La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/09/2022 | FRANCE | N°21/04881

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 1ere chambre section 1, 26 septembre 2022, 21/04881


26/09/2022





ARRÊT N°



N° RG 21/04881

N° Portalis DBVI-V-B7F-OQKU

SL/RC



Décision déférée du 30 Novembre 2021

Juge de la mise en état de TOULOUSE 18/01314

Mme COMMEAU

















[NP] [D] épouse [M]

[L] [M]

[A] [M]

[O] [UY]

[B] [UY]





C/



[CT] [K]

[N] [J]

[TF] [I] divorcée [GE]

[HX] [P] [C]

[V] [W]

[U] [F]

S.A. LA MEDICALE

Mutuelle MGEN-

MGEN MAYOTTE

Caisse CPAM 81

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

CENTRE MEDICO CHIRURGICAL ET OBSTETRIQUE [29]

SOCIETE HOSPITALIERE D'ASSURANCES MUTUELLES SHAM













CONFIRMATION







Grosse délivrée



le



à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR ...

26/09/2022

ARRÊT N°

N° RG 21/04881

N° Portalis DBVI-V-B7F-OQKU

SL/RC

Décision déférée du 30 Novembre 2021

Juge de la mise en état de TOULOUSE 18/01314

Mme COMMEAU

[NP] [D] épouse [M]

[L] [M]

[A] [M]

[O] [UY]

[B] [UY]

C/

[CT] [K]

[N] [J]

[TF] [I] divorcée [GE]

[HX] [P] [C]

[V] [W]

[U] [F]

S.A. LA MEDICALE

Mutuelle MGEN-MGEN MAYOTTE

Caisse CPAM 81

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

CENTRE MEDICO CHIRURGICAL ET OBSTETRIQUE [29]

SOCIETE HOSPITALIERE D'ASSURANCES MUTUELLES SHAM

CONFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT SIX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

***

APPELANTS

Madame [NP] [D] épouse [M]

Agissant ès qualité de représentante légale et administratrice légale de [A] [M]

[Adresse 14]

[Localité 21]

Représentée par Me Corinne GABRIEL, avocat au barreau de TOULOUSE

Monsieur [L] [M]

Agissant ès qualité de représentant légal et administrateur légal de [A] [M]

[Adresse 8]

[Localité 23]

Représenté par Me Corinne GABRIEL, avocat au barreau de TOULOUSE

Madame [A] [M]

Représentée par Monsieur [L] [M] et Madame [NP] [M] agissant es qualité de représentants légaux

[Adresse 14]

[Localité 21]

Représentée par Me Corinne GABRIEL, avocat au barreau de TOULOUSE

Madame [O] [UY]

[Adresse 14]

[Localité 21]

Représentée par Me Corinne GABRIEL, avocat au barreau de TOULOUSE

Monsieur [B] [UY]

[Adresse 14]

[Localité 21]

Représenté par Me Corinne GABRIEL, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMES

Docteur [CT] [K]

[Adresse 11]

[Localité 27]

Représenté par Me Françoise DUVERNEUIL de l'ASSOCIATION VACARIE - DUVERNEUIL, avocat au barreau de TOULOUSE

Docteur [N] [J]

[Adresse 26]

[Localité 22]

Représentée par Me Pierre-yves PAULIAN, avocat au barreau de TOULOUSE

Docteur [TF] [I] divorcée [GE]

[Adresse 20]

[Localité 24]

Représentée par Me Pierre-yves PAULIAN, avocat au barreau de TOULOUSE

Docteur [HX] [P] [C]

Clinique [29]

[Adresse 1]

[Localité 28]

Représenté par Me Isabelle BAYSSET de la SCP D'AVOCATS MARGUERIT- BAYSSET-RUFFIE, avocat au barreau de TOULOUSE

Docteur [V] [W]

Centre de santé [30]

[Adresse 6]

[Localité 23]

Représenté par Me Sophie DRUGEON, avocat au barreau de TOULOUSE

Docteur [U] [F]

[Adresse 13]

[Localité 10]

Représenté par Me Benjamin NATAF, avocat au barreau de TOULOUSE

S.A. LA MEDICALE DE FRANCE

Prise en la personne de son Représentant légal domicilié és qualité au siège, assureur des Docteurs [TF] [GE] et [N] [J]

[Adresse 9]

[Localité 18]

Représentée par Me Pierre-yves PAULIAN, avocat au barreau de TOULOUSE

Mutuelle MGEN-MGEN MAYOTTE

[Adresse 25]

[Localité 17]

Sans avocat constitué

Caisse CPAM 81

[Adresse 4]

[Localité 28]

Sans avocat constitué

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Ministère de Economie et Finances

Direction affaires juridiques

[Adresse 15]

[Adresse 15]

[Localité 19]

Sans avocat constitué

CENTRE MEDICO CHIRURGICAL ET OBSTETRIQUE [29]

[Adresse 1]

[Localité 28]

Représentée par Me Georges DAUMAS de la SCP DAUMAS GEORGES, avocat au barreau de TOULOUSE

SOCIETE HOSPITALIERE D'ASSURANCES MUTUELLES SHAM ASSUREUR DU CENTRE MEDICO CHIRURGICAL ET OBSTETRIQUE

[Adresse 3]

[Localité 16]

Représentée par Me Georges DAUMAS de la SCP DAUMAS GEORGES, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 20 Juin 2022, en audience publique, devant M.DEFIX et S. LECLERCQ, magistrats chargés de rapporter l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

M. DEFIX, président

A.M. ROBERT, conseiller

S. LECLERCQ, conseiller

Greffier, lors des débats : C. OULIE

ARRET :

- REPUTEE CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par M. DEFIX, président, et par N. DIABY, greffier de chambre.

Exposé des faits et procédure :

Madame [NP] [D] épouse [M], née le [Date naissance 5] 1980, a présenté une quadruple amputation des membres supérieurs et inférieurs ainsi qu'une amputation du nez, à la suite d'une sepsis à pneumocoque dont la prise en charge médicale entre le 9 février 2015 et le 6 juillet 2015 a été assurée par :

le docteur [V] [W], médecin traitant,

le Samu 81,

le docteur [TF] [GE],

le docteur [N] [J]

le Centre Médico Chirurgical et Obstétrical [29], le docteur [HX] [C] anesthésiste réanimateur, le docteur [U] [F] anesthésiste réanimateur, le docteur [CT] [K], anesthésiste réanimateur,

le CHU de [Localité 10].

Saisie d'une demande d'indemnisation par Madame [M] le 1er juillet 2016 et se fondant sur un rapport d'expertise médicale contradictoire des docteurs [H] [EL], spécialisé en maladies infectieuses et [S] [X] [Y], spécialisé en anesthésie-réanimation et en réparation du dommage corporel rédigé le 19 décembre 2016, la Commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ci-après la CCI), après avoir recueilli les observations des parties, a rendu un avis ie 9 février 2017 au terme duquel la demande d'indemnisation a été rejetée.

Par acte des 27 et 28 mars, 3 et 9 avril 2018, Madame [NP] [D] épouse [M], Monsieur [L] [M], son mari, Madame [M] et son époux agissant en qualité de représentants légaux et administrateurs légaux de leur enfant [A] née le [Date naissance 12] 2005 et Madame [M] agissant en qualité de représentante légale et administratrice légale de ses deux enfants [O] [UY] née le [Date naissance 2] 1998 et [B] [UY], né le [Date naissance 7] 2000, ont assigné le Centre Médical Chirurgical et Obstétrical [29], et son assureur la compagnie d'assurance SHAM, le docteur [TF] [GE] et son assureur de la Sa Médicale de France, le docteur [N] [J] et son assureur la SA Médicale de France, en présence de la Mgen-Mgen Mayotte aux fins que soit ordonnée une mesure d'expertise judiciaire, qu'il statue sur la demande indemnitaire de Madame [M], que soient reconnues les fautes des docteurs [GE] et [J] et du Centre Médico Chirurgical et Obstétrical [29] pour être indemnisés de leurs préjudices .

L'instance a été inscrite sous le n° RG 18/1314.

Par ordonnance du 13 décembre 2018, le juge de la mise en état a ordonné une expertise médicale de Madame [NP] [D] épouse [M] et commis pour y procéderle docteur [G].

Par actes des 14, 24, 27 et 28 mai 2019, Madame [NP] [D] épouse [M], Monsieur [L] [M], son époux, M et Madame [M] agissant en qualité de représentants légaux et administrateurs légaux de leur enfant [A] née le [Date naissance 12] 2005 et Madame [M] agissant en qualité de représentante légale et administratrice légale de ses deux enfants [O] [UY] née le [Date naissance 2] 1998 et [B] [UY], ne le 21 janvier 2000, ont appelé en cause le docteur [CT] [K], le docteur [U] [F], le docteur [P] [C], le docteur [V] [W] et le SAMU 81.

Par ordonnance en date du 14 novembre 2019, le juge de la mise en état a :

- jugé recevables les conclusions du SAMU 81,

- constaté que le tribunal de grande instant de Toulouse est incompétent à connaître de la mise en cause du SAMU 81 et renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

- mis, en l'état de la procédure, hors de cause le docteur [U] [F],

- ordonné la jonction des instances inscrites sous les n° 18/1410 et 19/1788,

- déclaré l'ordonnance du juge de la mise en état du 13 décembre 2018 commune aux docteurs [CT] [K], [P] [C], [V] [W],

- déclaré, en conséquence, les opérations d'expertise en cours communes aux docteurs [CT] [K], [P] [C], [V] [W].

L'expert a déposé son rapport définitif le 7 juillet 2021.

Par actes d'huissier des 30 juillet 2021 et 10 août 2021, Madame [NP] [D] épouse [M], Monsieur [L] [M], son époux, M. et Mme [M] agissant en qualité de représentants légaux et administrateurs légaux de leur enfant [A] née le [Date naissance 12] 2005, ainsi que Mme [O] [UY] et M. [B] [UY] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Toulouse l'Agent Judiciaire de l'Etat et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Tarn, aux fins de voir joindre cette procédure enregistrée sous le n° RG 21/4152 avec l'instance n°18/1314, d'inviter l'Agent Judiciaire de l'Etat et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Tarn et de leur voir dire le jugement à intervenir sur l'indemnisation de Madame [NP] [M] opposable.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 juillet 2021, réitérées oralement lors de l'audience d'incident du 15 novembre 2021, Madame [NP] [D] épouse [M], Monsieur [L] [M], son époux, M et Mme [M] agissant en qualité de représentants légaux et administrateurs légaux de leur enfant [A] née le [Date naissance 12] 2005, ainsi que Mme [O] [UY] et M. [B] [UY] ont saisi le juge de la mise en état aux fins, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- condamner in solidum le centre médico-chirurgical et obstétrique [29] et sa compagnie d'assurance, la SHAM, le docteur [GE], le docteur [J], et leur compagnie d'assurance la compagnie médicale de France, le docteur [K], à payer à Mme [NP] [M] une provision à valoir sur la réparation de son préjudice corporel d'un montant de 1.200.000 euros ;

- dire que la décision sera opposable à la MGEN ;

- les condamner sous la même solidarité à payer à Mme [M] une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.

Par une ordonnance réputée contradictoire du 30 novembre 2021, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse, a :

- ordonné la jonction des instances n° 18/1314 et n°21/4152, sous le n°18/1314 ;

- invité la CPAM du Tarn à produire un état détaillé de sa créance définitive ;

- débouté les consorts [M] de leur demande de provision ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au bénéfice de l'exécution provisoire ;

- réservé les dépens ;

- renvoyé les parties à l'audience de mise en état du 13 janvier 2022 avec avis à toutes les parties de conclure au fond.

Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état a considéré qu'il était de l'intérêt d'une bonne justice de joindre les affaires.

Le juge de la mise en état a rejeté la demande de provision des demandeurs au motif qu'elle se heurtait à une contestation sérieuse relative au droit à indemnisation. En effet, les défendeurs invoquent la rareté et gravité du purpura fulminans. Les conditions d'engagement de la responsabilité, spécialement la faute et le lien de causalité, sont critiquées par les défendeurs ainsi que la répartition de l'obligation à la dette entre co-obligés. Ils invoquent le rapport d'expertise amiable rédigé par le collège d'experts désigné par la CCI, les avis techniques des professeurs [LI] et [E], ainsi que l'absence de littérature médicale de référence sur la pathologie prise en charge. Le juge de la mise en état a considéré que le litige relevait en tout état de cause de la seule appréciation du juge du fond.

Par déclaration en date du 10 décembre 2021, Madame [NP] [D] épouse [M], Monsieur [L] [M], son époux, M et Madame [M] agissant en qualité de représentants légaux et administrateurs légaux de leur enfant [A] née le [Date naissance 12] 2005, ainsi que Mme [O] [UY] et M. [B] [UY] ont relevé appel de cette ordonnance en ce qu'elle les a déboutés de leur demande de provision, et en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au bénéfice de l'exécution provisoire, et en ce qu'elle a réservé les dépens.

Prétentions et moyens des parties :

Dans leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 18 février 2022, Madame [NP] [D] épouse [M], Monsieur [L] [M], son époux, M et Madame [M] agissant en qualité de représentants légaux et administrateurs légaux de leur enfant [A] née le [Date naissance 12] 2005, ainsi que Mme [O] [UY] et M. [B] [UY] , appelants, demandent à la cour, au visa de l'article 789 du code de procédure civile, des articles L.4127-32 et suivants et L 1142-1 I du code de la santé publique, de :

- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel,

En conséquence,

- infirmer l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions,

- condamner in solidum le docteur [GE], le docteur [J], le Centre Médico Chirurgical et Obstétrique [29], le docteur [K],et leur compagnie d'assurances, la Société Hospitalière d'Assurances Mutuelle « SHAM » pour le Centre Médico Chirurgical et Obstétrique [29], la compagnie Médicale de France pour le docteur [GE] et le docteur [J] à payer à Madame [NP] [M] une provision à valoir sur la réparation de son préjudice corporel d'un montant de 1 200 000 €.

- les condamner sous la même solidarité à payer à Madame [M] une somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux dépens,

- dire que la décision sera opposable à la Mgen, la Cpam et l'Agent Judiciaire de l'Etat.

Ils soutiennent que le docteur [GE] a commis deux fautes, la première le 27 mars en omettant d'hospitaliser immédiatement Mme [M] pour la mise en oeuvre d'une antibiothérapie par voie veineuse alors qu'elle savait que la patiente était splénectomisée, et la deuxième le 28 mars à la réception du résultat des analyses qu'elle avait prescrites, analyses qui démontrent un tableau infectieux notamment avec une CRP élevée qui n'a pas déclenché une hospitalisation en urgence.

Ils soutiennent que le docteur [J] a commis une faute en ne prenant pas assez de précaution dans la rédaction de la lettre d'accompagnement pour l'hospitalisation, qui ne met pas du tout en exergue la nécessité d'une prise en charge d'extrême urgence.

Ils soutiennent que l'infirmière d'orientation au centre [29] a commis une faute dans l'orientation, et que l'urgentiste a commis des fautes quant aux antécédents de la patiente, et une faute dans le diagnostic ; que la chance de survie sans séquelles à l'arrivée à la clinique était au minimum de 13%.

Ils soutiennent que le docteur [K] a administré l'antibiotique avec un retard d'1 h 30.

Ils estiment ainsi que c'est une succession de manquements qui a été à l'origine du retard dans l'administration de l'antibiothérapie, retard directement à l'origine des amputations, chaque acteur ayant contribué par sa faute à la survenance du dommage.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 janvier 2022, le Docteur [V] [W], intimé et appelant incident, demande à la cour de :

- 'dire et juger' qu'il existe une contestation sérieuse faisant échec à l'octroi d'une provision par le juge de la mise en état,

- confirmer l'ordonnance dont appel,

A titre incident,

- constater qu'aucune demande n'est formulée à son encontre,

- prononcer sa mise hors de cause.

Dans leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 février 2022, le Docteur [TF] [I] divorcée [GE], le Docteur [N] [J] et leur assureur la compagnie Médicale de France, intimés, demandent à la cour, au visa l'article 789 du code de procédure civile, et de l'article L1142-1 du code de la santé publique, de :

- confirmer l'ordonnance dont appel dans toutes ses dispositions,

- dire mal fondé l'appel interjeté par les consorts [M], et les en débouter,

Et ainsi,

- 'dire et juger' que la demande de condamnation provisionnelle in solidum formulée par Madame [M] se heurte à des contestations sérieuses les concernant,

En conséquence,

- débouter les consorts [M] de toute demande formulée à leur encontre ,

A titre subsidiaire, en cas de réformation de l'ordonnance,

- 'dire et juger' que les docteurs [GE] et [J] ne pourraient être condamnés in solidum, mais uniquement, en l'état, au prorata de leur part de responsabilités dans la perte de chance de Madame [M] de ne pas subir le dommage, ce partage de responsabilité devant tenir compte des responsabilités du Samu 81 et de du Docteur [W],

- réduire à de plus raisonnables proportions le montant de la provision réclamée par Madame [M],

- dire n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 code de procédure civile,

- réserver les dépens.

Elles font valoir que la demande de provision doit être rejetée car une analyse technique complexe est nécessaire pour établir le lien de causalité entre la prise en charge et la pathologie développée par Mme [M] ; que cette dernière se fonde sur le rapport de l'expert [G] alors que les experts désignés par la CCI n'avaient pas établi de manquements susceptibles d'être reprochés aux docteurs [GE] et [J] ; qu'il existe des contestations sérieuses sur le principe même des responsabilités, tant concernant la faute que le lien de causalité ; que s'agissant du docteur [GE], l'antibiothérapie couvrant le pneumocoque, à commencer après les analyses, était justifiée ; que les experts de la CCI et l'expert judiciaire diffèrent sur le point de savoir si Mme [GE] aurait dû revoir Mme [M] après les résultats d'analyse, et si compte tenu des résultats auraient dû déclencher une hospitalisation en urgence ; que s'agissant du docteur [J], cette dernière a pris la décision d'hospitalisation qui était justifiée ; que sa faute dans la rédaction de la lettre au centre [29] n'a pas eu de conséquence sur le préjudice, puisque l'état de Mme [M] a fait l'objet de compte-rendus précis au Samu 81 et au centre [29] ; que là encore, les experts de la CCI et l'expert judiciaire diffèrent.

Subsidiairement elles critiquent la demande de condamnation in solidum, la répartition des responsabilités ainsi que le quantum du préjudice.

Dans leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 février 2022, le Centre Médico Chirurgical et Obstétrique [29] et son assureur la Société Hospitalière d'Assurances Mutuelle « SHAM », intimés, demandent à la cour, au visa des de l'article 835 alinéa 2 du Code de procédure civile, de :

Rejetant toutes conclusions contraires ;

Vu l'avis technique du Professeur [LI] en date du 28 juin 2021 ;

Vu l'avis technique du Professeur [E] en date du 8 octobre 2021 ;

Vu l'absence de production des créances de la CPAM du Tarn et de l'Agent judiciaire de l'Etat;

- confirmer l'ordonnance dont appel,

A titre infiniment subsidiaire,

- ramener la provision, par impossible allouée, à la somme de 450 000 €, soit à la charge du Centre Médecin Chirurgical [29], la somme de 112 500 €, correspondant au taux de 25 % de responsabilité mise à sa charge par le rapport d'expertise unanimement critiqué, une contre-expertise au fond devant être instaurée ;

- statuer ce que de droit quant aux dépens.

Ils soutiennent que toute la difficulté est de savoir si l'antibiothérapie, qui a été administrée avec beaucoup trop de retard, a eu une incidence sur la survenue des séquelles et si à partir du moment où la CIVD est apparue, un traitement antibiotique instauré aurait pu empêcher l'apparition de lésions ischémiques et les amputations. Ils soutiennent que la certitude d'un lien de causalité entre les manquements reprochés et les amputations n'est pas établie, puisque la CIVD une fois démarrée évolue pour son propre compte ; qu'il y a eu des manquements de la clinique mais qu'il est quasi impossible d'affirmer que le retard de prise en charge a entraîné une perte de chance sur l'amputation. Ils soutiennent que l'on ne peut pas raisonner selon le principe que le risque s'accroît linéairement avec le temps. Ils soutiennent que le risque d'amputation était déjà très élevé à l'admission au SAU centre [29] principalement lié à la gravité de l'infection (présence de la CIVD, purpura fulminans et état de choc) et au retard de prise en charge initiale (pas d'antibiothérapie près de 24 h après le début des symptômes). Ils soutiennent qu'une contre-expertise est nécessaire et qu'elle va être demandée.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 février 2022, le Docteur [CT] [K], intimé, demande à la cour, au visa de l'article 789 du code de procédure civile, de :

- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 30 novembre 2021 en ses entières dispositions,

En conséquence,

- débouter les consorts [M] de leur demande de provision en ce qu'elle est dirigée à l'encontre du docteur [K],

A titre subsidiaire,

- 'dire et juger' que le docteur [K] ne saurait être condamné in solidum, mais uniquement, en l'état, au prorata de la part de responsabilité dans la perte de chance de Madame [M] de ne pas subir le dommage,

En toute hypothèse,

- réduire à de plus justes proportions le montant de la provision réclamée par Madame [M],

- condamner les consorts [M] au paiement d'une somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Il soutient qu'il existe une contestation sérieuse, du fait de l'analyse technique complexe nécessaire à l'établissement tant des supposés manquements reprochés aux différents praticiens que du lien de causalité entre la prise en charge et la pathologie développée par Mme [M]. Il soutient qu'aucune donnée de littérature médicale ne permet d'affirmer que les amputations auraient pu être évitées, même en présence d'un traitement précoce. Les lésions ischémiques des membres étaient déjà constituées lors de l'admission en réanimation.

Subsidiairement, il soutient qu'il ne peut y avoir de condamnation in solidum des médecins, la responsabilité étant personnelle.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er février 2022, le docteur [HX] [P] [C], intimé, demande à la cour, au visa de l'article 789 du code de procédure civile, de :

- constater qu'aucune demande n'est formulée à son encontre,

- confirmer l'ordonnance dont appel.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 10 février 2022, le Docteur [U] [F], intimé, demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance dont appel, qui ne le concerne pas ;

- constater qu'aucune demande n'est formulée à son encontre ;

- condamner, en conséquence, les consorts [M] ou tout autre succombant, à lui verser une somme de 900 €, pour les frais irrépétibles exposés pour la présente procédure d'appel ;

- condamner en outre les consorts [M] ou tout autre succombant, aux entiers dépens d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 mai 2022.

L'affaire a été examinée à l'audience du 20 juin 2022.

Motifs de la décision :

Sur le déroulement des faits tel qu'issu des données de l'expertise judiciaire :

Mme [M] présentait un purpura thrombopénique immunologique
1:Trouble de la coagulation provoqué par une diminution du nombre de plaquettes

diagnostiqué en 2004. Elle a dû subir une splénectomie
2: Ablation de la rate. L'ablation de la rate est pratiquée dans cette pathologie quand les traitements par corticoïdes et ommonuglubline sont restées inefficaces. La rate a un rôle important dans l'immunité. La splénectomie expose  au risque d'infections sévères rapidement mortelles, voire foudroyantes, parfois malgré un traitement antibiotique curatif adapté. Les infections surviennent majoritairement dans les premières années qui suivent l'oablation de la rate, mais ces patients sont à risque tout au long de leur vie. Pour toutes ces raisons, la préventions des infections est importante et se construit autour de 3 actions conjuguées :

- une antibiprohylaxie anti-pneumococcique ;

- une vaccination contre le streptococcus pneumoniae (pneumocoque) ;

- une information et une éducation sanitaire des principaux acteurs.

en 2006.

Son médecin traitant était le docteur [W]. Sur ses notes concernant la vaccination de la patiente, on note le 18 avril 2011 vaccin pneumo 23. Ainsi, Mme [M] était à jour de la vaccination anti-pneumocoque obligatoire en raison des antécédents de splénectomie.

En février et mars 2015, Mme [M] l'a consulté à deux reprises, et il lui a prescrit des antibiotiques et des corticoïdes pour une sinusite aigüe, ainsi qu'un anti-dépresseur.

Le 27 mars 2015, en fin d'après-midi, elle a présenté une fièvre à plus de 40°C avec des courbatures.

Le soir, son amie présente à son domicile a appelé le SAMU 81 qui l'a adressée au médecin de garde généraliste, le docteur [TF] [GE], qui indique avoir su qu'elle était splénectomisée. Le docteur [GE] l'a reçue vers 23 h, lui a prescrit un antipyrétique (paracétamol), un anti-inflammatoire, une analyse de sang et d'urine pour le lendemain matin, une ordonnance d'antibiotique à prendre après les prélèvements sanguins et urinaires.

Le lendemain matin 28 mars 2015, Mme [M] a présenté une diarrhée, des vomissements, et les douleurs se sont généralisées. Une infirmière est passée à son domicile lui faire la prise de sang, mais n'a pas pu recueillir les urines. Les résultats ont été édités à 13 h 01 et faxés au docteur [GE]. L'amie de Mme [M] a rappelé le docteur [GE] en fin de matinée. Prenant connaissance des résultats d'analyse, le docteur [GE] a faxé à 15 h 11 une nouvelle ordonnance demandant que les antibiotiques soient pris immédiatement.

Dans l'après-midi Mme [M] a rappelé le SAMU. Lors de la conversation, il n'était pas fait mention du fait que Mme [M] était asplénique. Le Samu a envoyé un autre médecin à son chevet, le docteur [N] [J], qui est arrivée vers 15 h 30. Elle a mentionné que Mme [M] présentait une gasto-entérite depuis le matin, qu'elle avait des douleurs diffuses, les extrémités très froides, et le bout des doigts blanc, qu'elle avait beaucoup de fièvre et 8 de tension. Elle a mentionné la splénectomie. Elle fera hospitaliser Mme [M] au centre [29].

L'ambulancier qui la prend en charge dicte son bilan au standardiste du Samu mentionnant l'antécédent d'ablation de la rate. D'après l'expert judiciaire, la description faite par l'ambulancier est celle d'un état de choc, et il ne fait pas de doute dans ce contexte qu'il s'agit d'un choc septique.

Mme [M] arrive au centre [29] le 28 mars 2015 à 16 h 55.

A 18 h 35 elle sera prise en charge par l'infirmière organisatrice de l'accueil. Elle est examinée et un bilan biologique est prélevé. A 19 h un bilan complet est effectué.

Vers 21 h 20, le résultat du bilan montre une CIVD
3: Syndrome de coagulation intravasculaire disséminée : correspond à l'activation généralisée de la

coagulation sanguine dans un système vasculaire anatomiquement intact.

.

Entre 21 h 20 et 21 h 56, le docteur [Z] gastro-entérologue passe consulter Mme [M], et pose le diagnostic de sepsis associé à une CIVD et demande son transfert en réanimation.

Après l'arrivée en réanimation, à partir de 23 h une antibiothérapie est prescrite par le docteur [K] et administrée :

- à 23 h : amoxicilline 2 g, gentamycine 360 Mg, flagyl 0,5 g ;

- à 23 h 10 : ofloxacine 200 mg ;

- à 23 h 35 : CEFTRIAXONE 1 injecté.

Le 29 mars 2015, l'évolution de l'état de choc est favorable assez rapidement, mais les lésions ischémiques secondaires à la CIVD apparaissent : purpura fulminans
4: Syndrome infectieux qui représente une forme extrêmement sévère de septicémie.

, syndrome des loges au niveau de l'avant-bras gauche, une insuffisance cardiaque (atteinte cardiaque due au sepsis).

Elle est transférée au CHU de [Localité 10] [31] dans le service de réanimation le 30 mars 2015. Le docteur [C] écrit le courrier de sortie.

Là, les lésions ischémiques
5: Ischémie : arrêt de l'irrigation sanguine d'un tissu.

vont évoluer et la patiente devra être amputée des 4 membres et par ailleurs une nécrose du nez apparaît.

Selon l'avis de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Midi-Pyrénées :

Dans leur rapport du 19 décembre 2016, les docteurs [Y] et [EL] mandatés par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Midi-Pyrénées indiquent qu'à leur avis, les soins, les investigations ont été conduits conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science. L'état de santé de Mme [M] est la conséquence de la CIVD qu'elle a présentée sur un problème infectieux. Il ne s'agit ni d'un accident médical, ni d'une affection iatrogène, ni d'une infection nosocomiale.

Dans son avis du 3 juillet 2017, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Midi-Pyrénées a rejeté la demande d'indemnisation au motif que :

- le docteur [W], le docteur [GE] et le docteur [J] avaient pris en charge Mme [M] conformément aux règles de I'art et aux données acquises de la science,

- aucune faute dommageable ne pouvait être retenue à I'encontre du centre [29], malgré les insuffisances dans la tenue du dossier, car il était très complexe de prévoir un traitement symptomatique de la CIVD et étiologique du problème infectieux dès l'arrivée de la patiente aux urgences, et car dès que le diagnostic de CIVD a été posé, le traitement symptomatique de la CIVD a été conforme aux règles de l'art et institué sans retard.

Sur l'avis de l'expert judiciaire :

L'expert judiciaire indique que suite à l'infection fulminante aggravée d'une CIVD sévère chez cette patiente asplénique, un syndrome OPSI
6:

Overwehlming post-splenectomy infection : infection très rapidement évolutive, liée à une

bactériémie spontanée.

est apparu c'est-à-dire un syndrome chez les patients aspléniques qui associe un sepsis grave avec défaillance multiviscérale et des ischémies distales des membres. .

Les lésions suivantes ont été médicalement constatées : défaillance multiviscérale avec insuffisance cardiaque, insuffisance respiratoire, une ischémie
7:
des membres aboutissant à une nécrose des avant-bras et des jambes ainsi que du nez. Ces lésions ont conduit à l'amputation des avant-bras et des jambes, et à la lésion nasale.

La bactérie en cause n'a pu être identifiée par les hémocultures, toutefois la recherche des antigènes solubles du pneumocoque serait positive pour ce germe, l'expert n'a pas retrouvé le résultat mais il est régulièrement signalé dans les courriers du CHU [31].

Il estime que l'évolution gravissime, vers le sepsis grave, la CIVD, les thromboses, est liée à une succession de prises en charges défaillantes.

Un état antérieur équilibré est retrouvé, une asplénie, pour lequel la patiente a un risque accru de contracter une infection fulminante et potentiellement mortelle. Cet état antérieur se présente comme une vulnérabilité toute particulière aux bactéries encapsulées comme le pneumocoque.

L'expert judiciaire indique que cet état antérieur est une vulnérabilité à l'infection, il ne s'accompagnait d'aucun déficit fonctionnel, la patiente splénectomisée avait une vie normale, et n'aurait pas entraîné de déficit fonctionnel en l'absence de cet accident.

Il estime que l'infection qui a motivé la prise en charge pouvait être contrôlée efficacement dès le début des symptômes, c'est du reste l'utilité des recommandations.

Selon lui, avec une prise en charge optimale, dès les premiers symptômes, ses chances de guérison sans séquelles étaient intégrales, d'ailleurs son médecin traitant avait eu l'occasion de la traiter pour des infections.

L'expert judiciaire indique que les recommandations préconisent pour les patients splénectomisés de se rendre dans les 2 heures suivant l'apparition des signes infectieux, dont une fièvre supérieure à 38°C, dans un centre médical. Ainsi, il estime qu'à 20 heures le 27 mars 2015, Mme [M] aurait dû se rendre à l'hôpital. Or, son amie n'appelle le SAMU que le 27 mars 2015 à 21 h 57.

L'expert judiciaire estime que le docteur [GE], le docteur [J], le SAU du centre [29] et le docteur [K] ont commis des fautes, erreurs et négligences qui ont retardé l'administration d'une antibiothérapie efficace et par là même qui n'ont pas permis d'éviter les amputations.

L'expert judiciaire indique qu'à tout instant de la prise en charge, c'est l'administration d'un antibiotique efficace sur le pneumocoque qui est à rechercher en premier lieu, puis le traitement de choc dès l'apparition du syndrome OPSI. Il postule que l'administration d'antibiotique freine la diffusion microbienne et que tout retard dans l'administration de l'antibiotique aggrave les lésions, car l'activation de la coagulation se poursuit, le traitement clef de la CIVD reste le traitement de la cause, ici l'infection. L'antibiothérapie est toujours indispensable et essentielle, quel que soit le stade évolutif de l'OPSI.

C'est à partir de ce raisonnement que l'expert calcule le taux de perte de chance.

L'expert judiciaire indique qu'il est incontestable qu'un certain taux de survivants sont amputés malgré un traitement optimal. Une étude indique un taux de 26% d'amputation chez les aspléniques survivants. L'expert retient pour sa part un taux de 85% de probabilité d'éviter une amputation.

Ainsi, il estime que Mme [M] avait 85% de chance de guérir sans amputation si elle avait été prise en charge efficacement dès 20 h le premier jour.

Il fixe à 23 h 30 le 28 mars 2015, l'heure de l'injection de l'antibiotique CEFTRIAXONE, le moment à partir duquel la prise en charge n'est pas critiquable.

Il propose une répartition de la part de responsabilité dans les 85% de perte de chance comme suit :

- du SAMU 81 : 9,3 % ;

- du docteur [GE] : 36,4% ;

- du docteur [J] : 7,37% ;

- du SAU du centre [29] : 25,4% ;

- du docteur [K] : 7,37% ;

total 85,84 %de perte de chance arrondi à 85%.

Sur la demande de provision :

En vertu de l'article 789 du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

En vertu des dispositions de l'article L 1142-1 I du code de la santé publique,

'Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.'

La responsabilité ainsi prévue est une responsabilité pour faute. Il incombe de rapporter la preuve d'un manquement du praticien à ses obligations. Cette preuve ne peut se déduire du seul échec des soins, pas plus que de la seule anormalité du dommage ou de sa gravité exceptionnelle.

En vertu de l'article 1202 du code civil, la solidarité ne se présume point ; il faut qu'elle soit expressément stipulée. Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d'une disposition de la loi.

En l'espèce, chaque professionnel de santé ou établissement de soins n'est responsable que de sa faute personnelle.

1° S'agissant des docteurs [GE] et [J] :

Le docteur [GE] n'a pas fait hospitaliser Mme [M] pour débuter une antibiothérapie par voie veineuse dès la consultation du 27 mars 2015. La CCI dit cependant que le docteur [GE] a eu raison d'attendre les résultats biologiques avant de mettre en place l'antibiothérapie.

Le lendemain 28 mars à 13 h01 au vu des résultats; le docteur [GE] s'est contentée de faxer une ordonnance à la pharmacie préconisant de débuter immédiatement les antibiotiques. L'expert judiciaire estime qu'elle aurait dû revoir la patiente après modification de la symptomatologie dans la matinée du 28 mars et le tableau infectieux révélé par l'analyse. La CCI pour sa part n'a pas relevé de faute du docteur [GE].

Le docteur [J] a diagnostiqué une gastro-entérite persistante associée à des douleurs aux extrémités qui étaient froides. Elle a sollicité l'hospitalisation en urgence en rédigeant un courrier à cet effet, faisant état d'une patiente fébrile et splénectomisée. Selon l'expert judiciaire, ce courrier n'était pas assez alarmant sur l'état de gravité, ne mettant pas en exergue la nécessité d'une prise en charge d'extrême urgence. Cependant, c'est le Samu 81 qui a adressé l'ambulance et qui a décidé de l'orientation vers le centre [29]. Lors de son arrivée au centre [29], l'ambulancier a fait un bilan précis et complet au médecin régulateur et a décrit un état de choc.

Se pose la question du lien de causalité entre les fautes reprochées et les préjudices subis par Mme [M].

Même si le courrier du docteur [J] a été mal rédigé, le centre [29] a eu les informations nécessaires à la prise en charge en urgence de la patiente.

Concernant les fautes reprochées au docteur [GE], le docteur [R] indique dans son dire que rien dans la littérature ne prouve que l'antibiothérapie la plus précoce possible diminue le risque d'amputation pour thrombose vasculaire. Ceci diminue la mortalité mais pas la survenue de la CIVD et des thromboses.

L'expert judiciaire soutient au contraire que l'administration d'antibiotique le plus précocement va indiscutablement ralentir voire supprimer le risque de CIVD/choc septique en cassant la chaîne d'activation de la coagulation et conséquemment va diminuer voire anéantir la cascade des événements qui mènent aux ischémies distales donc aux amputations, et qu'en conséquence, l'antibiothérapie précoce diminue indubitablement, in fine, le risque d'amputation. Néanmoins, des amputations persistent malgré un traitement bien conduit.

Le lien de causalité entre les fautes reprochées au docteur [GE] et au docteur [J] et les préjudices se heurte à une contestation sérieuse.

2° S'agissant du centre [29] et du docteur [K] :

Le centre [29] a tardé dans la prise en charge de Mme [M], celle-ci étant arrivée à 16 h 55 le 28 mars et les analyses n'ayant été faites qu'à 18 h 35 le même jour.

Le docteur [K] conteste pour sa part avoir tardé, faisant valoir que l'installation du monitorage, la mise son oxygénothérapie, le temps de réactivité du personnel soignant explique le laps de temps le 28 mars entre 21 h 56 orientation vers la réanimation et 23 h 00 début de l'antibiothérapie . Il estime que si l'administration du CEFTRIAXONE est notée à 23 h35, cela ne signifie pas pour autant que la prescription n'a pas été faite avant, compte tenu du planning infirmier.

L'expert judiciaire a considéré que les complications s'accroissent linéairement avec le temps. Ceci est discuté.

Ainsi, le docteur [VM] [LI], dans son dire, indique que compte tenu de la CIVD à l'arrivée au centre [29], Mme [M] avait une chance de survivre sans séquelle de 13% malgré le traitement. Il indique qu'il est quasiment impossible d'affirmer que le retard de prise en charge du centre [29] a entraîné une perte de chance concernant l'amputation. Il indique n'avoir pas trouvé de données dans la littérature montrant que le délai de début de l'antibiothérapie peut modifier le pronostic ischémique, une fois le purpura débuté (à l'inverse du pronostic vital). Il estime que si perte de chance il y a, dans le retard de traitement antibiotique, elle se situe plutôt en amont de l'intervention du centre [29], avant l'apparition de la CIVD, dès l'apparition d'un symptôme fébrile chez un splénectomisé.

Le professeur [T] [E] estime quant à lui que la symptomatologie présentée dès le 27 mars 2015 par la patiente justifiait une hospitalisation en urgence et une antibiothérapie selon les recommandations en vigueur à cette date ; que le délai de mise en place de l'antibiothérapie avant l'hospitalisation de la patiente au SAU d'[Localité 28] et la présence d'une coagulation vasculaire disséminée objectivée dès le bilan du 28 mars à 13 h et confirmée sur le bilan biologique du SAU centre [29] ont constitué des facteurs aggravants ; qu'au regard de la gravité du tableau clinico-biologique et des données de la littérature, on peut estimer qu'au moment de l'admission au SAU, les chances de survie de la patiente étaient de 33% et les chances de quitter l'hôpital vivante et indemne de toute amputation étaient de 12%. Il estime qu'on peut retenir un retard de prise en charge au sein du SAU centre [29] de l'ordre de 5 heures, mais qu'il est toutefois difficile de quantifier la perte de chance induite par ce retard de prise en charge. Il estime que la perte de chance d'éviter l'amputation doit prendre en compte le risque d'ores et déjà très élevé d'amputation estimé à 88% à l'admission au SAU centre [29] principalement lié à la gravité de l'infection (présence de la CIVD, purpura fulminans et état de choc) et au retard de prise en charge initiale (pas d'antibiothérapie près de 24 heures après le début des symptômes). Ainsi, la perte de chance d'éviter l'amputation liée au retard de prise en charge du SAU et de la réanimation ne peut donc pas excéder 12%.

Dès lors, le lien de causalité entre les fautes reprochées au centre [29] et au docteur [K] et les préjudices se heurte à une contestation sérieuse.

Il appartiendra au juge du fond de statuer sur les responsabilités et les préjudices subis par Mme [M].

L'ordonnance dont appel sera confirmée en ce qu'elle a débouté les consorts [M] de leur demande de provision.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

L'ordonnance dont appel sera confirmée en ce qu'elle a réservé les dépens de première instance, et en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et non compris dans les dépens.

Les consorts [M] parties perdantes seront condamnés aux dépens d'appel.

Compte tenu de l'équité, les parties seront déboutées de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel et non compris dans les dépens.

Par ces motifs :

La Cour,

Statuant dans les limites de sa saisine,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse du 30 novembre 2021,

Y ajoutant,

Condamne Madame [NP] [D] épouse [M], Monsieur [L] [M], son époux, M et Madame [M] agissant en qualité de représentants légaux et administrateurs légaux de leur enfant [A] née le [Date naissance 12] 2005, ainsi que Mme [O] [UY] et M. [B] [UY] aux dépens d'appel ;

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel et non compris dans les dépens.

Le Greffier Le Président

N. DIABY M. DEFIX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 1ere chambre section 1
Numéro d'arrêt : 21/04881
Date de la décision : 26/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-26;21.04881 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award