absence de développement de la vision binoculaire, pertubatrice dans les environnements mouvants et expliquant une gène relative d'appréciation des reliefs et des profondeurs par l'absence de la vision stéréoscopique.

Il est ainsi expliqué, sans aucun antécédent familial, l'apparition combinée d'un astigmatisme et d'une myopie obligeant à un appareillage optique permanent à renouveler avec un certain degré de fragilité oculaire tout au long de la vie.

L'imputabilité de cet état à l'extraction instrumentale de l'enfant pratiquée par le docteur [Y] est confirmée par l'expert judiciaire et cette conclusion n'est pas contestée.

3. Le rapport de l'expertise judiciaire est seulement discuté dans ses conclusions tendant à considérer qu' 'il s'agit d'un accident non fautif et non prévisible, un aléa thérapeuthique'.

L'expert conclut en effet que 'L'extraction instrumentale du f'tus de

Madame [N] par le Docteur [Y] était indiquée. La présentation défavorable du mobile f'tal (occipito-sacrée) a rendu cette extraction difficile. La lésion cornéenne du f'tus est une complication rare, mais classique et décrite depuis longtemps' ajoutant que les 'soins prodigués par le Docteur [Y] ont été attentifs, consciencieux, diligents et conformes aux données acquises de la Science Médicale à l'époque des faits. En particulier, le Docteur [Y] était présent dans la maternité pendant toute la durée du travail de Madame [N].

Il n'y a pas eu de faute de fonctionnement ou d'organisation de l'ancienne Clinique [6]'.

Dans les réponses aux dires, l'expert précise que les dernières biométries, notamment celles du 21 mai 1992 étaient 'en faveur d'un gros enfant puisque le diamètre bipariétal était à 95 mm soit légèrement au dessus du 95ème percentile. Cependant, même avec un bassin 'pas suffisamment large' et en présentation céphalique, il n'y avait pas d'indication d'effectuer une césarienne avant tout début de travail. Il s'agissait simplement d'une 'épreuve de travail'avec une indication de césarienne en cours de travail en l'absence d'engagement de la tête foetale. Or le partogramme nous montre que la tête était engagée (donc avait dépassé le détroit supérieur qui est le passage le plus étroit) lors de la mise en place des spatules de Thierry.

La difficulté d'extraction instrumentale est due à la position défavorable du foetus (présentation occipito-sacrée) et non au bassin ou au volume foetal. D'ailleurs le nouveau-né n'était pas macrosome (3800g) puisqu'il pesait moins de 4 000 g).

4. Pour contester ces conclusions, les appelants produisent un document intitulé 'notes sur le dossier [N] contre [Y]', daté du 17 décembre 2018 et établi non contradictoirement par le docteur [D] [P], chirurgien gynécologue, ancien expert près la cour d'appel de Toulouse, qui conclut ainsi son avis : 'La seule question est de savoir si la réalisation de cet accouchement a été faite selon les données acquises de la science à la date des faits. La réponse, contrairement au rapport d'expertise réalisé par le Docteur [O] et [T], est à l'évidence négative. Cela justifie la demande de contre-expertise. À cette occasion, il sera souhaitable que Monsieur [E] [N] et Mme [N] [B] se fassent accompagner par un médecin conseil ou un avocat conseil pour permettre l'équité dans le cadre de l'analyse du dossier médical'.

Il sera tout d'abord relevé que le rapport déposé par le docteur [J] [O], gynécologue-obstétricien au Centre Hospitalier Universitaire de Toulouse et expert près la cour d'appel de Toulouse, a été déposé suite à des opérations d'expertise en présence des demandeurs à l'expertise judiciaire sans qu'il soit établi que l'absence à leurs côtés de leur avocat ou d'un médecin conseil, ait objectivement nui à l'équité de l'analyse par l'expert judiciaire des pièces du dossier médical mis à sa disposition plus de vingt ans après les faits et décrit par ce dernier comme étant 'succinctes et incomplètes' dans le contexte de la fermeture de l'ancienne clinique [6] et du décès du chirurgien. Il est par ailleurs allégué dans la note du docteur [P], sur la seule affirmation de Mme [N], un tutoiement entre l'expert et les médecins conseil des assureurs sans démontrer un quelconque manquement de l'expert judiciaire dans ses obligations déontologiques, le seul fait rapporté par Mme [N] qu'un des médecins-conseils, dont le nom n'est pas cité et qui n'avait en tout état de cause aucune mission judiciaire, aurait indiqué qu' 'il est là pour défendre la mémoire du docteur [Y]' est à cet égard sans portée probante sur une prétendue partialité de l'expert, suggérée plus qu'affirmée par cet ancien expert judiciaire unilatéralement désigné par les plaignants.

Ensuite, le docteur [P] s'exprime avec des formules dubitatives en évoquant un doute sur la position des spatules et l'engagement de la présentation, considérant par ailleurs que l'absence d'horodatage du monitoring était sans conséquence dès lors que les éléments du dossier médical sont tout à fait suffisants pour analyser le suivi du travail.

Une contre-expertise n'apportera pas d'éléments supplémentaires quant à la documentation de l'accouchement.

Sur le fond, il est affirmé que l'enfant en présentation occipito-sacrée, 'sans doute avec une rotation puisqu'il est dit que l'enfant est plus tard en présentation occipito-pubienne : ceci consiste à faire tourner la tête de l'enfant pour amener l'occiput d'arrière (en face du sacrum) vers l'avant (en face du pubis)'. Le docteur [P], ayant précisé que l'application de spatules s'étant faite à 9 cm de dilatation 'c'est à dire pas à dilatation complète, ce qui n'est pas conforme aux données de la science obstétricale au moment des faits' ajoute : 'on peut s'interroger sur le fait de savoir si la présentation était engagée puisque la dernière évaluation de cette présentation notait qu'elle était au détroit supérieur. Sil la présentation n'était pas engagée, il s'agirait également d'un extraction par spatules non conforme aux données de la science obstétricale à l'époque des faits'.

5. La cour constate que le docteur [P] indique s'être prononcé en lecture du rapport d'expertise du docteur [O] mais ne précise nullement sur quelles pièces du dossier médical que l'expert judiciaire a eu en main, ce dernier aurait indiqué de manière erronée que Mme [N] était à dilatation complète (10 cm de dilatation) le 11 juin 1992 à 4 heures et non comme le prétend le rédacteur de l'avis avançant une mesure de 9 cm.

Le docteur [P] affirme certes qu'il n'était à aucun moment noté que la parturiente présentait des contractations préalables au déclenchement ce qui n'apparaît pas contredit par l'examen d'entrée établi le 9 juin 1992 à 21 h 45 et qui ne porte aucune mention autre qu'un '/' à la question relative aux contractions utérines mais mentionne au 'V. Pronostic et conduite à tenir éventuelle' l'affirmation suivante : 'Déclenchement le 10/06/93 à 8 h'. Le dossier médical dont M. [E] [N] a eu copie n'apparaît pas intégralement produit au dossier et les pièces extraites et figurant sans ordre au dossier des appelants ne permettent pas de contredire les constatations de l'expert sur l'essentiel de la question médicale qui importe à la détermination de l'existence ou non d'une faute du chirurgien.

En effet, il n'est allégué en l'espèce aucune contre indication à un déclenchement artificiel comme cela apparaît avoir été le cas quel qu'en soit le motif ni aucun manquement dans l'emploi et le dosage de l'ocytocine chez Mme [N], primipare, qui avait des membranes intactes pas plus dans la surveillance de la fréquence cardiaque et de la contractilité utérine.

Le recours à une césarienne n'est pas moins exempt de complications pour le nouveau né que l'usage des spatules de Thierry et l'emploi de ces techniques doit être examiné au regard des indications issues du monitoring et des constatations faites par le praticien sur la présentation de l'enfant. Les rares pièces médicales produites au dossier des appelants ne permettent pas de mettre en doute l'analyse de l'expert judiciaire qui l'a conduit à conclure que l'extraction instrumentale était indiquée en présence d'une dilatation complète et en raison de la présentation défavorable en occipito-sacrée ayant par ailleurs rendu nécessaire une épisiotomie qui est une incision du périnée au cours de l'accouchement pour faciliter la sortie de l'enfant.

Il convient de relever que, sans être contredit, l'expert judiciaire a constaté que la patiente a été amenée à 4 h 20 au bloc chirurgical pour débuter les efforts expulsifs et que l'enfant est né à 4 h 45 grâce à cette extraction instrumentale après 10 mn d'efforts expulsifs de sorte qu'il ne peut être déduit de ces constatations une manipulation longue et inadaptée qui aurait justifié le recours à une césarienne. La rotation de la tête foetale même faite à l'aide d'un instrument n'est pas présentée comme un geste inhabituel face à une présentation occipito-sacrée ni contraire aux données de la science tant à la date de l'accouchement que d'ailleurs à ce jour en l'état des mentions figurant sur le partogramme qui ne précise pas la hauteur de présentation seulement décrite au 'détroit supérieur' du bassin.

Le docteur [P] ne décrit aucune mauvaise manipulation des spatules par le docteur [Y] ni ne se prononce sur le fait que la lésion cornéenne du foetus est une 'complication rare' (11 cas de lésions oculaires sur 70 000 accouchements en 20 ans

(1984 - 2004) dans une maternité française de niveau 3) 'mais classique et décrite depuis longtemps', l'expert judiciaire se fondant sur des études dont il cite les références.

L'existence d'une action en responsabilité médicale intentée contre l'assureur du docteur [Y] pour l'indemnisation des dommages subis par un enfant extrait avec l'aide des spatules de thierry douze ans plus tard ne peut en soi contredire le rapport d'expertise judiciaire dès lors que le contexte était différent à la lecture de l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse rendu le

14 janvier 2013 et produit au dossier par les appelants. Il résulte des éléments rapportés dans cette décision que le médecin s'était repris à deux fois pour mettre en place les spatules, avait fait une tentative infructueuse de rotation et a décidé d'extraire en traction directe en occipito-sacrée par voie basse en raison de la survenue d'une bradycardie foetale, cette décision caractérisant une mauvaise appréciation de la situation alors qu'une césarienne était en l'espèce indiquée. Cet arrêt ne peut donc servir pour apprécier le geste obstétrical effectué par le docteur [Y] à l'occasion de l'accouchement de Mme [N].

6. Il suit du tout que les modalités de l'intervention choisies par le docteur [Y], rendues nécessaires par les données de l'engagement du foetus et proportionnées aux risques encourus, tout comme leur mise en oeuvre n'ont pas été fautifs au regard des données actuelles de la science, le recours à une nouvelle mesure d'instruction s'avérant inutile au regard des constatations qui précèdent.

La demande de contre-expertise sera donc rejetée et le jugement querellé ayant débouté M. [E] [N] et Mme [B] [Z] de l'ensemble de leurs demandes de condamnation sera confirmé en toutes ses dispositions.

7. Parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, ces derniers seront tenus aux dépens d'appel.

8. Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la Sa Allianz France iard les frais non compris dans les dépens qu'elle a pu exposer en appel. Elle sera déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant, dans la limite de sa saisine, publiquement, par décision réputée contradictoire et en dernier ressort,

Rejette la demande de nouvelle expertise formée par M. [E] [N] et Mme [B] [Z].

Confirme le jugement du 30 juillet 2018 rendu par le tribunal judiciaire de Toulouse en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

Condamne M. [E] [N] et Mme [B] [Z] aux dépens d'appel.

Déboute la Sa Allianz France iard de sa demande présentée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.

Le Greffier Le Président

N. DIABY M. DEFIX.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 1ere chambre section 1
Numéro d'arrêt : 18/03801
Date de la décision : 19/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-19;18.03801 ?
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