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12/03/2024 | FRANCE | N°21/03246

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 1ere chambre section 1, 12 mars 2024, 21/03246


12/03/2024



ARRÊT N°



N° RG 21/03246

N° Portalis DBVI-V-B7F-OJIQ

MD/ EJ/ ND



Décision déférée du 07 Juin 2021

TJ de TOULOUSE - 19/03948

M. [N]

















[Y] [Z]

[V] [U]

[S] [X]





C/



S.E.L.A.R.L. PRICENS



[F] [C] [M]



































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Grosse délivrée



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à



Me ROUX

Me TOORAWA

Me THEVENOT

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU DOUZE MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE

***



APPELANTS



Monsieur [Y] [Z]

[Adresse 5]

[Localité 6] ' GABON



Représenté par Me Corinne ROUX de l'ASSOCIATION ASSOCIA...

12/03/2024

ARRÊT N°

N° RG 21/03246

N° Portalis DBVI-V-B7F-OJIQ

MD/ EJ/ ND

Décision déférée du 07 Juin 2021

TJ de TOULOUSE - 19/03948

M. [N]

[Y] [Z]

[V] [U]

[S] [X]

C/

S.E.L.A.R.L. PRICENS

[F] [C] [M]

Infirmation

Grosse délivrée

le

à

Me ROUX

Me TOORAWA

Me THEVENOT

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU DOUZE MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE

***

APPELANTS

Monsieur [Y] [Z]

[Adresse 5]

[Localité 6] ' GABON

Représenté par Me Corinne ROUX de l'ASSOCIATION ASSOCIATION ROUX PIQUOT-JOLY, avocat au barreau de VERSAILLES

Représenté par Me Kauser TOORAWA, avocat au barreau de TOULOUSE

Monsieur [V] [U]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représenté par Me Corinne ROUX de l'ASSOCIATION ASSOCIATION ROUX PIQUOT-JOLY, avocat au barreau de VERSAILLES

Représenté par Me Kauser TOORAWA, avocat au barreau de TOULOUSE

Monsieur [S] [X]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Corinne ROUX de l'ASSOCIATION ASSOCIATION ROUX PIQUOT-JOLY, avocat au barreau de VERSAILLES

Représenté par Me Kauser TOORAWA, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

S.E.L.A.R.L. PRICENS

[Adresse 7]

[Localité 8]

Représentée par Me Olivier THEVENOT de la SELARL THEVENOT MAYS BOSSON, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 27 Novembre 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :

M. DEFIX, président

C. ROUGER, conseiller

S. LECLERCQ, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : N.DIABY

ARRET :

- Contradictoire

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- Signé par M. DEFIX, président, et par N.DIABY, greffier de chambre.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Évoquant un projet d'acquérir d'une société 'Gsi Sécurité Groupe Sud Intervention Sécurité' des parts détenues au sein de la société Communication & Tracking Services (CTS), MM. [Y] [Z], [V] [U] et [S] [X] ont soutenu avoir été à cette fin en pourparlers avec M. [F] [M] et avoir déposé sur un compte Carpa des fonds entre les mains du conseil de ce dernier, la Selarl Pricens, avocats à Toulouse, que cette dernière a libérés alors qu'ils n'auraient jamais donné pouvoir à M. [M] pour les représenter à l'acte de cession signé le 8 juillet 2016.

Par courriers des 13 et 14 novembre 2018, MM. [Z] et [U] ont mis en demeure la Salarl Pricens de leur restituer les fonds déposés sur ce compte Carpa.

Le litige ayant été porté devant le bâtonnier de l'ordre des avocats de Toulouse, la Selarl Pricens a expliqué à cette occasion que M. [M] lui avait certifié être en possession des pouvoirs des acquéreurs des parts, avoir régularisé un acte de cession et libéré les fonds détenus en soutenant, pour expliquer le refus de restitution, qu'en raison de leur implication dans une opération de sécurité en République Démocratique du Congo, le paiement d'une somme significative sur le compte Carpa et la manifestation claire et non équivoque de leur engagement qu'elle n'avait aucune raison de mettre en doute, MM. [Z], [U] et [X] s'étaient valablement portés acquéreurs des parts litigieuses auxquelles ils n'auraient renoncé qu'à la suite de l'échec du projet congolais.

La société CTS ayant été déclarée en liquidation judiciaire le 15 juillet 2018 par le tribunal de commerce de Toulouse, MM. [Y] [Z], [V] [U] et [S] [X] ont fait assigner la Selarl Pricens devant le tribunal de grande instance de Toulouse, par acte d'huissier du 6 novembre 2019 aux fins de voir engager sa responsabilité et obtenir la restitution des sommes versées.

Par acte d'huissier du 23 juillet 2020, la Selarl Pricens a fait assigner M. [D] [M] en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées.

Suivant jugement du 7 juin 2021, le tribunal judiciaire de Toulouse a débouté MM. [A] [Z], [V] [U] et [S] [X] de l'ensemble de leurs demandes et a condamné ces derniers in solidum aux dépens, disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré après avoir rappelé l'obligation de vigilance sur la réalité du mandat qui pesait sur la Selarl Pricens, que cette dernière avait bien commis une faute mais qu'il était indéniable que les demandeurs avaient volontairement versé les fonds sur un compte dédié dans le but d'acquérir les parts sociales litigieuses de sorte que les mandats, 'apparents ou non' ont été ratifiés. Le tribunal a ajouté, au regard du contexte dans lequel s'opéraient les transferts de fonds et notamment de l'urgence de la cession, le stade des négociations précontractuelles était dépassé.

Il a aussi jugé que les demandeurs ne rapportaient pas la preuve que s'ils avaient eu connaissance du jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 24 mars 2016 ayant arrêté un plan de redressement de la société CTS, ils n'auraient pas effectués les virements.

- : - : - : - : -

Le 19 juillet 2021, MM. [Y] [Z], [V] [U] et [S] [X] ont interjeté appel de ce jugement en intimant la Selarl Pricens.

Par acte d'huissier du 16 décembre 2021, la Selarl Pricens a fait signifier à M. [F] [M] une assignation aux fins, selon les termes employés par cet acte, d'appel provoqué aux fins de la relever et garantir des condamnations qui seraient mises à sa charge dans l'hypothèse d'une réformation du jugement.

- : - : - : - : -

Suivant conclusions d'incident déposées le 16 mars 2022 et reprises par celles du

7 septembre 2022 devant le conseiller de la mise en l'état, M. [F] [M] a soulevé 'l'irrecevabilité de la demande d'appel en garantie formulée par la Selarl Pricens' à son égard par assignation d'appel provoqué et sollicité la condamnation de la Selarl Pricens à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par une ordonnance du 10 novembre 2022, le juge de la mise en état de la cour d'appel de Toulouse a :

- reçu la demande formée par M. [F] [M] aux fins de voir prononcer l'irrecevabilité de l'appel provoqué formé à son endroit.

- prononcé l'irrecevabilité de l'appel provoqué formé à l'endroit de M. [F] [M] par la Selarl Pricens par assignation du 16 décembre 2021

- condamné la Selarl Pricens aux dépens de l'incident.

- débouté M. [F] [M] et la Selarl Pricens de leurs demandes respectives, présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- rappelé que l'affaire sera rappelée à l'audience de mise en état du 12 janvier 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 24 janvier 2022, M. [Y] [Z], M. [V] [U] et M. [S] [X], appelants, demandent à la cour, au visa des articles 1240, 1956 et 1932 du code civil, de :

- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel,

- infirmer le jugement dont appel,

Statuant à nouveau :

- 'dire et juger' que la Selarl Pricens a manqué à ses obligations professionnelles en faisant régulariser un acte de cession sans vérifier ni le consentement des cessionnaires, ni le pouvoir du signataire et en se dessaisissant de fonds consignés sur son compte CARPA, sans autorisation spéciale et écrite, ni même information des intéressés.

- 'dire et juger' que la Selarl Pricens a manqué, à leur égard, à son obligation de diligence, d'information et de conseil.

- 'dire et juger' que Selarl Pricens a engagé sa responsabilité professionnelle à leur égard

- condamner la Selarl Pricens à verser à M. [Y] [Z] les sommes de :

- 14 345,06 euros, à titre de restitution des sommes déposées entre ses mains, subsidiairement, de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier, et, très subsidiairement, à hauteur de 99,9%, au titre de la perte de chance de les recouvrer,

- 5 000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

- 5 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- 'dire et juger' que la somme de 14 345,06 euros portera intérêts au taux légal à compter de la sommation du 28 juin 2019.

- condamner la Selarl Pricens à verser à M. [V] [U] les sommes de :

- 1 273,50 euros, à titre de restitution des sommes déposées entre ses mains,

subsidiairement, de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier,

et, très subsidiairement, à hauteur de 99,9%, au titre de la perte de chance de les recouvrer,

- 5 000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

- 5 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- 'dire et juger' que la somme de 1 273,50 euros portera intérêts au taux légal à compter de la

sommation du 28 juin 2019.

- condamner la Selarl Pricens à verser à M. [S] [X] les sommes de :

- 1 273,50 euros, à titre de restitution des sommes déposées entre ses mains, subsidiairement, de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier, et, très subsidiairement, à hauteur de 99,9%, au titre de la perte de chance de les recouvrer,

- 5 000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

- 5 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- 'dire et juger' que la somme de 1 273,50 euros portera intérêts au taux légal à compter de la

sommation du 28 juin 2019.

- condamner la Selarl Pricens aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maitre Caroline Achard, avocat aux offres de droit, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 13 décembre 2021, la Selarl Pricens, intimée, demande à la cour, de :

Au principal,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

Ce faisant,

- débouter MM. [Z], [U] et [X] de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour réformerait le jugement et ferait droit en tout ou partie aux demandes des appelants,

Vu l'article 1240 du code civil,

- condamner M. [M] à la relever et garantir indemne de toute condamnation susceptible d'être mise à sa charge au profit de Messieurs [Z], [U] et [X] aux termes de cette assignation,

En toute hypothèse,

- condamner la ou les parties succombant au paiement de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à son profit

- condamner la partie succombant aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl

Thevenot & associés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 novembre 2023 et l'affaire a été examinée à l'audience du 27 novembre 2023.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

1. L'avocat rédacteur d'acte est tenu de tout mettre en oeuvre pour assurer la pleine et entière efficacité juridique aux conventions qu'il dresse. Il est ainsi tenu, dans ses activités de conseil et de rédaction d'actes, de veiller à réunir les justificatifs nécessaires à son intervention, sans avoir à vérifier les informations d'ordre factuel fournies par le client seulement en l'absence d'éléments de nature à faire douter de la véracité des renseignements donnés.

2. En l'espèce, par délibération de l'assemblée générale extraordinaire du 20 juin 2016, la Sarl Communication & Tracking Services (CTS) dont le siège est à [Localité 8] et dont M [F] [M] est associé gérant, a donné son accord pour la cession de parts sociales appartenant à la Sarl G.S.I. Sécurité Groupe Sud Intervention Sécurité à MM. [Y] [Z] (638 parts), [I] [G] (638 parts), [V] [U] (42 parts) et [S] [X] (42 parts).

3. Suivant acte daté du 8 juillet 2016 et rédigé sous l'égide de la Selarl Pricens, la société G.S.I. a cédé ses parts à ces derniers conformément à l'autorisation précitée avec cette précision que l'acte a été signé par M. [M] pour l'ensemble de ces cessionnaires et comporte la mention selon laquelle 'En tant que de besoin, les cessionnaires donnent d'ores et déjà leur accord, sans réserve, à ce que le cabinet d'avocat Pricens, séquestre susdésigné, procède au déblocage des fonds au profit du cédant, sans qu'il soit nécessaire de requérir à leur autorisation préalable'. Il était aussi précisé dans cet acte que 'compte tenu des difficultés d'organisation d'un virement bancaire immédiatement au jour des présentes, les parties conviennent expressément que le prix de cession des parts sociales soit la somme de cinquante mille euros (50 000 €) sera payable au cédant, par les cessionnaires qui s'y engagent de façon ferme, définitive et irrévocable et sans réserve, au plus tard le 20 juillet 2016, par voie de virements bancaires sur le compte n° 0171/01303/160746485/000447 (CTS/GSI) ouvert dans les écritures de la Carpa au nom du cabinet Pricens [...]'

4. Les sommes versées par les cessionnaires appelants sur le compte Carpa ouvert le 24 juin 2016 au nom de la Selarl Pricens pour ce dossier, sont les suivantes:

- 14 345,06 euros réglée par M. [Z] suivant virements des 21 et 26 octobre 2016,

- 1 273,50 euros réglée par M. [U] suivant virement du 26 octobre 2016,

- 1 273,50 euros réglée par M. [X] suivant un virement effectué dans son intérêt par M. [U] le 22 novembre 2016.

M. [Z] n'a pas versé le solde du montant de la cession apparaissant à sa charge sur l'acte du 8 juillet 2016 et qui s'élevait aux termes de cet acte à la somme totale de 19 345,06 euros.

5. L'acte de cession concerne d'autres acquéreurs dont M. [G], vice président de la chambre de commerce, de l'industrice et des métiers de la République démocratique du Congo, M. [W] autre associé de la société CTS et M. [M] lui-même.

6. La société CTS avait pour objet déclaré la 'conception, fabrication, achat de tous matériels et produits en rapport avec les technologies de l'électronique et des télécommunications - toutes prestations de service en rapport avec les activités ci-dessus'. Elle avait été placée sous le régime de la procédure de redressement judiciaire par le jugement du tribunal de commerce de Toulouse le 12 février 2015 et bénéficiait d'un plan de redressement par voie de continuation suivant jugement du 24 mars 2016. Elle a fait l'objet d'une décision de placement en liquidation judiciaire par résolution du plan suivant jugement du 5 mai 2017.

7. Considérant qu'ils n'avaient signé aucun acte de cession et qu'ils ont appris incidemment la liquidation judiciaire de la société CTS, MM. [U] et [Z] ont réclamé la restitution des fonds consignés. Maître [Y] [H] et [B] [J] du cabinet Pricens leur ont adressé le 22 novembre 2018 le courrier qu'ils ont envoyé au Bâtonnier de l'ordre des avocats du Barreau de Toulouse par lequel ils précisaient que :

- la société CTS était en négociation depuis 2016 pour finaliser un marché portant sur une activité de 'sécurité Satellite' en République démocratique du Congo et que l'actionnaire majoritaire souhaitant se retirer de cette société, M. [M] s'était rapproché de partenaires de ce projet à savoir un acteur économique local et des 'experts satellite',

- se prévalant de la possession de fiches de renseignements d'état civil sur les cessionnaires, du procès verbal de l'assemblée générale de la société CTS agréant les nouveaux associés, ils n'avaient aucune raison de mettre en doute l'engagement de M. [M] de leur transmettre les pouvoirs promis,

- les paiements effectués sur le compte Carpa confirmaient le pouvoir allégué par M. [M], les échanges intervenus pour régulariser les virements correspondant au prix de cession dont la réalisation ayant renforcé cette conviction,

- le déblocage de ces sommes entre les mains de la société cédante a été réalisé en trois temps à la demande de cette dernière et la Selarl n'a pas été réglée des frais d'enregistrement des actes de cession et des formalités subséquentes, empêchant ainsi ces dernières.

8. Il est ainsi constant que la Selarl Pricens a recueilli les signatures figurant à l'acte litigieux sans disposer des pouvoirs des cessionnaires absents lors de la passation de cet acte malgré la demande qui avait été préalablement faite à M. [M] par courriel du 24 juin 2016 qui lui communiquait le projet d'acte et ensuite par courriel du 7 juillet 2016 en joignant les exemplaires de pouvoir à faire signer par ces derniers. Il est tout aussi constant que les fonds ont été versés par les intéressés trois mois après la date prévue et de manière incomplète par l'un d'entre eux. Il résulte des échanges produits au dossier que Maître [E] [H] n'a communiqué qu'avec M. [M] sans, à aucun moment, chercher à entrer en contact, même dématérialisé, avec les cessionnaires certes pour l'un d'entre eux au moins géographiquement éloigné sans justifier qu'ils étaient injoignables par messagerie électronique.

9. En procédant ainsi, le cabinet d'avocats Pricens a engagé sa responsabilité professionnelle pour manquement à son devoir d'assurer l'efficacité de l'acte en sa double qualité de rédacteur et de séquestre, en ne vérifiant pas préalablement l'existence d'un pouvoir régulier d'une personne prétendant être habilitée à engager les cessionnaires et de s'être libéré des fonds sans s'être assuré de la perfection de ces pouvoirs relatifs à l'engagement contractuel qui en est la cause. Spécialement, le mandat apparent ne peut être admis pour l'établissement d'un acte par un avocat instrumentaire qui était tenu de procéder à la vérification des pouvoirs respectifs des parties signataires.

10. Il devait d'autant plus procéder à cette vérification que cette transaction intervenait, aux termes de l'acte qu'il a rédigé, d'une part dans une situation conduisant la société cédante à déclarer qu'elle possédait une créance d'un montant de 551 735,46 euros sur la société CTS et au sujet de laquelle la société GSI avait consenti un abandon de créance avec clause de retour à meilleure fortune et renonçait dans l'acte du 8 juillet 2016 à toute réclamation envers les nouveaux associés au titre de ce compte courant d'associé et, d'autre part sans avoir précisé que la société CTS bénéficiait d'un plan de redressement judiciaire alors qu'en tant que professionnel par ailleurs détenteur d'une obligation de conseil, il était tenu de rechercher une telle information, spécialement en présence d'acteurs impliqués dans un contexte de négociations avec des autorités étrangères autour d'un projet commercial dont les contours exacts ne ressortaient pas clairement des courriers produits au dossier. Il était stipulé que les associés déclaraient avoir reçu toutes informations d'ordre juridique, comptable et financière sur la situation active et passive de la société CTS sans que la Selarl Pricens démontre s'être assurée de la sincérité de cette mention dans un tel contexte et en l'absence de pouvoirs lui permettant de s'assurer que les nouveaux associés étaient présumés avoir consenti à une telle mention.

11. La réalité du projet de cession d'actions impliquant les appelants en cohérence avec ces négociations avec des interlocuteurs proches des autorités congolaises est indiscutable. La perfection du consentement de MM. [Z], [U] et [X] à la signature de l'acte de cession tel que rédigé et à la libération des fonds versés entre les mains de la Selarl Pricens n'est en revanche pas démontrée. Il n'est produit aucun écrit émanant de M. [X] pour lequel un autre cessionnaire a versé le montant du prix le concernant, [V] [U] écrivant un courriel le 17 novembre 2016 à [F] [M] en lui confirmant que 'le virement pour les parts de [S] [X] sera fait demain matin'. M. [M] a informé l'avocat : '[U] vient bien de me confirmer que virement a bien été effectué par son frère [T] à la Banque Postale, vendredi'. Un courriel succinct de M. [Z] adressé à M. [M] le 20 octobre 2016 indique : 'Bonjour [F], j'ai bien pris note de l'urgence afin de libérer le solde des mes parts, 10 345,06 €. Le nécessaire sera fait au plus tard sous 10 jours, max. Un premier versement de 5.345,06 euros semaine prochaine, ce lundi, le solde début de la semaine suivante'.

12. Il suit de ces constatations qu'à la date de la formation du contrat de cession de parts sociales, la Selarl Pricens ne pouvait se prévaloir d'un mandat apparent donné à M. [M] dont elle ne pouvait ignorer qu'il était gérant associé de la société récemment bénéficiaire d'un plan de redressement judiciaire. Elle se devait à tous le moins de vérifier la situation de la société qu'il gérait et dans laquelle celui-ci pouvait avoir des intérêts divergents de ceux des autres cessionnaires. Les données d'état civil dans les fiches évoquées par l'intimée comportent des éléments succincts voire inexistants s'agissant M. [X].

13. Selon l'article 1998 du code civil, 'Le mandant est tenu d'exécuter les engagements

contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné.

Il n'est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu'autant qu'il l'a ratifié expressément ou tacitement'.

14. La Selarl Pricens ne justifie ni même n'affirme avoir adressé l'acte de cession signé aux cessionnaires dont les adresses sont mentionnées dans le document et sont situées pour deux d'entre elles dans le département de la Haute-Garonne. Elle ne pouvait donc, dans de telles circonstances, considérer que les versements intervenus sur le compte séquestre à son nom étaient des actes de ratification qui supposaient une connaissance éclairée de la perfection de la cession et du contenu des engagements que cette dernière leur imposait en termes d'abdication de certains droits ou de reconnaissance de certains informations essentielles telle la situation active et passive de la société CTS et en termes de délais de paiement, en l'espèce dépassés lors des virements sollicités à la hâte par M. [M] sous la pression du cédant. Ce dernier avait un intérêt tout particulier à accélérer l'achèvement des opérations de cession trois mois après l'adoption du plan de redressement judiciaire de la société CTS et Maître [H] écrivait à M. [M] le 25 octobre 2016 'vous ne pouvez pas imaginer la négociation que nous avons dû mener vendredi vis-à-vis de la société GSI et de son dirigeant pour éviter l'encaissement du chèque de garantie' au sujet duquel rien n'est dit sur son émetteur.

15. Spécialement, la Selarl Pricens qui a la charge de la preuve, n'établit pas en l'absence de pouvoir donné à M. [M], que les cessionnaires ont eu connaissance du passage du contrat par lequel ils donnent leur accord dès la signature de l'acte au déblocage par le cabinet Pricens 'séquestre susdésigné' des fonds au profit du cédant 'sans qu'il soit nécessaire de requérir leur autorisation préalable' faisant ainsi apparaître qu'à tout le moins une telle autorisation était normalement requise et que, dans le contexte précité, l'avocat se privait de l'assurance de l'existence et de l'intégrité du consentement à un tel renoncement à cette garantie qu'offre le séquestre tenu de l'obligation de requérir toute autorisation avant le dessaisissement des fonds consignés.

16. Cette ratification est d'autant moins établie que M. [Z] n'a pas versé l'intégralité des fonds le concernant et que les rares écrits émanant de leur part sont peu précis sur la connaissance par les déposants de l'objet et du régime de leurs virements. Maître [H] écrivait d'ailleurs à M. [M] le 24 juin 2016 pour lui communiquer l'extrait du compte Carpa 'ouvert spécialement pour le dossier et sur lequel je vous propose de séquestrer, le prix de cession jusqu'à la signature définitive de l'acte par les cessionnaires et cédant'.

17. Il résulte du tout que la Selarl Pricens a commis une faute à l'origine directe du préjudice subi par les cessionnaires appelants et caractérisé par la perte des fonds séquestrés en raison d'un dessaisissement non autorisé au profit d'un cédant tirant ses droits d'un acte de cession qui leur est inopposable.

18. Le jugement entrepris sera donc intégralement infirmé et la Selarl Pricens sera condamnée à régler aux appelants en réparation du préjudice matériel subi par eux, à hauteur du montant des sommes non représentées qu'ils sont en droit de réclamer augmentées de l'intérêt au taux légal à compter de la présente décision s'agissant d'une créance d'indemnisation.

19. Les appelants justifient également, au regard des éléments de la cause tels qu'ils viennent d'être amplement rappelés, de l'existence d'un préjudice moral qui sera justement réparé à hauteur de la somme de 3 000 euros chacun et au paiement de laquelle la Selarl Pricens sera donc condamnée.

20. La Selarl Pricens sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

21. Les appelants sont en droit de réclamer l'indemnisation des frais non compris dans les dépens qu'ils ont dû exposer à l'occasion de cette procédure. La Serlarl Pricens sera tenue de payer à chacun la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 alinéa 1er, 1° du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Toulouse.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la Selarl Pricens à payer à :

- M. [Y] [Z] la somme de 14 345,06 euros,

- M. [V] [U] la somme de 1 273,50 euros,

- M. [S] [X] la somme de 1 273,50 euros,

en réparation de leur préjudice matériel né de la non représentation de ces sommes fautivement déconsignées par la Selarl Pricens.

Dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.

Condamne la Selarl Pricens à payer à :

- M. [Y] [Z] la somme de 3 000 euros,

- M. [V] [U] la somme de 3 000 euros,

- M. [S] [X] la somme de 3 000 euros,

en réparation de leur préjudice moral.

Condamne la Selarl Pricens aux dépens de première instance et d'appel.

Autorise, conformement aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Maître Caroline Achard, avocate, à recouvrer directement contre la Selarl Pricens, ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.

Condamne la Selarl Pricens à payer la somme de 2 000 euros à M. [Y] [Z] sur le fondement de l'article 700 alinéa 1er, 1° du code de procédure civile.

Condamne la Selarl Pricens à payer la somme de 2 000 euros à M.[V] [U] sur le fondement de l'article 700 alinéa 1er, 1° du code de procédure civile.

Condamne la Selarl Pricens à payer la somme de 2 000 euros à M. [S] [X] sur le fondement de l'article 700 alinéa 1er, 1° du code de procédure civile.

Le Greffier Le Président

N. DIABY M. DEFIX

.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 1ere chambre section 1
Numéro d'arrêt : 21/03246
Date de la décision : 12/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-12;21.03246 ?
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