La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/05/2023 | FRANCE | N°21/01194

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 1ere chambre section 1, 09 mai 2023, 21/01194


09/05/2023



ARRÊT N°



N° RG 21/01194

N° Portalis DBVI-V-B7F-OBEY

SL / RC



Décision déférée du 14 Janvier 2021

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO,

JCP de Toulouse - 18/00756

M. GUICHARD

















[H] [K]





C/



[T] [Z]

[U] [I] épouse [Z]



























































CONFIRMATION PARTIELLE







Grosse délivrée



le



à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU NEUF MAI DEUX MILLE VINGT TROIS

***



APPELANTE



Maître [H] [K]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Nicolas LARRAT de la SCP...

09/05/2023

ARRÊT N°

N° RG 21/01194

N° Portalis DBVI-V-B7F-OBEY

SL / RC

Décision déférée du 14 Janvier 2021

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO,

JCP de Toulouse - 18/00756

M. GUICHARD

[H] [K]

C/

[T] [Z]

[U] [I] épouse [Z]

CONFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU NEUF MAI DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTE

Maître [H] [K]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Nicolas LARRAT de la SCP LARRAT, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMES

Monsieur [T] [Z]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Anne MARIN de la SELARL MARIN AVOCATS, avocat plaidant, avocat au barreau de TOULOUSE

Représenté par Me Gilles SOREL, avocat postulant, avocat au barreau de TOULOUSE

Madame [U] [I] épouse [Z]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Anne MARIN de la SELARL MARIN AVOCATS, avocat postulant, avocat au barreau de TOULOUSE

Représentée par Me Gilles SOREL, avocat postulant, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 30 Janvier 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :

M. DEFIX, président

J.C GARRIGUES, conseiller

S. LECLERCQ, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : N.DIABY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par M. DEFIX, président, et par N. DIABY, greffier de chambre.

Exposé des faits et de la procédure :

Par acte du 31 mai 2013 reçu par Maître [H] [K], notaire à Portet-sur-Garonne, Mme [P] [V] a constitué avec M. [T] [Z] et Mme [U] [I], son épouse, qui seraient ses cousins issus de germains, la Sci Bon Accueil [V], apport étant fait par Mme [V] de son immeuble situé [Adresse 7] évalué au prix de 200 000 euros, alors que M. et Mme [Z] ont apporté chacun en numéraire la somme de 100 euros. Mme [V] a reçu 2 000 parts sociales, alors que M. et Mme [Z] ont obtenu chacun une part sociale.

Mme [V] et M. [Z] étaient gérants de la Sci Bon Accueil [V].

Selon acte du même jour, également reçu par Maître [K], Mme [V] a cédé par moitié chacun à M. et Mme [Z] la nue-propriété de ces 2 000 parts sociales détenues dans la Sci, moyennant un prix de 160 000 euros. Il a été mentionné dans l'acte que sur ce prix, la somme de 80 000 euros était payée comptant le jour même, « en-dehors de la comptabilité de l'office notarial » et que le solde restant, ferait l'objet d'un paiement échelonné au moyen de mensualités constantes ou par anticipation au plus tard dans les cinq années de l'acte de cession. Mme [V] était déjà âgée de 86 ans comme étant née le [Date naissance 6] 1926.

Les statuts de la Sci ont été mis à jour en prenant acte du démembrement des parts sociales et de la cession de leur nue-propriété à M. et Mme [Z].

Mme [V] est décédée le [Date décès 2] 2015 à l'âge de 89 ans, sa succession ne comprenant alors plus que le solde de deux comptes bancaires ouverts dans les livres de la caisse d'épargne pour un montant total de 1 837 euros.

Par acte du 7 décembre 2015, la Sci Bon Accueil [V] a vendu à M. [O] [X] et Mme [W] [D] la maison à usage d'habitation précitée pour un prix dont M. et Mme [Z] disent qu'il est de 190.000 euros et Me [K] dit qu'il est de 195.000 euros.

Par courrier du 6 septembre 2017, M. [T] [Z] a reçu une proposition de rectification de la direction générale des finances publiques, celle-ci entendant requalifier l'acte de cession de parts sociales reçues le 31 mai 2013 par Maître [K] en donation déguisée, reposant, d'après les termes de l'administration fiscale, sur des présomptions tenant :

- à l'âge avancé du cédant, célibataire et sans descendance directe ;

- aux liens d'affection unissant les parties à l'acte ;

- au fait que l'opération requalifiée revenait à organiser la transmission de l'essentiel de l'actif de la succession ;

- à l'absence d'intérêt de la venderesse à aliéner son bien compte tenu de ses revenus courants ;

- à l'absence de paiement du prix de vente.

Il leur était réclamé des droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 60% entre parents au-delà du 4ème degré ou non-parents, soit 96.000 euros, outre des pénalités (intérêts de retard, et majoration de 80% pour manoeuvres frauduleuses), soit une rectification globale de 192.384 euros.

Cette somme a été ramenée ensuite à 134.736 euros dans le cadre d'une transaction. Cette transaction a été remise en cause faute du paiement dans les délais. M. et Mme [Z] indiquent que finalement, suite à la décision de première instance dans le litige les opposant au notaire, l'administration a accepté d'en rester à la somme de 134.736 euros.

Estimant avoir été mal conseillés par leur notaire et en l'absence de solution amiable, M. [T] [Z] et Mme [U] [I], son épouse ont assigné, par acte d'huissier du 19 février 2018, Maître [H] [K] devant le tribunal de grande instance de Toulouse, afin d'obtenir sa condamnation à réparer leur entier préjudice causé par sa faute.

Par jugement du 14 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Toulouse a :

- condamné Maître [H] [K] à payer à Mme [U] [I] épouse [Z] et à M. [T] [Z] la somme de 75 336 euros portant intérêts au taux légal à compter de l'assignation en date du 19 février 2018, au titre du préjudice économique subi,

- condamné Maître [H] [K] à payer à Mme [U] [I] épouse [Z], la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi,

- condamné Maître [H] [K] à payer à M. [T] [Z] la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi,

- débouté Maître [H] [K] de sa demande de dommages-intérêts pour atteinte à son honneur et à sa probité,

- condamné Maître [H] [K] à payer à Mme [U] [I] épouse [Z], et à M. [T] [Z] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté le surplus des demandes,

- condamné Maître [H] [K] aux entiers dépens de l'instance sur affirmation de droit par Maître Anne Marin, avocat à la Cour, conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Pour statuer ainsi, le tribunal a estimé que c'était nécessairement le notaire qui avait initié l'opération de création de la Sci Bon Accueil [V] puis de cession des parts sociales, en vue de transmettre l'essentiel du patrimoine de Mme [V], les époux [Z] n'étant pas qualifiés pour être à l'initiative d'un tel montage, ni en comprendre toute la portée sur les plans juridique et fiscal. Il a estimé que Me [K] ne pouvait invoquer les fausses déclarations des époux [Z] sur le paiement du prix de cession, alors qu'elle a concouru à la donation déguisée en ne prenant aucune garantie pour s'assurer de l'effectivité de ce paiement. Il a estimé que la faute du notaire était établie.

Compte tenu des solutions fiscales licitement envisageables, à savoir la vente de la maison d'habitation de Mme [V] et le placement du prix tiré de la vente sur deux contrats d'assurance-vie instituant M. et Mme [Z] en qualité de bénéficiaires, il a fixé le préjudice économique à la somme de 75.336 euros.

-:-:-:-:-

Par déclaration du 15 mars 2021, Maître [H] [K] a relevé appel de ce jugement en ce qu'il a :

- retenu la responsabilité civile professionnelle de Maître [H] [K] et l'a condamnée à payer à Mme [U] [I] épouse [Z] et M. [T] [Z] la somme de 75 336 euros portant intérêts au taux légal à compter de l'assignation en date du 19 février 2018, au titre du préjudice économique subi,

- condamné Maître [H] [K] à payer à Mme [U] [I] épouse [Z], la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi,

- condamné Maître [H] [K] à payer à Monsieur [T] [Z] la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi,

- condamné Maître [H] [K] à payer à Mme [U] [I] épouse [Z], et à M. [T] [Z] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; aux entiers dépens de l'instance sur l'affirmation de droit de Maître Anne Marin avocat à la Cour, conformément à l'article 699 du code de procédure civile et a ordonné l'exécution provisoire,

- débouté Maître [H] [K] de sa demande tendant à obtenir la condamnation in solidum de Mme [U] [I] épouse [Z] et de M. [T] [Z] au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par ces derniers par l'atteinte portée à son honneur, à sa probité ainsi qu'en réparation du préjudice moral causé et tendant encore à obtenir leur condamnation au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Prétentions et moyens des parties :

Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 21 janvier 2023, Mme [H] [K], appelante, demande à la cour, au visa de l'article 1240 du code civil (anciennement 1382 dudit Code), de :

Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées,

- réformer le jugement déféré en toute ses dispositions,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- débouter M. [T] [Z] et Mme [U] [I], épouse [Z], de l'ensemble de leurs demandes,

- les condamner in solidum au paiement d'une somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts et au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la Scp Larrat,

A titre subsidiaire, si le principe de la responsabilité civile professionnelle à son égard devait être confirmé,

- l'exonérer partiellement de sa responsabilité civile professionnelle et fixer sa part de responsabilité à 1/3 du préjudice effectivement subi,

- juger que ledit préjudice ne peut consister qu'en une perte de chance pour

M. [T] [Z] et Mme [U] [I], épouse [Z], d'avoir pu renoncer à l'opération critiquée,

- fixer ladite perte de chance à la somme de 9 688 euros,

- juger qu'elle ne pourra donc être tenu de supporter ce montant qu'à hauteur de 1/3, soit la somme de 3 229 euros,

- débouter M. [T] [Z] et Mme [U] [I], épouse [Z], du surplus de leurs demandes, dont celle présentée en réparation de leur préjudice moral,

- les débouter de leur appel incident,

- les condamner in solidum au paiement d'une somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts et aux dépens d'appel.

Elle reconnaît qu'au titre du devoir de conseil, tout notaire est tenu de mettre en garde ses clients contre les risques connus de lui et qu'ils peuvent encourir en raison des opérations juridiques auxquelles ils souscrivent, de sorte que tout manquement à cet égard peut lui être imputé à faute.

Elle soutient que dès lors que son client commet intentionnellement une faute, laquelle peut notamment consister en une déclaration mensongère dont il a nécessairement conscience, cette faute peut être regardée comme la clause exclusive du préjudice invoqué, en particulier parce que par sa gravité et par sa nature intentionnelle, elle est venue rompre tout lien de causalité avec la faute du professionnel ; qu'elle peut justifier une exonération totale de responsabilité, ou partielle.

Elle soutient que l'opération juridique était en tant que telle parfaitement légale, sous réserve que le prix soit effectivement payé. Elle soutient qu'elle ne s'est pas désintéressée de l'effectivité de ce paiement, car il lui a été mensongèrement confirmé que celui-ci était effectif ; que pour la part payable par échéancier, elle n'avait plus à intervenir. Elle soutient que l'argument selon lequel le prix consistait en les bons soins apportés depuis 40 ans à Mme [V] n'est pas crédible et qu'il y a bien mensonge de M. et Mme [Z] quant au paiement du prix. Elle dit qu'elle n'a pas identifié le risque fiscal. Elle soutient qu'à supposer que le notaire ait conscience du montage, M. et Mme [Z] y ont pris une part active et consciente.

A titre subsidiaire, elle soutient que sa part de responsabilité ne saurait excéder un tiers des conséquences dommageables subies. Elle soutient que si elle les avait mis en garde contre le risque de requalification, rien ne permet d'affirmer que M. et Mme [Z] auraient renoncé au montage. Elle dit qu'il n'est pas démontré que Mme [V] aurait accepté la vente de l'immeuble et le placement du prix sur des contrats d'assurance-vie. En outre vu son âge et son décès deux ans après, l'opération aurait également pu être requalifiée. Enfin, Mme [V] aurait pu modifier ses bénéficiaires ou procéder à un rachat partiel ou total. Elle souligne que s'agissant du legs, M. et Mme [Z] affirment qu'ils l'auraient refusé s'il s'était agi pour eux de devoir supporter une imposition à hauteur de 60%. Elle dit que le seul préjudice subi ne peut être qu'une perte de chance de 50% de bénéficier d'un legs, payant ainsi les droits y afférents.

Elle réclame des dommages et intérêts pour mise en cause de sa probité et de son intégrité en produisant un pseudo article de presse faisant état de sa condamnation pénale.

Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 27 janvier 2023, M. [T] [Z] et Mme [U] [I] épouse [Z], intimés et appelants incidents, demandent à la cour, au visa de l'article 1240 du code civil, de :

- confirmer la décision de première instance sauf en ce qui concerne l'absence d'indemnisation au titre du montage frauduleux, et le montant des dommages et intérêts ;

- La réformer sur ces points, et en conséquence,

- condamner Mme [H] [K] à leur payer en sus la somme de 16 642 euros,

- condamner Mme [H] [K] à leur payer la somme complémentaire de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

En toute hypothèse,

- débouter Maître [K] des fins de son appel et de l'intégralité de ses demandes,

- condamner Maître [H] [K] à leur payer la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Maître [H] [K] à payer les entiers dépens de l'instance.

Ils font valoir qu'ils sont profanes en matière juridique et fiscale.

Ils soutiennent que c'est Me [K] qui a pris l'initiative du montage alors qu'elle ne pouvait ignorer les circonstances de faits particulières qui ont participé à la requalification de l'acte en donation déguisée. Ils disent que Me [K] ne pouvait se désintéresser du paiement du prix. Ils soutiennent que le montage servait avant tout les intérêts de Me [K] en majorant les honoraires.

Ils contestent avoir menti en disant que la partie du prix payable comptant était payée. Ils soutiennent que Me [K] leur avait annoncé que la partie de prix de 80.000 euros payée comptant correspondait à la valorisation des soins apportés à Mme [V] sur les 40 dernières années. Ils disent que leur état de stupéfaction lors du redressement fiscal explique qu'ils n'aient pas exposé ceci. Ils disent avoir toujours tenue compagnie à Mme [V].

Ils exposent leur préjudice, estimant qu'il ne s'agit pas d'une perte de chance, mais un préjudice direct, actuel et certain. Ils soutiennent que la vente de la maison pouvait être suggérée à Mme [V] avec le placement du prix sur deux contrat d'assurance-vie les instituant comme bénéficiaires. Ils disent que Mme [V] souhaitait quitter sa maison. Ils estiment que si Me [K] avait proposé une donation imposée à hauteur de 60%, ils auraient sûrement refusé une telle transaction. Ils indiquent subir un préjudice financier et moral du fait du redressement.

Ils se prévalent d'un article de presse faisant état de la condamnation pénale de Me [K]. Ils estiment que la qualité d'officier ministériel de Me [K] n'interdit pas toute accusation à son encontre dès lors que les accusations sont démontrées.

L'affaire a été examinée à l'audience du 30 janvier 2023. La clôture de l'affaire est intervenue le jour de l'audience à 9 h.

Motifs de la décision :

La responsabilité civile professionnelle du notaire pour manquement au devoir d'information et de conseil, qui a une nature délictuelle, suppose en vertu de l'article 1382 ancien du code civil applicable en la cause la démonstration d'une faute, d'un préjudice qui doit être né, actuel et certain et d'un lien de causalité qui doit être direct entre ladite faute et ledit préjudice.

En droit, le notaire qui prête son concours à l'établissement d'actes authentiques doit veiller à leur efficacité. Il doit, préalablement, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer leur utilité et leur efficacité, sans toutefois être dans l'obligation de vérifier les informations d'ordre factuel fournies par les parties en l'absence d'éléments de nature à faire douter de la véracité ou de l'exactitude des renseignements donnés. Il est en outre tenu, envers ceux qui sollicitent son ministère, d'un devoir de conseil et le cas échéant, de mise en garde, notamment en ce qui concerne les conséquences et risques des stipulations convenues.

Le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques, notamment quant à ses incidences fiscales, de l'acte auquel il prête son concours.

Il incombe au notaire d'apporter la preuve de l'exécution de son devoir de conseil.

Sur la responsabilité :

Sous l'égide du notaire, il y a eu création d'une Sci, apport de l'immeuble à la Sci, cession de la nue-propriété des parts à M. et Mme [Z].

Le montage n'est pas illicite. L'illicéité ne pouvait résulter que de l'absence de paiement du prix.

Dans le cadre de la cession des parts sociales avec le paiement du prix, la valeur de l'usufruit était économisée, soit 20% de 200.200 euros, donc 40.040 euros.

Les droits à payer étaient de 5%, les parts cédées représentant des apports en nature réalisés depuis moins de 3 ans, soit des droits 8.000 euros.

Donc l'avantage pour M. et Mme [Z] était de 32.040 euros.

Cependant, un legs était plus intéressant, puisque déduction faite de 60% de droits de mutation à titre gratuit, M. et Mme [Z] percevaient 40 % de 200.200 euros, soit 80.080 euros. Les frais d'acte étaient moindres que dans le cadre de la cession des parts sociales.

En réalité, le montage avec cession de parts de Sci n'avait d'intérêt par rapport à un legs que s'il consistait à ne pas payer le prix de cession pour échapper aux droits de mutation à titre gratuit de 60%.

La notaire ne s'est pas assurée du paiement de la partie comptant du prix de cession de la nue-propriété des parts sociales. Elle a mentionné dans l'acte que la somme de 80.000 euros était payée hors comptabilité.

M. et Mme [Z] ont faussement attesté dans l'acte avoir directement réglé la somme de 80.000 euros à Mme [V], en-dehors de la comptabilité de l'étude.

Mme [V] a donné quittance de ce paiement.

L'autre partie du prix, soit 80.000 euros, était payable à tempérament.

Au final, M. et Mme [Z] ne contestent pas n'avoir effectué aucun versement comptant, ni à tempérament.

Ils soutiennent qu'au moment de l'acte, ils avaient apporté leurs bons soins à Mme [V] depuis plus de 40 ans (soit depuis les 46 ans de Mme [V]). Ils ne l'avaient pas soutenu devant l'administration fiscale. Ils n'en justifient pas. Ils disent qu'ils lui ont tenu compagnie, ce qui n'est pas des soins. En outre l'acte parle d'un paiement de 80.000 euros ; s'il y avait eu des bons soins l'acte aurait pu le mentionner.

Dès lors, M. et Mme [Z] ne démontrent pas avoir pu penser que le prix était payé par la valorisation de la compagnie apportée à Mme [V] depuis 40 ans.

Il n'y a tout simplement pas eu de paiement de la partie comptant.

Sur la faute du notaire dans l'absence de vérification du paiement du prix :

Mme [V] avait la volonté de léguer son patrimoine aux époux [Z]. Ainsi, l'administration fiscale a relevé des présomptions relatives à l'intention libérale :

- l'âge avancé de Mme [V] ;

- les liens d'affection avec M. et Mme [Z] : le fait que Mme [V] était célibataire et sans descendante directe ; M. et Mme [Z] avaient été bénéficiaires de libéralités antérieures ;

- Mme [V] avait organisé sa succession par cet apport dans la SCI de l'unique bien immobilier qu'elle possédait, suivi le même jour de la cession en nue-propriété des parts qu'elle détenait, de sorte qu'il ne restait à son décès que deux comptes bancaires ouverts auprès de la caisse d'épargne pour 1.777,52 euros et 59,20 euros. Ainsi, l'actif brut successoral ne s'élevait qu'à 1.837 euros alors que la valeur vénale des parts de SCI en nue-propriété était de 160.000 euros ;

- la situation de fortune de Mme [V] ne motivait pas une aliénation à titre onéreux : ses revenus déclarés en 2014 au titre des pensions, retraites et rentes s'élevait à 31.731 euros.

S'agissant de la partie comptant, le notaire avait l'obligation de vérification du paiement hors comptabilité parce que le montage n'était pas usuel, et parce qu'il existait un risque fiscal d'une requalification en donation déguisée si le prix de cession n'était pas payé. L'administration fiscale a relevé le caractère libéral de l'opération sur la base d'un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes rappelées ci-dessus, que le notaire ne pouvait ignorer, comme l'âge avancé de Mme [V], le fait qu'elle était célibataire et sans descendance directe, le fait qu'elle apportait en Sci le bien constituant sa résidence principale et cédait la nue-propriété des parts.

Le notaire a donc commis une faute.

En revanche, l'intervention du notaire cesse après la réception de l'acte qu'il a été requis d'authentifier donc il n'avait pas à vérifier le versement de la partie du prix payable à tempérament.

En mentionnant faussement avoir payé la somme de 80.000 euros, M. et Mme [Z] savaient que l'acte masquait une donation. Ils avaient conscience d'échapper aux droits de mutation à titre gratuit. Ils étaient les principaux bénéficiaires de l'opération.

Pouvaient-ils être de bonne foi, c'est-à-dire dans l'ignorance du caractère anormal et irrégulier de l'intervention du notaire '

Leur inexpérience en affaires en tant qu'infirmier à la retraite et aide-soignante à la retraite, et la confiance qui résulte de la fonction notariale, le recours à une opération selon un montage juridique dont rien ne permet de leur en attribuer l'initiative, ne pouvaient suffire à leur faire croire que le montage était licite dès lors qu'ils agissaient de façon contraire aux termes clairs de l'acte de cession de parts. Ils avaient conscience en ne payant pas le prix d'agir contrairement aux termes d'un acte notarié.

Cependant, on peut considérer que si le notaire les avait mis en garde sur les conséquences fiscales, et notamment sur la requalification en donation déguisée et ses conséquences, ils auraient renoncé à l'opération. Or, le notaire qui est à l'initiative du montage ne justifie pas les avoir avertis de ces risques, ce qui a créé l'entier dommage.

En conséquence, l'entière responsabilité repose sur le notaire.

Sur le préjudice économique :

Sur les frais et honoraires supplémentaires :

M. et Mme [Z] font état de frais qui n'auraient pas dû être effectués s'ils avaient renoncé à l'opération de création de la Sci et de cession de parts.

Le compte de Mme [P] [V] en l'étude de Me [K] fait apparaître des honoraires de 6021,74 euros de création de la Sci et cession de la nue-propriété des parts, outre des frais.

M. et Mme [Z] ne démontrent pas que ce sont eux qui ont payé ces honoraires et frais.

Ils seront déboutés de leur demande à ce titre.

Sur les droits, intérêts et majorations :

M. et Mme [Z] soutiennent que plutôt que de recourir au montage frauduleux, le domicile de Mme [V] aurait pu être vendu et les fonds mis sur deux contrats d'assurance-vie les instituant comme bénéficiaires.

Cependant, il apparaît que dans les opérations relatives à la Sci, Mme [V] avait voulu rester usufruitière des parts cédées. Certes, ses revenus déclarés en 2014 au titre des pensions, retraites et rentes s'élevaient à 31.731 euros selon ce qu'ont indiqué les services fiscaux, ce qui permettait dans une certaine mesure de financer une maison de retraite. Cependant, l'intention de Mme [V] d'aller en maison de retraite n'est nullement démontrée. Il est uniquement produit un justificatif de séjour en maison de retraite du 9 au 31 mai 2014. Lorsqu'elle est décédée, elle vivait dans sa maison. Il n'y a pas de preuve que Mme [V] aurait accepté de vendre sa maison.

Seul un legs aurait pu correspondre à la volonté de Mme [V] d'avantager M. et Mme [Z] tout en conservant son domicile jusqu'à son décès.

M. et Mme [Z] disent qu'ils y auraient sûrement renoncé vu les droits à payer.

S'ils y avaient renoncé, il n'auraient pas reçu du tout la maison, ce qui revient à renoncer à 100% de la valeur de la maison. Il est donc peu probable voire 'absurde' comme Me [K] le dit de penser qu'ils auraient renoncé au legs du seul fait des droits de mutation de 60% à payer. Néanmoins, c'est ce qu'ils soutiennent.

Leur préjudice est un préjudice de perte de chance, dans la mesure où ils n'auraient pas renoncé à un legs fait par Mme [V]. Elle peut être évaluée à 95%.

Dans le cadre d'un legs, ils auraient payé des droits mutation de : 200.200 X 60 % = 120.120 euros.

En pratique, ils ont payé 8.000 euros de droits dans le cadre de la création de la Sci.

Dans le cadre de la donation déguisée portant sur 160.000 euros (le prix de cession des parts) il y a eu une transaction pour 134.736 euros en droits, intérêts et majorations.

Au final, ils ont payé 8.000 + 134.736 euros = 142.736 euros de droits, intérêts et majorations.

Du fait du redressement fiscal, ils ont payé 142.736 - 120.120 = 22.616 euros de droits, intérêts et majorations de plus par rapport à un legs.

Leur préjudice de perte de chance lié aux droits, intérêts et majorations supplémentaires est de 95% X 22.616 = 21.485,20 euros.

Infirmant le jugement dont appel, Me [K] sera condamnée à payer à M. et Mme [Z] la somme de 21.485,20 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 19 février 2018, au titre du préjudice économique.

Sur le préjudice moral :

M. et Mme [Z] ont dû faire face à un redressement fiscal. Ils ont fait face à une saisie administrative à tiers détenteur en novembre 2020 pour des montants de 57.660 euros et 61.676 euros, et en avril 2021 pour 56.710,36 euros et 61.676 euros.

Ils justifient souffrir d'un stress qui a un retentissement médical.

Leur préjudice moral peut être évalué à 5.000 euros chacun.

Le jugement dont appel sera confirmé en ses dispositions relatives au préjudice moral.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts de Me [K] :

L'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose :

« Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.

Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.

Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l'action civile des tiers. »

M. et Mme [Z] produisent un article de presse du site centpourcent.com 'info 100%' mis en ligne le 28 août 2019 à 12 h 08 et modifié à 12 h 31 selon lequel Me [K] a été condamnée le 13 mars 2018 à un an de prison avec sursis et 10.000 euros d'amende par le tribunal correctionnel de Toulouse pour avoir falsifié des actes notariés, et selon lequel elle encourt la radiation à vie.

Il n'est pas établi en l'espèce que l'évocation des faits évoqués dans la pièce produite par les intimés à l'appui de leur prétention tendant à imputer au notaire l'initiative d'un montage illicite, revête un caractère diffamatoire en l'absence de démonstration que ces faits visés dans l'article de journal ne correspondent pas à la réalité judiciaire ni que cette évocation soit injurieuse ou outrageante au regard de la liberté d'expression dans le cadre de la défense en justice. 

Le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a débouté Me [K] de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Me [K], partie perdante, doit supporter les dépens de première instance, ainsi que décidé par le premier juge, et les dépens d'appel.

Elle se trouve redevable d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, que le premier juge a justement estimée au titre de la procédure de première instance, et dans les conditions définies par le dispositif du présent arrêt au titre des frais non compris dans les dépens exposés en appel.

Elle sera déboutée de sa demande sur le même fondement.

Par ces motifs,

La Cour,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Toulouse du 14 janvier 2021, sauf sur le quantum de la condamnation au titre du préjudice économique ;

Statuant à nouveau sur le chef infirmé, et y ajoutant,

Condamne Me [H] [K] à payer à M. [T] [Z] et Mme [U] [I], son épouse, la somme de 21.485,20 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 19 février 2018, au titre du préjudice économique ;

La condamne aux dépens d'appel ;

La condamne à payer à M. et Mme [Z] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel et non compris dans les dépens ;

La déboute de sa demande sur le même fondement.

Le Greffier Le Président

N. DIABY M. DEFIX

.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 1ere chambre section 1
Numéro d'arrêt : 21/01194
Date de la décision : 09/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-09;21.01194 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award