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15/02/2023 | FRANCE | N°22/00007

France | France, Cour d'appel de Toulouse, Expropriations, 15 février 2023, 22/00007


15/02/2023





ARRÊT N°03/2023





N° RG 22/00007 - N° Portalis DBVI-V-B7G-OWOW

J-C.G/IA



Décision déférée du 08 Février 2022 - Juge de l'expropriation de TOULOUSE - 21/00031

J-M.GAUCI























S.C.I. LE LABORATOIRE D'[Adresse 12]





C/



MONSIEUR LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

Société SEM OPPIDEA























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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

Chambre des Expropriations

***

ARRÊT DU QUINZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS

***



APPELANTE



S.C.I. LE LABORATOIRE D'[Adresse 12] SCI au capital de 3.048,98 euro...

15/02/2023

ARRÊT N°03/2023

N° RG 22/00007 - N° Portalis DBVI-V-B7G-OWOW

J-C.G/IA

Décision déférée du 08 Février 2022 - Juge de l'expropriation de TOULOUSE - 21/00031

J-M.GAUCI

S.C.I. LE LABORATOIRE D'[Adresse 12]

C/

MONSIEUR LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

Société SEM OPPIDEA

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

Chambre des Expropriations

***

ARRÊT DU QUINZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTE

S.C.I. LE LABORATOIRE D'[Adresse 12] SCI au capital de 3.048,98 euros immatriculée au RCS de Toulouse sous le numéro D 351 040 712 prise en la personne de son Gérant domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean COURRECH de la SCP COURRECH ET ASSOCIES AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉS

MONSIEUR LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

DIRECTION GENERALE DES FINANCES PUBLIQUES

POLE EVALUATION DOMANIALE [Adresse 11]

[Localité 3]

représenté par Mme [F] [C]

Société SEM OPPIDEA

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Christine TEISSEYRE de la SCP BOUYSSOU ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 16 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de:

Président : J.C. GARRIGUES,

Assesseurs : A-M. ROBERT

I. MARTIN DE LA MOUTTE

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : I. ANGER

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

- signé par J.C. GARRIGUES, président, et par I. ANGER, greffier présent lors du prononcé.

FAITS ET PROCEDURE

Par arrêté préfectoral du 29 juillet 2016, les travaux nécessaires à la réalisation de la [Adresse 19] à [Localité 3], laquelle vise à la rénovation urbaine du quartier d'[Adresse 12], ont été déclarés d'utilité publique.

La réalisation des travaux implique la démolition d'un bâtiment à usage de bureaux appartenant à la Sci Laboratoire d'[Adresse 12], situé [Adresse 15] à [Localité 3].

Le mémoire justificatif valant offre a été notifié par la SEM Oppidea, autorité expropriante, à la Sci Laboratoire d'[Adresse 12], le 13 avril 2021.

En l'absence d'accord, Oppidea a pris l'initiative, le 30 avril 2021, de saisir la juridiction de l'expropriation aux fins de fixation judiciaire des indemnités revenant à la Sci Laboratoire d'[Adresse 12].

Le transport sur les lieux est intervenu le 27 septembre 2021.

Par jugement en date du 8 février 2022, le juge de l'expropriation a :

- fixé la valeur de l'immeuble édifié par la Sci Laboratoire d'[Adresse 12] sur les parcelles [Cadastre 8] AD [Cadastre 5] et [Cadastre 8] AD [Cadastre 7] à [Localité 3], à la somme totale de 1.025.650 €, ainsi détaillée :

# indemnité principale de dépossession de 986.028 € dont une indemnité de remploi de 90.548 € ;

# indemnité pour perte de loyers : 39.622 € ;

- condamné la SEM Oppidea à payer à la Sci Laboratoire d'[Adresse 12] la somme de 1000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- laissé les dépens à la charge de l'expropriant ;

- rejeté toute autre demande.

Pour statuer ainsi, le juge de l'expropriation a relevé que le bâtiment à évaluer était rare sur le marché de par sa surface de 789 m² et qu'aucune transaction versée au débat ne concernait un bien de même nature situé dans le quartier d'[Adresse 12], de sorte qu'il n'était pas injustifié de rechercher des termes de comparaison présentant des caractéristiques similaires dans des quartiers présentant des caractéristiques urbaines et sociales proches.

Il a rappelé que le prix au m² d'un bien développant une superficie importante accusait généralement un tassement marqué par rapport à un autre de même qualité mais de taille plus modeste, ce qui l'a amené à considérer comme non pertinents divers termes de comparaison présentés par l'expropriant, par l'exproprié et par le commissaire du gouvernement.

Il a retenu un terme de comparaison proposé par le commissaire du gouvernement proche du quartier d'[Adresse 12] (vente du 16/12/2020 d'un local de 592 m² pour 1300 €/m² ) et trois autres termes de comparaison dans le quartier du [Adresse 13] (moyenne de 1226,66 €/m² ).

Il a précisé qu'il n'avait pu être constaté lors du transport sur les lieux que l'accessibilité au public du bien exproprié était de nature à lui conférer une plus-value significative par rapport à un immeuble de bureau.

Il a en définitive retenu une valeur de 1215 €/m² eu égard aux références les plus pertinentes (1192 + 1238,21 ), portée à 1220 €/m² afin de tenir compte des mérites de l'immeuble avancés par l'exproprié.

Enfin, il a procédé à une réfaction de la superficie de l'entresol de 50 % eu égard à sa nature de lieu d'entreposage, d'où une surface valorisable de 734 m² et une indemnité principale de :

734 m² x 1220 € = 895.480 €.

Il a constaté l'accord des parties pour fixer l'indemnité pour perte de loyers à la somme de 39.622 €.

La Sci Laboratoire d'[Adresse 12] a interjeté appel de ce jugement selon déclaration enregistrée au greffe le 29 mars 2022.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Aux termes de son mémoire déposé au greffe le 27 octobre 2022, la Sci Laboratoire d'[Adresse 12], appelante, demande à la cour de :

- réformer pour partie le jugement entrepris ;

- fixer l'indemnité principale à 1.260.000 € ;

- fixer l'indemnité pour perte de loyers au montant du loyer et de l'impôt foncier soit respectivement 79.244,00 € et à l'impôt foncier annuel de 20.207,00 € (valeur 2020) appliqués au prorata temporis sur une période commençant à courir le 15 octobre 2021 et s'achevant trois mois après la dernière des deux dates suivantes : transfert de propriété et paiement de l'indemnité d'expropriation ;

- fixer l'indemnité de remploi à 127.000 € ;

- condamner Oppidea au paiement de la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La Sci Laboratoire d'[Adresse 12] expose que l'immeuble se compose de trois niveaux, à savoir un entresol de 110 m² rattaché au rez-de-chaussée, le rez-de-chaussée pour 350 m² et le premier étage pour 329 m², que la configuration de l'immeuble fait que le premier étage est indépendant du rez-de-chaussée avec un accès propre et des équipements spécifiques, et que l'existence de deux locaux pouvant et ayant été durablement exploités séparément ne peut être ignorée pour apprécier la valeur du bien, et ce d'autant plus que pour apprécier la valeur de l'immeuble Oppidea s'est employée à écarter les termes de comparaison concernant des surfaces de l'ordre de 300 à 400 m².

S'agissant de l'indemnité principale, elle fait observer que le raisonnement du premier juge s'appuie sur des éléments faux ou incomplets et que les termes de comparaison produits par l'autorité expropriante et le commissaire du gouvernement posent sérieusement question. Elle insiste sur le fait que, les deux étages étant indépendants, la valeur de surfaces de l'ordre de 300 m² n'est pas dénuée de pertinence. Elle fait également grief au premier juge d'avoir refusé de tenir compte des caractéristiques du local qui ne se résument pas à une surface de bureau monovalente aux fins fonds d'une zone d'activité, mais qui sont des locaux utilisables pour du bureau, de l'activité ou du commerce, qui sont aptes à recevoir de la clientèle et qui se situent à proximité immédiate de locaux d'habitation. Elle indique que eu égard au caractère confus des termes de comparaison cités, elle a fait réaliser une expertise qui a permis d'identifier un nombre significatif de termes de comparaison dans le quartier et à l'extérieur, lui permettant de chiffrer sa demande sur la base de 1638 €/m², soit une indemnité principale de 1.202.292 €, que l'expert a également fait application de deux autres méthodes d'évaluation, 'sol + construction' et évaluation 'par le revenu', et que le croisement de l'ensemble des méthodes aboutit à une valeur vénale moyenne de 1.260.000 €.

Sur l'indemnité pour perte de loyer, la Sci Laboratoire d'[Adresse 12] explique qu'elle a modifié ses demandes dans la mesure où le préjudice tel qu'il se présentait il y a un an était sans commune mesure avec ce qu'il est aujourd'hui et qu'il ne s'agit pas d'une demande nouvelle irrecevable en cause d'appel. Elle fait valoir qu'elle a alors considéré que son préjudice serait indemnisé par l'attribution de la somme de 39.622 € mais que le temps passant, l'immeuble étant inutilisable et aucune indemnité n'ayant été perçue, ce préjudice n'est plus le même, que ce préjudice se poursuit et a pour origine directe la procédure d'expropriation. Elle ajoute que sa demande portant sur la prise en charge de l'impôt foncier se justifie dans la mesure où dans le cadre du bail conclu avec la ville de [Localité 3], elle percevait à titre de complément de loyer le remboursement de l'impôt foncier, mais que du fait de l'expropriation, la ville de [Localité 3], locataire, a quitté les lieux le 15 octobre 2021, alors que parallèlement aucun paiement n'est intervenu et qu'il n'y a pas eu de transfert de propriété et qu'elle est redevable de l'impôt foncier puisqu'elle était propriétaire au 1er janvier.

Aux termes de son mémoire déposé au greffe le 21 octobre 2022, la SA Oppidea, intimée, demande à la cour de :

- vu l'article 384 alinéa 3 du code de procédure civile et l'article 1134 du code civil, déclarer irrecevable la demande relative à l'indemnisation de la perte de loyers ;

- vu l'article L. 211-1 du code de l'expropriation, déclarer irrecevable la demande relative au paiement de la taxe foncière comme étant portée devant une juridiction incompétente pour en connaître et constituant de surcroît une demande nouvelle ;

- confirmer le jugement rendu le 8 février 2022 dans toutes ses dispositions ;

- allouer à la Sci Laboratoire d'[Adresse 12] une indemnité globale de dépossession d'un montant de 1.025.650 € comprenant :

# indemnité principale : 986.028 €

# indemnité de remploi : 90.548 €

# indemnité pour perte de loyers : 39.622 € ;

- rejeter toutes prétentions contraires ;

- condamner la Sci Laboratoire d'[Adresse 12] à payer à Oppidea la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux dépens d'appel.

La Sa Oppidea sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a été procédé à la réfaction de la superficie de l'entresol à hauteur de 50 % eu égard à sa nature de lieu d'entreposage, superficie également retenue par la SCI en cause d'appel.

Elle fait valoir que trois des références qu'elle propose sont pertinentes car concernant des locaux présentant des caractéristiques très comparables à celles du local exproprié ( TC n° 2, 4 et 5).

Au vu des références proposées par le commissaire du gouvernement, elle fait observer que le prix de 1300 €/m² correspond à des locaux mieux placés et de superficie inférieure à celle de l'immeuble exproprié.

Sur le défaut de prise en compte des surfaces de l'ordre de 300 m², elle fait observer que le bien exproprié ne correspond pas à une surface de l'ordre de 300 m² mais à un immeuble entier d'une surface de 734 m², réalité factuelle qui ne peut être ignorée et qui a d'ailleurs été prise en compte dans le bail du 3 octobre 2011 conclu au bénéfice de la commune de [Localité 3], et qu'il importe peu que la distribution intérieure de l'immeuble permette une exploitation séparée des deux étages. Elle en conclut que le premier juge a écarté à bon droit les références portant sur des biens de petite superficie.

Elle relève également que le premier juge a tenu compte du fait que les locaux étaient utilisables pour du bureau, de l'activité ou du commerce et qu'ils étaient aptes à recevoir de la clientèle, lorsqu'il se réfère aux 'mérites avancés en défense'.

Elle en conclut que les diverses critiques élevées à l'encontre du jugement dont appel ne justifient aucunement sa réformation.

La Sa Oppidea critique ensuite les travaux effectués par l'expert [G] selon trois méthodes d'évaluation, avec notamment la prise en compte de références concernant de tous petits locaux ou de références hors secteur géographique proche et l'utilisation des méthodes d'évaluation 'sol + construction' et 'par le revenu', de manière inappropriée et sans justifications suffisantes.

Sur l'indemnité pour perte de loyers, elle estime qu'il est vain pour la SCI expropriée de solliciter une indemnité représentant une année entière de loyer alors que les parties ont convenu d'un montant correspondant à six mois de loyer, que le premier juge en a pris acte conformément à l'article R. 311-20 du code de l'expropriation, et qu'en application de l'article 384 alinéa 3 du code de procédure civile il appartient au juge de donner force exécutoire à l'acte constatant l'accord des parties.

Sur la demande de remboursement de la taxe foncière, elle rappelle qu'en application des dispositions de l'article L. 321-1 du code de l'expropriation, seuls les préjudices directement liés à l'emprise sont susceptibles d'être indemnisés, ce qui n'est pas le cas du paiement de la taxe foncière qui n'est pas lié à l'expropriation. Elle fait observer que la SCI justifie sa demande par le fait que le transfert de propriété aurait tardé à intervenir, et que ce n'est donc pas l'expropriation qui est en cause. Elle rappelle que la juridiction de l'expropriation n'est pas compétente pour statuer sur une recherche de responsabilité ni pour apprécier si le comportement de l'expropriant a été ou non fautif et encore moins pour indemniser le préjudice qui résulterait de ce comportement prétendument fautif. Elle ajoute qu'en toute hypothèse cette demande n'ayant pas été formulée en première instance constitue une demande nouvelle irrecevable en cause d'appel.

Le commissaire du gouvernement n'a pas déposé de conclusions.

MOTIFS

Le bien exproprié

Le bien exproprié, élevé en 1989 sur les parcelles [Cadastre 8] AD [Cadastre 5] et [Cadastre 8] AD [Cadastre 7] pour respectivement 604 m² et 107 m², est un immeuble à usage de bureaux.

Il se trouve au centre du quartier populaire d'[Adresse 12] situé au Sud de [Localité 3], à l'Est de l'île du [Localité 16] et au Nord des coteaux de [Localité 14].

Bénéficiant de huit places de stationnement non matérialisées à l'arrière du bâtiment sur une bande de terrain d'environ 5,50 m x 50 m et d'un espace vert de l'ordre de 2 m de large sur 50 m de long sur sa façade Est, ce bâtiment correspond à un ensemble immobilier développant une surface hors oeuvre nette de 789 m² se décomposant comme suit :

- à l'entresol, une réserve d'une superficie de 110 m²

- au rez-de-chaussée, un local professionnel de 350 m²

- au premier étage, un local professionnel de 329 m².

Ces surfaces ont été admises par l'ensemble des parties à l'occasion du transport sur les lieux.

Ce bien, situé [Adresse 15] à [Localité 3], aisément accessible depuis la rocade, se trouve à proximité directe du centre commercial, au coeur du quartier d'[Adresse 12] ayant nécessité, eu égard notamment aux difficultés sociales rencontrées, la délimitation d'un Quartier Prioritaire de la Ville.

Les locaux sont en bon état d'entretien avec de nombreux équipements intérieurs : cuisines, sanitaires, bureaux, vaste pièce de réception. Une entrée indépendante dessert chaque niveau de l'immeuble.

Ils présentent les caractéristiques d'un bâtiment pouvant recevoir du public pour avoir été donné en location à un laboratoire d'analyses médicales, puis, à compter du 15 octobre 2011, aux services de la ville de [Localité 3] moyennant un loyer annuel de 79.244 €.

La commune de [Localité 3] a donné congé pour le mois d'octobre 2021, de sorte que les parties s'accordent pour considérer que l'évaluation doit être réalisée libre d'occupation.

Les principes d'indemnisation

Selon les dispositions de l'article L.321-1 du code de l'expropriation, les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

Aux termes de l'article L.322-1 du même code, le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance d'expropriation.

En l'absence d'ordonnance d'expropriation, la consistance des biens expropriés est appréciée à la date du jugement fixant les indemnités d'expropriation.

L'article L.322-2 du code de l'expropriation dispose que les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, selon leur usage effectif un an avant l'ouverture de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique. Toutefois, lorsque le bien est situé à l'intérieur du périmètre d'une Zac, comme en l'espèce, la date de référence retenue est celle de la publication de l'acte créant la zone, si elle est antérieure d'au moins un an à la date d'ouverture de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique.

Au cas présent, la [Adresse 19] a été créée par délibération du conseil communautaire du 9 février 2012 alors que l'enquête préalable à la DUP s'est ouverte le 23 mars 2016.

En conséquence, la date de référence est le 14 février 2012, date à laquelle a été publiée la délibération du 9 février 2012.

S'applique alors le PLU dans sa Modification n° 5 approuvée par délibération du conseil de communauté du 19 décembre 2011 qui classe les parcelles expropriées en zone UB2 laquelle a pour vocation générale, sous certaines conditions, d'accueillir des constructions à usage d'habitation, des lotissements et des opérations d'ensembles d'habitation, des commerces, bureaux et services ainsi que des équipements publics, des installations hospitalières et hôtelières.

Sur l'indemnité principale

Conformément aux principes généralement applicables en la matière, il convient de rechercher la valeur du bien au moyen de la méthode par comparaison avec des transactions déjà réalisées sur des biens similaires, présentant les mêmes caractéristiques, dans la même zone.

En première instance, le commissaire du gouvernement a réalisé son estimation avec une pondération de 50 % de la surface de l'entresol (110 m²), faiblement éclairé et au plafond bas, d'où une surface utile de 734 m². Le premier juge a justement fixé l'indemnité principale sur la base de 734 m², surface également retenue par l'expert privé consulté par la SCI (pièce n° 3).

Le fait que l'immeuble comporte deux étages indépendants de 350 m² et 329 m² pouvant être exploités séparément ne doit pas pour autant conduire à prendre en compte des termes de comparaison relatifs à des locaux d'une surface de l'ordre d'environ 300 m² alors que l'immeuble exproprié a une surface de plus du double, que les deux étages ne sont pas juridiquement indépendants et ne pouvaient être cédés séparément. La configuration de l'immeuble doit tout au plus amener à prendre en compte une légère plus-value par rapport à un immeuble d'un seul tenant.

L'expropriant a proposé cinq termes de comparaison dont deux ont été justement écartés par le premier juge en raison de leur surface inférieure à celle de l'immeuble exproprié (TC1 de 380 m² et TC3 de 228 m²). Ont été retenus les termes de comparaison suivants dont il résulte une moyenne de 1193 €/m² et une médiane de 1192 €/m² :

- TC2 : vente du 25/10/2019 - [Adresse 1] - 708 m² - occupé - 770.000 € soit 1087 €/m²

- TC4 : vente du 08/09/2020 - [Adresse 9] - 730 m² - occupé - 870.000 € soit 1192 €/m²

- TC5 : vente du 16/12/2020 - [Adresse 10] - 592 m² - libre - 770.000 € soit 1300 €/m².

Les termes de comparaison évoqués par la SCI ont tous été écartés pour divers motifs et ne sont pas repris en cause d'appel.

Sur les cinq termes de référence produits par le commissaire du gouvernement, les quatre premiers ont été écartés en raison de leur surface insuffisante, et seul le cinquième, qui est également le TC5 de l'expropriant, a été retenu.

Le premier juge a ensuite analysé les termes de comparaison produits par le commissaire du gouvernement, portant sur des immeubles de bureaux dans le quartier du [Adresse 13], quartier présentant des similitudes avec celui d'[Adresse 12], et a retenu trois autres termes de comparaison dont il résulte une moyenne de 1226,66 €/m² et une médiane de 1238,21 €/m² :

- TC1 - vente du 19/03/2018 - [Adresse 18] - 848 m² - 1238,21 €/m²

- TC3 - vente du 27/06/2018 - [Adresse 18] - 618 m² - 1448,22 €/m²

- TC5 - vente du 25/10/2019 - [Adresse 17] - 775 m² - 993 €/m².

En cause d'appel, la SCI produit un rapport d'expertise en date du 5 mai 2022 établi à sa demande par le cabinet 'Expertise et Patrimoine' (M. [H] [G]), qui conclut à une valeur vénale comprise entre 1.200.000 € et 1.290.000 € au moyen de trois méthodes :

- méthode par comparaison : 1.202.292 €

- méthode sol + construction : 1.389.150 €

- méthode par le rendement : 1.189.700 €.

Les conclusions de ce rapport, justement critiquées par l'expropriant, ne peuvent être utilement prises en compte, notamment pour les motifs suivants :

- dans le cadre de l'évaluation par comparaison, l'expert ne cite pas un seul terme de comparaison d'une surface comparable à celle du bien à évaluer mais neuf ventes (sur treize) relatives à des locaux de petite surface qui n'auraient pas dû être citées et seulement quatre ventes concernant des locaux plus vastes mais d'une superficie inférieure à 400 m² ; il cite ensuite des termes de référence hors secteur géographique proche mais toujours de superficies non comparables à celle du bien exproprié ;

- la méthode d'évaluation sol + construction et la manière dont l'expert en a fait usage sont techniquement et utilement critiquées par l'expropriant ;

- la méthode d'évaluation par le revenu est généralement écartée en raison des incertitudes liées au choix du taux de capitalisation et est tout au plus utilisée pour recouper les résultats obtenus au moyen de la méthode d'évaluation par comparaison ; ainsi, en l'espèce, il peut être relevé que l'expert [G] a appliqué un taux de capitalisation de 7 % pour obtenir une valeur vénale de 1.189.700 € relativement proche de la valeur de 1.202.292 € obtenue de manière contestable au moyen de la méthode par comparaison, tandis que dans ses conclusions de première instance, le commissaire du gouvernement a indiqué qu'il était cohérent de retenir un taux de 8 % pour aboutir, sur la base du même loyer, à une valeur de 1.040.987 €.

Enfin, il doit être constaté que dans ses conclusions de première instance, à l'issue d'une analyse particulièrement complète, le commissaire du gouvernement avait conclu à une valeur au m² de 1300 € correspondant à un prix se situant dans la fourchette haute.

En définitive, compte tenu de l'ensemble de ces éléments d'appréciation, des divers 'mérites (de l'immeuble ) avancés en défense' reconnus par le tribunal et par la cour, du fait que certains termes de comparaison proposés par l'expropriant concernent des biens occupés, il apparaît que l'indemnité principale doit être fixée sur la base d'une valeur de 1300 €/m² conforme à celle qui avait été proposée par le commissaire du gouvernement en première instance, soit une indemnité principale de : 734 m² x 1300 €/m² = 954.200 €.

Sur l'indemnité de remploi

En application de l'article R.322-5 du code de l'expropriation et conformément aux usages en la matière, l'indemnité de remploi sera fixée à :

( 5000 € x 20 % ) + ( 10.000 € x 15 % ) + ( 939.200 € x 10 % ) = 96.420 €.

Sur l'indemnité pour perte de loyers et la demande de remboursement de la taxe foncière

L'article L. 321-1 du code de l'expropriation dispose que les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

Il est admis que l'expropriation d'un bien loué cause un préjudice de perte de loyers au propriétaire bailleur. Ce préjudice ouvre droit à une indemnité pendant le délai nécessaire pour acquérir un autre bien et le donner à bail.

En première instance, l'expropriant a offert une indemnité pour perte de loyers d'un montant de 39.622 €.

Le juge de l'expropriation a constaté dans les motifs du jugement que les parties étaient en accord pour fixer cette indemnité à la somme de 39.622 € et que la juridiction en prenait donc acte, puis a, dans le dispositif de la décision :

' fixé la valeur de l'immeuble édifié par la Sci Laboratoire d'[Adresse 12] sur les parcelles [Cadastre 8] AD [Cadastre 5] et [Cadastre 8] AD [Cadastre 7] à [Localité 3], à la somme totale de 1.025.650 euros, ainsi détaillée :

# indemnité principale de dépossession de 986.028 euros dont une indemnité de remploi de 90.548 euros ;

# indemnité pour perte de loyers : 39.622 euros'.

Le premier juge a ainsi simplement constaté qu'à la date de l'audience les parties étaient d'accord sur l'un des chefs de préjudice sans pour autant rendre un jugement de 'donner acte' au sens de l'article R. 311-20 du code de l'expropriation.

La Sci laboratoire d'[Adresse 12] reste en conséquence recevable à solliciter une indemnité supérieure en cause d'appel à condition de prouver qu'elle a en réalité subi du fait de l'expropriation un préjudice direct, matériel et certain plus important que celui réparé par le premier juge.

Elle expose qu'elle a considéré à un moment donné que son préjudice serait indemnisé par l'attribution de la somme de 39.622 € mais que, le temps passant, l'immeuble étant inutilisable et aucune indemnité n'ayant été perçue, son préjudice n'était plus le même.

Il apparaît que la Sci Laboratoire d'[Adresse 12] fonde en réalité sa demande sur le fait qu'elle n'a pas perçu les indemnités d'expropriation tout en restant soumise à des charges. Elle explique qu'aucun paiement n'est intervenu dans la mesure où la procédure de cessibilité n'a pas été faite, où l'enquête n'a pas eu lieu et où il ne saurait donc être question d'un transfert de propriété, l'expropriant répliquant sur ce point que la Sci expropriée a largement contribué par sa carence à la nécessité d'organiser une enquête parcellaire complémentaire et par voie de conséquence au retard pris dans le transfert de propriété.

Or, la demande formée par un exproprié en réparation du dommage résultant du retard apporté à la réalisation des opérations d'expropriation, laquelle est susceptible de mettre en jeu la responsabilité de la puissance publique, échappe à la compétence du juge de l'expropriation.

En d'autres termes, comme le rappelle la Sa Oppidea, la juridiction de l'expropriation n'est pas compétente pour statuer sur une recherche de responsabilité ni apprécier si le comportement de l'expropriant a été ou non fautif ni indemniser le préjudice qui résulterait de ce comportement prétendument fautif.

La cour n'est en conséquence pas compétente pour statuer sur la demande en paiement d'une indemnité complémentaire pour perte de loyers et, pour les mêmes motifs, sur la demande en paiement de l'impôt foncier annuel sur la période commençant à courir le 15 octobre 2021.

En application de l'article 81 du code de procédure civile, la SCI sera renvoyée à mieux se pourvoir en ce qui concerne ces deux demandes.

Sur les dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

La Sa Oppidea, partie principalement perdante, doit supporter les dépens de première instance, ainsi que décidé par le premier juge, et les dépens d'appel.

Elle se trouve redevable d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, que le premier juge a justement estimée au titre de la procédure de première instance, et dans les conditions définies par le dispositif du présent arrêt au titre de la procédure d'appel.

Elle ne peut elle-même prétendre à une indemnité sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Toulouse, service expropriation, en date du 8 février 2022, sauf en ce qu'il a fixé une indemnité pour perte de loyers à la somme de 39.622 € et en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Fixe l'indemnité de dépossession de l'immeuble édifié par la Sci Laboratoire d'[Adresse 12] sur les parcelles [Cadastre 8] AD [Cadastre 5] et [Cadastre 8] AD [Cadastre 7] à [Localité 3], à la somme totale de 1.090.242,00 €, ainsi détaillée :

# indemnité principale de dépossession : 954.200 €

# indemnité de remploi : 96.420 €

# indemnité pour perte de loyers : 39.622 €.

Se déclare incompétente pour statuer sur la demande en paiement d'une indemnité complémentaire pour perte de loyers et sur la demande en paiement de l'impôt foncier annuel pour la période commençant à courir le 15 octobre 2021.

Renvoie la Sci Laboratoire d'[Adresse 12] à mieux se pourvoir en ce qui concerne ces deux demandes.

Déboute la Sci Laboratoire d'[Adresse 12] du surplus de ses demandes.

Condamne la Sa Oppidea aux dépens d'appel.

Condamne la Sa Oppidea à payer à la Sci Laboratoire d'[Adresse 12] la somme de 2000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute la sa Oppidea de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

I. ANGER J-C.GARRIGUES


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : Expropriations
Numéro d'arrêt : 22/00007
Date de la décision : 15/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-15;22.00007 ?
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