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10/01/2023 | FRANCE | N°21/01007

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 1ere chambre section 1, 10 janvier 2023, 21/01007


10/01/2023





ARRÊT N°



N° RG 21/01007

N° Portalis DBVI-V-B7F-OALN

MD / RC



Décision déférée du 26 Janvier 2021

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ALBI 19/01419

Mme MALLET

















[B] [E]

[S] [V]





C/



[Z] [P]

S.C.P. MARJORIE LARTIGUE-CHABBERT & [Z] [P]



































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CONFIRMATION







Grosse délivrée



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à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1



***

ARRÊT DU DIX JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS

***









APPELANTS



Madame [B] [E]

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentée par Me Emmanuelle...

10/01/2023

ARRÊT N°

N° RG 21/01007

N° Portalis DBVI-V-B7F-OALN

MD / RC

Décision déférée du 26 Janvier 2021

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ALBI 19/01419

Mme MALLET

[B] [E]

[S] [V]

C/

[Z] [P]

S.C.P. MARJORIE LARTIGUE-CHABBERT & [Z] [P]

CONFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU DIX JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTS

Madame [B] [E]

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentée par Me Emmanuelle DESSART de la SCP SCP DESSART, avocat au barreau de TOULOUSE

Représentée par Me Christophe BAILLY, de la SELARL AVOLITIS, avocat au barreau de RENNES

Monsieur [S] [V]

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représenté par Me Emmanuelle DESSART de la SCP SCP DESSART, avocat au barreau de TOULOUSE

Représentée par Me Christophe BAILLY, de la SELARL AVOLITIS, avocat au barreau de RENNES

INTIMES

Maître [Z] [P]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Nicolas LARRAT de la SCP LARRAT, avocat au barreau de TOULOUSE

S.C.P. MARJORIE LARTIGUE-CHABBERT & [Z] [P] société civile professionnelle titulaire d'un Office Notarial, agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social de la société.

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Nicolas LARRAT de la SCP LARRAT, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 04 Juillet 2022, en audience publique, devant M. DEFIX et J. C GARRIGUES, magistrats chargés de rapporter l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

M. DEFIX, président

J.C. GARRIGUES, conseiller

A.M. ROBERT, conseiller

Greffier, lors des débats : A. CAVAN

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par M. DEFIX, président, et par N. DIABY, greffier de chambre.

******

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Par un contrat de vente en l'état futur d'achèvement régularisé en l'étude de Maître [P], notaire à [Localité 5], le 1er août 2014, M. [S] [V] et Mme [B] [E] ont acquis de la société Loft Wood une maison à usage d'habitation sise [Adresse 1], à [Localité 7] (31).

Le terrain sur lequel est situé cette maison est issu de la division en deux parcelles d'une parcelle existante.

Sur le plan de masse, a été matérialisée une servitude de passage au bénéfice de la parcelle des consorts [V]-[E].

Le 5 juillet 2016, les consorts [V] [E] ont signé une promesse de vente notariée, les époux [I] s'étant portés acquéreurs, au prix de 290 000 euros.

Le notaire commis pour la vente, Maître [F], a spécifié dans ce compromis que les vendeurs s'engageaient à justifier de la création de la servitude ou à en obtenir la constitution au plus tard le jour de la signature de l'acte authentique.

Le 4 novembre 2016, les acquéreurs ont renoncé à la vente en arguant du défaut de justification de cette servitude de passage.

Par lettre recommandée reçue le 30 novembre 2018, les consorts [V]-[E] ont mis en demeure Maître [P] d'avoir à leur régler, par provision, la somme de 54 728,76 euros provisoirement arrêtée au titre de la réparation de leur préjudice.

-:-:-:-:-

Estimant avoir vainement engagé, auprès de Maître [P] et de la Scp Marjorie Lartigue Chabbert et [Z] [P] des démarches amiables afin d'obtenir cette constitution, M. [V] et Mme [E] les ont fait assigner par actes d'huissier du 13 septembre 2019, devant le tribunal judiciaire d'Albi, en responsabilité civile professionnelle, sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

Par jugement contradictoire du 26 janvier 2021, le tribunal judiciaire d'Albi a :

- reçu l'action en responsabilité civile de M. [V] et Mme [E],

- condamné solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue Chabbert et [Z] [P] à payer à M. [V] et Mme [E] la somme de 25 536,64 euros au titre du préjudice matériel, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

- condamné solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue Chabbert et [Z] [P] à payer à M. [V] et Mme [E] la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter présent jugement,

- condamné solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue Chabbert et [Z] [P] à payer à M. [V] et Mme [E] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue Chabbert et [Z] [P] aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Meyer-Soullier,

- ordonné l'exécution provisoire.

Pour statuer ainsi, le tribunal a d'abord estimé, pour recevoir leur action que les consorts [V]-[E], profanes dans les domaines immobiliers et juridiques, n'ont pu raisonnablement prendre 'connaissance de l'absence de mention relative à la servitude de passage dans le fonds dominant et de ses incidences juridiques sur les ventes futures' à la simple lecture de l'acte authentique d'achat du 1er août 2014 mais seulement à celle de l'acte du 5 juillet 2016.

Le tribunal a ensuite relevé qu'il n'était pas contesté que le plan de masse annexé à l'acte de vente de 2014 dressé par Maître [P] matérialisait une servitude de passage au bénéfice de la parcelle des consorts [V]-[E] et que le notaire avait reconnu dans un courrier du 19 février 2018 adressé aux vendeurs que les actes de vente auraient dû comporter la constitution de cette servitude et avoir omis de le faire, manquant ainsi à l'efficacité et à la validité de l'acte et engendrant directement le blocage de la vente promise, finalement dénoncée par les acquéreurs.

Le tribunal a considéré que le dommage était constitué par la différence entre le prix de vente initial et celui résultant de la vente finalement faite au profit d'un tiers, par les frais liés à leur qualité de propriétaire pendant la période précédant la vente ultérieurement réalisée et un préjudice moral.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par déclaration du 23 février 2021, M. [V] et Mme [E] ont relevé appel de ce jugement en ce qu'il a :

- condamné solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue Chabbert et [Z] [P] à payer à M. [V] et Mme [E] la somme de 25 536,64 euros au titre du préjudice matériel, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

- condamné solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue Chabbert et [Z] [P] à payer à M. [V] et Mme [E] la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter présent jugement,

- condamné solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue Chabbert et [Z] [P] à payer à M. [V] et Mme [E] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande relative aux droits de recouvrement et d'encaissement présentée par M. [V] et Mme [E].

-:-:-:-:-

Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 15 septembre 2021, M. [S] [V] et Mme [B] [E], appelants, demandent à la cour de :

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il n'a pas intégralement fait droit à leurs demandes indemnitaires et,

- le réformer en ses dispositions suivantes :

* condamné solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue Chabbert et [Z] [P] à payer à M. [V] et Mme [E] la somme de 25 536,64 euros au titre du préjudice matériel, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

* condamné solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue Chabbert et [Z] [P] à payer à M. [V] et Mme [E] la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter présent jugement,

* condamné solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue Chabbert et [Z] [P] à payer à M. [V] et Mme [E] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue Chabbert et [Z] [P] aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Meyer-Soullier,

'ce faisant',

- condamner solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue-Chabbert et [Z] [P], notaires associés, à leur régler une somme de 80 436,64 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2018 pour le tout et capitalisation des intérêts à compter du 30 novembre 2019,

- 'dire et juger' qu'à tout le moins la somme de 80 436,64 euros produira intérêts à compter du 30 novembre 2018 pour la somme de 54 728,76 euros,

- en application des dispositions de l'article L.141-6 du code de la consommation, condamner solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue-Chabbert et [Z] [P], notaires associés, à supporter la charge de l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement et d'encaissement prévus aux articles 'L.11-8 et L.124-1" du code des procédures civiles d'exécution,

- condamner solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue-Chabbert et [Z] [P] à leur verser une somme de 18 000 euros au titre des frais irrépétibles,

- condamner solidairement Maître [P] et la Scp Marjorie Lartigue-Chabbert et [Z] [P], notaires associés, aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Dessart,

- débouter la Scp Marjorie Lartigue-Chabbert - [Z] [P] et Maître [Z] [P] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.

Sur la prescription qui leur était opposée en première instance, les appelants considèrent que la reconnaissance de responsabilité, tirée du courrier du notaire du 19 février 2018, avait interrompu le cours du délai quinquennal de prescription.

Sur le fond, ils demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a consacré la faute reprochée à Maître [P] et retenu sa responsabilité aux côtés de la Scp notariale et ont souligné le fait que le notaire avait expressément reconnu l'omission de la mention relative à la servitude de passage dans leur acte d'acquisition, directement à l'origine de l'impossibilité pour les acquéreurs de revendre leur maison, ceux qui s'étaient engagés à l'acquérir ayant renoncé à leur projet au seul motif que la servitude promise n'avait pas été constituée.

Ils ajoutent que le notaire, en sa qualité de rédacteur des contrats de VEFA annexant le plan de masse révélant l'état d'enclave provenant de la division ne pouvait ignorer la nécessité de constituer cette servitude. Ils justifient le montant des dommages et intérêts réclamés par les frais induits par le retard mis pour revendre leur bien.

Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 24 juin 2021, Maître [Z] [P] et la Scp Marjorie Lartigue-Chabbert et [Z] [P], intimés, demandent à la cour de :

- faire droit à leur appel incident,

- réformer en conséquence le jugement dont appel en ce qu'il a reçu l'action en responsabilité civile des consorts [E]-[V] ; en ce qu'il les a condamnés solidairement au paiement de la somme de 25 536,64 euros au titre du préjudice matériel causé, avec intérêts au taux légal à compte du jugement ; en ce qu'il les a condamnés solidairement au paiement de la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral subi par les consorts [E]-[V] avec intérêts au taux légal à compter du jugement et au paiement de la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance,

Statuant à nouveau,

Au principal,

- débouter les consorts [E]-[V] de l'ensemble de leurs demandes en ce qu'elles sont irrecevables pour être prescrites,

- les condamner au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Au subsidiaire,

- débouter les consorts [E]-[V] de l'ensemble de leurs demandes en ce que les éléments constitutifs de la responsabilité civile professionnelle ne sont pas établis,

- les condamner au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel,

À titre très subsidiaire,

Si la Cour devait confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu leur responsabilité civile professionnelle,

- réformer le jugement déféré en ce qu'il les a condamnés au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de profit réalisée par la différence des prix de vente du bien et au paiement de la somme de 5 536,54 euros en remboursement des frais liés à leur qualité de propriétaire,

- statuant à nouveau de ce chef, fixer le préjudice matériel subi par les consorts [E]-[V], au titre de la seule chance perdue, à la somme de 10 000 euros correspondant à la moitié de la différence du prix de vente non perçu,

- réformer le jugement déféré en ce qu'il les a condamnés au paiement de la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi et au paiement de la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuant à nouveau de cet autre chef, débouter les consorts [E]-[V] de leur demande en réparation de leur préjudice moral et de leur demande au titre des frais irrépétibles,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté les consorts [E]-[V] de leur demande tendant au remboursement du coût de la location, soit la somme de 32 400 euros à titre de dommages et intérêts ; en ce qu'il a fixé le point des intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement déféré et en ce qu'il a rejeté la demande de capitalisation des intérêts,

- les débouter de toute autre demande indemnitaire présenter devant la Cour et en conséquence au titre de leur appel principal,

- les condamner au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Les intimés maintiennent que l'action est prescrite pour avoir couru dès la signature de l'acte d'achat par les consorts [E]-[V] qui étaient en mesure d'appréhender à la lecture de leur titre l'étendue de leurs droits, ledit acte ne leur conférant aucun droit de passage sur le fonds de leur voisin. Ils ont contesté toute reconnaissance de responsabilité de la part de Maître [P] qui affirme n'avoir jamais admis que l'absence de constitution de la servitude litigieuse afin de facilité la revente de leur bien puisse ouvrir un droit à réparation.

Sur le fond, ils soutiennent que le plan de masse n'a jamais été annexé aux actes authentiques de vente en l'état futur d'achèvement mais à l'acte de dépôt des pièces en application de l'article L. 261-11 du code de la construction et de l'habitat et que Maître [P] n'a jamais été informé de la création d'une servitude de passage dans une configuration que les acquéreurs, déjà engagés par leur contrat de réservation signé hors la présence du notaire, ne pouvaient en revanche ignorer, le courrier adressé par Maître [P] ultérieurement n'ayant eu pour seul objet que de trouver une solution à la difficulté qu'ils soulevaient et le notaire ne disposant pas d'éléments suffisants pour constater lors de la signature de l'acte de vente un état d'enclave ni n'étant tenu de procéder à des investigations sur ce point.

Les intimés ont subsidiairement discuté l'imputabilité des préjudices évoqués par les appelants.

-:-:-:-:-

L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 juin 2022 et l'affaire a été examinée à l'audience du 4 juillet 2022.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

1. Selon l'article 2224 du code civil, 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.

1.2 En l'espèce, les acquéreurs d'un immeuble en l'état futur d'achèvement avaient réservé, le 14 avril 2014, une maison individuelle ayant donné lieu à la rédaction pardevant Maître [P], le 1er août 2014 d'une vente sur la parcelle AM n° [Cadastre 4], [Adresse 1] à [Localité 7]. Ce dernier acte précise, d'une part que cette parcelle provenait de la division d'une parcelle plus grande et résultant d'un document d'arpentage dressé le 8 juillet 2014 et, d'autre part que 'le plan de division approuvé par les parties est demeuré joint et annexé à la minute après mention'. Il est aussi précisé au chapitre du dépôt des pièces au rang des minutes de Maître [P] notamment un plan de situation du 18 novembre 2013, 'une planche photographique de l'environnement du terrain concerné proche et lointain', un plan de division de l'assiette foncière et d'implantation des deux maisons, dressé par le géomètre.

Il apparaît à la lecture de ces documents et du plan joint à l'acte du 1er août 2014 produit en pièce n° 2 des intimés l'absence de toute mention relative à une servitude de passage au profit du fonds vendu dont l'état d'enclave était manifeste sur ce plan de division, cette situation ne faisant l'objet d'aucune discussion.

Sans être spécialiste de l'immobilier ni juriste, étant en l'espèce constaté à lumière des énonciations de l'acte de vente qu'à sa date, M. [V] était directeur de centre commercial et Mme [E], assistante marketing et communication, l'acquéreur d'un fonds apparaissant enclavé du fait de la division dont il procède et dont il avait connaissance avant de signer l'acte authentique ne pouvait que s'apercevoir que l'accès au bien qu'il acquerait ne faisait l'objet d'aucune mention d'une servitude conventionnelle à la date de la signature de l'acte authentique de vente et qu'il était en mesure de s'interroger sur les conditions d'usage d'un accès à la voie publique par le fonds voisin.

Le point de départ de leur action en responsabilité du notaire fondée sur l'omission de la constitution de cette servitude de passage antérieurement à l'acte de vente doit donc être fixé à la date de cette vente soit le 1er août 2014.

1.2 Selon l'article 2240 du code civil, 'la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription'.

En l'espèce, par courrier du 19 février 2018, Maître [P] a écrit aux propriétaires du fonds voisin, M. [T] et Mme [M], et au sujet duquel il a avait également rédigé le contrat authentique de vente en l'état futur d'achèvement : 'Comme vous le savez, vos propriétaires voisins Monsieur [V] et Madame [E] accèdent à leur maison au moyen d'un chemin de servitude passant sur une bande de 3 mètres vous appartenant.

Et bien que les plans annexés aux ventes et aux permis de construire mentionnent ce chemin, les actes de vente auraient dû comporter la constitution de cette servitude de passage. C'est une omission de ma part.

C'est la raision pour laquelle, pour mettre en conformité les actes de vente avec la réalité du terrain, et permettre de procéder à la vente de la maison de vos voisins, vente bloquée par cette omission, je vous propose de régulariser l'acte de constitution de servitude dont je vous adresse le projet.

Vous n'aurez bien entendu aucun frais ou sommes à verser, l'Office prenant en charge tous les coûts de la constitution de servitude'.

La copie de ce courrier a été adressée au conseil des consorts [V]-[E] qui avait précédemment écrit, par lettre recommandée avec accusé de réception, au notaire pour dénoncer la faute de ce dernier en sa qualité de rédacteur d'acte, après de multiples démarches demeurées vaines et l'annulation de la revente de l'immeuble finalement intervenue en raison du défaut d'officialisation de cette servitude.

Il suit de ces constatations dénuées d'amibiguïté que Maître [P] a reconnu sa responsabilité en rédigeant une projet de constitution de servitude aux frais exclusifs de l'étude pour mettre fin à la situation préjudiciable aux consorts [V]-[E].

Le jugement ayant reçu l'action de ces derniers sera, pour ces motifs, confirmé.

2. Le notaire, professionnel du droit chargé d'assurer l'efficacité des actes qu'il est chargé d'instrumenter, est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention de manière complète et circonstanciée sur la portée et les effets ainsi que sur les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique. Il incombe au notaire d'établir la preuve de l'exécution de son devoir de conseil dont il ne peut être déchargé nonobstant les connaissances personnelles de son client.

Certes, les acquéreurs pouvaient à la lecture de projet d'acte authentique constater l'absence de mention de la servitude dont le principe était manifestement acquis entre toutes les parties à l'opération immobilière pour la réalisation de laquelle Maître [P] était le rédacteur de tous les actes nécessitant son intervention. Cette absence de mention ne signifiait pas obligatoirement l'inexistence d'une convention portant constitution de cette servitude ayant pu être consentie par acte séparé entre le vendeur et le tiers concerné ou encore, si la seconde vente n'était pas encore réalisée, pouvant être toujours consentie à la date de cette dernière.

En l'espèce, le notaire a tout simplement omis de consacrer cette servitude à quelque moment que ce soit de l'opération immobilière accomplie par le vendeur sur les deux parcelles qu'il avait divisées et sur laquelle ce dernier a bâti les immeubles à usage d'habitation.

Maître [P] reconnait d'ailleurs dans son courrier précité que les 'plans annexés aux ventes et aux permis de construire mentionnent ce chemin' et que 'les actes de vente auraient dû comporter la constitution de cette servitude de passage'.

Ses explications sur le fait prétendu que le 'plan de masse' était exclusivement annexé à l'acte de dépôt des pièces instrumenté conformément aux dispositions de l'article L. 261-11 du code de la construction et de l'habitation et sur le fait qu'il n'aurait jamais été informé de la création d'une servitude de passage comme aurait dû le faire la société venderesse, sont contredites tant pas ses propres écrits précités mais aussi par son rôle de dépositaire des pièces essentielles de cette opération immobilière à laquelle il a prêté son concours pour la rédaction des actes de vente dont il ne pouvait ignorer les éléments de situation ni la portée de leur contenu au regard de l'état d'enclave qu'ils faisaient clairement apparaître.

Maître [P] ne justifie ni même n'allégue avoir alerté M. et Mme [V] de l'absence de constitution d'une servitude à la date de la signature de l'acte ni même informé ces derniers sur l'intérêt à prévoir une telle servitude pour sécuriser l'accès à leur fonds et les prémunir contre tout éventuel litige avec les propriétaires du fonds servant.

Le tribunal a donc à bon droit retenu le principe de la faute commise par le notaire.

3. Sur le préjudice, il sera d'abord constaté que selon les propos précités de Maître [P], la revente du bien acquis par les consorts [V]-[E] était 'bloquée'. Il résulte des pièces versées au dossier par les appelants que malgré plusieurs appels téléphoniques et courriels restés sans réponse, ces derniers ont été contraints d'écrire par lettre recommandée avec accusé de réception les 26 et 30 septembre 2016. Par ce dernier courrier, ils ont indiqué avoir été contraints de consentir une prorogation d'une promesse de vente signée le 5 juillet 2016, le notaire sous l'égide duquel ce dernier acte a été passé ayant relevé l'absence de constitution de la servitude. Aucune réponse officielle n'a été donnée à ces courriers de telle sorte que Maître [F] a fait connaître, le 4 novembre 2016, aux consorts [V]-[E] que les acquéreurs renonçaient à leur projet en raison du fait que les vendeurs ont été dans l'impossibilité de justifier de la servitude de passage litigieuse, présentée comme une condition déterminante de leur engagement.

Maître [P] qui avait seulement échangé avec Maître [F] pour constater l'absence de régularisation avec les voisins dont la résidence est éloignée du lieu de leur bien, n'a finalement réagi efficacement qu'à la suite de l'intervention de l'avocat des consorts [V]-[E], plus d'un an et demi plus tard.

Le manquement initial s'est donc accompagné d'un mutisme préjudiciable aux intérêts de M. [V] et de Mme [E], Maître [P] disposant dès le départ de tous les éléments pour tenter de régler cette difficulté avec diligence afin de mettre un terme à cette situation à la naissance de laquelle il avait contribué.

Ces derniers demandent en phase d'appel la réparation de leurs préjudices à hauteur de :

- 27 500 euros au titre de la différence entre le prix de revente de leur immeuble initialement consenti et celui finalement acquitté lors de la revente effective,

- 32 000 euros au titre des frais de location d'un logement en Bretagne où ils résident désormais jusqu'à l'acquistion d'un nouvel immeuble,

- 5 536,64 euros au titre des frais exposés à titre de propriétaire sur l'immeuble de [Localité 7], durant la période du 30 septembre 2016 au 29 mars 2019,

- 15 000 euros au titre du préjudice moral subi.

Les intimés opposent l'absence de certitutde du préjudice et le fait que ce dernier ne peut consister qu'en une perte de chance.

3.1 Il est constant que le 18 juin 2016 les consorts [V]-[E] avaient trouvé des acquéreurs ayant formulé une offre d'achat de 290 000 euros sans le recours au service d'un agent immobilier et qu'à la suite de l'abandon par ces derniers, pour les raisons déjà évoquées de leur projet après l'expiration du délai de la promesse signée en juillet 2016, les appelants ont finalement vendu, le 29 mars 2019, leur maison pour le prix de 270 000 euros par l'intérmédiaire d'un agent immobilier dont la commission s'est élevée à la somme de 7 500 euros.

3.1.1 Tout d'abord, si la promesse de vente de l'immeuble consentie le 18 juin 2016 n'a pas été produite au dossier, il résulte du courrier de l'étude de Maître [F], notaire à [Localité 6], que la renonciation au projet est liée à l'absence de constitution de la servitude litigieuse et que Maître [P], dans un précédent courriel avec son confrère, avait parfaitement conscience du lien entre les diligences à accomplir et la perfection de la vente en attente de cette solution : 'je ne sais pas si l'acte sera régularisé d'ici vendredi prochain. Quoi qu'il en soit, je leur ai expliqué les conséquences d'un refus de signature, et sont conscients que le fonds de votre client ne peut être enclavé'.

Sur la base de ces constatations reposant sur les écrits entre ces deux notaires, dont le courrier de Maître [F], que ce premier poste de préjudice est bien certain.

3.1.2 Ensuite, ce premier préjudice est en réalité constitué par la perte de chance de retrouver un acquéreur aux mêmes conditions de prix. Au regard de l'ensemble des constatations qui précèdent, ce taux doit être considéré comme particulièrement important compte tenu du temps écoulé par la seule faute du notaire, des aléas du marché de l'immobilier et de l'éloignement des vendeurs qui, depuis la première tentative de vente, ont dû s'installer dans la région de [Localité 9] où ils travaillent désormais, justifiant le recours à un agent immobilier. Il sera fixé à 80 % et s'appliquera au montant de la différence entre les deux prix (20000 euros) mais aussi à la commission de l'agent immobilier, frais qui se sont ajoutés à l'opération de revente et qu'ils ont perdu la chance d'éviter (7 500 euros), leur choix d'y recourir finalement étant contraint par les modifications dans leur emploi et ne relevant donc pas d'une décision arbitraire de leur part. L'objection des intimés selon laquelle les consorts [V]-[E] auraient pu vendre leur bien sans un tel intermédiaire, est purement illusoire au regard de la distance et de la faible disponibilité des vendeurs.

3.1.3 Le jugement sera donc infirmé sur le montant de la réparation due à ce titre et les intimés seront condamnés in solidum à payer aux appelants la somme de 22 000 euros de ces chefs.

3.2 Les mêmes motifs conduisent à appliquer ce taux de perte de chance aux frais afférents à la propriété du bien de [Localité 7] s'élevant à la somme non contestée de 5 536,64 euros. La décision du tribunal n'ayant pas appliqué la notion de perte de chance sera infirmée et les intimés seront condamnés in solidum à payer aux appelants la somme de 4 429,31 euros due à ce titre concernant ce chef de préjudice.

3.3 Sur le coût de la location de leur logement à [Localité 8] (35) durant la période durant laquelle ils n'ont pu revendre leur bien, les consorts [V]-[E] ont dû régler un loyer mensuel de 1 080 euros soit, durant 30 mois depuis octobre 2016 jusqu'au 29 mars 2019, un montant total de 32 400 euros. Le tribunal a rejeté leur demande au motif que ces derniers avaient la capacité financière pour acquérir un nouveau bien en Bretagne sans attendre la vente de leur maison.

Les intimés insistent sur le fait que les consorts [V]-[E] ont renoncé à acquérir une maison en Bretagne avant l'expiration de la promesse de vente du bien de [Localité 7] et qu'ils ont finalement acquis un bien d'une valeur de 500 000 euros, soit du double de celle du bien précédent, ayant mis près de sept mois après la revente de celui-ci pour remployer les fonds, la victime ne devant pas aggraver son préjudice.

Il ressort des éléments du dossier que le recours à la location a été, dans un premier temps, un passage obligé et prudent dans l'attente du règlement de l'obstacle à la revente de leur bien, le notaire étant resté inactif pour y mettre fin dans un délai raisonnable et ce dernier ne pouvant se prévaloir de sa propre inertie pour reprocher aux appelants de n'avoir pas engagé d'action contentieuse contre le vendeur ou quiconque alors qu'il disposait des éléments pour dénouer aisément cette difficulté en l'absence d'opposition de principe des voisins.

Au regard de l'endettement déjà créé par l'acquisition à l'aide d'un prêt de la maison de [Localité 7], de l'insécurité juridique liée à la faute du notaire, longtemps non réparée, et des aléas de revente de leur bien, il ne saurait être reproché aux appelants d'avoir différé leur décision d'achat d'une nouvelle maison jusqu'à la date à laquelle le remploi de la valeur de revente est devenu possible et de n'avoir ainsi pas voulu ainsi s'exposer à un taux d'endettement supérieur à celui de 33% communément admis comme limite pour l'octroi des crédits bancaires.

Constatant en conséquence l'existence d'un préjudice en lien de causalité directe avec le comportement du notaire et appliquant le taux de perte de chance, il convient d'infirmer la décision du tribunal en ce qu'il n'a pas retenu la réparation de ce dommage et les intimés seront condamnés in solidum à payer aux appelants la somme de 25 920 euros due à ce titre concernant ce chef de préjudice.

3.4 Le tribunal a fait une juste appréciation du préjudice moral découlant des faits fautifs imputables à Maître [P]. La décision sera confirmée de ce chef.

3.5 Les appelants sont en droit de réclamer les intérêts au taux légal sur l'ensemble de ces sommes et leur point de départ doit être fixé, à la date du présent arrêt, s'agissant de la liquidation d'un préjudice en réparation d'une dommage dans le cadre de la responsabilité délictuelle.

4. Maître [P] et la Scp Marjorie - Lartigue-Chabbert - [Z] [P] seront tenus in solidum aux dépens d'appel.

5. Les dispositions de l'artcle L. 141-6 du code de la consommation, par ailleurs abrogées sous cette numérotation par l'Ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation, aujourd'hui codifiées sous l'article R. 631-4 du même code, n'ont pas vocation à s'appliquer dans le cadre de la présente procédure qui n'entre pas dans la catégorie des litiges civils relevant de code de la consommation. Le jugement ayant écarté l'application de ces dispositions sera, pour ce motif, confirmé.

6. Les appelants sont en droit de réclamer l'indemnisation des frais non compris dans les dépens qu'ils ont été contraints d'exposer dans le cadre de cette procédure d'appel. Maître [P] et la Scp Marjorie - Lartigue-Chabbert - [Z] [P] seront tenus in solidum de leur régler la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 26 janvier 2021 par le tribunal judiciaire d'Albi en toutes ses dispositions à l'exception de celles relatives à la réparation du préjudice matériel.

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne Maître [Z] [P] et la Scp Marjorie - Lartigue-Chabbert - [Z] [P] in solidum à payer à M. [S] [V] et à Mme [B] [E], au titre de leur préjudice matériel, les sommes de, outre les intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt, :

- 22 000 euros en réparation du préjudice lié à perte de chance de revendre leur immeuble de [Localité 7] dans les conditions prévue à la promesse de vente signée en juillet 2016,

- 4 429,31 euros en réparation du préjudice lié à la perte de chance de ne pas être exposé aux frais afférents à la propriété de [Localité 7] postérieurement à l'expiration définitive de cette promesse,

- 25 920 euros en réparation du préjudice lié à la perte de chance de ne pas être exposé à des frais de location d'octobre 2016 à mars 2019.

Condamne Maître [Z] [P] et la Scp Marjorie - Lartigue-Chabbert - [Z] [P] in solidum aux dépens d'appel.

Autorise conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Maitre Emmanuelle Dessart, avocate, à recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.

Condamne Maître [Z] [P] et la Scp Marjorie - Lartigue-Chabbert - [Z] [P] in solidum à payer à M. [S] [V] et à Mme [B] [E] la somme de 6000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais non compris dans les dépens et exposés en appel.

Le Greffier Le Président

N. DIABY M. DEFIX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 1ere chambre section 1
Numéro d'arrêt : 21/01007
Date de la décision : 10/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-10;21.01007 ?
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