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24/02/2023 | FRANCE | N°21/00511

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 4eme chambre section 1, 24 février 2023, 21/00511


24/02/2023



ARRÊT N° 2023/84



N° RG 21/00511 - N° Portalis DBVI-V-B7F-N6O2

MD/KS



Décision déférée du 17 Décembre 2020



Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE



( F18/000852)



SECTION INDUSTRIE



[K] [Y]

















[J] [U]





C/



S.A.S. STERELA































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INFIRMATION PARTIELLE





Grosses délivrées



le 24/02/2023

à

Me Julie BROCA

Me Alfred PECYNA

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1



***

ARRÊT DU VINGT QUATRE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS

***



APPELANTE



Madame [...

24/02/2023

ARRÊT N° 2023/84

N° RG 21/00511 - N° Portalis DBVI-V-B7F-N6O2

MD/KS

Décision déférée du 17 Décembre 2020

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE

( F18/000852)

SECTION INDUSTRIE

[K] [Y]

[J] [U]

C/

S.A.S. STERELA

INFIRMATION PARTIELLE

Grosses délivrées

le 24/02/2023

à

Me Julie BROCA

Me Alfred PECYNA

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT QUATRE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTE

Madame [J] [U]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Julie BROCA de la SCP CORMARY & BROCA, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE

S.A.S. STERELA

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Alfred PECYNA de la SCP LAPUENTE PECYNA, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant , M.DARIES et N.BERGOUNIOU chargées du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

S. BLUME, présidente

M. DARIES, conseillère

N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : C. DELVER

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par S. BLUME, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.

FAITS ET PROCÉDURE:

Après être intervenue dans le cadre d'une mission par intérim à compter du 01 avril 2016, Mme [J] [U] a été embauchée le 1er septembre 2016 par la sas Sterela en qualité de monteur-câbleur, suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps plein régi par la convention collective nationale de la métallurgie.

Le 9 novembre 2016, Mme [U] a fait l'objet d'un avertissement.

Elle a été placée en arrêt de travail du 22 mai 2017 au 29 mai 2017, puis de nouveau à compter du 01 juin 2017, renouvelé.

Le 22 janvier 2018, la salariée a été déclarée inapte à tout poste dans l'entreprise par le médecin du travail.

Après avoir été convoquée par courrier du 15 février 2018 à un entretien préalable au licenciement fixé au 23 février 2018, elle a été licenciée par courrier du 28 février 2018 pour inaptitude.

Mme [J] [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse le 5 juin 2018 pour contester son licenciement et demander le versement de diverses sommes.

Le conseil de prud'hommes de Toulouse, section industrie, par jugement du 17 décembre 2020, a :

-débouté Mme [U] de l'ensemble de ses demandes,

-débouté la société Sterela de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-mis les dépens éventuels de l'instance à la charge de Mme [U].

Par déclaration du 2 février 2021, Mme [J] [U] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 5 janvier 2021, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.

PRÉTENTIONS DES PARTIES:

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 29 décembre 2021, Mme [J] [U] demande à la cour de :

*infirmer la décision dont appel dans toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau

-prononcer la nullité du licenciement en raison du harcèlement dont elle a été victime,

-à titre subsidiaire, juger que la sas Sterela a violé son obligation de sécurité, entraînant l'absence de cause réelle et sérieuse au licenciement,

et en conséquence,

*condamner la sas Sterela à lui verser les sommes suivantes :

-avec intérêts de droit à compter de la décision à intervenir :

-20 000 euros au titre du harcèlement moral, ou, à défaut, au titre de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité,

-25 000 euros au titre de la nullité du licenciement, ou, à défaut, pour absence de cause réelle et sérieuse demeurant la violation par l'employeur de son obligation de sécurité,

-avec intérêts de droit à compter de la saisine de la juridiction de première instance :

-3 725,56 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

-372,56 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

-ordonner la remise de tous les documents de fin de contrat rectifiés et d'un bulletin de salaire rectificatif,

-condamner la sas Sterela à lui verser la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre des frais irrépétibles de première instance, et, y ajoutant, celle de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 29 juillet 2021, la sas Sterela demande à la cour de :

-confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse en date du 17 décembre 2020,

en conséquence,

-débouter Mme [U] de l'intégralité de ses prétentions,

-allouer à la société Sterela la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner Mme [U] en tous les dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance en date du 23 décembre 2022.

Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION:

I / Sur le harcèlement moral et l'obligation de sécurité:

En application de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aux termes de l'article L 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à des faits de harcèlement au sens de l'article L 1152 - 1 du code du travail, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Aux termes des articles L 4121-1 et 4121-2 du code du travail, l'employeur doit mettre en oeuvre des mesures de prévention pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1.

Mme [U] soutient avoir été victime d'agissements de harcèlement répétés de la part d'une autre salariée qui ont entraîné une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé jusqu'à déclaration d'inaptitude et que cette dégradation est également la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, la société n'ayant pas réglé la situation 'toxique' à laquelle elle était exposée.

Elle énonce avoir informé au mois de septembre 2016 son employeur de ce qu'elle devait faire face de la part de Mme [C], contrôleuse qualité

engagée en tant qu'intérimaire au début du mois, à des moqueries et insultes ( « tu pues », « salope », « tu es dérangée, tu es une malade, tu as des problèmes psychologiques »), en présence des autres salariés du site de production, ainsi qu'à un contrôle démesuré et dénigrant de son travail, ce qui n'était pas le cas antérieurement avec Mme [D], contrôleuse, ayant quitté l'entreprise le 09 septembre 2016.

Elle ajoute que Mme [C], laquelle n'était ni chef d'atelier, ni sa supérieure hiérarchique, l'a physiquement poussée à plusieurs reprises et a jeté du matériel vers elle.

Elle verse le témoignage M. [E], technicien d'études, lequel atteste avoir vu lors de passages au cablâge aéronautique, plusieurs fois, « l'attitude et le comportement déplacé et agressif de [F] [C] dans sa façon de parler aux collègues. Elle était plus moqueuse avec [J] [U]. [F] pouvait aussi jeter les faisceaux vers les collègues en exigeant de le refaire rapidement. »

Mme [U] allègue de sa compétence professionnelle et oppose que selon les fiches de non-conformité produites par elle aux débats ( pièces 61 à 63), étaient concernés des défauts mineurs, repris dans la journée, lesquels n'étaient pas plus fréquents ni plus importants que ceux des autres ouvriers, une seule non conformité pouvant faire l'objet de deux fiches ce qui en faussait le nombre.

Au cours du mois d'octobre 2016, Mme [U] s'est entretenue avec M. [O], directeur technique, en présence du délégué du personnel M. [V] concernant les altercations avec Mme [C].

En réponse, le 9 novembre 2016, la société lui a notifié un avertissement en ces termes: 'Vos agissements nous contraignent à vous demander d'arrêter toute action polémique alimentant des tensions internes au sein du service production et de vous recentrer sur vos tâches afin de réaliser un travail de qualité.

En effet un certain nombre de non-conformités ont été constatées en interne sur le travail que vous êtes amenée à effectuer (..).Vous avez au cours du mois de septembre et octobre 2016 réalisé un total de 20 défauts (8 inversions, 7 non conformités par rapport au plan, des absences) alors que sur la même période vos collègues occupant le poste n'en ont produit respectivement que 4 et 1).

Vous perdez de l'énergie à entretenir un conflit avec Madame [F] [C], intérimaire en charge du contrôle qualité, nuisant ainsi à la qualité de votre travail et à l'ambiance au sein du bureau et du service auquel vous êtes rattachée.

Nous tenons à vous informer par écrit que ce comportement n'est pas acceptable,d'autant plus qu'il intervient alors que ce conflit personnel qui vous oppose à Madame [F] [C] a déjà nécessité l'intervention de votre supérieur hiérarchique Monsieur [L] [O].

Nous ne pouvons pas tolérer que des mésententes de personnes nuisent à la qualité du travail et des produits vendus par la société Sterela.

Vous occupez chacune un poste différent avec des tâches qui vous sont propres et nous vous demandons d'adopter une attitude professionnelle et de vous en tenir à vos missions respectives.

Nous attendons de vous un recentrage sur votre travail afin de minimiser les défauts et non-conformités et souhaitons vous voir davantage concentrée sur votre mission plutôt que de déployer toute votre énergie à vous défendre contre ou vous sentir attaquée par Madame [F] [C]. »

Le 22 mai 2017, à la suite d'une 'nouvelle réflexion'de la contrôleuse qualité, un entretien a eu lieu avec M. [O] et Mme [C] laquelle lui a 'crié dessus' et l'a empêchée de sortir du bureau, sans que M. [O] ne réagisse.

Mme [U] a adressé le 26 mai 2017 un courrier au directeur général de la société, aux termes duquel elle s'est plainte de subir les réflexions de la nouvelle contrôleuse qualité, d'une atteinte à sa dignité et à son intégrité professionnelle et de la façon dont l'entreprise a appréhendé la situation: ' jusqu'à présent je n'ai eu pour seule réponse qu'une incitation à aller me faire soigner pour guérir mes problèmes psychologiques et une lettre d'avertissement pour des problèmes de qualité de comportement (..)'.

La salariée était placée en arrêt de travail jusqu'au 28 mai.

A son retour, le 29 mai, un entretien est intervenu avec Mme [H], Directrice des Ressources Humaines sur le harcèlement moral subi de Mme [C], entretien à la suite duquel l'appelante a de nouveau écrit à la direction générale:

' Même si les choses semblent s'améliorer du fait de la proximité de la fin de son contrat de travail, j'ai encore à déplorer devoir subir des pressions morales lorsque ce lundi 29 mai elle m'a remis des éléments de ma production qu'elle a considérés défectueux.

Je vous demande d'engager toutes les actions nécessaires notamment afin que ce problème soit rapidement porté à la connaissance du CHSCT pour qu'un avis soit rendu pour faire cesser ces désagréments répétés qui vont finir par altérer ma santé et qui menacent ma vie professionnelle.'

Le 1er juin 2017, une entrevue a eu lieu, avec le directeur général M. [B], la DRH et M. [V], en sa qualité de délégué du personnel pour assister la salariée.

Mme [U] explique que:

. l'employeur lui a proposé un courrier à signer immédiatement, ce qu'elle a refusé,

. il lui a indiqué avoir enquêté et il n'y avait rien de fondé dans ses affirmations, mais elle n'a pas été entendue dans le cadre de cette enquête,

. il lui a proposé également une rupture conventionnelle, ce que l'employeur ne conteste pas.

A la suite de cette entrevue, la salariée a saisi l'Inspection du Travail, en dénonçant subir une situation de harcèlement moral à laquelle il n'a pas été mis fin.

Elle a été placée en arrêt de travail à compter du 02 juin 2017, ayant décompensé , et a formalisé une déclaration d'accident du travail auprès de la CPAM, laquelle a procédé à une enquête.

L'employeur lui a adressé une correspondance le 01 juin rappelant l'existence des problèmes relationnels avec Mme [C] ayant fait l'objet de l'entrevue du 29 mai et ayant une incidence sur l'ambiance générale et la qualité du travail. Il précisait interroger l'ensemble du personnel et le CHSCT.

Celui-ci, saisi par la direction le 07 juin 2017, a procédé à une enquête et conclu à l'absence de harcèlement moral lors de la réunion extraordinaire du 07 novembre 2017, ce que l'appelante conteste.

Elle oppose que les entretiens effectués pendant l'enquête avec les autres salariés montrent que les rapports délétères entre Mme [C] et elle et ayant entraîné son mal être, ont été entretenus par le comportement inadéquat de l'employeur, et notamment de M. [O], directeur technique, lequel n'a pas réglé la situation et était même favorable à Mme [C].

Sur l'absence maintenue par l'employeur de chef d'atelier et le défaut d'intervention de M. [O], Mme [U] fait état des déclarations suivantes des salariés:

. [M] [T]: « le gros du problème vient de l'absence d'un chef d'atelier »

. [ZV] [I]: « [L] n'est pas assez présent dans l'atelier. Les mésententes et les arbitrages ne sont plus gérés sur le moment, comme le faisait [A]. Il faut une présence permanente pour ces arbitrages et cette gestion humaine »

. [S] [X] : « concernant [L] [O], en dehors du fait qu'il aurait dû s'interposer, il a manifesté un soutien marqué à [F]. Il n'a a priori pas recadré [F] dans son poste chaque fois que nécessaire, surtout au début. La mésentente initiale n'aurait été aussi loin si cela avait été freiné beaucoup plut tôt', .[G] [N]: « [L] a laissé une certaine autonomie à [F] dans le contrôle qualité ce qui n'était a priori pas judicieux. Il n'a pas géré la situation à cause de ça. Si la situation avait été mieux cadrée au départ, a priori, les choses se seraient mieux passées.'

L'appelante dénonce également une attitude de M. [O] défavorable à son égard au contraire de celle envers Mme [C] et se réfère aux propos suivants tenus

lors de son entretien libre avec le CHSCT :

« pour [lui] il y a toujours eu un truc faux chez [J]. Tout ce qu'elle faisait ou disait était calculé. Il a vu plusieurs fois un cahier sur lequel [J] notait des choses, dans l'atelier (..). Il y a eu une période de calme entre les deux, avec une amélioration des NC, suite à la demande ferme de rester sur des comportements professionnels.

En revanche [L] avait parfois l'intuition d'un comportement manipulateur de [J], mais sans avoir des éléments pour agir. Par la suite, il a dit à [J] qu'elle était manipulatrice et il est convaincu que son seul but était de virer [F]. Un jour, [J] a dit qu'elle ne voulait pas le poste de [F], alors que rien n'amenait ces propos.

[L] a essayé de trouver une solution à cette situation. Se séparer de [F] était une solution, mais elle convenait au poste et il était persuadé que le problème ne venait pas de [F]. (..)

[L] a observé beaucoup. Il est passé en mode manipulateur, 'la caresser dans le sens du poil', voir si lui porter une certaine attention permettait de désamorcer la situation. Cela correspond à la période où cela se passait plutôt bien. A cette période même [F] disait que cela se passait plutôt bien. (..)

Le problème était masqué, pas réglé. Leurs deux personnalités sont 'non miscibles'. [F] était la victime rêvée de [J] (..)»

Mme [U] ajoute que son état de santé mentale s'est dégradé.

Elle verse à cet effet:

. le certificat médical du docteur [P], psychiatre, l'ayant suivie à compter de juillet 2017 « pour la prise en charge d'un épisode dépressif majeur d'intensité sévère, réactionnel à des difficultés professionnelles », affichant « une tristesse de l'humeur, avec des idées noires, une angoisse invalidante », verbalisant « un sentiment de découragement, de dévalorisation et d'injustice », assimilant la situation vécue à « de la maltraitance » (Pièce 44)

. le certificat du docteur [R], médecin traitant, indiquant que Mme [U] 'est en arrêt de travail depuis le 02 juin 2017 suite à un entretien violent qu'elle a eu avec son chef de poste le 1er juin 2017. La dépression, les idées noires sont en lien immédiat avec cet événement. Il s'agit d'un accident du travail',

et les arrêts prolongés, (Pièce 45)

Il se réfère à l'avis d'inaptitude du médecin du travail du 22 janvier 2018, mentionnant qu'elle est apte à un poste de monteur câbleur, sauf au sein de l'entreprise, ce qui démontre que l'environnement de travail est le seul critère d'inaptitude retenu.

***

Mme [U] présente des éléments de fait, qui pris en leur ensemble, font supposer l'existence de faits de harcèlement .

Il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

***

La société Sterela réfute tout manquement.

Elle rappelle que Mme [C] est arrivée le 12 septembre 2016, en qualité de contrôleuse qualité à la suite du départ de Mme [D], chef d'atelier et contrôleuse qualité. Le rôle de chef d'atelier a été dévolu à M. [O].

L'intimée réplique en premier lieu que si elle a adressé un avertissement à Mme [U] pour la mauvaise exécution des tâches de câblage, laquelle ne l'a pas contesté en son temps, elle a également, ayant constaté la mésentente avec Mme [C] nuisant à la qualité du travail, adressé à celle-ci, en tant qu'entreprise utilisatrice n'ayant pas le pouvoir de sanction, une mise en demeure le 09 novembre 2016 qu'elle verse à la procédure, dans les mêmes termes que le courrier d'avertissement concernant le conflit avec Mme [U].

La cour constate donc, outre le fait que l'employeur a organisé en octobre 2016 un entretien à la suite de l'alerte de l'appelante de courant septembre, qu'il n'a pas été nié l'existence d'un conflit entre deux salariées que la société a considéré comme étant également parties prenantes.

Cela s'évince d'ailleurs de l'enquête exhaustive du CHSCT au cours de laquelle des témoins ont déclaré avoir vu les deux protagonistes, s'accusant l'une l'autre de contrôler leur tiroir, de fouiller chacune en l'absence de l'autre, alors qu'il est d'usage de prendre le matériel où il est rangé, sans mauvais esprit.

Lors de l'enquête, l'appelante remettait en cause les méthodes de vérification appliquées par Mme [C].

M. [O] expliquait que celle-ci, en cas de doute l'interrogeait et à partir du moment où elle a maîtrisé les outils, tout s'était bien passé. Elle avait apporté une rigueur qui avait permis une amélioration du travail de câblage.

La cour relève que la société a continué à employer Mme [C] à l'issue de la période d'intérim, en contrat à durée déterminée à compter du 02 janvier 2017 renouvelé jusqu'au 30 juin 2017, précision étant faite qu'elle a été en arrêt-maladie à compter du 02 juin 2017 de même que l'appelante.

Les seules fiches de non conformité produites par Mme [U], laquelle n'était pas référente technique, ne permettent pas d'établir l'établissement volontaire par Mme [C] d'une double fiche pour un même défaut et l'appelante reconnaît l'existence de non conformités qu'elle qualifie de légères.

La société produit en outre le relevé de non-conformités constatées au sein de l'atelier Câblage Aéronautique de septembre 2016 à mai 2017, dont il ressort que le nombre de celles constatées et imputables à l'appelante était supérieur à celui des autres câbleurs.

Après janvier 2017, aucune nouvelle alerte de la direction par Mme [U] n'est intervenue avant le 22 mai 2017, même si pendant le mois, tel qu'évoqué dans le compte-rendu extraordinaire du CHSCT, une dispute a eu lieu entre les deux salariées à la suite de la découverte de l'offre de poste de contrôleur qualité sur le compte-rendu de la DUP: 'Il y a eu provocation mutuelle et toutes deux ont postulé'. Une discorde aussi s'est faite jour sur le plan privé en relation avec le suivi par le même dentiste.

A la date du 22 mai, une forte dispute s'est déclenchée entre Mme [U] et Mme [C] à l'issue de la réunion de service, qui s'est poursuivie dans le bureau de M. [O], lequel a choisi de les laisser 'extérioriser'.

En tout état de cause, il n'est pas fait mention de propos dénigrants tel qu'allégué par Mme [U] ni d'agression physique par Mme [C] et l'un des salariés indique au contraire avoir vu [F] [C] sortir en pleurant du bureau et que Mme [U] avait l'air énervé.

Il y a lieu également de noter que les propos dévalorisants rapportés par Mme [U] comme attribués à Mme [C] au cours de la relation de travail n'ont pas été confirmés par les salariés interrogés.

A la suite d'un arrêt de travail de quelques jours, l'appelante a été entendue par le directeur général le 01 juin 2017, entrevue que Mme [U] a considéré comme violente et pour laquelle elle a déposé une demande de reconnaissance d'accident du travail après avoir été placée de nouveau en arrêt.

S'agissant du contexte de l'entrevue, les certificats médicaux qui ne font que reprendre les déclarations de la salariée, ne sont pas probants.

Si Mme [U] a pu se sentir non soutenue du fait que l'employeur n'a pas pris partie dans le conflit l'opposant à Mme [C] et lui a demandé de réfléchir à une possible rupture conventionnelle, ce dont elle a exprimé un très fort ressenti ( 'syndrome dépressif réactionnel '), il ne ressort pas du compte-rendu dressé à sa demande par M. [V], délégué du personnel l'ayant assistée, que cet entretien ait revêtu une forme agressive:

' Une réunion a été organisée dans le bureau de [L] [B], avec la participation de [Z] [H] et moi-même. [L] [B] a proposé un courrier de réponse à une LRAR que tu avais envoyée. Tu as pris le temps de le lire, tu as voulu que j'en prenne connaissance mais tu n'as pas voulu signer la remise en main propre, il t'a donc été dit que tu la recevrais par courrier.

[L] [B] a repris un peu l'historique récent de la situation en prod á [Localité 4] et de la mésentente entre toi et [F], qui perturbait plus que de raison le service.

Devant cette impossibilité à travailler ensemble, le conflit et le dérangement -pour les autres- que cela générait depuis plusieurs mois malgré des rappels à l'ordre, il t'a été proposé une rupture à l'amiable de ton contrat de travail par le biais d'une rupture conventionnelle.

[L] [B] t'a demandé de ne pas lui répondre sur le champ mais de réfléchir et de revenir vers lui. Tu as pris acte et dit que tu y réfléchirais. Fin de la réunion.'

D'ailleurs, après enquête, la CPAM a refusé de reconnaître la nature d'accident du travail et le tribunal judiciaire, pôle social, saisi d'une contestation, a par jugement définitif du 16 octobre 2019, considéré que l'entretien du 01 juin 2017 n'était pas constitutif d'un accident du travail, n'étant pas démontré qu'il s'était déroulé de manière anormale et hors des prérogatives de l'employeur.

S'agissant des éléments déclencheurs du conflit, le CHSCT a relevé, à la suite des diverses auditions des protagonistes et des salariés travaillant régulièrement avec elles, que:

. les personnalités de Madame [U] et de Madame [C], toutes deux en souffrance, étaient incompatibles,

. l'ambiguïté initiale sur le poste occupé par Madame [C] par rapport à celui précédemment assuré de chef d'atelier de Madame [D] sur lequel Madame [U] paraissait vouloir évoluer,

. l'absence d'une autorité permanente au sein de l'atelier, garante du fonctionnement, qui a pu créer une ambiguïté sur les responsabilités des uns et des autres et a pu être un facteur limitant la bonne résolution du conflit,

. l'attitude de M. [O], lequel a reconnu avoir été dépassé par le conflit (ayant une dimension également extra-professionnelle) et a soutenu la compétence technique de Mme [C], l'appelante l'ayant interprété comme un soutien inconditionnel sur tous les aspects de la vie de l'atelier.

La société rétorque qu'un poste de chef d'atelier pour l'activité câblage aéronautique n'est pas nécessaire pour encadrer 3 ou 4 salariés et que depuis le départ de l'appelante, il n'existe pas de difficulté particulière au sein de l'atelier. Ainsi le conflit, pour l'employeur, était lié non à une difficulté structurelle d'organisation de l'entreprise mais à une vive animosité entre les deux personnes, ce d'autant que Mme [U] briguait le poste de chef d'atelier.

L'intimée affirme qu'elle a agi pour apaiser le conflit dans lequel l'appelante a joué un rôle actif.

Il ressort du déroulement des événements intervenus en quelques mois que si l'arrivée de Mme [C], devant prendre ses repères dans son poste, a entraîné des relations conflictuelles, avec Mme [U], salarié cableur, celle-ci a pu en être partie active, se méprenant sur les propos ou les circonstances et se considérant non soutenue au profit d'une 'nouvelle' dont les compétences étaient reconnues et alors qu'un poste de niveau supérieur était ouvert par l'entreprise pour lequel les deux femmes ont candidaté.

Les rapports entre les deux personnes, également en souffrance, ne relèvent pas d'agissements répétés de harcèlement de Mme [C] ou de M. [O], déstabilisés eux-mêmes, ou du dirigeant ayant rappelé à chacune ses responsabilités, rôles et l'incidence d'une mésentente sur la qualité de travail.

Si l'employeur a entendu les parties en octobre 2017 et a rappelé à chaque salariée ses obligations, ce qui a porté ses fruits sur la qualité du travail, il a occulté les aspects personnels des tensions et n'a pas mis à disposition des protagonistes un dispositif de prévention des risques. M. [W], salarié, a ainsi déclaré lors de l'enquête du CHSCT que M. [O] avait « expliqué qu'il était nécessaire de les laisser extérioriser pour qu'elles se vident, qu'elles disent ce qu'elles avaient à dire. ».

Sans doute débordé par la dimension personnelle du conflit entre les deux femmes et insuffisamment présent pour rappeler les limites, il a laissé la situation 'couver' jusqu'à ce qu'elle ressurgisse avec paroxysme, sans prendre la dimension du mal être persistant non seulement entre Mme [U] et Mme [C], mais aussi au sein de tout l'atelier.

La Cour considère donc que l'employeur a fait preuve d'insuffisance dans la prise en compte des risques psychosociaux ( que le CHSCT a appelé à améliorer dans ses conclusions) et du conflit interne de deux salariées, de telle sorte que les conditions de travail se sont dégradées, entraînant un blocage et une incompréhension de la part de Mme [U], un arrêt maladie avec des ressentis dépressifs et une impossibilité de reprendre un emploi sur le site, tel qu'il résulte de l'avis d'inaptitude.

L'inaptitude est donc en lien avec le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention.

Aussi la cour qualifie le licenciement de sans cause réelle et sérieuse, infirme le jugement déféré sur ce chef et le confirme sur le rejet des demandes de la salariée afférentes à un licenciement pour harcèlement moral.

Sur l'indemnisation:

La société conclut au débouté des différentes demandes.

- L'appelante réclame paiement d'une indemnité compensatrice de préavis d'un mois fixée par la Convention Collective de la Métallurgie, doublée en raison de la qualité de travailleur handicapé par application de l'article L.5213-9 du Code du Travail, soit la somme de 3 725,56 euros ( salaire brut 1862,78 euros x 2), outre celle de 372,56 euros au titre des congés payés afférents.

L'inaptitude étant liée à un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, l'inexécution du préavis est imputable à l'employeur.

Il sera fait droit à la demande de la salariée, ayant le statut de travailleur handicapé reconnu avant son entrée dans l'entreprise, pour lequel elle percevait une prestation d'invalidité du régime social des indépendants.

- Mme [U] réclame 25000,00 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle n'a pas retrouvé d'emploi pérenne. Elle a travaillé en Italie en contrat à durée indéterminée de chantier du 12-03-2018 au 28-06-2019 puis a perçu à compter de juillet 2019 une allocation de retour à l'emploi de 1 126 euros. Sa situation actuelle n'est pas connue.

Elle n'est plus sous traitement médicamenteux.

En application de l'article L 1235-3 du code du travail ( modifié par ordonnance du 27 septembre 2017), en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de non réintégration du salarié dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité compris entre un minimum et maximum, à savoir en l'espèce compte tenu de l'ancienneté de moins de 2 ans de Mme [U] dans une entreprise d'au moins 11 salariés, entre un et deux mois de salaires.

Tenant compte de la situation de la salariée, il lui sera alloué une indemnité de licenciement de 1863,00 euros.

- L'appelante prétend également à des dommages et intérêts pour préjudice spécifique du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité à hauteur

de 20 000,00 euros.

Au regard du contexte du litige, il lui sera alloué une somme de 2 000,00 euros.

III/ Sur les demandes annexes:

LA Sas Sterela , partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Madame [U] est en droit de réclamer l'indemnisation des frais non compris dans les dépens exposés à l'occasion de cette procédure.

La Sas Sterela sera condamnée à lui verser une somme de 2500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d'appel. La Sas Sterela sera déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS:

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Madame [U] de ses demandes afférentes à un harcèlement moral,

L'infirme pour le surplus,

Statuant sur le chef infirmé et y ajoutant:

Dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la Sas Sterela à payer à Madame [J] [U]:

- 3 725,56 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 372,56 euros au titre des congés payés afférents,

- 1863,00 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2000,00 euros de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité,

Condamne la Sas Sterela aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Madame [J] [U] la somme de 2500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

Déboute la Sas Sterela de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile .

Le présent arrêt a été signé par S.BLUMÉ, présidente et par C.DELVER, greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

C.DELVER S.BLUMÉ

.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 4eme chambre section 1
Numéro d'arrêt : 21/00511
Date de la décision : 24/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-24;21.00511 ?
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