24/05/2023
DÉCISION N° 02/23
N° RG 22/00005 - N° Portalis DBVI-V-B7G-O22G
[V] [P]
C/
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
***
INDEMNISATION A RAISON D'UNE DÉTENTION PROVISOIRE
***
Décision prononcée le VINGT QUATRE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS par Anne DUBOIS, présidente de chambre déléguée par ordonnance de la première présidente du 07 Décembre 2022, assistée de M.POZZOBON, greffière
DÉBATS :
En audience publique, le 12 Avril 2023, devant Anne DUBOIS, présidente déléguée, assistée de M.POZZOBON, greffière
MINISTÈRE PUBLIC :
Représenté lors des débats par Bruno ALBOUY, avocat général, qui a fait connaître son avis.
La date à laquelle la décision serait rendue a été communiquée.
NATURE DE LA DÉCISION : CONTRADICTOIRE
DEMANDEUR
Monsieur [V] [P]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté à l'audience par Me Elisa MORANDINI du cabinet substituant Me Sarah HUNOT, avocate au barreau de TOULOUSE
DEFENDEUR
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Jacques LEVY, avocat au barreau de TOULOUSE
FAITS ' PROCÉDURE ' PRÉTENTIONS :
Le 3 octobre 2019, [V] [P], mineur, a été mis en examen des chefs d'arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire de mineur de 15 ans, de violences habituelles sur un mineur de 15 ans n'ayant pas entrainé d'incapacité supérieure à 8 jours et de soustraction d'enfant des mains de la personne chargée de sa garde, pour des faits commis du 31 août 2019 au 20 septembre 2019 à [Localité 3], et placé en détention provisoire le même jour.
Le 13 février 2020, il a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire par la chambre de l'instruction de Toulouse.
Le 16 décembre 2021, il a bénéficié d'une décision de non-lieu.
Par requête reçue au greffe le 15 juin 2022, il a sollicité l'indemnisation de la détention intervenue du 3 octobre 2019 au 13 février 2020, soit une durée de 4 mois et 10 jours et demande au premier président de la cour d'appel de Toulouse de lui allouer les sommes de :
- 17 335 euros au titre de l'ensemble des préjudices subis,
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions reçues au greffe le 17 novembre 2022, soutenues oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer en application de l'article 455 du code de procédure, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de :
- à titre principal, déclarer irrecevable la requête à défaut de preuve du caractère définitif de l'ordonnance de non-lieu du 16 décembre 2021,
- à titre subsidiaire, sous réserve de la preuve du caractère définitif de l'ordonnance de non-lieu du 16 décembre 2021,
- prononcer le sursis à statuer dans l'attente de la production de la fiche pénale,
- à titre très subsidiaire, sous réserve de la preuve du caractère définitif de l'ordonnance de non-lieu du 16 décembre, limiter le préjudice moral de M. [P] à la somme de 12 000 euros,
- apprécier la demande 2 000 euros formée par M. [P] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile selon la jurisprudence habituelle de la juridiction de céans.
Par conclusions reçues au greffe le 3 janvier 2023, soutenues oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer en application de l'article 455 du code de procédure, le ministère public demande au premier président de :
- déclarer la demande irrecevable sous réserve de la production du certificat de non-appel,
- fixer la durée de la détention provisoire indemnisable à 133 jours,
- statuer sur l'indemnisation du préjudice moral dont le montant ne saurait excéder la somme de 12 000 euros,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
-:-:-:-:-
MOTIVATION :
Sur la recevabilité de la requête
M. [P] produit un certificat de non appel rendant recevable sa requête du 15 juin 2022, déposée dans le délai de six mois suivant la décision définitive de relaxe dont il a fait objet le 16 décembre 2021.
Sur la durée de la détention
Le demandeur fait valoir qu'il a été détenu du 3 octobre 2019 au 13 février 2020, soit une période de 133 jours. Comme l'indique le ministère public dans ses conclusions, il ressort de la fiche pénale que le demandeur produit, qu'il n'a pas été détenu pour autre cause durant toute la durée de la détention.
Les 133 jours de détention retenus seront donc indemnisés.
Sur l'indemnisation du préjudice moral
L'indemnisation du préjudice moral que le requérant est en droit réclamer du fait de sa détention ayant été suivie d'une décision de non-lieu devenue définitive, doit tenir compte de la durée de détention indemnisable, de la personnalité du demandeur, de son environnement familial et professionnel ainsi que de ses antécédents judiciaires.
Seul le préjudice personnellement subi par le requérant en lien direct et certain avec la détention doit être réparé.
En l'espèce, [V] [P] a été incarcéré à l'âge de 16 ans au sein de l'établissement pénitentiaire spécialisé pour mineurs de [Localité 4]. Il s'agit de sa première incarcération comme le démontre le bulletin n°1 de son casier national judiciaire qui ne comporte aucune mention.
Selon le rapport de la protection judiciaire de la jeunesse du 7 janvier 2020, M. [P] a vécu un choc carcéral et a très difficilement vécu d'être séparé de sa famille. En effet, le demandeur, mineur au moment des faits, a toujours vécu en communauté avec sa famille, dont il est par conséquent très proche, laquelle réside à l'aire d'accueil des gens du voyage de la Vivarié à [Localité 3].
Par ailleurs, le requérant se plaint à bon droit de ses conditions de détention au sein de l'établissement pénitentiaire spécialisé pour mineurs de [Localité 4] en ce qu'il a fait l'objet d'une agression de la part d'un co-détenu, lequel l'a provoqué verbalement et lui a porté un coup de poing le 16 décembre 2019.
Toutefois, il ressort du rapport précité que le comportement du demandeur, à savoir ne pas connaître les codes du vivre ensemble, est la source de ses conditions de détention, caractérisées par sa difficulté à être en relation avec ses pairs.
Enfin, ses protestations d'innocence sont sans portée sur le montant de la réparation de son préjudice.
En conséquence, au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient d'allouer au demandeur, âgé de 16 ans, célibataire, sans enfant et sans activité professionnelle, la somme de 14 000 euros en indemnisation de la détention abusive subie pendant 133 jours.
Sur les autres demandes
La nature du litige conduit à laisser les dépens à la charge du Trésor public et à allouer à M. [V] [P] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 al. 1er 1° du code de procédure civile.
-:-:-:-:-
PAR CES MOTIFS
Statuant par ordonnance contradictoire,
Déclarons recevable la requête de M. [V] [P],
Rejetons la demande de sursis à statuer de l'agent judiciaire de l'Etat,
Allouons à M. [V] [P] les sommes de :
- 14 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejetons le surplus des demandes,
Laissons les dépens à la charge du Trésor public.
LA GREFFIERE LA MAGISTRATE DELEGUEE
M. POZZOBON A. DUBOIS