12/05/2023
ARRÊT N°230/2023
N° RG 21/03918 - N° Portalis DBVI-V-B7F-OL4W
AB/AR
Décision déférée du 06 Septembre 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GAUDENS ( 20/00056)
MAGLIOCHETTI
[R] [M]
C/
S.A.S.U. SOCIÉTÉ DES EAUX MINÉRALES DE LUCHON
Infirmation partielle
Grosse délivrée
le 12 mai 2023
à
Me Magali PEYROT
Me Ophélie BENOIT-DAIEF
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2
***
ARRÊT DU DOUZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANT
Monsieur [R] [M]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Magali PEYROT de la SELARL QUARANTA, PEYROT, GELBER ET MONROZIES-MOREAU, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
S.A.S.U. SOCIÉTÉ DES EAUX MINÉRALES DE LUCHON
Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 2]
Représentée par Me Ophélie BENOIT-DAIEF de la SELARL SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant) et par Me Emmanuelle DESTAILLATS de la SELARL SILEAS, avocat au barreau de BORDEAUX (plaidant)
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant C.BRISSET, Présidente et A.PIERRE BLANCHARD, Conseillère, chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BRISSET, présidente
A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère
F. CROISILLE-CABROL, conseillère
Greffier, lors des débats : A. RAVEANE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [R] [M] a été embauché selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 28 juillet 1993 par la société des Eaux minérales d'Aix-les-bains, en qualité de comptable, statut employé.
Son contrat a été transféré au sein de la SASU des Eaux minérales de Luchon (SEML), par avenant en date du 30 avril 1994.
A compter du 1er janvier 2001, M. [M] occupait la fonction de responsable administratif et comptable, statut cadre.
Par avenant à son contrat du 25 janvier 2001, il était convenu d'un forfait annuel de 216 jours travaillés.
La convention collective nationale des activités de production d'eaux embouteillées et boissons rafraîchissantes sans alcool et de bière est applicable.
M. [M] a fait l'objet d'un arrêt de travail du 11 janvier 2019 au 7 juillet 2019, puis à compter du 8 janvier 2020.
En date du 11 mai 2020, M. [M] a été déclaré inapte à tout poste de travail au sein de la société SEML.
M. [M] étant membre titulaire du CSE depuis les élections professionnelles du 9 décembre 2019, la société SEML a sollicité auprès de l'inspection du travail l'autorisation de licencier pour inaptitude M. [M] le 29 septembre 2020.
Cette demande a été refusée par l'inspection du travail le 25 novembre 2020, considérant que la société n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement.
Le contrat de travail est toujours en cours d'exécution, le salarié étant dispensé d'activité et rémunéré.
Par requête en date du 27 mars 2020, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Gaudens aux fins d'obtenir le paiement de diverses créances salariales et juger nulle la convention de forfait annuel en jours à laquelle il est soumis.
Par jugement du 6 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Saint-Gaudens a :
- dit et jugé que la convention de forfait jours dont M. [R] [M] bénéficie est définie en conformité avec les dispositions légales en vigueur, et qu'elle a parfaite légitimité,
- dit et jugé son application pour les cadres autonomes,
- dit et jugé que les demandes de rappels de salaires de M. [M], au titre de dépassements de la durée de travail sont consécutivement inopérantes,
- dit et jugé que la SEML a pleinement satisfait à ses obligations en matière de santé et sécurité vis-à-vis de M. [M].
En conséquence:
- débouté M. [M] de ses différentes demandes de rappels de salaires, congés payés et intéressement respectifs,
- débouté M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de santé et sécurité.
- rejeté les demandes respectives des parties au titre des frais irrépétibles, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamné M. [M] aux dépens de l'instance.
M. [M] a relevé appel de ce jugement le 13 septembre 2021, dans des conditions de forme et de délai non discutées, en énonçant dans sa déclaration d'appel les chefs critiqués.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 27 février 2023, auxquelles il est expressément fait référence, M. [M] demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Gaudens en date du 6 septembre 2021, en ce qu'il a débouté M. [M] de l'intégralité de ses demandes.
Statuant à nouveau :
- juger privée d'effet la convention de forfait annuel en jours à laquelle est soumise M. [M] au terme de l'avenant conclu en date du 25 janvier 2001,
- condamner la SEML à payer à M. [M] les sommes suivantes :
* 34.427 euros bruts (18 139 + 12 490 + 3 797) à titre de rappel d'heures supplémentaires et complémentaires pour les années 2017, 2018 et 2019,
* 3 442 euros bruts de congés payés y afférents,
* 5 598 euros bruts (2 694 + 751 + 2 153) à titre de rappel d'intéressement pour les années 2017 et 2018,
* 13 700 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de santé et de sécurité,
* 18 594 euros bruts au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour les années 2017 et 2018,
* 1 859 euros bruts de congés payés y afférents pour les années 2017 et 2018,
* 739 euros bruts au titre du rappel de majoration pour heures de nuit et jours fériés pour les années 2017 et 2018,
* 73 euros bruts de congés payés afférents,
- à titre principal, débouter la SEML de sa demande reconventionnelle de remboursement de JRTT pour les années 2016, 2017 et 2018, considérant qu'elle est prescrite,
- à titre subsidiaire, juger que la demande reconventionnelle de la SEML est infondée,
- à titre infiniment subsidiaire, juger que la demande reconventionnelle de la SEML est prescrite pour l'année 2016 et les années antérieures,
- en conséquence, limiter la condamnation de M. [M] au titre du remboursement des JRTT à la somme de 7 737,86 euros correspondant aux années 2017 et 2018,
- en tout état de cause, débouter la SEML de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner à payer à M. [M] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens de l'instance.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 mars 2023, auxquelles il est expressément fait référence, la société des Eaux minérales de Luchon demande à la cour de :
- déclarer recevable mais non fondé l'appel interjeté par M. [R] [M] à l'encontre du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Gaudens le 6 septembre 2021,
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Gaudens le 6 septembre 2021 en ce qu'il a :
* dit et jugé que la convention de forfait jours dont M. [M] bénéficie est définie en conformité avec les dispositions légales en vigueur et qu'elle a parfaitement légitimité dans son application pour les cadres autonomes,
* dit et jugé que les demandes de rappels de salaire de M. [M] au titre du dépassement de la durée de travail sont inopérantes,
* dit et jugé que la SEML a pleinement satisfait à ses obligations en matière de santé et de sécurité vis-à-vis de M. [M],
* débouté M. [M] de ses différentes demandes de rappel de salaires, congés payés et intéressement,
* débouté M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de santé et de sécurité,
* condamné M. [M] aux dépens de l'instance,
* débouté M. [M] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En conséquence :
- adjuger de plus fort à la société concluante le bénéfice de ses précédentes écritures,
- juger que la convention individuelle de forfait annuel en jours dont bénéficie M. [M] est valide et régulière,
- juger que la société des Eaux Minérales de Luchon n'a pas manqué à son obligation de protection de la santé et de la sécurité de M. [M],
- débouter par conséquent M. [M] de l'intégralité de ses demandes, en ce compris sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- à titre subsidiaire, si la cour jugeait par extraordinaire que la convention de forfait jours de M. [M] est privée d'effet, condamner M. [M] au paiement de la somme de 10506,79 euros à titre de remboursement des sommes perçues au titre des jours de repos (RTT) accordés en exécution de sa convention de forfait annuel en jours et ordonner la compensation de cette somme avec les condamnations éventuelles prononcées à l'encontre de la SEML,
- en tout état de cause, condamner M. [M] au paiement de la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, en ce compris les frais d'exécution.
MOTIFS :
Sur la convention de forfait jours :
Il est constant que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif. En outre, cet accord doit assurer la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires. Chaque salarié concerné doit donner son accord par écrit. Enfin, l'employeur doit organiser, avec chaque salarié ayant conclu une telle convention, un entretien annuel individuel portant sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur sa rémunération.
En cas de carence de l'accord collectif, la validité des conventions de forfait en jours conclues antérieurement à la loi du 8 août 2016 n'est pas remise en cause si l'employeur met en place les mesures de contrôle et de suivi prévues à l'article L. 3121-65 du code du travail, notamment l'organisation par l'employeur, une fois par an, d'un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.
En l'espèce, il est constant que le contrat de travail de M. [M] a fait l'objet d'un avenant du 25 janvier 2001 stipulant entre les parties une clause de forfait jours fixant 216 jours travaillés par an.
L'article 6.5 de la convention collective des Eaux Embouteillées applicable à la cause, prévoit la possibilité de mettre en place un décompte du temps de travail en jours pour les cadres.
Il n'est pas discuté entre les parties de la qualité de cadre autonome de M. [M], lequel pouvait donc être soumis à une convention de forfait jours.
La convention de forfait litigieuse se réfère à l'accord d'entreprise de la SEML du 8 décembre 2000 sur la réduction et l'aménagement du temps de travail, lequel prévoit un mécanisme de décompte du temps de travail par journées ou demies journées, ainsi qu'un suivi, mais M. [M] remet en cause son applicabilité car l'employeur n'en produit pas d'exemplaire signé, et il indique n'avoir, en pratique, bénéficié d'aucun entretien individuel de suivi de la charge de travail.
Et en effet, la SEML ne justifie pas de l'applicabilité de l'accord, ce qui entraîne la nullité de la convention de forfait, sauf à démontrer la mise en place des mesures de contrôle et de suivi prévues à l'article L. 3121-65 du code du travail puisque la convention de forfait a été signée antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi Travail du 8 août 2016.
Or l'employeur ne conteste pas l'absence de tout entretien de suivi de la charge de travail pour l'ensemble de ses salariés cadres avant 2019.
S'agissant de M. [M], l'employeur rétorque qu'il a été absent pour maladie et ne pouvait bénéficier d'un entretien ni en 2019 ni en 2020. Or le salarié a été présent de juillet à décembre 2019 de sorte qu'un tel entretien pouvait être tenu pour l'année 2019, et il aurait dû bénéficier de tels entretiens au moins en 2017 et 2018.
En conséquence, la cour juge, contrairement au conseil de prud'hommes, que la convention de forfait jours est nulle, de sorte que le salarié est fondé à solliciter l'application à son profit du droit commun du temps de travail.
Sur les heures supplémentaires :
Aux termes de l'article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties, et si l'employeur doit être en mesure de fournir les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir effectuées afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
En l'espèce, M. [M] indique avoir accompli de nombreuses heures supplémentaires qu'il a récapitulées dans un tableau détaillé pour les années 2017 à 2019, à savoir :
- en 2017 : 286 heures supplémentaires à majorer à 25% et 210 heures supplémentaires à majorer à 50%,
- en 2018 : 246 heures supplémentaires à majorer à 25% et 97 heures supplémentaires à majorer à 50%,
- en 2019 : 25 heures complémentaires à 10% et 86 heures complémentaires à 25%.
Il produit également des mails, des fichiers enregistrés et horodatés, son agenda professionnel, des SMS, des justificatifs de déplacement, le journal de ses appels téléphoniques, le relevé de badgeage dans la société.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur par ses propres éléments, lesquels doivent être objectifs et constituer un décompte fiable du temps de travail.
A ce titre, la SEML verse aux débats un tableau qu'elle a élaboré pour les besoins de la cause récapitulant les différentes tâches à réaliser par M. [M], avec un décompte annuel estimatif des durées afférentes aux différentes missions.
Elle produit également l'attestation de M. [W], responsable du contrôle de gestion, et celle de M. [E] ayant travaillé avec M. [M] dans le cadre de son mi-temps thérapeutique puisqu'il a récupéré une partie des tâches du salarié, ils attestent de manière générale de l'absence de surcharge de travail du salarié.
Cependant, ce tableau et ces attestations sont insuffisants à démontrer les horaires de travail réellement effectués par M. [M], et donc à satisfaire à la charge de la preuve incombant à l'employeur.
Ce dernier oppose encore que le décompte d'heures supplémentaires ne peut se faire qu'à partir de 37h30 et non 35h en application de l'accord d'entreprise, or en cas de nullité de la convention de forfait s'appuyant sur l'accord d'entreprise au demeurant inapplicable, ainsi que retenu par cette cour, le décompte est bien celui du droit commun du temps de travail, soit 35h hebdomadaires au delà desquelles sont décomptées les heures supplémentaires.
La société SEML critique le relevé de badgeage présenté par le salarié au motif que celui-ci, cadre, est dispensé de badger, or M. [M] indique sans être utilement contredit sur ce point qu'il présente non pas un relevé de pointage, mais le relevé des horaires d'entrée sur le site car l'accès en est contrôlé par une carte nominative, alors que tel n'est pas le cas en sortie, raison pour laquelle il a mentionné des heures de sortie estimatives.
La société fait encore valoir qu'elle ne peut produire de décompte précis du temps de travail du salarié car celui-ci, soumis au forfait, devait transmettre ses fiches de suivi dans l'outil dédié et ne l'a pas fait de manière régulière.
Or, il ne peut être reproché à M. [M] de ne pas avoir transmis à son employeur l'intégralité des décomptes des journées travaillées en temps réel, alors qu'il appartient à l'employeur, investi du pouvoir de direction, de faire respecter par son salarié les obligations déclaratives mises à sa charge, mais non de faire reposer sur lui ses propres carences en matière de suivi.
De plus, dans son entretien annuel d'évaluation portant sur l'année 2017, le salarié avait alerté l'employeur sur son 'année éprouvante' et sa charge de travail qualifiée d'excessive ; en outre M. [M] produit aux débats les décomptes qu'il a établis et transmis à l'employeur pour les années 2017 et 2018 faisant apparaître respectivement 249 et 227 jours travaillés, et donc une prise incomplète des jours de RTT prévus.
Contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges pour débouter le salarié de sa demande, la circonstance selon laquelle l'employeur aurait réglé des jours de RTT non pris ne permet pas de l'exonérer de ses obligations quant au suivi de la charge de travail du salarié et à la préservation de l'état de santé de ce dernier.
En l'absence de production par l'employeur d'un quelconque élément permettant un décompte fiable et objectif du temps de travail du salarié, il y a lieu d'accueillir la demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires présentée par M. [M], et de fixer le quantum de la créance après examen des pièces produites par celui-ci.
Sur ce point, les décomptes produits par M. [M], établis à partir des relevés de badgeages, des agendas, des mails et des déplacements, sont critiqués par la société SEML qui relève des incohérences entre les pièces, par exemple des horaires différents mentionnés dans le décompte par rapport à ceux mentionnés dans le relevé de badgeage ou l'agenda.
Cependant, après examen des pièces, la cour estime que les horaires mentionnés dans le décompte sont justifiés tantôt par les agendas, tantôt par les relevés de badgeages ou les mails, les différentes pièces ne se contredisant pas mais se complétant ; à titre d'exemple lorsqu'un horaire de travail du décompte n'est pas justifié par un rendez-vous agenda, il l'est par le relevé de badgeage et inversement.
Par ailleurs, la société SEML soutient que les horaires mentionnés sur le décompte incluraient des temps de trajet, mais n'en fait pas la démonstration et ne propose aucun contre-chiffrage, de sorte que l'intégralité des horaires mentionnés doit être retenue.
Ainsi, la cour allouera à M. [M], par infirmation du jugement déféré, les sommes suivantes :
-18139 € bruts correspondant aux heures supplémentaires accomplies en 2017,
-12490 € bruts correspondant aux heures supplémentaires accomplies en 2018,
-3797 € bruts correspondant aux heures complémentaires accomplies en 2019, compte tenu de la reprise à temps partiel,
soit un total de 34 427 € bruts, outre 3442 € bruts au titre des congés payés y afférents.
La convention de forfait étant nulle, la SEML sollicite à juste titre le remboursement des JRTT octroyés au salarié en exécution de celle-ci, elle n'est toutefois fondée à en solliciter le remboursement que pour les JRTT pris ou payés entre le 10 décembre 2017 et le 31 décembre 2018, ces JRTT correspondant à la somme totale de 2753,73 € bruts.
En effet, la demande de remboursement de JRTT antérieure au 10 décembre 2017 est prescrite dans la mesure où l'employeur a formulé sa demande de nature salariale et soumise à la prescription triennale pour la première fois dans ses conclusions de première instance du 10 décembre 2020.
Sur les repos compensateurs non pris :
Le salarié qui n'a pas été en mesure, du fait de son employeur, de formuler une demande de repos compensateur en temps utile, a droit à l'indemnisation du préjudice subi ; celle-ci comporte à la fois le montant de l'indemnité de repos compensateur et le montant de l'indemnité de congés payés afférents.
En l'espèce la convention collective fixe un contingent annuel d'heures supplémentaires à hauteur de 130 heures.
L'effectif de la société SEML est supérieur à 20 salariés, en conséquence la contrepartie en repos des heures excédant le contingent est fixée à 100%.
Il sera ainsi alloué à M. [M], par infirmation du jugement déféré, les sommes suivantes au titre de la contrepartie aux repos compensateurs non pris :
- pour 2017 : 471 heures, soit 12 713 € bruts
- pour 2018 : 213 heures, soit 5 881 € bruts,
soit la somme totale de 18 594 € bruts, outre 1859 € bruts au titre des congés payés y afférents.
Sur la demande de rappel de salaire au titre de l'intéressement :
M. [M] sollicite à juste titre un rappel d'intéressement et de supplément d'intéressement au motif que la prime d'intéressement est calculée en fonction de la rémunération annuelle perçue et que cette rémunération doit intégrer les rappels de salaire au titre des heures supplémentaires réalisées.
Il présente en page 31 de ses conclusions un calcul non discuté par l'employeur, lequel ne s'oppose à la demande qu'en raison de sa contestation sur le bien fondé du rappel de salaire pour heures supplémentaires, et ne remet pas en cause le droit à intéressement du salarié.
La cour allouera donc à M. [M], par infirmation du jugement déféré les sommes suivantes :
-pour 2017, 2 694 € de rappel d'intéressement et de 751 € de rappel de supplément d'intéressement,
-pour 2018, 2153 € de rappel d'intéressement,
soit un total de 5598 € bruts à titre de rappel d'intéressement.
Sur la demande de rappel de salaire pour majoration des heures de nuit et jours fériés :
M. [M] demande une majoration pour les heures de nuit et de jours fériés durant lesquels il indique avoir travaillé ; plus précisément il soutient avoir travaillé sans discontinuer entre le 5 et le 17 novembre 2018, pour un total de 106 heures, et notamment le jour férié du 11 novembre 2018, et avoir travaillé les dimanches 29/01/2017, 02/07/2017, 05/11/2017, 12/11/2017, 11/11/2018.
Or, la majoration prévue par la convention collective n'est pas applicable aux cadres, l'article 6.5.1. excluant les cadres du bénéfice des dispositions des articles 6.12.5. et 6.14 ; M. [M] étant cadre, celui-ci n'est pas fondé à obtenir de telles majorations.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur la demande indemnitaire pour violation de l'obligation de sécurité :
Dans le cadre de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur destinée notamment à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, la loi lui fait obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Et l'article L.4121-1 du code du travail lui fait obligation de mettre en place :
- des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail,
- des actions d'information et de formation,
- une organisation et des moyens adaptés,
et de veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes
En l'espèce, M. [M] soutient que la SEML a manqué à son obligation de sécurité en raison de la surcharge de travail à laquelle il était soumis, du non-respect des durées maximales de travail et de la privation des effets de la convention de forfait en jours sur l'année, conduisant à la dégradation de son état de santé.
Le dépassement de la durée maximale journalière et hebdomadaire de travail est caractérisé au vu du décompte de M. [M] tel que validé par la cour, à de multiples reprises sur les années 2017 et 2018 et à quelques reprises en 2019, avec notamment plusieurs semaines excédant 48h de travail hebdomadaire.
Il est rappelé que M. [M] s'était plaint d'une surcharge de travail dès 2017, que l'employeur n'en a pas tenu compte, qu'il a été soumis à une convention de forfait nulle en exécution de laquelle il devait bénéficier de jours de RTT qu'il n'a pas pu poser de sorte qu'ils lui ont été payés en grande partie, que M. [M] a effectué des heures supplémentaires non rémunérées dans un volume important, qu'il a été privé de la contrepartie en repos, et qu'il a fait l'objet à plusieurs reprises d'arrêts maladie (6 mois d'arrêt en 2019), avec une reprise à mi-temps thérapeutique en juillet 2019 dans des conditions de temps de travail non-respectées, d'un nouvel arrêt de travail début 2020, et d'une déclaration d'inaptitude le 11 mai 2020.
Par ailleurs, M. [M] produit un listing des SMS reçus de la part de M. [V], Directeur de la SEML, en dehors de ses horaires de travail (tôt le matin, tard le soir, durant le week-end, durant les arrêts maladie du salarié'), ainsi que plusieurs extraits de ces messages montrant, contrairement à ce qu'indique la société SEML, qu'il s'agissait bien de messages de nature professionnelle pour la majorité d'entre eux, peu important que ces messages ne contiennent pas de demande expresse de prestation professionnelle.
L'ensemble de ces éléments caractérise un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité à l'égard du salarié, dont le préjudice sera réparé par l'allocation de la somme de 1500 € à titre de dommages-intérêts.
Sur le surplus des demandes :
La société SEML, succombante, sera condamnée aux dépens de première instance par infirmation du jugement déféré, ainsi qu'aux dépens d'appel et à payer à M. [M] la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement entrepris, excepté en ce qu'il a débouté M. [M] de ses demandes afférentes aux majorations de nuit et de jours fériés,
Le confirme sur ce point,
Statuant à nouveau des chefs infirmés, et, y ajoutant,
Condamne la SAS des Eaux Minérales de Luchon à payer à M. [R] [M] les sommes suivantes :
*34427 € bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires et complémentaires pour les années 2017, 2018 et 2019,
* 3 442 € bruts au titre des congés payés y afférents,
* 5 598 € bruts à titre de rappel d'intéressement pour les années 2017 et 2018,
* 1500 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de santé et de sécurité,
* 18 594 € bruts au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour les années 2017 et 2018,
* 1 859 € bruts au titre des congés payés y afférents pour les années 2017 et 2018,
* 4000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [R] [M] à rembourser à la SAS des Eaux Minérales de Luchon la somme de 2753,73 € bruts correspondant aux jours de RTT pris ou payés à compter du 10 décembre 2017 et sur l'année 2018,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la SAS des Eaux Minérales de Luchon aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Catherine Brisset, présidente, et par Arielle Raveane, greffière.
La greffière La présidente
A. Raveane C. Brisset.