12/09/2022
ARRÊT N°
N° RG 19/03743 - N° Portalis DBVI-V-B7D-NENH
A-M.R/NB
Décision déférée du 11 Juillet 2019 - Tribunal d'Instance de CASTRES ( 1115000293)
(Mme. LABORDE)
[M] [Y]
[C] [Y] [A]
C/
[G] [K] [Y]
[E] [Y]
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
1ere Chambre Section 1
***
ARRÊT DU DOUZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANTES
Madame [M] [Y]
[Adresse 24]
[Localité 27]
Représentée par Me Frederic HERMET, avocat au barreau de CASTRES
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE
Madame [C] [Y] [A]
[Adresse 2]
[Localité 23]
[Localité 23] USA
Représentée par Me Frederic HERMET, avocat au barreau de CASTRES
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMES
Monsieur [G] [K] [Y]
[Adresse 10]
[Localité 3]
Représenté par Me Emmanuelle DESSART de la SCP DESSART-DEVIERS, avocat au barreau de TOULOUSE
Monsieur [E] [Y]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 27]
Représenté par Me Olivier BOONSTOPPEL de la SCPI SALVAIRE LABADIE BOONSTOPPEL LAURENT, avocat au barreau de CASTRES
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Septembre 2021, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant A.M. ROBERT, Conseiller, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. DEFIX, président
A.M. ROBERT, conseiller
S. LECLERCQ, conseiller
Greffier, lors des débats : N. DIABY
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par M. DEFIX, président, et par N. DIABY, greffier de chambre
EXPOSE DU LITIGE
Par acte authentique du 21 mars 1980 reçu en l'étude de Maître [U], notaire, M. [G]-[I] [Y] a fait donation partage de sa propriété appelée « Cahuzac » de 18 hectares, 75 ares et 40 centiares, située à [Localité 27] (81), à ses trois enfants :
M. [G]-[K] [Y] : les lots K [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 11], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 19],
M. [E] [Y] : les lots K 375, 376, 378, 549, 551, 604, 606, 611, 612, 616, 617, 618, 619,
Mme [M] [Y] : les lots K 362, 364, 365, 366, 372, 525, 600, 602, 609.
En page 15, IV il est indiqué que « M. [G]-[K] [Y], attributaire de la parcelle [Cadastre 19], concède à M. [E] [Y], ses héritiers ou ayants-cause, tous droits de passage pour le service de la parcelle [Cadastre 18], attribuée à ce dernier et constituant le fonds dominant, comme sur une voie publique sur la bande de 6 mètres de large depuis le [Adresse 1] à prendre sur ladite parcelle [Cadastre 19] constituant le fonds servant, parallèlement à la limite ouest du terrain [Cadastre 18] ».
Un document d'arpentage signé par les donataires le 28 février 1980 a été établi par
M. [J], géomètre expert.
Par acte du 14 mai 1993, la parcelle [Cadastre 19] appartenant à M. [G]-[K] [Y] a été partagée en deux nouvelles parcelles [Cadastre 28] et [Cadastre 21] par le géomètre expert M. [V].
M. [G]-[K] et [E] [Y] ont échangé des parcelles : la parcelle [Cadastre 28] contiguë à la [Cadastre 18] a été attribuée à M. [E] [Y] qui a donné une autre parcelle à son frère.
Par acte authentique du 2 août 1995, Mme [M] [Y] a donné la nue-propriété des parcelles cadastrées K[Cadastre 4] et K[Cadastre 12] à sa fille Mme [C] [Y], épouse [A]..
M. [G]-[K] [Y] a saisi le tribunal d'instance de Castres d'une demande de bornage présentée à l'encontre de son frère [E] sur les parcelles [Cadastre 21], [Cadastre 18] et [Cadastre 28].
Par jugement rendu le 14 mars 2006, le tribunal d'instance de Castres a désigné
M. [R] en qualité d'expert judiciaire pour procéder au bornage, lequel a déposé son rapport le 1er août 2006.
Par jugement rendu le 12 décembre 2006, le tribunal d'instance de Castres a :
- dit que les limites des propriétés de [G] [Y] et [E] [Y] seront notamment constituées par les points A et B,
- le point A se situant au nord et à 7 mètres de l'alignement du poteau électrique, soit la borne existante avec un décalage de 1 mètre vers l'est,
- le point B constituant la limite de l'entrée à partir de la voirie communale intersection entre les parcelles [Cadastre 18] et [Cadastre 21], avec les distances suivantes :
· point 5 ' B = 5 mètres 85,
· point 25 ' B = 115 mètres 26,
· A ' B = 41 mètres 90,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné M. [G] [Y] à payer à M. [E] [Y] une indemnité de 300 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné [G] [Y] aux dépens.
Par arrêt du 10 décembre 2007, la cour d'appel de Toulouse a confirmé le jugement.
Le 21 juillet 2008, M. [R], expert judiciaire a dressé procès-verbal d'implantation de deux bornes A et B entre les parcelles de MM. [G]-[K] et [E] [Y].
Par jugement rendu le 25 juin 2013, le tribunal d'instance de Castres a statué sur un litige opposant M. [E] [Y], M. [G]-[K] [Y] et la commune de [Localité 27] en fixant les limites séparatives du chemin cadastré K[Cadastre 22] et [Cadastre 20] au sud de la ligne électrique existante en prenant celle-ci comme limite avec les parcelles cadastrées K n°[Cadastre 18],[Cadastre 28] et [Cadastre 21].
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Par acte d'huissier du 24 juillet 2015, M. [G]-[K] [Y] a fait assigner
Mme [M] [Y] et Mme [C] [Y], épouse [A], devant le tribunal d'instance de Castres à l'effet d'obtenir sous exécution provisoire la désignation d'un expert géomètre afin de parvenir au bornage des parcelles [Cadastre 21] et [Cadastre 11] lui appartenant et les parcelles [Cadastre 4] et [Cadastre 12] appartenant aux défenderesses.
Par jugement avant dire droit rendu le 12 avril 2016, le tribunal a constaté que les parcelles dont il est demandé le bornage sont contiguës.
Une expertise a été ordonnée et M. [N] a été désigné en qualité d'expert.
Par ordonnance du 4 mai 2016, M. [L] a été désigné pour le remplacer et a déposé son rapport le 31 mai 2017.
Par acte d'huissier du 19 juillet 2018, Mmes [M] [Y] et [C] [Y] épouse [A] ont assigné M. [E] [Y] en intervention forcée pour lui rendre le jugement commun et opposable.
Par jugement contradictoire du 11 juillet 2019, le tribunal d'instance de Castres a :
- ordonné la jonction entre les procédures enrôlées sous les numéros 15-293 et 18-281 ;
- rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise ;
- homologué le plan n°7 du rapport d'expertise déposé le 31 mai 2017 par M. [O] [L] ;
- ordonné le bornage des propriétés des parties conformément au plan n°7 établi par l'expert, lequel sera annexé au présent jugement ;
- fixé les limites entre les parcelles aux points D, E, F et G et la pose des bornes aux endroits indiqués par les points D, E, F et G ;
- rejeté toute demande plus ample ou contraire ;
- rejeté les demandes présentées en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- dit que le présent jugement sera déclaré commun et opposable à M. [E] [Y] ;
- dit que les frais de bornage et les dépens, qui comprendront notamment les frais d'expertise judiciaire, seront partagés par moitié par les parties.
Le tribunal a considéré que le jugement rendu le 12 décembre 2006 par le tribunal d'instance de Castres ayant fixé les limites de propriété entre les fonds appartenant à M. [G] [K] et M. [E] [Y] devait être pris en compte, et que M. [G] [K] [Y] demeurait propriétaire d'un terrain contigu à celui de M. [E] [Y] qui n'en était pas devenu propriétaire par l'effet du bornage.
Il a retenu, à partir du document d'arpentage signé le 28 février 1980 par les enfants [Y] et le plan de M. [J], geomètre, que M. [G]-[K] [Y] disposait sur la parcelle anciennement cadastrée [Cadastre 19] d'un passage large de 6 mètres lui permettant de relier sa parcelle et le [Adresse 25].
Le tribunal a considéré que Mmes [M] et [C] [Y] ne prouvaient pas qu'elles remplissaient les conditions de l'exception de prescription acquisitive de la bande de terrain litigieuse et que les éléments de preuve littérale présentaient une valeur probante supérieure à ceux tirés de la configuration des lieux.
Le tribunal s'est reconnu incompétent pour statuer sur l'action en revendication immobilière portée par Mmes [M] et [C] [Y].
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Par déclaration du 6 août 2019, Mme [M] [Y] et Mme [C] [Y] épouse [A] ont relevé appel de ce ce jugement en ce qu'il a :
- rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise ;
- homologué le plan n°7 du rapport d'expertise déposé le 31 mai 2017 par M. [O] [L] ;
- ordonné le bornage des propriétés des parties conformément au plan n°7 établi par l'expert, lequel sera annexé au présent jugement ;
- fixé les limites entre les parcelles aux points D, E, F et G et la pose des bornes aux endroits indiqués par les points D, E, F et G ;
- rejeté toute demande plus ample ou contraire ;
- rejeté les demandes présentées en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que le présent jugement sera déclaré commun et opposable à M. [E] [Y] ;
- dit que les frais de bornage et les dépens, qui comprendront notamment les frais d'expertise judiciaire, seront partagés par moitié entre les parties.
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DEMANDES DES PARTIES
Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 17 août 2021, Mme [M] [Y] et Mme [C] [Y] épouse [A], appelantes, demandent à la cour, au visa des articles 276 du code de procédure civile, R.221-40 du code de l'organisation judiciaire, 646 et 2258 du code civil de :
Réformant le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
À titre principal,
- « dire et juger » nul le rapport de l'expert [L] ;
En conséquence de quoi,
- débouter M. [G]-[K] [Y] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner M. [G]-[K] [Y] à leur payer la somme de 2 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [G]-[K] [Y] aux entiers dépens de l'instance ;
À titre subsidiaire,
Déboutant le requérant de l'ensemble de ses demandes,
- homologuer le plan de bornage établi par l'expert [L] sous le numéro 8 correspondant à sa proposition provisoire n°2 ;
- dire qu'il sera procédé à la requête de la partie la plus diligente à l'implantation des bornes par M. [L] aux frais supportés exclusivement par le requérant ;
- condamner M. [G]-[K] [Y] à leur payer la somme de 2 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [G]-[K] [Y] aux entiers dépens de l'instance ;
À titre très subsidiaire,
- dans l'hypothèse extraordinaire où le plan de bornage de l'expert [L] correspondant à sa proposition provisoire n°1 serait retenue, « dire et juger » que les défenderesses sont propriétaires de la bande de terrain située entre les points ABCDEF dudit plan de bornage
n°1 ;
En conséquence de quoi,
- rejeter toute demande d'implantation de bornes sur la propriété des défenderesses ;
- « dire et juger » commun et opposable à M. [E] [Y] le jugement à intervenir ;
- condamner M. [G]-[K] [Y] à payer aux défenderesses la somme de 2 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [G]- [K] [Y] aux entiers dépens de l'instance.
À l'appui de leurs prétentions, les appelantes soutiennent que :
- le rapport d'expertise judiciaire déposé par M. [L] est nul car l'expert n'a pas fait figurer sur le plan de bornage la haie de sapins alors qu'il s'agit d'un élément déterminant pour cette affaire, soulevé par voie de dire, et que l'expert n'a pas répondu à ce dire de manière claire,
- le document d'arpentage et le plan établi par M. [J] ne sont plus d'actualité puisqu'ils ont été lourdement impactés par le bornage effectué par M. [H],
- elles peuvent se prévaloir de l'exception d'usucapion sur la limite naturelle constituée par des sapins plus que cinquantenaires,
- la question de nature pétitoire qu'elles soulèvent à titre reconventionnel doit être analysée par le juge du bornage qui en est saisi par le défendeur lorsque la fixation de l'étendue des propriétés en dépend, ce qui est le cas en l'espèce s'agissant d'une exception de défense présentée de manière subsidiaire.
Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 20 janvier 2020,
M. [E] [Y], intimé, demande à la cour de :
- accueillir l'appel incident qu'il a régularisé ;
- réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
- constater que l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt confirmatif rendu par la cour d'appel de Toulouse le 10 décembre 2007 et à la mise en place des bornes par M. [D] [R] suivant procès-verbal du 21 juillet 2008 fait obstacle à ce que la limite entre les propriétés respectives soit déplacée d'une quelconque manière ;
- « dire et juger » par ailleurs que les conclusions de M. [O] [L] ne peuvent servir de base à un nouveau bornage entre les propriétés respectives ;
- débouter en conséquence M. [G]-[K] [Y] de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions ;
- condamner M. [G]-[K] [Y] aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'au versement d'une indemnité de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
À l'appui de ses prétentions, l'intimé soutient que :
- des bornes ont été installées à la suite du jugement du tribunal d'instance de Castres du 12 décembre 2006 qui est doté de l'autorité de la chose jugée de sorte que M. [G]-[K] [Y] ne peut pas remettre en cause cette limite fixée judiciairement,
- l'expert judiciaire M. [L] n'a pas répondu aux dires de Mmes [M] [Y] et [C] [A], ce qui doit entraîner la nullité du rapport d'expertise,
- les conclusions du rapport d'expertise sont inexploitables car elles comportent des approximations et inexactitudes, l'expert n'explicitant pas le raisonnement qui le conduit à retenir le plan n°7 alors qu'il entraîne un empiétement de 6 mètres sur la propriété de Mmes [M] [Y] et [C] [A],
- à l'issue du bornage judiciaire par M. [R], la parcelle de [G]-[K] [Y] n'était plus mitoyenne avec la parcelle de Mmes [M] [Y] et [C] [A],
- M. [G]-[K] [Y] tente de remettre en cause sous couvert de la présente procédure, l'affaire définitivement jugée entre eux.
Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 14 janvier 2020,
M. [G]-[K] [Y], intimé, demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;
- débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
- condamner in solidum Mme [M] [Y], Mme [C] [Y] et M. [E] [Y] à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens.
À l'appui de ses prétentions, l'intimé soutient que :
- le rapport d'expertise est valable, l'expert judiciaire ayant répondu à sa mission et ayant annexé l'ensemble des dires des parties à son rapport et répondu à ceux-ci, outre que les appelantes ne démontrent pas l'existence d'un grief,
- l'expert judiciaire a souverainement apprécié la valeur des titres et autres éléments de décision soumis à son examen, dont le rapport de l'expert judiciaire [R],
- les appelantes n'ignoraient pas le rapport [R] puisqu'il a effectué des repérages à partir de leur immeuble,
- le plan de partage établi par M. [J] en février 1980 a été signé par l'ensemble des parties et fait donc loi entre elles,
- la haie de sapin constitue la limite entre ses parcelles et celles de [E] [Y],
- la prescription acquisitive ne peut être soulevée que lorsque le bornage tend à déterminer l'identité du propriétaire or en l'espèce la discussion ne porte que sur les limites respectives des parcelles, puisque le passage de 6 mètres litigieux est inclus dans la parcelle cadastrée K[Cadastre 21], sa propriété en vertu de l'acte de donation partage du 21 mars 1980, et tel que confirmé par le rapport d'expertise de M. [R] du 1er août 2006, le jugement du tribunal d'instance de Castres du 12 décembre 2006 et le plan cadastral,
- les appelantes ne peuvent opposer la prescription acquisitive à la recevabilité de son action en bornage qui est imprescriptible,
- aucune clôture n'apparaît sur les photos produites par les appelantes, et une clôture ne préjuge pas de la propriété du terrain,
- les appelantes ont élevé la clôture et placé une borne en ciment à son insu qui n'a donc aucune valeur, clôture qui l'empêche d'accéder au [Adresse 26],
- aucune clôture n'était édifiée en 1987, les plans de M. [R] en 2006 et 2008 ne faisant état d'aucune clôture,
- les appelantes versent aux débats deux plans intitulés « extrait plan de bornage de M. [R] du 18 juin 2008 » qui sont différentes du plan définitif tel qu'homologué judiciairement, or il s'agit là d'un document modifié unilatéralement dans le but de tromper la cour,
- les appelantes ont falsifié le plan de M. [R] qui présente des limites parcellaires qui n'existent pas sur le plan de bornage.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 août 2021 et l'affaire a été examinée à l'audience du 7 septembre 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La validité du rapport d'expertise judiciaire établi par M. [L]
L'article 276 du code de procédure civile dispose que l'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.
L'expert doit faire mention, dans son avis, de la suite qu'il aura donnée aux observations ou réclamations présentées.
Il résulte de la combinaison des articles 175 et 114 du code de procédure civile, que la nullité des décisions et actes d'exécution relatifs aux mesures d'instruction ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
Par courrier du18 mai 2017, Mmes [M] [Y] et [C] [A] ont présenté des dires et notamment le fait que la clôture existante était plus que trentenaire ainsi que la limite naturelle des arbres qui délimiteraient les deux fonds.
Elles soutiennent que l'expert judiciaire n'a pas répondu à ce dire de manière explicite et n'a pas fait figurer sur le plan de bornage la limite naturelle constituée par les épicéas, or il s'agit, selon elles, de l'omission d'un élément essentiel pour statuer sur le litige.
Dans son rapport d'expertise déposé le 31 mai 2017, M. [L] indique que dans leurs dires, elles évoquent ces clôture et limite.
Dans ses conclusions, l'expert judiciaire évoque la présence de ces arbres et formule une proposition qui tient compte de leur emplacement : « l'accès proposé n'a pas pu naturellement exister au milieu d'arbres », « le seul chemin d'accès techniquement possible sans arracher les arbres et la haie » et joint à son rapport une photo desdits arbres. Il indique que sans la décision du tribunal d'instance de Castres rendue le 12 décembre 2006, il aurait tenu compte de l'emplacement de ces arbres pour délimiter les propriétés contiguës. Il a en outre fait figurer sur ses propositions de plan les clôtures existantes.
Il a donc tenu compte des dires exprimés par Mmes [M] [Y] et [C] [A], peu important qu'il n'ait pas dessiné les arbres sur ses propositions de plan, ce qui au demeurant aurait rendu leur lecture difficile.
Les appelantes soutiennent également que l'expert a écarté le plan 8 sans s'en expliquer et que le point B auquel il se réfère ne figure pas sur le plan 8, ce qui rendrait le rapport nul.
Cependant, l'expert a bien expliqué dans ses conclusions les motifs d'éviction du plan n°8, notamment la chose jugée attachée au jugement du tribunal d'instance de Castres rendu le 12 décembre 2006.
La demande de nullité du rapport d'expertise présentée par les appelantes sera en conséquence rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.
La demande de bornage
L'action en bornage est l'action qui a pour objet de fixer contradictoirement entre les propriétaires contigus, les limites de leurs héritages, soit que ces limites étant d'ores et déjà connues et certaines, il n'y ait plus qu'à faire la plantation matérielle des bornes, soit que ces limites étant inconnues et incertaines, il soit nécessaire de les rechercher et de les découvrir préalablement. Le bornage peut être réalisé par voie amiable ou judiciaire.
Il ressort des pièces produites aux débats que les parcelles [Cadastre 4] et [Cadastre 12] de Mmes [M] [Y] et [C] [W] sont contiguës aux parcelles :
- [Cadastre 28] (cédée par M. [G]-[K] [Y] à M. [E] [Y] par acte du 4 mai 1993) et [Cadastre 18], propriétés de M. [E] [Y],
- [Cadastre 11] et 705, propriétés de M. [G]-[K] [Y].
Par jugement du 12 décembre 2006, le tribunal d'instance de Castres a fixé deux bornes A et B pour délimiter les propriétés de MM. [G]-[K] et [E] [Y] telles que dessinées sur le plan de bornage dressé le 18 juin 2008 par M. [R] conformément au jugement précité.
Définitivement jugée, la fixation des bornes A et B ne saurait être remise en cause par le présent arrêt.
S'agissant de la délimitation des parcelles [Cadastre 11] et [Cadastre 21] de M. [G]-[K] [Y] d'une part et [Cadastre 4] et [Cadastre 12] de Mmes [M] [Y] et [C] [A] d'autre part, l'expert [L] conclut qu'il convient de définir la limite entre les parcelles [Cadastre 21] et [Cadastre 4] à partir du jugement du tribunal d'instance de Castres du 12 décembre 2006 et du plan de bornage réalisé par M. [R] et considère que la limite entre ces fonds doit être fixée d'après le plan de partage dressé par M. [J] en 1980 et signé par [G]-[K], [M] et [E] [Y], les points D, E, F fixant la limite entre les fonds devant en conséquence être alignés.
S'agissant des plans proposés par M. [R], la bande de 6 mètres qui se trouve au Sud des bornes A et B est toujours la propriété de M. [E] [Y], ce qui est conforme à l'échange réalisé entre MM. [G]-[K] et [E] [Y] le 14 mai 1993.
Le plan n°8 établi par l'expert judiciaire M. [L] n'est pas cohérent avec le jugement du 12 décembre 2006 puisqu'il fixe la borne A à 6 mètres seulement de la borne ciment existante alors que le jugement l'a fixé à 7,52m. En outre, la pointe de la parcelle [Cadastre 28] appartenant à M. [E] [Y] est censée, d'après le plan de bornage dressé en 2008 par l'expert M. [R], prendre naissance à la borne A, alors que sur le plan 8 de l'expert [L] elle prend naissance à 6 mètres de la borne A.
Le plan 8, qui ne tient pas compte de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 12 décembre 2006 et n'est pas cohérent avec le plan de partage dressé par M. [J] en 1980 et signé par [G]-[K], [M] et [E] [T], ne peut donc être retenu.
Il existe une différence importante entre les deux plans à l'égard de Mmes [M] [Y] et [C] [A] : le plan 7 fait entrer une bande de 6 mètres d'un bord et 13,39 mètre à l'autre bord, dans le patrimoine de M. [G]-[K] [Y] tandis que le plan 8 fait entrer cette portion de terre dans le patrimoine de Mmes [M] [Y] et [C] [A].
Il convient donc de déterminer si cette portion de terrain est incluse dans les parcelles [Cadastre 12] et [Cadastre 4] de Mmes [M] [Y] et [C] [A] ou dans les parcelles [Cadastre 21] et [Cadastre 11] de M. [G]-[K] [Y].
Dans l'acte authentique du 21 mars 1980 de donation partage à ses trois enfants de sa propriété appelée « Cahuzac » par M. [G]-[I] [Y], il est indiqué, p. 15, IV, que « M. [G]-[K] [Y], attributaire de la parcelle [Cadastre 19], concède à M. [E] [Y], ses héritiers ou ayants-cause, tous droits de passage pour le service de la parcelle [Cadastre 18], attribuée à ce dernier et constituant le fonds dominant, comme sur une voie publique sur la bande de 6m. de large depuis le [Adresse 1] à prendre sur ladite parcelle [Cadastre 19] constituant le fonds servant, parallèlement à la limite ouest du terrain [Cadastre 18] ».
Le document d'arpentage dressé le 14 février 1992 par M. [V] et signé par MM. [G]-[K] et [E] [Y] indique effectivement qu'une portion de terre située au Nord des parcelles [Cadastre 28] et [Cadastre 18] de M. [E] [Y] est incluse dans la parcelle [Cadastre 21] appartenant à M. [G]-[K] [Y].
Dans le rapport d'expertise judiciaire de M. [R] déposé le 1er août 2006, l'expert écrit : « la seule certitude est le passage de 6 mètres de large au Nord-Est de la parcelle [Cadastre 21] ». La parcelle [Cadastre 21] contient donc un « bras » de 6 mètres de large qui la relie au chemin communal, et qui se situe donc Nord des bornes A et B implantées par la suite entre les fonds de M. [G]-[K] et [E] [Y].
Deux extraits du plan cadastral sont produits par les parties, édités le 10 avril 2008 et le 17 juin 2010 qui incluent une bande de terrain située au Nord des parcelles [Cadastre 18] et [Cadastre 28] de M. [E] [Y] dans les parcelles de M. [G]-[K] [Y].
Compte tenu de ces concordances, il convient de retenir comme l'a fait l'expert judiciaire M. [L] qu'une bande de terrain de 6 mètres de large du côté de la voie communale, se situant au Nord de la parcelle [Cadastre 18] de M. [E] [Y], appartient à M. [G]-[K] [Y] et fait partie de sa parcelle [Cadastre 21].
Contrairement aux allégations des appelantes, aucun transfert de propriété n'a eu lieu entre M. [G]-[K] et M. [E] [Y] concernant la bande litigieuse, de sorte que les documents précités sont toujours représentatifs de la répartition des parcelles entre les trois frères et s'urs.
La prescription acquisitive
Mmes [M] [Y] et [C] [A] soutiennent qu'elles sont propriétaires de cette portion de terrain en vertu de la prescription acquisitive trentenaire.
Si l'action en bornage a uniquement pour but de rechercher, déterminer et fixer, au moyen de marques apparentes, la ligne séparative des fonds appartenant à des propriétaires différents et dont les limites sont nécessaires, le tribunal d'instance a le pouvoir de statuer, à charge d'appel, sur tout moyen de défense impliquant l'examen d'une question de nature immobilière pétitoire, conformément à l'article R.221-40 du code de l'organisation judiciaire. Par suite, le juge saisi d'une action en bornage est compétent pour statuer sur la prétention d'une partie à la propriété privative d'une parcelle.
En l'espèce, Mmes [M] [Y] et [C] [A] soutiennent, pour s'opposer à la demande de bornage de M. [G]-[K] [Y] conformément au plan n°7, qu'elles ont acquis par usucapion la propriété de la bande de 6 mètres à 13,39 mètres que l'expert judiciaire attribue à ce dernier.
Il s'agit donc effectivement d'un moyen de défense, que la cour est tenu d'examiner.
Aux termes de l'article 2258 du code civil, la prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.
En outre, l'article 2261 précise que pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.
En vertu de l'article 2272 du code civil, le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans.
Contrairement aux allégations de M. [G]-[K] [Y], le fait qu'une clôture ne figure pas sur les plans établis en 2006 et 2008 par l'expert judiciaire M. [R], dans le cadre d'une affaire qui ne concernait pas les parcelles des appelantes est sans incidence sur la prescription acquisitive.
Les appelantes produisent aux débats des photos dont la date figurant dessus ne peut être considérée comme certaine, outre qu'elles ne sont pas suffisantes pour établir le caractère paisible, continu, public et non équivoque de la propriété de leur terrain.
Le rapport d'expertise établi par M. [L] indique que des arbres, pour certains, plus que cinquantenaires, figurent sur les parcelles litigieuses et que l'adoption du plan n°7 conduit à faire passer l'accès dans des arbres importants, mais rien ne permet de déterminer qui a implanté ces arbres et donc de savoir s'ils figuraient sur les parcelles de Mmes [M] [Y] et [C] [A] d'une part ou de M. [G] [Y] d'autre part.
Enfin, s'il est établi qu'une clôture empêche M. [G]-[K] [Y] d'accéder au [Adresse 1], la date de son implantation n'est pas déterminée avec certitude, les attestations produites par Mmes [M] [Y] et [C] [A] ne pouvant être considérées comme suffisamment probantes, faute d'être corroborées par d'autres éléments.
Dès lors que les appelantes n'établissent pas avoir possédé la bande de terre litigieuse de manière continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, à titre de propriétaires, il convient d'homologuer le plan n°7 du rapport d'expertise déposé le 31 mai 2017 par M. [L] et de confirmer en ce sens la décision rendue par le tribunal d'instance de Castres le 11 juillet 2019.
La demande de Mmes [M] et [C] [Y] doit être en conséquence rejetée, le jugement étant confirmé.
Les frais irrépétibles et les dépens
À l'instar du premier juge, il y a lieu de considérer que la présente procédure a permis aux parties de procéder à la délimitation de leurs fonds, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il partagé par moitié les frais de bornage et les dépens de première instance entre Mmes [M] [Y] et [C] [A] d'une part et M. [G]-[K] [Y] d'autre part.
Mmes [M] [Y] et [C] [A] prises ensemble, M. [G]-[K] [Y] et M. [E] [Y] seront condamnés aux dépens d'appel, chacun en supportant le tiers.
Pour les mêmes motifs le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes présentées par les parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Toutes les parties étant condamnées aux dépens d'appel, aucune ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
- Confirme le jugement rendu le 11 juillet 2019 par le tribunal d'instance de Castres ;
Y ajoutant,
- Condamne Mmes [M] [Y] et [C] [Y] épouse [A] prises ensemble,
M. [G]-[K] [Y] et M. [E] [Y] aux dépens d'appel, chaque partie en supportant le tiers ;
- Déboute toutes les parties de leurs demandes fondées que l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier Le Président
N. DIABY M. DEFIX.