16/12/2022
ARRÊT N°2022/516
N° RG 21/01846 - N° Portalis DBVI-V-B7F-OD2H
AB/AR
Décision déférée du 18 Mars 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE (19/1747)
PUJOL G.
[E] [P]
C/
S.A.R.L. EYCHENNE SERVICES
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le 16 12 22
à Me Eric MOUTON
Me Christophe EYCHENNE
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2
***
ARRÊT DU SEIZE DECEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANT
Monsieur [E] [P]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Eric MOUTON, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
S.A.R.L. EYCHENNE SERVICES
prise en la personne de son représentant légal, domicilié ès qualités audit siège sis [Adresse 1]
Représentée par Me Christophe EYCHENNE, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant A. Pierre-Blanchard, conseillère, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. Brisset, présidente
A. Pierre-Blanchard, conseillère
F. Croisille-Cabrol, conseillère
Greffier, lors des débats : A. Ravéane
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par C. Brisset, présidente, et par A. Ravéane, greffière de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [E] [P] a été embauché suivant contrat de travail à durée déterminée du 1er mai au 31 mai 2016, par la SARL Eychenne Services en qualité de manutentionnaire préparateur.
Par avenant du 1er septembre 2016, il était embauché pour une durée indéterminée dans les mêmes conditions.
Le salarié avait pour missions de charger et décharger des camions, préparer les commandes et assurer la manutention lors des opérations d'expédition et réception.
La société occupait plus de 10 salariés à la date du litige.
M. [P] a subi un arrêt de travail pour maladie au titre d'une pathologie aux yeux, du 12 décembre 2016 au 1er octobre 2017.
Par lettre du 19 mars 2018, la société Eychenne Services a convoqué M. [P] à un entretien préalable au licenciement fixé au 4 avril 2018.
Par courrier du 11 avril 2018, M. [P] a été licencié pour faute grave.
Par requête en date du 21 août 2018, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse aux fins de contester son licenciement.
Par une décision en date du 17 octobre 2019, le conseil de prud'hommes de Toulouse a radié l'affaire pour sanctionner le défaut de diligences du salarié n'ayant pas respecté le calendrier de procédure.
Par requête en date du 28 octobre 2019, M. [P] a sollicité la réinscription au rôle de cette affaire.
Par jugement du 18 mars 2021, le conseil de prud'hommes de Toulouse a :
- jugé que le licenciement de M. [P] est constitutif d'une faute grave,
- débouté M. [P] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société Eychenne Services de sa demande reconventionnelle,
- condamné M. [P] aux entiers dépens.
M. [P] a relevé appel de ce jugement le 22 avril 2021, dans des conditions de forme et de délai non discutées, en énonçant dans sa déclaration d'appel les chefs critiqués.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 juillet 2021, auxquelles il est expressément fait référence, M. [P] demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Toulouse le 18 mars 2021.
En conséquence :
- juger que M. [P] n'a commis aucune faute dans l'exécution de son contrat de travail.
A titre principal :
- juger que le licenciement est nul comme étant en lien avec l'état de santé.
En conséquence :
- condamner la SARL Eychenne Services à payer à M. [P] les sommes suivantes:
*indemnité compensatrice de préavis ............................. 1 993,39 euros (1 mois),
*indemnité de congés payés sur le préavis 10% ...................199,34 euros,
*indemnité de licenciement....................................................996,69 euros,
*dommages-intérêts pour licenciement nul .......................23 920,68 euros (12 mois).
A titre subsidiaire :
- juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence :
- condamner la société Eychenne Services à payer à M. [P] les sommes suivantes :
* indemnité compensatrice de préavis ...............................1 993,39 euros (1 mois),
* indemnité de congés payés sur le préavis 10% ................. 199,34 euros,
* indemnité de licenciement 1/4 ...........................................996,69 euros,
* dommages-intérêts pour rupture abusive du fait l'employeur . 6 976,86 euros (3 mois ¿ ).
En tout état de cause :
- condamner la société Eychenne Services à remettre à M. [P] un certificat de travail ainsi qu'une attestation pôle emploi conforme, sous astreinte de 40 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt,
- condamner la société Eychenne Services à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 octobre 2021, auxquelles il est expressément fait référence, la société Eychenne Services demande à la cour de :
A titre principal :
- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
- condamner M. [P] à payer à la société des Transports Eychenne la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
- à titre subsidiaire pour le cas où la Cour retiendrait l'absence de cause réelle et sérieuse, limiter le quantum des condamnations prononcées à :
*1 992,24 euros ou à tout le moins 3 984,48 euros s'agissant des dommages et intérêts dus en application de l'article L1235-3 du code du travail,
*1 992,74 euros s'agissant de l'indemnité de préavis,
*199,27 euros s'agissant des CP sur indemnité de préavis,
*498,18 euros s'agissant de l'indemnité de licenciement,
- à titre infiniment subsidiaire pour le cas où la Cour retiendrait la nullité du licenciement, limiter le quantum des condamnations prononcées à :
*11 953,44 euros s'agissant des dommages et intérêts dus en application de l'article L1235-3-1 du code du travail,
*1 992,74 euros s'agissant de l'indemnité de préavis,
*199,27 euros s'agissant des CP sur indemnité de préavis,
*498,18 euros s'agissant de l'indemnité de licenciement.
MOTIFS :
Sur le licenciement pour faute grave :
Il appartient à la société Eychenne Services qui a procédé au licenciement pour faute grave de M. [P] de rapporter la preuve de la faute grave qu'elle a invoquée à l'encontre de son salarié, étant rappelé que la faute grave se définit comme un manquement ou un ensemble de manquements qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; la cour examinera les motifs du licenciement énoncés dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige.
En l'espèce, M. [P] a été licencié pour faute grave selon courrier du 11 avril 2018 motivé comme suit :
'Monsieur,
Nous vous avons convoqué à un entretien préalable que nous avons fixé au 4 avril 2018 afin de nous entretenir sur les difficultés relatives à l'exécution de votre contrat de travail.
A son cours, nous vous avons fait part des difficultés que nous avons pu constater dans l'exécution de votre contrat de travail et qui nous ont amenées à envisager à votre encontre une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à la rupture de la relation de travail.
Ces faits sont pour mémoire les suivants.
Nous rappelons en liminaire que vous avez été embauché au sein de l'entreprise en qualité de manutentionnaire préparateur de commandes à compter du 1er mai 2016 par contrat à durée déterminée et que la relation s'est poursuivie à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2016.
Dans le cadre de vos fonctions, vous avez pour mission d'assurer les chargements et déchargements de camions, la préparation de commandes et les opérations de manutention liées aux fonctions d'expédition et de réception.
Dans la nuit du 16 au 17 mars 2018, alors que vous travaillez, comme tous les jours sur le site de notre client, Leclerc Socamil, vous avez participé en plein service à une bataille d'oeufs pour fêter le départ de l'un de vos collègues de travail intérimaire, M. [N] [R] qui terminait sa mission.
Ainsi, ce soir-là, M. [S] votre supérieur hiérarchique, chef d'expédition denrées périssables, s'étonnant de ne pas avoir le retour de vos feuilles de chargement s'est rendu personnellement sur le quai pour connaître les raisons d'un tel retard.
Il a constaté avec stupéfaction en arrivant que vous aviez enfermé votre collègue M. [N] [R] dans la remorque [Immatriculation 6] qui se trouvait à quai.
L'intervention de M. [S] ne semble pas vous avoir perturbé outre mesure puisque suite à son départ, vous avez continué "les festivités" et avez organisé une bataille d'oeufs avec M. [R] et M. [U] [X], étant précisé que les oeufs utilisés faisaient partie du chargement destiné à une livraison pour le magasin Leclerc de [Localité 4].
Votre supérieur a été informé des faits par M. [J] responsable logistique frais nuit de la Socamil le 17 mars 2018 vers 3h55 du matin qui lui a indiqué que le quai de chargement sur lequel vous étiez intervenu était parsemé d'oeufs cassés.
Les oeufs dégoulinants ont ainsi rendu le sol du site glissant induisant un risque élevé de chute pour vous mais également pour les personnes évoluant à proximité.
Nous ne pouvons d'ailleurs que nous réjouir que personne n'ait été blessé en glissant ou en ayant été touché par un jet d'oeufs.
A la suite de ces événements, M. [K] responsable réception magasin Leclerc de [Localité 4] a contacté M. [O] responsable entrepôt frais de la Socamil pour l'informer que le chargement de produits frais reçu contenait des oeufs éclatés partout dans le camion.
Il a indiqué avoir ainsi constaté la présente de coquilles et de jaunes d'oeufs écrasés sur plusieurs palettes réparties de l'arrière jusqu'à la moitié de la remorque et qu'il manquait 36 UV dans le box d'oeufs, ce qui a ainsi confirmé que les oeufs utilisés pour organiser votre bataille provenaient bien du dit chargement.
Il a également signalé que la remorque concernée était la remorque portant la référence [Immatriculation 5].
Le rapport de bipage du chargement de la nuit du 16 au 17 mars 2018 a effectivement confirmé que vous étiez bien en charge de cette remorque ce soir-là.
Ainsi et à la constatation de ces faits, le client a bien évidemment émis des réserves quant à la livraison déclenchant ainsi un litige induisant un coût pour notre entreprise.
Nous avons dû en outre prendre en charge le nettoyage de vos dégradations sur les quais et dans la remorque, celles-ci ayant nécessité l'utilisation d'un nettoyeur haute pression, engendrant des frais supplémentaires pour notre client et nous-même.
Outre financièrement vos agissements irresponsables et puérils ont eu des répercussions à plusieurs titres.
Ainsi, au niveau commercial ces faits ont gravement entaché notre image vis à vis du client auprès duquel notre activité est particulièrement importante.
La confiance accordée par ce dernier est fortement compromise dès lors que le personnel que nous mandatons ne respecte pas les règles élémentaires de savoir vivre et de sécurité.
Nous vous rappelons que dans le cadre de vos fonctions, vous êtes missionné sur le site de notre client Leclerc. De ce fait, vous vous devez d'être irréprochable et respectueux des règles et consignes qui s'imposent chez ce dernier mais plus généralement des règles de sécurité et de bienséance attachées à notre activité.
Votre comportement a également eu des conséquences sur l'organisation de votre mission qui n'a pas été menée à bien.
En effet, les faits reprochés vous ayant occupé une bonne partie de la soirée, vous n'avez donc pas pendant ce temps-là exécuté votre travail de manière conforme.
Ainsi les feuilles de chargement nous indiquent que vous n'avez chargé que deux remorques entre 20 heures et 1 heures 15 du matin alors qu'un autre salarié consciencieux en aurait chargé plus du double.
En agissant de la sorte, vous avez également enfreint les règles de sécurité et d'hygiène qui s'imposent eu égard à la nature de notre activité.
Vous évoluez en effet quotidiennement au milieu de denrées alimentaires ce qui nécessite certaines précautions d'hygiène passant notamment par la propreté des lieux.
Cette exigence n'a, de toute évidence, pas été respectée dans le cadre de la mission visée.
Nous ne pouvons que déplorer ces actes inacceptables qui au-delà peuvent également s'apparenter à des faits de violence.
L'impact d'un tel projectile (les oeufs) sur un corps aurait en effet pu causer des lésions physiques.
Vous avez ainsi mis en danger votre collègue mais également d'éventuelles personnes qui auraient pu être présentes sur le site au moment des faits.
Un tel comportement est inconséquent et contraire à vos obligations contractuelles, d'autant qu'il apparaît que vous n'avez pas pris pleinement conscience de la gravité de ces actes et du caractère totalement irresponsable de l'attitude affichée puisque ces faits ont été suivis d'un nouvel incident le 23 mars 2018.
En effet, à cette date, le responsable réception du Leclerc de Saint Aunes a informé M. [O], responsable entrepôt frais de la Socamil, que deux palettes contenant des olives étaient arrivées sur site non filmées et sans cale entre les deux.
A réception il a constaté que les deux palettes étaient cassées et que le box "était fichu" car l'huile s'était répandue.
Le client a également ajouté que la majorité des palettes mesuraient plus de deux mètres, que les films n'étaient pas tendus et que la palette, à qui il manquait un pied, avait été « calée » par un rouleau de film plastique ce qui a impliqué un déchargement très délicat.
Comme confirmé par le rapport de bipage de la nuit du 22 au 23 mars 2018, le chargement concerné à destination du Leclerc [Localité 7] vous incombait.
Vous avez, une fois de plus, par votre manque d'implication et votre irresponsabilité, provoqué l'insatisfaction du client en bâclant votre travail.
A nouveau votre comportement a nui à la qualité de notre prestation qui n'a pas été à la hauteur de ce que le client est en droit d'attendre.
Nous ne pouvons tolérer une telle attitude et un tel laxisme, dont vous ne pouviez en toute objectivité ignorer les conséquences qui impactent directement le bon déroulement de notre activité et l'image de marque de notre société auprès de nos clients.
En l'état, et à l'examen de ces difficultés qui constituent des manquements graves à vos obligations contractuelles nous considérons qu'il n'est pas possible de maintenir la relation de travail.
En conséquence, votre licenciement vous est notifié pour faute grave.
Il est exclusif du préavis, que vous n'effectuerez pas, mais également de l'indemnité légale de licenciement.
Votre contrat de travail est donc rompu ce jour et par la présente notification.'
Aux termes de ce courrier, il est donc reproché au salarié deux griefs distincts :
-avoir participé dans la nuit du 16 au 17 mars 2018 pendant son temps de travail à une bataille d'oeufs sur le site du client principal de la société, avec la marchandise à livrer, ceci occasionnant des frais de nettoyage des quais, une perte d'image de la société et le mécontentement du client,
-avoir été négligeant dans la préparation d'une commande le 23 mars 2018 (palettes d'olives non filmées et non calées, ceci occasionnant la dégradation du contenant).
M. [P] conteste les faits reprochés et invoque la nullité de son licenciement comme étant lié à son état de santé.
La cour examinera la caractérisation des griefs reprochés au salarié, afin d'en tirer ensuite une éventuelle conséquence au regard de la nullité du licenciement que soulève à titre principal M. [P].
-Sur le premier grief :
Le salarié indique que la bataille d'oeufs se déroulait entre un intérimaire dont c'était le dernier jour, M. [R], et M. [U], un autre salarié. Il aurait reçu un oeuf alors qu'il travaillait, et en aurait renvoyé un autre. Il conteste avoir enfermé M. [R] dans une remorque.
S'il est exact que M. [R] atteste n'avoir été jamais enfermé par son collègue, en revanche il confirme bien que M. [P] a participé à la bataille d'oeufs qui se déroulait initialement entre M. [R] et M. [U] : 'Monsieur [P] [E] a reçu des oeufs et, sur les nerfs, il en a rejeté'.
Et M. [P] ne conteste d'ailleurs pas avoir participé à cette 'bataille d'oeufs', peu important celui ayant commencé ou le nombre exact d'oeufs lancés.
La matérialité des faits est d'ailleurs établie par la société Eychenne Services, qui produit le mail de mécontentement du responsable de l'entrepôt Socamil en date du 17 mars 2018 : il décrit l'intervention pour le nettoyage du quai, et les 20 boîtes d'oeufs manquantes à la livraison.
Un mail du 28 mars 2018, du service réception du magasin Leclerc, confirme que le chargement de produits frais a été livré avec des oeufs éclatés dans le camion sur plusieurs palettes et que 36 unités étaient manquantes.
Une fiche de non-conformité de la livraison est également produite, mentionnant les oeufs cassés et manquants.
Par mail du 20 mars 2018, M. [M], responsable logistique de l'entrepôt Socamil, a écrit au supérieur hiérarchique de M. [P] pour lui indiquer que ce dernier lui avait avoué avoir participé à la bataille d'oeufs.
Ces éléments montrent que les faits ont eu une importance sur l'image de l'entreprise vis-à-vis du client, et que M. [P] a bien participé aux faits.
M. [P] en minimise la gravité en soutenant que le licenciement pour faute grave est disproportionné, et que M. [U] qui a participé aux mêmes faits n'a été sanctionné que d'une mise à pied de trois jours alors qu'il était en contrat à durée déterminée depuis un mois et demi tandis que M. [P] était en contrat à durée indéterminée depuis plus d'un an.
Cependant, l'employeur objective la différence de sanction avec M. [U], par le fait que ce salarié a admis son comportement et a 'fait amende honorable' tandis que M. [P] tentait de le minimiser et même de le justifier (ce qui ressort du mail du supérieur de M. [P] au client le 23 mars 2018), et que M. [P], d'une ancienneté plus importante, aurait dû raisonner son collègues et ramener l'ordre plutôt que de participer. En outre, un deuxième grief est reproché à M. [P], pas à M. [U].
-Sur le deuxième grief :
S'agissant du reproche de négligence dans la préparation d'une commande le 23 mars 2018 (palettes d'olives non filmées et non calées, occasionnant la dégradation du contenant), la société Eychenne Services produit un mail du 23 mars 2018 par lequel le client (magasin Leclerc Saint Aunes) s'est plaint de l'état de la livraison, avec en objet 'autre problème chargement Saint Aunes 45", indiquant :
«Décidément les problèmes persistes et augmentes.
Ces deux palettes n'étaient pas filmées ensembles et sans cale entre les deux.
De plus une des deux demis palettes était cassé (pas celle qui est tombée) + un rouleau de film coincé en dessous de la palette qui est tombée.
Résultat le box est fichu car l'huile s'est répandue...
Nous tenons ce box à votre disposition et nous vous en demandons l'Avoir»
Le surgelé de ce matin est arrivé avec 1 heure de retard + la grande majorité des palettes mesurées plus de deux mètres et les film n'étaient pas tendus.
Le déchargement fut très délicat et il a fallu dépoter pour passer la porte de la zone de congélation »
La matérialité des problèmes évoqués ci-dessus n'est pas remise en cause par M. [P], qui conteste cependant en être le responsable.
En effet il conteste avoir préparé la palette litigieuse, et soutient sans produire une quelconque pièce à ce sujet que celle-ci devait en tout état de cause être filmée par l'entrepôt Socamil, son travail ne consistant qu'à charger les palettes.
Il ajoute qu'il résulte des documents produits par l'employeur que M. [P] n'est pas l'opérateur ayant chargé la palette litigieuse n°75734935 car le relevé de bipage ne comporte pas son nom comme pour les autres palettes qu'il a pris en charge, cette palette ayant été chargée à 1h39 alors qu'il n'a travaillé que jusqu'à 0h25 selon ce même relevé.
Toutefois, il résulte au contraire des pièces produites que M. [P] est bien l'opérateur qui s'est occupé du chargement, et qu'il a effectué des chargements jusqu'à 1h41.
En effet, l'employeur produit le relevé de bipage du salarié affecté au chargement et qui permet d'identifier les palettes dont il s'est occupé ; il en ressort que M. [P] s'est occupé du chargement à destination du magasin « HIPERSAI » et notamment de la palette n° 75734935 ; sur le document produit en pièce n°10 par l'employeur, (document synthétique de pré-chargement), l'on voit apparaître le nom de l'opérateur « [E] » (M. [P]) pour les marchandises à destination du magasin « 45 » (Hyper [Localité 7] qui s'est plaint) soit 31 palettes, ce qui confirme ainsi la pièce précédente.
Les mentions de l'opérateur 'portable frais' sur le relevé de bipage ne correspondent pas à un autre salarié mais bien à M. [P] car les bipages ont eu lieu durant son temps d'intervention, sans qu'il soit soutenu qu'un autre collègue serait intervenu en même temps ; l'employeur explique sans être contredit sur ce point que l'outil de bipage, après une pause, se remet par défaut en 'portable frais' et qu'il appartient à l'agent de le re paramétrer avec son nom après sa pause, et qu'il n'y a pas eu d'opération de bipage entre 0h25 et 1h38, correspondant à la pause de M. [P], les bipages reprenant sous le nom générique de 'portable frais' à 1h38.
De plus M. [P] a bien bippé la 'fin de chargement' après avoir traité la palette litigieuse n°75734935 à 1h45, avant d'être remplacé par son collègue suivant, M. [D], qui a repris les opérations à 1h46 avec un autre numéro de palette.
En tant qu'opérateur de chargement, et préparateur de commandes, il incombait bien à M. [P] de caler convenablement les palettes et de s'assurer de leur filmage correct pour éviter tout incident durant le transport.
La cour considère donc ce grief établi et imputable à M. [P].
Les manquements ainsi décrits dans la lettre de licenciement caractérisent bien une faute grave du salarié.
Sur la demande de nullité du licenciement pour discrimination fondée sur l'état de santé :
En tout état de cause, M. [P], dont l'aptitude au poste n'est pas débattue, invoque un lien entre son licenciement et son état santé, pour soutenir la nullité de son licenciement.
Par application de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.
L'article L 1134 - 1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.
Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, M. [P] explique avoir été blessé à l'oeil gauche par un tir de fusil dans la nuit du 16 au 17 avril 2008, que son état s'était stabilisé mais s'est dégradé en 2016 au point qu'il a dû subir une énucléation
pendant son arrêt maladie, et que son oeil droit est également atteint de pathologies ; il affirme que son employeur a adopté un comportement dénigrant en faisant des réflexions sur ses arrêts maladie comme en attesteraient d'autres salariés MM. [T], [G], [C], [A].
Toutefois :
-l'attestation de M. [T] est imprécise car l'on ignore totalement qui a tenu les propos litigieux ('durant son arrêt maladie je n'ai cessé d'entendre des réflexions concernant cela. Un exemple : si il ne veut pas travailler qu'il reste chez lui'),
-un témoin, M. [G], est le beau-frère du salarié, de sorte que son témoignage ne peut être retenu comme objectif et probant au regard du lien familial avec le salarié,
-M. [C] et M. [A] attestent avoir entendu M. [V] (le responsable) dire que M. [P] 'n'allait pas faire long feu' ou 'n'allait pas durer longtemps' en raison de ses arrêts maladie, ce qui ne signifie pas nécessairement que l'employeur voulait le licencier pour motif disciplinaire, mais peut tout aussi bien signifier que l'état de santé de M. [P] finira par l'empêcher de reprendre son poste.
La cour estime au vu de ces seuls éléments trop imprécis que M. [P] ne présente pas de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.
Au surplus, la cour ajoute qu'il n'est pas discuté que les problèmes de santé du salarié étaient connus de l'employeur lors de l'embauche, et également lors de la transformation du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, de sorte que ces mêmes problèmes ne peuvent être raisonnablement retenus comme générateurs d'un souhait de l'employeur de se séparer du salarié ; enfin et surtout, il est établi que M. [P] a commis des manquements que la cour a jugés constitutifs d'une faute grave, de sorte que le licenciement est objectivé par des faits étrangers à son état de santé.
Par conséquence, la cour rejettera, comme les premiers juges, la demande de nullité du licenciement et les demandes en paiement y afférentes.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a considéré que le licenciement reposait sur une faute grave, et en ce qu'il a débouté M. [P] de l'ensemble de ses demandes.
Sur le surplus des demandes :
M. [P], échouant en son procès, sera condamné à en supporter les entiers dépens, le jugement étant confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile devant la présente cour.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [P] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Catherine Brisset, présidente, et par Arielle Raveane, greffière.
La greffière La présidente
A. Raveane C. Brisset
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