23/09/2022
ARRÊT N°2022/377
N° RG 22/00939 - N° Portalis DBVI-V-B7G-OU64
AB/AR
Décision déférée du 10 Octobre 2017 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( F 15/00954)
GUERIN
[B] [R]
C/
E.P.I.C. TISSEO
INFIRMATION
Grosse délivrée
le 23 SEPTEMBRE 2022
à Me Véronique L'HOTE
Me Benoît DUBOURDIEU
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2
***
ARRÊT DU VINGT TROIS SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANTE
Madame [B] [R]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Véronique L'HOTE de la SCP CABINET SABATTE ET ASSOCIEES, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIME
E.P.I.C. TISSEO devenu TISSEO VOYAGEURS pris en la personne de son Directeur Général, domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Benoît DUBOURDIEU de la SELARL LEGAL WORKSHOP, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Juillet 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant C.BRISSET Présidente et A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère, chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BRISSET, présidente
A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère
F. CROISILLE-CABROL, conseillère
Greffier, lors des débats : A. RAVEANE
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [R] a été embauchée en contrat à durée indéterminée par la société d'économie mixe des transports publics de voyageurs de l'agglomération toulousaine (SEMVAT) en décembre 1983, avec reprise d'ancienneté depuis 1976.
Son contrat de travail a ensuite été transféré à l'EPIC Tisséo.
La convention collective applicable est celle des réseaux de transport public urbain.
Mme [R] occupait l'emploi de responsable billetique depuis le 1er septembre 2001 et a été promue au coefficient 250, échelon 7B de la convention collective.
Avec ce passage de coefficient, Mme [R] est passée du statut employée au statut d'agent de maîtrise.
Mme [R], par l'intermédiaire du syndicat CGT des personnels des transports urbains toulousains, a demandé la requalification au coefficient 280.
L'employeur a répondu négativement à cette demande.
Alors qu'elle travaillait au sein de la direction informatique, un poste lui était prévu dans la direction commerciale.
Un différend est né avec son employeur quant à la modification de son contrat de travail.
Le 24 mars 2015, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse aux fins de voir juger que son coefficient réel est de 372, 40, que son salaire de base est de 3 487,30 euros et que l'employeur a modifié unilatéralement son contrat de travail, ainsi que de voir condamner l'EPIC Tisséo au paiement de rappels de salaire et de dommages et intérêts.
Par jugement du 10 octobre 2017, le conseil de prud'hommes de Toulouse a :
- jugé que Mme [R] est correctement positionnée au coefficient 250 de la convention collective,
- jugé que le contrat de travail de Mme [R] n'a pas été modifié unilatéralement par la société EPIC Tisséo,
- débouté Mme [R] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société EPIC Tisséo de sa demande reconventionnelle,
- condamné Mme [R] aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration du 2 novembre 2017, Mme [R] a interjeté appel de ce jugement, dans des conditions de forme et de délai non discutées, en énonçant dans sa déclaration d'appel les chefs critiqués.
Par arrêt du 10 juillet 2020, la cour d'appel de Toulouse a :
- confirmé le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse du 10 octobre 2017 en ce qu'il a jugé que le contrat de travail de Mme [R] n'a pas été modifié unilatéralement,
- infirmé le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse du 10 octobre 2017 pour le surplus,
- jugé que le coefficient applicable à Mme [R] est le coefficient 280 de la convention collective des réseaux de transports publics urbains de voyageurs à compter du 19 janvier 2001,
- condamné l'EPIC Tisseo à verser le rappel de salaire afférent au coefficient 280 dans le respect des règles relatives à la prescription triennale, soit pour la période postérieure au 24 mars 2012,
- dit que les parties procéderont elles-mêmes au calcul de ce rappel de salaire à partir du coefficient 280 de la convention collective applicable, lequel sera majoré du pourcentage défini selon l'ancienneté conformément aux accords d'entreprise applicables et qu'en cas de difficultés, il leur appartiendra de saisir à nouveau la cour, à la charge de la partie la plus diligente,
- condamné l'EPIC Tisseo aux dépens de première instance et d'appel,
- condamné l'EPIC Tisseo à payer à Mme [R] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 alinéa 1er du Code de procédure civile.
L'EPIC Tisséo a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt rendu le 10 juillet 2020 par la cour d'appel de Toulouse. Mme [R] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Par un arrêt en date du 12 janvier 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation a :
- cassé et annulé partiellement l'arrêt rendu le 10 juillet 2020 rendu par la cour d'appel de Toulouse en ce qu'il dit que les parties procéderont elles-mêmes au calcul du rappel de salaire à partir du coefficient 280 de la convention collective applicable, lequel sera majoré du pourcentage défini selon l'ancienneté conformément aux accords d'entreprise applicables et qu'en cas de difficultés il leur appartiendra de saisir à nouveau la cour, à la charge de la partie la plus diligente,
- remis sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse autrement composée,
- condamné l'établissement Tisséo aux dépens,
- en application de l'article 700 du Code de procédure civile, rejeté la demande formée par l'établissement Tisséo et l'a condamnée à payer à Mme [R] la somme de 3 000 euros,
- dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.
La Cour de cassation a statué aux motifs suivants :
'Vu l'article 12 du code de procédure civile :
Aux termes de ce texte, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
Après avoir dit que la salariée était en droit de revendiquer le coefficient 280 de la convention collective applicable à compter du 19 janvier 2001, l'arrêt retient qu'à défaut pour les parties de produire le détail des calculs nécessaires à l'évaluation de la somme due à titre de rappel de salaire et la salariée indiquant avoir fait valoir ses droits à la retraite sans préciser à compter de quelle date, il leur appartiendra de procéder elles-mêmes au calcul de ce rappel de salaire à partir du coefficient 280 de la convention collective et qu'en cas de difficultés, la partie la plus diligente ressaisira la cour.
En statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de procéder à l'évaluation de la créance salariale dont elle avait reconnu le principe, la cour d'appel a méconnu son office et violé le texte susvisé.'
Par une déclaration en date du 3 mars 2022, Mme [R] a saisi la cour d'appel de Toulouse dans des conditions de forme et de délai non discutées.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 juillet 2022, auxquelles il est expressément fait référence, Mme [R] demande à la cour d'appel de renvoi de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [R] de sa demande tendant à obtenir le coefficient 280 de la convention collective applicable et les rappels de salaire y afférents,
- condamner l'EPIC Tisseo à régler à Mme [R] la somme de 30 558,85 euros de rappel de salaire sur la base du coefficient 280 dans le cadre de la prescription triennale, outre 3055,88 euros de congés payés y afférents,
- condamner l'EPIC Tisseo à régler à Mme [R] la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice retraite,
- condamner l'EPIC Tisseo à verser à Mme [R] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouter l'EPIC Tisseo de l'intégralité de ses demandes,
- condamner l'EPIC Tisseo aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 juin 2022, auxquelles il est expressément fait référence, l'EPIC Tisséo Voyageurs demande à la cour de :
-dire et juger que le rappel de salaire total dû à Mme [R] au titre du coefficient 280 de la convention collective doit être fixé à la somme totale de 25572,86€ bruts se décomposant ainsi :
-23 248,05 € de total de rappel de salaire, pour la période du 24 mars 2012 au 30 juin 2018,
-2324,81 € au titre des congés payés y afférents,
-débouter Mme [R] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice de retraite,
-débouter Mme [R] de l'ensemble de ses autres demandes, fins et prétentions, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens,
-dire et juger que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.
Une note en délibéré a été autorisée à l'issue des débats, et formalisée par le conseil de l'employeur le 20 juillet 2022.
MOTIFS :
Au regard de la cassation partielle intervenue, l'attribution à Mme [R] du coefficient 280 est définitive ; seuls demeurent en débat le chiffrage du rappel de salaire à allouer à Mme [R] sur la base de ce coefficient, pour la période non prescrite du 24 mars 2012 au 30 juin 2018, outre la demande nouvelle de Mme [R] devant la cour de renvoi, relative à son préjudice de retraite, étant précisé que Mme [R] a fait valoir ses droits à retraite au 30 juin 2018.
Sur le rappel de salaire :
Il est constant entre les parties que le salaire au sein de l'EPIC Tisséo se calcule en multipliant le coefficient attribué au salarié par la valeur du point, laquelle est définie par accord d'entreprise et évolue régulièrement.
Ce salaire de base est ensuite multiplié par un pourcentage défini par un échelon dont relève le salarié en fonction de son ancienneté.
S'ajoutent à ce salaire une prime de statut, différente selon que le salarié est agent de maîtrise (prime DPM) ou qu'il relève du statut cadre et assimilés (prime DPPCA), ainsi qu'un treizième mois.
Il est également constant que ces règles définies par les accords d'entreprise Tisséo sont plus favorables que les coefficients, échelons et points définis par la convention collective.
Les accords d'entreprise ont en effet instauré deux échelons supplémentaires, et donc deux pourcentages supplémentaires de majoration de salaire, au-delà de l'échelon maximal de la convention collective.
Par accord d'entreprise du 22 février 2002, applicable à compter du 1er mars 2002, un 10ème échelon a été créé pour les salariés ayant atteint 32 ans et demi d'ancienneté.
Ce nouvel échelon permettait aux salariés ayant atteint cette ancienneté de bénéficier, à leur choix :
-soit d'une majoration de salaire de 32 % par rapport au salaire minimum de leur coefficient et de bénéficier de 2 jours de repos supplémentaires par an (échelon 10.1),
-soit d'une majoration de salaire de 33 %, sans allocation de jours de repos supplémentaires (échelon 10. 2).
Selon un deuxième accord d'entreprise du 3 avril 2014, applicable à compter du 1er avril 2014, un échelon supplémentaire d'ancienneté a, à nouveau, été créé pour les non-cadres, justifiant de 35 ans d'ancienneté.
Ce11ème échelon permettait aux salariés :
-soit de bénéficier de 33 % de majoration du salaire minimum de leur coefficient et de 2 jours de repos annuels supplémentaires (échelon 111),
-soit de bénéficier de 34 % de majoration de salaire, sans allocation de jours de repos supplémentaires (échelon 112).
Comme pour l'échelon précédent, c'est le salarié qui choisit s'il souhaite bénéficier de l'échelon 111 ou de l'échelon 112.
En l'espèce, à compter du 1er mai 2009, puisqu'elle avait acquis l'ancienneté suffisante, Mme [R] a pu bénéficier du nouvel échelon n° 10 créé par l'accord d'entreprise du 22 février 2002.
Elle a alors choisi de bénéficier de l'option 10.2, c'est-à-dire d'une majoration de 33 % par rapport au salaire minimum de son coefficient, sans allocation de jours de congés supplémentaires, ainsi qu'en justifie l'employeur en pièce E par un document signé de la salariée.
À compter du 1er avril 2014, au regard de son ancienneté, la salariée a ensuite pu bénéficier du nouvel échelon n° 11, créé par l'accord d'entreprise du 3 avril 2014.
Elle a alors choisi de bénéficier de l'option 11.1, c'est-à-dire d'une majoration de salaire
de 33 %, avec allocation de 2 jours de repos supplémentaires par an, ainsi qu'en justifie l'employeur en pièce E par un document signé de la salariée.
L'employeur a donc procédé au calcul du rappel de salaire selon ces principes, et fournit à la cour en pièce D les éléments détaillés de calcul en reprenant, mois par mois, les sommes dues pour un salarié classé au coefficient 250 en fonction de la valeur du point, avec majoration d'ancienneté, prime de 13ème mois et primes liées au statut d'agent de maîtrise, et il compare cette situation avec celle d'un salarié classé au coefficient 280, en fonction de la valeur du point, avec majoration d'ancienneté, prime de 13ème mois et primes liées au statut d'assimilé cadre.
Ce faisant, il affecte à ses calculs une majoration de salaire pour ancienneté de 33% conformément au choix opéré par Mme [R], alors que cette dernière produit en pièce n°28 un tableau de calcul erroné puisqu'elle affecte au salaire une majoration de 34% en concluant de manière erronée qu'elle avait opté pour l'option à 34% de majoration salariale sans jour de congé supplémentaire.
L'employeur procède également à bon droit à un calcul tenant compte des différences précises de montants entre les primes allouées aux agents de maîtrise et celles allouées aux cadres et assimilés, ces dernières étant inférieures aux premières (par exemple, prime agent de maîtrise de 164,65 € en janvier 2015 contre 71,37 € pour les cadres et assimilés) et ces primes étant évolutives ; le calcul de Mme [R] est erroné sur ce point car elle se livre à une soustraction générique et forfaitaire de 5600€ de trop perçu de primes sur le total revendiqué.
Au regard des éléments chiffrés produits par les parties, la cour valide les calculs auxquels a procédé l'employeur, et fixe le rappel de salaire dû à Mme [R] à la somme de 23 248,05 € bruts pour la période du 24 mars 2012 au 30 juin 2018, outre la somme de 2324,81€ bruts au titre des congés payés y afférents.
Il s'agit d'ailleurs des rappels de salaire déjà réglés à Mme [R] en octobre 2020 à titre conservatoire ainsi qu'en justifie l'EPIC Tisséo Voyageurs.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.
Sur le préjudice de retraite :
Mme [R] demande 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de cotiser à la retraite sur une base salariale plus importante, et donc de percevoir une pension plus importante.
Cependant, c'est à juste titre que l'EPIC Tisséo Voyageurs indique qu'il n'existe aucun préjudice, car la pension de retraite de Mme [R] peut être révisée au regard des versements et cotisations réalisés par l'employeur à titre conservatoire sur la base du coefficient 280 à la suite de l'arrêt de la présente cour du 10 juillet 2020.
Dans ces conditions, la demande de Mme [R] sera rejetée par ajout au jugement déféré.
Sur le surplus des demandes :
Il résulte des dispositions de l'article 639 du code de procédure civile que la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond, y compris ceux afférents à la décision cassée.
Partie perdante, l'EPIC Tisséo Voyageurs sera condamné à payer à Mme [R] la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés devant la présente cour de renvoi, ainsi qu'aux entiers dépens exposés devant les juridictions de fond.
PAR CES MOTIFS :
Statuant dans les limites du renvoi de cassation partielle,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse du 10 octobre 2017 en ce qu'il a débouté Mme [R] de sa demande de rappel de salaire et de congés payés y afférents, et en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles,
Statuant à nouveau sur ces points,
Condamne l'EPIC Tisséo Voyageurs à payer à Mme [R] la somme de 23248,05 € bruts pour la période du 24 mars 2012 au 30 juin 2018, outre la somme de 2324,81€ bruts au titre des congés payés y afférents,
y ajoutant,
Déboute Mme [R] de sa demande de dommages-intérêts pour 'préjudice retraite',
Condamne l'EPIC Tisséo Voyageurs à payer à Mme [R] la somme de 2500€ par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés devant la présente cour de renvoi,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne l'EPIC Tisséo Voyageurs aux entiers dépens exposés devant les juridictions du fond.
Le présent arrêt a été signé par Catherine BRISSET, présidente, et par Arielle RAVEANE, greffière.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
A. RAVEANE C. BRISSET
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