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22/11/2022 | FRANCE | N°20/01459

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 1ere chambre section 1, 22 novembre 2022, 20/01459


22/11/2022



ARRÊT N°



N° RG 20/01459 - N° Portalis DBVI-V-B7E-NS7R

CR/NB



Décision déférée du 18 Mai 2020 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - 15/00664

(Mme. COMMEAU)

















[L] [E]





C/



[H] [U]

S.A. AXA FRANCE IARD

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE GA RONNE


































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CONFIRMATION







Grosse délivrée



le



à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT DEUX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

***



APPELANT



Monsieur [L] [E]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représe...

22/11/2022

ARRÊT N°

N° RG 20/01459 - N° Portalis DBVI-V-B7E-NS7R

CR/NB

Décision déférée du 18 Mai 2020 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - 15/00664

(Mme. COMMEAU)

[L] [E]

C/

[H] [U]

S.A. AXA FRANCE IARD

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE GA RONNE

CONFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT DEUX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

***

APPELANT

Monsieur [L] [E]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représenté par Me Jean-paul ESCUDIER, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMES

Monsieur [H] [U]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Marion BARRAULT-CLERGUE, avocat au barreau de TOULOUSE

S.A. AXA FRANCE IARD, représentée par son directeur général en exercice

[Adresse 7]

[Localité 8]

Représentée par Me Pierre-yves PAULIAN, avocat au barreau de TOULOUSE

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE

GARONNE prise en la personne de son directeur général en exercice domicilié ès-qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Sandrine BEZARD de la SCP VPNG, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 14 Février 2022 en audience publique, devant la Cour composée de :

M. DEFIX, président

C. ROUGER, conseiller

J.C. GARRIGUES, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : A. CAVAN

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par M. DEFIX, président, et par R. CHRISTINE, faisant fonction de greffier de chambre.

EXPOSE DU LITIGE

Le 9 décembre 2011, M. [L] [E], se plaignant de douleurs à l'épaule gauche, a consulté M. [H] [U], masseur-kinésithérapeute et ostéopathe, qui lui a dispensé des soins.

A compter du 20 décembre 2011, M. [E] a été placé en arrêt de travail avec traitement anti-inflammatoire et anti-douleur, un scanner du rachis lombaire étant prescrit.

Ce scanner, réalisé le 22 décembre 2011 a révélé :

- une protusion discale postero-latérale droite à l'étage L4-L5 avec possible conflit disco-radiculaire avec la racine L5 droite à son émergence

- à l'étage L5-S1 une hernie discale migrée pouvant être responsable d'un conflit avec la racine S1 droite à son émergence

- une diminution de la taille du foramen intervertébral L5-S1 gauche pouvant être responsable avec un conflit avec la racine L5 gauche dans son trajet foraminal.

Le 26 décembre 2011, le docteur [S], médecin généraliste, adressait M. [E] en urgence à un confrère pour « sciatique droite hyperalgique avec hernie discale L4-L5 et L5-S1 au scanner ».

Hospitalisé le 26 décembre 2011 à la clinique de l'Union, M. [E] était opéré le 27 décembre 2011 pour traitement chirurgical d'un syndrome de hernies discales lombaires à deux étages contigus, dont le chirurgien, le docteur [O], relevait le caractère exceptionnel.

Consécutivement à l'opération, M. [E] a repris le travail le 22 juin 2012 puis a bénéficié d'arrêts de travail prescrits du 31 juillet 2012 jusqu'au 14 décembre 2012, date à laquelle il a été licencié pour inaptitude.

M. [E] soutenant avoir subi par M.[U] une manipulation avec rotation forcée du bassin au cours de laquelle il aurait senti un craquement au niveau lombaire et une douleur aigüe, a saisi en référé le président du tribunal de grande instance de Toulouse aux fins de voir ordonner une expertise médicale.

Par ordonnance du 4 décembre 2013, le Professeur [J], neurochirurgien, a été désignée en qualité d'expert, laquelle a déposé son rapport le 29 juillet 2014.

L'expert a relevé que M. [E] se plaignant de l'épaule gauche et de l'omoplate gauche, il n'y avait aucune indication à une manipulation lombaire ; qu'il était impossible de se prononcer sur la technique utilisée par M.[U] lors de la séance du 9 décembre 2011, M. [E] relatant une manipulation lombaire qui n'était pas indiquée, tandis que M. [U] décrivait un travail sur le segment dorsal haut et sur la région acromio-claviculaire gauche, sur les premières côtes gauches ainsi que sur les tissus mous.

Par acte du 18 et 19 février 2015, M. [E] a fait assigner M. [U] et son assureur, la Sas Axa France Iard, en présence de la Cpam de la Haute-Garonne aux fins de déclaration de responsabilité et indemnisation des préjudices subis.

Par jugement du 22 août 2017, le tribunal a ordonné un complément d'expertise, confié au Professeur [J], demandant à l'expert de préciser si la manipulation décrite par M. [U] pouvait être à l'origine du tableau clinique objectivé à partir du 20 décembre 2011 ; dans l'affirmative, s'il était possible de privilégier une des manipulations décrites comme étant à l'origine des complications au regard de ce tableau clinique et dans quelle mesure..

Par ordonnance du 7 juin 2018, le juge de la mise en état a commis M. [V] en remplacement du professeur [J], partie à la retraite, aux fins de réaliser le complément d'expertise ordonné par le jugement du 22 août 2017.

M. [V] a déposé son rapport d'expertise le 26 décembre 2018.

Il a conclu au vu des pièces transmises que les manipulations décrites par M. [U] ne pouvaient être à l'origine du tableau clinique objectivé à partir du 20/12/2011 ; qu'il ne pouvait être possible de privilégier une des manipulations décrites par M. [U] comme étant à l'origine des complications au regard du tableau clinique. Il a précisé que M. [E] avait été plaquiste pendant six ou sept ans, travail impliquant le port de charges lourdes facilité par des engins de levage ; qu'il avait été par la suite conducteur de travaux, travail impliquant des déplacements et diverses démarches administratives, et qu'en l'absence de données radiologiques avant décembre 2011 la notion d'état antérieur n'était pas connue.

Par jugement du 18 mai 2020, le tribunal judiciaire de Toulouse a :

- dit que M. [E] ne rapporte pas la preuve d'un lien de causalité entre la manipulation effectuée le 9 décembre 2011 par M. [U] et la survenance d'une double hernie discale médicalement objectivée à compter du 20 décembre 2011,

- débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la Cpam de la Haute-Garonne de ses demandes,

- condamné M. [E] a payer respectivement à M. [U] et à la Sa Axa France Iard la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [E] aux dépens qui comprendront notamment les frais d'expertise et de son complément,

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration du 23 juin 2020, M. [E] a relevé appel de l'intégralité des dispositions de ce jugement.

DEMANDE DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 décembre 2021, M. [E], appelant, demande à la cour, au visa notamment des articles L. 1141-1 et D 1142-1 du code de la santé publique, imposant la charge de la preuve à M.[U], de :

- dire et juger l'appel recevable et bien fondé,

- infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

- débouter' M.[U] de l'intégralité de ses demandes

- juger que M. [U] a commis une faute de nature à engager sa responsabilité,

- constater que le lien de causalité entre la faute de M. [U] et son préjudice est avéré,

- fixer les préjudices subis par lui du fait de la faute de M. [U] du 9 décembre 2011 à la somme totale de 90 164,14 € ventilée comme suit :

Les préjudices patrimoniaux

1- préjudices patrimoniaux temporaires

PGDA (perte de gains professionnels actuels) : 2 588 €

FD ( frais divers) : 294 €

FDRAC (frais divers restés à charge) : 6 632,14 €

2- préjudices patrimoniaux permanents

IP (incidence professionnelle): 30 000 €

Les préjudices extra-patrimoniaux

1- préjudices extra-patrimoniaux temporaires

DFT (déficit fonctionnel temporaire): 3 150 €

SE (souffrances endurées): 7 000 €

2- préjudices extra-patrimoniaux permanents

DFP (déficit fonctionnel permanent) : 31 500 €

PA (préjudice d'agrément): 3 000 €

PE (préjudice esthétique définitif) : 2 000 €

PS (préjudice sexuel): 4 000 €

- condamner in solidum M. [H] [U] et sa compagnie d'assurance responsabilité civile professionnelle Axa France Iard à lui payer la somme de 90.164,14 € en réparation de son préjudice corporel avec intérêts légaux à compter de la date de la décision,

- prononcer la recevabilité de la demande de condamnation in solidum de M. [U] et sa compagnie d'assurance responsabilité civile professionnelle Axa France Iard à lui payer la somme de 5.000 € au titre du manquement au devoir d'information,

- condamner in solidum M. [H] [U] et sa compagnie d'assurance responsabilité civile professionnelle Axa France Iard à lui payer la somme de 5.000 € au titre du manquement au devoir d'information,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun aux organismes sociaux et opposable à la compagnie Axa France Iard,

- condamner in solidum M. [H] [U] et sa compagnie d'assurance responsabilité civile professionnelle Axa France Iard à rembourser les frais de l'expertise judiciaire du professeur [J] et de l'expert judiciaire [A], et à lui payer la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner tout succombant aux entiers dépens en ce compris les instances de référé devant le tribunal de grande instance, l'audience au fond devant le tribunal de grande instance, et les frais d'expertise,

- juger que M. [U] n'apporte pas la preuve que sa manipulation n'a pas été à l'origine du sinistre,

En conséquence,

- entrer en condamnation à son encontre.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 27 janvier 2022, M. [H] [U], intimé, demande à la cour, au visa de l'article L.1142-1 du code de la santé publique, de :

- débouter M. [E] et la Cpam de la Haute-Garonne de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

Au principal,

- confirmer le jugement dont appel,

A titre subsidiaire, si la cour devait retenir une causalité :

- condamner la compagnie Axa à le relever et le garantir indemne de l'intégralité des condamnations de toute nature qui seraient mises à sa charge, en application du contrat liant les parties,

- débouter M. [E] de ses demandes relatives aux postes suivants :

* perte de gains professionnels actuels

* frais divers pour garde d'enfants

* incidence professionnelle

* préjudice d'agrément

* préjudice sexuel

- fixer à de justes proportions les demandes relatives aux postes suivants :

* frais divers d'assistance par médecin conseil : 1.000 €

* souffrances endurées : 3.000 €

* préjudice esthétique : 1.000 €

- déclarer irrecevable et à titre subsidiaire infondée la demande relative au manquement à l'obligation d'information,

- débouter la Cpam de la Haute-Garonne de ses demandes en l'absence de justificatifs

En toutes hypothèses,

- condamner tout succombant à lui payer la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

- condamner tout succombant aux dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 18 décembre 2020, la Sa Axa France Iard, intimée, demande à la cour, au visa de l'article L.1142-1 du code de la santé publique, de :

A titre principal :

- confirmer le jugement dont appel,

- juger que M. [E] ne rapporte aucunement la preuve d'une faute quelconque commise par M. [U] lors de la séance d'ostéopathie du 9 décembre 2011,

Surabondamment,

- constater qu'il n'existe aucun lien de causalité certain entre la manipulation critiquée et la survenance d'une double hernie discale objectivée par scanner du 23 décembre 2011,

- rejeter en conséquence toutes les demandes de réparation présentées par M. [E] et par la Cpam de la Haute-Garonne à son égard et celle de M. [U],

- rejeter également toute demande de réparation au titre d'un préjudice d'impréparation, en l'absence de tout lien entre la manipulation effectuée et le dommage dont il est demandé réparation

- Y ajoutant, condamner M. [E] au paiement d'une indemnité de 3.500 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la

procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,

A titre subsidiaire :

- limiter l'indemnisation de M. [U] aux postes de préjudice et montants suivants :

* dépenses de santé actuelles prises en charge par la Cpam de la Haute-Garonne : 2.655,38 €,

* pertes de gains professionnels actuels pris en charge par la Cpam de la Haute-Garonne : 9.354,42 €,

* frais divers pris en charge par la Cpam de Haute-Garonne : 48,57 €,

* frais divers supportés par M. [E] :

** 294 € au titre du besoin d'assistance par une tierce personne,

** frais d'assistance par un médecin conseil lors des opérations d'expertise,

* déficit fonctionnel temporaire : 2.415 €,

* souffrances endurées : 3.000 €,

* déficit fonctionnel permanent : 23.100 €,

* préjudice esthétique : 1.000 €,

* préjudice sexuel : 1.000 €,

- statuer ce que de droit sur les dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 18 décembre 2020, la Cpam de la Haute-garonne, intimée, appelante incidente, demande à la cour, au visa de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale, de :

- infirmer toutes les dispositions du jugement dont appel,

Et juger de nouveau :

- constater qu'à la date du 1er septembre 2016, sa créance définitive pour les prestations servies à M. [E] s'élève à la somme totale de 12.058,37 € au titre des postes des dépenses de santé actuelles, de frais divers et de perte de gains professionnels actuels,

- condamner in solidum M. [U] avec son assureur, la compagnie Axa France Iard à lui payer la somme de 12.058,37 € au titre de sa créance définitive, avec intérêts au taux légal à compter du jour de la demande décomposée comme suit :

* des dépenses de santé actuelles : 2.655,38 € ;

* des frais divers : 48,57 € ;

* des pertes de gains professionnels actuels : 9.354,42 €

- condamner in solidum M. [U] avec son assureur, la compagnie Axa France Iard à lui régler la somme de 1.091 € au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la Sécurité sociale ;

- condamner M. [U] avec son assureur, la compagnie Axa France Iard à lui régler la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont la distraction au profit Me Moreau de la Scp Vinsonneau-Paliès Noy Gauer & associés sur affirmation de son droit conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er février 2022.

SUR CE, LA COUR :

1°/ Sur l'action en responsabilité et en indemnisation

Selon les dispositions de l'article L 1142-1 I du code de la santé publique, hors les cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

La responsabilité du professionnel de santé ne peut être dès lors engagée qu'à la condition que soient démontrés cumulativement une faute, un préjudice ainsi qu'un lien de causalité direct et certain entre la faute et le dommage, la preuve incombant au patient.

Constitue une faute au sens du texte susvisé toute violation, même involontaire, par le praticien de son obligation de donner des soins attentifs, consciencieux et, sous réserve de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science, que ce soit dans la phase de diagnostic et d'investigations préalables, ou celle de traitement ou de suivi.

La preuve de l'existence d'une faute incombe au patient, dés lors que les professionnels de santé ne sont soumis qu'à une obligation de moyens et non de résultat à l'égard de leurs patients, et peut être rapportée par tous moyens. Cette faute peut notamment consister en une maladresse, celle-ci étant exclusive de la notion de risque inhérent à l'acte médical.

Lorsqu'il est porté atteinte par un professionnel de santé à un organe ou une partie du corps du patient que son intervention n'impliquait pas, la faute ou le défaut de maîtrise du praticien est présumée, sauf au praticien à rapporter la preuve d'une anomalie chez le patient rendant cette atteinte inévitable ou de la réalisation d'un risque non maîtrisable inhérent à l'intervention et relevant comme tel de l'aléa thérapeutique. Encore faut-il pour que la faute, la maladresse, ou le défaut de maîtrise du praticien soient présumés, que soit établi un lien de causalité direct entre l'intervention ou le geste pratiqué et l'atteinte à un organe ou une partie du corps du patient que cette intervention ou ce geste n'impliquait pas.

En l'espèce, il est certain que M. [L] [E] a consulté M. [H] [U], masseur-kinésithérapeute et ostéopathe, le 9 décembre 2011 dans un contexte de douleur à l'épaule droite, s'agissant d'une première consultation, M. [E] étant suivi néanmoins depuis 7 ou 8 ans selon ses dires par un autre ostéopathe M. [Z], une à deux fois par an, pour des douleurs à l'épaule et l'omoplate gauche. Onze jours plus tard, M. [E] a consulté son médecin en raison de douleurs au niveau du membre inférieur droit, un scanner rachidien réalisé le 22 décembre 2011 ayant mis en évidence une protusion discale postero-latérale droite à l'étage L4-L5 avec possible conflit disco-radiculaire avec la racine L 5 droite à son émergence, une hernie discale migrée à l'étage L5-S1, une diminution de taille du foramen intervertébral L5-S1gauche, une intervention chirurgicale ayant été réalisée le 27 décembre 2011 pour syndrome de hernies discales lombaires à deux étages contigus.

La fiche d'examen fournie par M.[U] à l'expert [J] lors de la première expertise judiciaire mentionnait de manière synthétique : « Depuis un mois 1/2 NCB (névralgie cervico-brachiale) gauche. Corrections dorsales hautes. Acromio-claviculaire gauche. 1ère et 2ème côtes à gauche. Méthode Suth ([I]) ceinture scap (scapulaire) »

M. [U] a décrit à Mme [J] « un travail de correction des dorsales hautes, puis une manipulation d'abord sur la clavicule gauche puis sur les premières et deuxièmes côtes gauche, et un travail des tissus mous » et, dans un courrier à son assureur du 6 mars 2012, a décrit le traitement réalisé comme une ré-harmonisation des appuis apophysaires des segments dorsaux D1 à D5 ainsi qu'un travail sur les 1ères et 2èmes côtes à gauche selon la méthode décrite par [W] [X] sans avoir travaillé les segments vertébraux cervicaux en l'absence de certificat de non contre indication à un travail ostéopathique sur cette région, complété par un travail des tissus mous et des fascias de cette région. Devant l'expert [V], il a précisé avoir retenu le diagnostic de syndrome du nerf sus-épineux avec conflit sous le défilé acromio-claviculaire et de névralgie cervico-brachiale C6-C7 associée, avoir manipulé M. [E] en décubitus ventral avec des mouvements passifs de l'épaule gauche puis un travail sur le rachis dorsal supérieur de D1 à D5 dans un mouvement ascendant, indiquant qu'il aurait provoqué un craquement au niveau de l'articulation acromio-claviculaire gauche, d'allure banale, et n'aurait pas pratiqué de mouvement forcé au niveau du bassin ni de craquement au niveau lombaire, que M. [E] n'aurait pas interrompu la séance prématurément.

M. [E] maintient quant à lui que M. [U] aurait pratiqué une manipulation avec rotation forcée du bassin en décubitus dorsal au cours de laquelle il aurait ressenti un craquement au niveau lombaire et une douleur aiguë qui l'aurait amené à interrompre la séance. Devant l'expert [V], il a précisé qu'il n'aurait pas signalé cette douleur aiguë au niveau lombaire à M.[U] mais demandé à M. [U] d'arrêter la séance, ce que ce dernier conteste, affirmant qu'un autre rendez-vous avait normalement été pris pour le mois de janvier suivant.

Ainsi que retenu par le premier juge, aucun élément objectif du dossier ne permet d'établir un lien de causalité entre les interventions en partie haute décrites de manière concordante par M. [U] dans la fiche du 9/12/2011 tout comme dans son courrier à son assureur du 6 mars 2012 et devant les experts judiciaires et les atteintes lombaires avec discopathies suspectées onze jours après l'intervention de M. [U] et révélées par le scanner du 22 décembre 2011 ayant nécessité une intervention chirurgicale et généré les arrêts de travail postérieurs ainsi que l'inaptitude au travail.

M. [U] a de manière concordante décrit une intervention au niveau des parties hautes du dos (dorsales et costales), cohérente avec la pathologie pour laquelle M. [E] venait le consulter, à savoir des douleurs au niveau de l'épaule gauche.

Mme [J] a relevé au demeurant dans son rapport que depuis l'épisode litigieux, la douleur scapulaire gauche pour laquelle M. [E] était venu consulter M. [U] avait disparu, pouvant avoir été en rapport avec une névralgie cervico-brachiale ou avec un blocage acromio-claviculaire.

L'expert [V], lequel a répondu systématiquement aux dires des parties, notamment à ceux de M. [E] fondés sur les observations de son médecin-conseil le docteur [A], a relevé que s'il y avait absence de description partielle sur la fiche d'examen du 9/12/2011 de la technique utilisée au niveau de la région dorsale, au niveau de la région costale, au niveau de l'articulation acromio-claviculaire gauche et au niveau de la ceinture scapulaire, en revanche toutes les régions traitées étaient éloignées des hernies lombaires L4-L5 et lombo-sacrée L5-S1 révélées au scanner du 22 décembre 2011. Il a précisé que la mention « Suth Ceinture Scap » sur la fiche du 9/12/2011 correspondait à des techniques douces et lentes au niveau des épaules, dont les bases sont issues de [B] [D] [I], fondateur de l'ostéopathie crânienne, ces techniques n'étant que des techniques de mobilisation articulaire et non de manipulation articulaire, la mobilisation, médicalement parlant, étant l'action de faire bouger de façon volontaire ou de façon passive les différentes parties du corps, membre ou articulation pour leur rendre une fonction normale, tandis que la manipulation est définie comme une man'uvre thérapeutique consistant à mobiliser passivement une articulation enraidie ou douloureuse, générant un mouvement articulaire passif, contrôlé, forcé, rapide atteignant l'espace paraphysiologique. Il a aussi précisé que le travail des tissus mous et des fascias était une technique douce d'étirements musculaires et fascials et non une manipulation articulaire et que les dires du docteur [U] corroboraient la fiche d'examen du 9/12/2011 et le courrier adressé à l'assureur le 6/03/2012 ; que même si la description utilisée au niveau de l'articulation acromio-claviculaire gauche et de la 1ère et 2ème côte était partielle, les techniques de manipulation des articulations acromio-claviculaires ne demandaient pas de contrainte sur le rachis lombaire, pas plus que les techniques de manipulation des 1ère et 2ème côtes. Il a déduit du tout que les manipulations décrites par M.[U] ne pouvaient être à l'origine du tableau clinique objectivé à partir du 20/12/2011.

Aucun élément objectif ne vient établir que M. [U], aurait été amené pour traiter une douleur persistante au niveau de l'épaule et de l'omoplate gauche, disparue depuis son intervention, à pratiquer une manipulation avec rotation au niveau du bassin ou une manipulation lombaire ayant généré un craquement au niveau du bas du dos, man'uvre de force qui aurait été interdite à l'ostéopathe, comme le soutient M. [E].

Le seul fait que des douleurs lombaires avec sciatique aient amené M. [E] à consulter son médecin traitant le 20 décembre 2011, onze jours après l'intervention de M. [U], ou que M. [E] affirme qu'il n'était pas antérieurement atteint de douleurs à cet endroit, son état antérieur lombaire restant au demeurant inconnu l'expert judiciaire n'ayant pu obtenir aucun renseignement médical sur ce point autre qu'une attestation sur l'honneur du docteur [Y], de spécialité non précisée, sur l'absence de soin ou d'arrêt de travail pour pathologie discale de 2006 à 2010, attestation au demeurant non produite au débat les annexes au rapport d'expertise n'étant pas fournies à la cour, ne peut suffire à caractériser une présomption de causalité entre cet événement et l'intervention de M. [U].

En l'absence de tout lien de causalité établi entre l'intervention de M. [U] du 9/12/2011 et la pathologie lombaire révélée à partir du 20/12/2011 dont a été atteint M. [E], aucune présomption de faute ne peut être retenue à l'encontre de M. [U].

M. [E] ne justifiant pas qu'une faute ou maladresse dans la réalisation des soins du 9/12/2011 soit imputable à M. [U] qui puisse être à l'origine des hernies discales lombaires révélées par le scanner du 22 décembre 2011, son action en responsabilité de ce chef doit être rejetée ainsi que retenu par le premier juge.

S'il invoque devant la cour au soutien de son action en responsabilité un moyen tiré d'un manquement à l'obligation d'information incombant au professionnel sur la méthode de soin mise en 'uvre et les risques qui pourraient survenir des suites de ses manipulations, moyen parfaitement recevable en cause d'appel à le supposer nouveau, il ne peut en être tiré aucune conséquence en terme de responsabilité et particulièrement de préjudice, M. [U] n'étant pas tenu d'informer le patient des conséquences possibles d'une manipulation dont la réalité de la réalisation en l'espèce n'est pas justifiée, les soins prodigués par l'ostéopathe, tels que décrits de manière constante par le praticien, n'étant quant à eux pas de nature à générer un risque pour le rachis lombaire.

En conséquence, le jugement entrepris doit être confirmé en ce que le premier juge a débouté M. [E] et la Cpam de la Haute-Garonne de l'ensemble de leurs demandes et, y ajoutant, la demande de M. [E] tendant à l'octroi d'une indemnité de 5.000 € au titre du manquement au devoir d'information doit aussi être rejetée.

2°/ Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

M.[E] succombant il supportera les dépens de première instance ainsi que retenu par le premier juge et les dépens d'appel. Il se trouve redevable d'indemnités sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile tant au titre de la procédure de première instance, telles que fixées par le premier juge, qu'au titre de la procédure d'appel dans les conditions définies au dispositif du présent arrêt, sans pouvoir lui-même prétendre à l'application de ce texte à son profit.

La Cpam de la Haute-Garonne qui succombe en ses prétentions à l'égard de M. [U] et de son assureur ne peut quant à elle prétendre à leur encontre à une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions

Y ajoutant,

Déboute M. [L] [E] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de M. [H] [U] à son devoir d'information

Condamne M. [L] [E] aux dépens d'appel avec autorisation de recouvrement direct au profit de Me Morau de la Scp Vinsonneau-Paliès Noy Gauer & Associés, avocat qui en fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

Condamne M. [L] [E] à payer à M. [H] [U] la somme de 3.000 € et à la société Axa France Iard la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel

Déboute M. [L] [E] et la Cpam de la Haute-Garonne de leurs demandes respectives d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,

R. CHRISTINE M. DEFIX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 1ere chambre section 1
Numéro d'arrêt : 20/01459
Date de la décision : 22/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-22;20.01459 ?
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