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10/02/2023 | FRANCE | N°21/04882

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 4eme chambre section 2, 10 février 2023, 21/04882


10/02/2023



ARRÊT N°76/2023



N° RG 21/04882 - N° Portalis DBVI-V-B7F-OQKW

FCC/AR



Décision déférée du 29 Novembre 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( 19/01471)

[Adresse 5]

















[U] [G]





C/



S.A.S.U AIRBUS OPERATIONS














































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CONFIRMATION TOTALE







Grosse délivrée



le 10 02 2023



à Me Mathilde SOLIGNAC Me Stéphane LEPLAIDEUR

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU DIX FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS

***



APPELANT



Monsieur [U] [G]

[Adresse 1]

...

10/02/2023

ARRÊT N°76/2023

N° RG 21/04882 - N° Portalis DBVI-V-B7F-OQKW

FCC/AR

Décision déférée du 29 Novembre 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( 19/01471)

[Adresse 5]

[U] [G]

C/

S.A.S.U AIRBUS OPERATIONS

CONFIRMATION TOTALE

Grosse délivrée

le 10 02 2023

à Me Mathilde SOLIGNAC Me Stéphane LEPLAIDEUR

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU DIX FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANT

Monsieur [U] [G]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Mathilde SOLIGNAC de l'AARPI QUATORZE, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

S.A.S.U AIRBUS OPERATIONS Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 2]

Représentée par Me Stéphane LEPLAIDEUR de la SELARL CAPSTAN SUD OUEST, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant A.Pierre-Blanchard et F. Croisille-Cabrol, Conseillères chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. Brisset, présidente

A. Pierre-Blanchard, conseillère

F. CROISILLE-CABROL, conseillère

Greffier, lors des débats : C. DELVER

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [U] [G], né le 2 janvier 1963, a été embauché suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 25 mai 2000 par la société Aerospatiale Matra Airbus, devenue ensuite Airbus France puis Airbus Opérations, en qualité d'ingénieur position IIIB indice 180.

La convention collective nationale de la métallurgie est applicable.

Les bulletins de paie mentionnaient une ancienneté au 21 février 1988.

Suivant avenant à compter du 1er octobre 2005, il était stipulé une rémunération forfaitaire sans référence horaire pour une position IIIBX indice 210.

En dernier lieu, M. [G] était responsable central qualité des chaînes d'assemblage (head of quality support).

Début 2018, plusieurs salariées ont alerté Mmes [B] et [K] [I] du service RH sur le comportement managérial de M. [G] ; la SASU Airbus Opérations a mené une enquête 'ensure', procédant à des auditions de salariés en mai 2018.

Après entretien du 25 mai 2018 avec M. [G], par LRAR du 11 juillet 2018, la SASU Airbus Opérations lui a proposé une rétrogradation disciplinaire avec maintien de la rémunération de base, ce que le salarié a refusé par courrier du 27 juillet 2018.

Par LRAR du 28 août 2018, la SASU Airbus Opérations a alors convoqué M. [G] à un entretien préalable à licenciement fixé le 11 septembre 2018, puis l'a, par LRAR du 18 septembre 2018, licencié pour faute simple constitutive d'une cause réelle et sérieuse. M. [G] a été dispensé de l'exécution de son préavis de 6 mois, qui lui a été payé. La relation de travail a pris fin au 21 mars 2019. La SASU Airbus Opérations a versé à M. [G] une indemnité de licenciement de 211.579,48 €.

Le 17 septembre 2019, M. [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse aux fins notamment de paiement d'heures supplémentaires, de l'indemnité pour travail dissimulé, de frais, d'une rémunération variable, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité.

Par jugement du 29 novembre 2021, le conseil de prud'hommes de Toulouse a :

- jugé que l'ensemble des demandes de M. [G] sont infondées,

- débouté M. [G] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté M. [G] et la SASU Airbus Opérations de leur demande respective au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné aux dépens M. [G].

M. [G] a relevé appel de ce jugement le 10 décembre 2021, dans des conditions de forme et de délai non discutées, en énonçant dans sa déclaration d'appel les chefs critiqués.

Par conclusions responsives notifiées par voie électronique le 18 novembre 2022, auxquelles il est expressément fait référence, M. [G] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens,

Statuant à nouveau :

- dire que le licenciement de M. [G] est dénué de cause réelle et sérieuse,

- condamner la SASU Airbus Opérations à payer à M. [G] les sommes suivantes :

* 65.586,62 € à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires non rémunérées,

* 6.558,66 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

* 61.560 € au titre de l'indemnité de travail dissimulé,

* 2.051 € à titre de remboursement de frais,

* 19.786,39 € à titre de rappel de part variable,

* 1.978,63 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

* 205.200 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'obligation de sécurité,

* 4.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance,

* 4.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel,

- condamner la SASU Airbus Opérations aux dépens.

Par conclusions responsives notifiées par voie électronique le 5 décembre 2022, auxquelles il est expressément fait référence, la SASU Airbus Opérations demande à la cour de :

- confirmer le jugement dans toutes ses dispositions,

- dire que le licenciement pour faute de M. [G] est parfaitement justifié et régulier, et que la SASU Airbus Opérations a respecté son obligation de sécurité de résultat à l'égard de M. [G],

- débouter M. [G] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

A titre reconventionnel :

- condamner M. [G] à régler à la SASU Airbus Opérations la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dans le cadre de la procédure d'appel,

- condamner M. [G] aux entiers dépens.

MOTIFS

1 - Sur les heures supplémentaires et le travail dissimulé :

L'avenant à effet du 1er octobre 2005 mentionnait 'compte tenu de la nature des fonctions et des responsabilités qui vous sont confiées, qui ne se prêtent, ni à la définition d'un horaire de travail précis, ni à la mise en oeuvre d'un contrôle de présence régulier, ainsi que de l'autonomie et de l'indépendance dont vous disposez dans le cadre de vos missions, vous bénéficiez d'un régime de forfait sans référence horaire, quel que soit le temps consacré à l'exercice de vos fonctions. A cet effet, vous aménagez votre emploi du temps, en liaison avec votre hiérarchie, en fonction des missions qui vous sont confiées.'

En application de cette clause, les bulletins de paie de M. [G] mentionnaient une rémunération sans référence à un nombre d'heures de travail ni à un taux horaire.

M. [G] soutient que son forfait-jours était nul faute de contrôle du nombre de jours travaillés et qu'il n'était pas cadre dirigeant, de sorte qu'il peut prétendre au paiement de ses heures supplémentaires.

Or, M. [G] n'a signé aucune convention de forfait, que ce soit en jours ou en heures, et n'a pas non plus été soumis à une telle convention verbale, de sorte qu'il ne peut pas en soutenir la nullité. Le débat porte en réalité uniquement sur la question de savoir si M. [G] était, ou non, cadre dirigeant, puisqu'en application de l'article L 3111-2 alinéa 1er du code du travail, les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions des titres II et III relatifs à la durée du travail, à la répartition et à l'aménagement des horaires, et aux repos et jours fériés, ainsi que le souligne la SASU Airbus Opérations.

L'alinéa 2 de ce même article définit le cadre dirigeant comme le cadre auquel sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de son emploi du temps, qui est habilité à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoit une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés de rémunération pratiqués dans l'entreprise ou l'établissement.

Contrairement à ce qu'indique M. [G], il importe peu que les pièces contractuelles et les bulletins de paie ne mentionnent pas le terme 'cadre dirigeant' ; la qualité de cadre dirigeant doit être appréciée au regard des trois critères cumulatifs ci-dessus tenant à la grande indépendance dans l'emploi du temps, à la large autonomie de décision et à la rémunération dans les niveaux les plus élevés.

En l'espèce, M. [G] était classé en position IIIBX indice 210. En application de la convention collective nationale de la métallurgie, la position IIIB est définie comme suit :

'Ingénieur ou cadre exerçant des fonctions dans lesquelles il met en 'uvre des connaissances théoriques et une expérience étendue dépassant le cadre de la spécialisation ou conduisant à une haute spécialisation.

Sa place dans la hiérarchie lui donne le commandement sur un ou plusieurs ingénieurs ou cadres des positions précédentes dont il oriente et contrôle les activités, ou bien comporte, dans les domaines scientifique, technique, commercial, administratif ou de gestion, des responsabilités exigeant une très large autonomie de jugement et d'initiative.'

M. [G] ne conteste pas que, dans les faits, il bénéficiait bien d'une liberté d'organiser son emploi du temps et d'une autonomie de décision, telles que mentionnées dans la clause contractuelle.

Par ailleurs, l'article L 3111-2 n'exige pas que le cadre dirigeant ait la rémunération la plus élevée, mais qu'il fasse partie des niveaux de rémunération les plus élevés. Or, la position III est la plus élevée dans la convention collective nationale ; au-delà de la position IIIBX, il n'existe que la position IIIC. La SASU Airbus Opérations produit un tableau justifiant que M. [G] faisait partie de la 2e position la plus élevée au sein de l'entreprise, susceptible de bénéficier d'un forfait sans référence horaire, puisque seule la position IIIC indice 240 était plus élevée. Ce tableau, comparé à ses bulletins de paie, fait même ressortir que M. [G] percevait, à la position IIIBX, un salaire supérieur à la référence mensuelle de gestion des salariés au forfait sans référence horaire classés en position IIIC. Il faisait donc bien partie des salariés percevant les niveaux de rémunération les plus élevés.

La cour estime donc que M. [G] avait la qualité de cadre dirigeant, de sorte qu'en application de la clause contractuelle, il sera débouté de sa demande au titre des heures supplémentaires, ainsi que par voie de conséquence de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé que M. [G] ne fondait que sur les heures supplémentaires.

Le jugement sera confirmé sur ces points.

2 - Sur les frais :

M. [G] dit avoir payé le repas de Noël 2017 du secteur pour 1.645 € et le repas fournisseur du 29 mars 2018 pour 406 €, et en demande à la SASU Airbus Opérations le remboursement.

Néanmoins, s'il justifie d'une invitation au repas de Noël à L'atelier de l'écu sec, d'une réservation au [4] du 29 mars 2018 avec un menu à 58 €, et de débits sur son compte bancaire par carte bancaire de 1.645 € à L'Ecu sec du 8 décembre 2017 et de 406 € au [4] du 29 mars 2018, il ne produit pas les factures, qu'il dit avoir déjà transmises à la SASU Airbus Opérations, ni sa note de frais.

Par confirmation, la cour déboutera donc M. [G] de sa demande de ce chef.

3 - Sur la rémunération variable :

M. [G] a perçu les parts variables suivantes :

- au titre de l'année 2018 : 14.310 € (part individuelle de 15 %, versée en mars 2019) + 12.497,40 € (bonus collectif de 12,1 %, versé en avril 2019) = 26.807,40 € ;

- au titre de l'année 2019 : 3.236,79 € (part individuelle de 15 %, versée en mars 2019) + 2.287,33 € (part collective de 10,6 %, versée en avril 2020) = 5.524,12 €.

La SASU Airbus Opérations explique que les parts variables tiennent compte du temps de présence, et qu'en 2019, M. [G] n'était présent dans les effectifs de l'entreprise que pendant 2 mois et 21 jours, alors qu'il était en préavis.

M. [G] réclame un rappel de part variable pour 2019 de 19.786,39 € outre congés payés, en estimant que cette part aurait dû s'élever à 25.310,51 €, dont à déduire les 5.524,12 € déjà versés. Il ne détaille pas son chiffrage de 25.310,51 €. Il estime que la SASU Airbus Opérations ne devait pas tenir compte de la non-exécution du préavis.

Toutefois, la SAS Airbus a bien calculé les parts variables sur l'assiette de la rémunération perçue en 2019 de 21.578,57 €, sans tenir compte du fait que M. [G] n'exécutait pas son préavis. Le temps de présence dans les effectifs en 2019 étant inférieur au temps de présence en 2018, il était logique que les parts variables qui sont calculées sur les rémunérations versées soient inférieures.

La cour confirmera donc le jugement en ce qu'il a débouté M. [G] de sa demande.

4 - Sur le licenciement :

En application des articles L 1232-1, L 1232-6 et L 1235-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige, le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur et forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute persiste, il profite au salarié. La charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse est partagée.

Le lettre de licenciement était ainsi motivée :

'Plusieurs témoignages ont récemment été portés à notre connaissance mettant en exergue plusieurs comportements inappropriés à l'égard de vos collaboratrices.

Vous initiez des réunions tardives pouvant bloquer l'organisation personnelle de certains collaborateurs. A titre d'exemples, durant la grossesse d'une de vos collaboratrices, vous avez convié celle-ci à des réunions débutant à 7h30 ou finissant à 21h00. Vous avez également convié Mme [P] [S] à des réunions sur des créneaux tardifs : le 17 novembre 2016 de 18h30-20h00 et le 6 mars 2017 de 18h00-20h30.

Vous envoyez des SMS/ emails tardifs. A titre d'exemples, Mme [P] [S] a reçu un mail en date du 23 septembre 2016 à 20h58 lui indiquant « Pas d'accord cette fois ci. Mardi est le dernier jour pour l'AOP surtout après avoir accepté de te libérer le lundi. [U].» et un SMS, le 31 janvier 2018 à 23h09 mentionnant « [P], il faut faire une pause et discuter. Bonne fin de soirée. [U] ».

Vous offrez des cadeaux à certains de vos collaborateurs, parfois en présence d'autres personnes du service installant un favoritisme affiché. A titre d'exemples, durant son contrat d'apprentissage, vous avez offert à Mme [W] [A] des cadeaux comme des fruits, des pâtes de fruits, du thé, des confitures. Quant à Mme [P] [S], vous lui avez offert des bons au porteur et un stylo Mont-Blanc.

Lors de certaines réunions professionnelles que vous initiez, vous abordez des sujets relevant de votre vie privée en évoquant votre enfance, ou en parlant de votre mère ou de votre chalet et de vos montres. Etant prolixe sur votre vie personnelle, ces réunions s'éternisent si bien que certaines de vos collaboratrices s'étaient entendues pour faire sonner leurs téléphones portables afin qu'elles puissent se libérer de votre monologue en prétextant une urgence.

Vous avez par ailleurs eu une attitude à tout le moins déplacée à l'égard de Mme [S].

En effet, depuis l'annonce du départ de Mme [P] [S] en septembre 2016, vous l'avez invité à plusieurs entrevues comprenant des déjeuners/ des réunions (17 dates au total entre septembre 2016 et janvier 2017) au cours desquels vos discussions dérivaient toujours sur des sujets d'ordre privé telles que sa prise de décision de quitter votre équipe car selon vous, elle vous avait trahi.

De plus, malgré le refus exprès de Mme [S], vous avez persisté à vouloir maintenir le con tact avec l'intéressée.

Ainsi, Mme [P] [S] ayant quitté votre équipe en octobre 2016, vous avez continué à la contacter comme illustré précédemment et cela alors même qu'elle vous a demandé par écrit d'arrêter. En effet, le 17 mars 2017, Mme [P] [S] refuse votre invitation par mail en vous indiquant : « Bonjour, [U], nous avons déjà pris beaucoup de temps pour discuter et j'ai du mal à voir l'objectif de nouvelles discussions. Je t'avoue que ces échanges me pèsent maintenant. Dans un contexte professionnel, si besoin de discuter de sujets particuliers en lien avec l'activité QLAM, on prévoit un créneau avec un agenda clair pour traiter ces sujets. [P]. »

Vous lui répondez « [P], il me semblait que nous avions dit quelque chose la dernière fois et que cela valait la peine de nettoyer. Dans les valeurs, il y avait la discussion mais j'en doute aujourd'hui. Je ne te recontacte plus et je prépare un feedback formel sur les points que je n'avais pas voulu adresser avant ton assessment. Pour QLAM, on verra en fonction des sujets. Cdlt, [U] ».

Quelques semaines plus tard, vous vous étiez alors plaint du comportement de Mme [P] [S] auprès de votre supérieur hiérarchique, Monsieur [F] [Z], qui est lui-même le N+2 de cette dernière.

Comme dit précédemment, alors que vous vous étiez engagé à ne plus la contacter, vous lui souhaitez « Bon anniversaire » par mail en date du 10 mai 2017, envoyé à 23h03. Par la suite, le 12 juin 2017, vous avez un entretien avec Mme [M] [B], votre responsable RH de votre secteur, qui vous enjoint de ne plus contacter Mme [P] [S]. Lors de cette entrevue, vous réitérez votre engagement. Mais à nouveau, vous lui souhaitez « Bonne fête » à la suite d'un envoi de mail professionnel le 24 juillet 2017 à 6h50.

Force est de constater que vous n'avez jamais cessé d'importuner Mme [P] [S] depuis le 17 mars 2017. En effet, par le biais d'envois de sms/appels téléphoniques ou de mails qui ne la concernent pas directement de par sa nouvelle fonction, voire vous lui transférez des mails sans explication, vous avez persisté. En décembre 2017 soit 9 mois après le refus explicite (17 mars 2017) de Mme [P] [S], vous lui offrez un CD de l'interprète [J] [S] que vous êtes venu apporter en personne à son nouveau bureau.

Ci-dessous à titre d'exemples, plusieurs mails que vous avez envoyés à Mme [P] [S] après le 17 mars 2017 :

' Transfert de plusieurs mails sans explication : « industrial assessment », le 25 juillet 2017 ; « FOD Hunter project presentation and way forward (in the frame of KLX digit steering) », le 26 juillet 2017,

' Transfert d'un mail du 10 octobre 2017« A330 GTR challenge budget : transfer from 2017 2018 » dont Mme [P] [S] n'est pas destinataire en mentionnant « cannot do more for you »

' Transfert d'un mail du 24 octobre 2017 « info concernant la vignette crit air »,

' Envoi d'un mail du 19 décembre 2017 à 16h01 « Mom PRM AltranQLB reduction » déjà envoyé aux collaborateurs et au responsable de Mme [P] [S] le même jour à 10h24,

' Transfert d'un mail du 23 janvier 2018 « EASA Audit 2017-050 FAL A330 sealant application/finding 1 Level 2 proposal for closure » qui concerne une prestation de service dont Madame [S] n'est pas responsable directement,

' Transfert de plusieurs mails ne concernant pas le périmètre d'activité de Mme [P] [S] : « sharQ project /SAP », le 15 juin 2017 ; « A350 &A380 tessons learned on cabin inspections », le 24 avril 2017; « DZ digital Lighthouse », le 24 janvier 2018.

Ainsi, nous constatons que votre comportement initiant des situations inappropriées répétées envers vos collaboratrices traduit votre volonté de porter atteinte à leur dignité sur leur lieu de travail et de dégrader ostensiblement leurs conditions de travail. Vos agissements intolérables sont constitutifs d'harcèlement moral caractérisé plus particulièrement envers Mme [P] [S].

Qu'au-delà de ces faits inacceptables, votre comportement est d'autant plus inadmissible en ce que vous appartenez au personnel encadrant (IIIBX) et que vous avez été l'auteur d'actes à l'encontre des valeurs et principes d'intégrité et de Leadership prônés par notre société.

Nous vous rappelons que l'article 7 Prohibition du harcèlement moral du règlement intérieur d'Airbus Operations SAS dispose que (...) Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de com promettre son avenir professionnel (art. L. 1152-1). Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire (art. L. 1152-5). (...)'

Sur les conditions de l'enquête :

Face aux plaintes de plusieurs salariées et à des suspicions de harcèlement moral, la SASU Airbus Opérations, tenue à une obligation de sécurité concernant le harcèlement moral, devait enquêter.

M. [G] reproche à la SASU Airbus Opérations d'avoir mené l'enquête ensure uniquement à charge, sans respect du contradictoire et en menaçant sa propre santé.

Toutefois, les services RH ont entendu de nombreuses personnes, y compris des personnes ne se disant pas victimes du comportement de M. [G] ; ils ont également entendu M. [G] en lui précisant ce que certaines salariées lui reprochaient ; ils ont dressé des comptes-rendus détaillés de ces auditions, comptes-rendus qu'ils n'avaient pas l'obligation de remettre à M. [G] ; ils ont enfin rédigé un document récapitulatif en septembre 2018.

Par ailleurs, M. [G] indique qu'il est diabétique et a été entendu le 25 mai 2018 pendant plusieurs heures sans possibilité de s'alimenter de sorte qu'il dû se rendre à l'infirmerie ensuite.

Toutefois, il ne démontre pas avoir signalé son état de santé aux services RH ni avoir demandé en vain une suspension de l'entretien. D'ailleurs, il indique lui-même qu'il n'a été placé en arrêt maladie que le 28 mai 2018 soit 3 jours après l'entretien. Il ne produit aucune pièce médicale relative à son état de santé.

M. [G] ne démontre pas le caractère déloyal de l'enquête, sur laquelle la cour pourra s'appuyer pour examiner les griefs.

Sur les griefs :

* Sur les réunions tardives :

La lettre de licenciement fait état de réunions tardives organisées par M. [G] ; elle cite les exemples d'une collaboratrice enceinte (Mme [O]) et de Mme [S] les 17 novembre 2016 et 6 mars 2017.

Dans le cadre des auditions effectuées par les services RH lors de l'enquête ensure, Mmes [O], [A] et [V] [E] évoquent de telles réunions (après 17 ou 18h, les réunions finissant parfois à 21h).

L'agenda de Mme [S] porte trace de réunions du 17 novembre 2016 à partir de 18h30 et du 6 mars 2017 à partir de 18h.

Lors de son audition, M. [G] a reconnu que cela 'avait pu arriver car on n'arrivait pas à trouver d'autres créneaux'.

M. [G] produit des captures d'écran de réunions avec Mme [A] et des captures d'écran de réunions avec Mme [V] [E] dont il ressort plusieurs réunions tardives (à partir de 17 ou 18h voire plus tard).

S'agissant du 6 mars 2017, dans ses conclusions la SASU Airbus Opérations reconnaît que c'est Mme [S] qui a demandé à décaler la réunion initialement prévue à 16h30 car elle n'était pas disponible, de sorte que la cour juge que ce report ne peut être reproché à M. [G].

S'agissant des autres réunions, dans ses conclusions M. [G] indique qu'il n'est pas établi qu'il en soit à l'origine, et que lui-même était convoqué à des réunions tardives.

Toutefois, alors qu'en matière de cause réelle et sérieuse la preuve est partagée, M. [G] ne produit pas de pièces justifiant que les réunions tardives étaient initiées par une autre personne que lui. Lors de leurs auditions, Mmes [O], [A] et [V] [E] indiquent bien que c'était M. [G] qui organisait ces réunions tardives.

Lors de son audition, M. [D] confirme que M. [G] 'reporte des réunions à tard' même si Mme [V] [E] est 'très cadrée par rapport aux horaires' et ne veut pas venir aux réunions après 17h30.

Par ailleurs, si, du fait de son statut de cadre dirigeant non soumis à des horaires, M. [G] pouvait être amené à participer à des réunions de cadres dirigeants tardives, il ne devait pas infliger les mêmes horaires à ses subordonnés.

Le principe de réunions tardives à l'initiative de M. [G] est donc établi, même si pour la réunion du 6 mars 2017 ce n'était pas de son fait.

* Sur les SMS et mails tardifs :

La lettre de licenciement évoque des SMS mails tardifs envoyés par M. [G] et notamment un mail adressé à Mme [S] du 23 septembre 2016 à 20h58 et un SMS adressé à la même du 31 janvier 2018 à 23h09.

La SASU Airbus Opérations produit les deux messages, ainsi qu'un 2e mail du 23 septembre 2016 à 21h16.

M. [G] souligne que les messages tardifs n'appellent pas nécessairement une réponse et que lui-même était destinataire de messages tardifs.

Néanmoins, ce grief est à rapprocher du premier grief et de la difficulté de M. [G] à respecter le droit à la déconnexion de ses subordonnés ; quant aux mails invoqués par M. [G], ils n'émanaient pas de ses subordonnés.

Le grief est établi.

* Sur le favoritisme :

La lettre de licenciement évoque le fait d'offrir des cadeaux à certaines salariées, notamment Mmes [A] et [S].

Lors de son entretien RH et dans son attestation, Mme [A] explique qu'elle était, comme Mme [S], privilégiée par rapport aux autre membres de l'équipe ; elle dit avoir reçu de M. [G] des cadeaux (confitures, victuailles en plus de celles que Mme [A] lui avait commandées, et qu'elle a voulu payer ensuite). Mme [A] explique que M. [G] avait déposé le panier dans son bureau devant les collègues ce qui a suscité des commentaires des collègues.

Lors de son entretien, Mme [S] indique avoir elle aussi reçu des cadeaux de M. [G] (des confitures, des chocolats, des pâtes de fruit, du thé, mais aussi des livres, des bons au porteur et un sylo Mont Blanc).

Toutes deux disent leur gêne quant à ces cadeaux.

M. [G] réplique que Mme [A] lui avait fait une commande ; toutefois, cela ne concernait qu'une partie des victuailles.

Il indique aussi que MM. [T] et [D] attestent qu'il ne faisait pas de favoritisme ; il ne s'agit toutefois que de l'avis subjectif des attestants, qui n'évoquent pas les cadeaux.

Or, le fait d'offrir des cadeaux, y compris des cadeaux de valeur, à deux de ses subordonnées seulement, est inapproprié pour un manager et peut être source de jalousie et de tensions au sein de l'équipe.

* Sur les discussions d'ordre privé lors des réunions :

Mme [A] explique que, lors des réunions notamment, M. [G] mêlait les sujets professionnels et les sujets privés, et évoquait longuement sa vie privée (sa mère, son chalet à la montagne etc...) à tel point que les réunions s'éternisaient.

M. [G] souligne que Mme [A] est la seule à le dire, sans toutefois nier ses dires, qui corroborent le fait que, dans ses relations avec ses subordonnées, il ne parvenait pas à séparer vie professionnelle et vie privée ce qui était source d'un certain malaise.

* Sur l'attitude déplacée envers Mme [S] :

Dans son attestation, Mme [S] explique qu'elle était lassée du comportement managérial de M. [G] (favoritisme, cadeaux gênants, besoin de tout contrôler, intrusion dans la vie privée, manque d'humilité...) ; qu'en septembre 2016, elle a fait part à M. [G] de son souhait de changer de service ; qu'il a mal réagi, ayant des difficultés à contrôler ses émotions, devenant agressif et considérant son départ comme une trahison ; qu'il a souhaité conserver avec elle des liens ; que le changement de service a eu lieu en octobre 2016.

Par mail du 9 mars 2017, Mme [S] a signifié à M. [G] que leurs échanges lui pesaient trop et qu'en cas de nécessité de discussions professionnelles, il convenait de prévoir un créneau dans l'agenda, et par mail en retour M. [G] a répondu qu'il ne la recontacterait plus.

La SASU Airbus Opérations précise qu'en juin 2017, Mme [B], RRH, a demandé à M. [G] de ne plus contacter Mme [S].

M. [L], le nouveau manager de Mme [S], atteste que le comportement de M. [G] envers elle la perturbait beaucoup.

La société reproche à M. [G] d'avoir continué à importuner Mme [S] en lui envoyant des mails 'bon anniversaire' et 'bonne fête' les 10 mai et 24 juillet 2017, ainsi que des mails professionnels entre le 25 juillet 2017 et le 24 janvier 2018, et de lui avoir envoyé un CD en cadeau en décembre 2017.

M. [G] oppose à la SASU Airbus Opérations la prescription de 2 mois tirée de l'article L 1332-4 du code du travail, aux termes duquel aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. M. [G] indique en effet que la société a attendu plus d'un an après l'intervention de la RRH en juin 2017, pour lui proposer en juillet 2018 une rétrogradation disciplinaire, refusée par lui, puis engager une procédure de licenciement en août 2018.

Effectivement, la SAS Airbus ne peut pas reprocher à M. [G] son comportement avant le mois de juin 2017 ; néanmoins, elle peut lui reprocher le cas échéant la poursuite de ce comportement, poursuite dont elle n'a eu connaissance que lors de l'enquête de mai 2018.

Or, la répétition de contacts qui n'étaient pas rendus nécessaires par l'activité professionnelle (messages personnels, messages professionnels mais sans lien avec le nouveau service de Mme [S], cadeau...) témoignait du fait que M. [G] ne parvenait pas à rompre le lien avec Mme [S] ce qui était de nature à la perturber même si elle l'a remercié pour le CD.

M. [G] produit des mails du mois de septembre 2018 de personnes ayant travaillé avec lui, ainsi qu'une attestation d'un ancien subordonné, M. [R], ayant travaillé avec lui en 2013, tous louant ses qualités techniques et humaines. Ces qualités sont incontestables ; toutefois en l'espèce c'est le comportement managérial de M. [G] qui est en cause, en particulier envers des jeunes femmes qui étaient ses subordonnées ; or les rédacteurs des mails ne précisent pas à quelle époque où ils ont travaillé avec M. [G] ; M. [R] a travaillé plusieurs années avant les faits litigieux ; aucun n'évoque le comportement de M. [G] envers Mmes [O], [A] et [S].

Ainsi, M. [G], intrusif et incapable de séparer le professionnel et le privé, a fait preuve d'un comportement managérial inadapté, ce qui justifiait son licenciement pour faute simple constitutive d'une cause réelle et sérieuse. Il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, par confirmation du jugement.

5 - Sur l'obligation de sécurité :

En application de l'article L 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il lui incombe d'établir que, dès qu'il a eu connaissance du risque subi par le salarié, il a pris les mesures suffisantes pour y remédier.

M. [G] reproche à la SASU Airbus Opérations de ne pas avoir recruté en priorité sur les équipes dépendant de son service et d'avoir augmenté ses rôles de pilotage dans les projets et axes d'amélioration, ce qui l'a contraint à accroître ses horaires de travail alors qu'il était fragilisé par sa maladie (diabète type 2) et le décès de sa mère en juillet 2017, et il fait état de l'entretien du 25 mai 2018.

Toutefois, il ne donne ni détails ni pièces sur les conditions d'exercice de ses missions et les prétendus manquements de l'employeur à ce sujet. Il convient de rappeler qu'il était cadre dirigeant sans horaires de travail et qu'il n'a pas été retenu de manquement de l'employeur lors de l'entretien du 25 mai 2018.

La cour confirmera le jugement en ce qu'il a débouté M. [G] de sa demande de dommages et intérêts.

6 - Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Le salarié qui perd au principal supportera les entiers dépens de première instance et d'appel et ses frais irrépétibles. L'équité commande de laisser à la charge de l'employeur ses propres frais.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant :

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés par les parties en appel,

Condamne M. [U] [G] aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Catherine Brisset, présidente, et par Arielle Raveane, greffière.

La greffière La présidente

A. Raveane C. Brisset.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 4eme chambre section 2
Numéro d'arrêt : 21/04882
Date de la décision : 10/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-10;21.04882 ?
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