27/06/2022
ARRÊT N° 2022/
N° RG 18/04989 - N° Portalis DBVI-V-B7C-MU6C
SL/KS
Décision déférée du 15 Février 2016 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE ( 14/03426)
[V] [F]
[W] [F]
C/
[M] [P]
NULLITE DU JUGEMENT
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
1ere Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANTS
Monsieur [V] [F]
[Adresse 1]
CHS 4 ROYAUME UNI
Représenté par Me Laurence EICHENHOLC de la SELARL CABINET EICHENHOLC, avocat au barreau de TOULOUSE
Madame [W] [F]
[Adresse 1]
CHS 4 ROYAUME UNI
Représentée par Me Laurence EICHENHOLC de la SELARL CABINET EICHENHOLC, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉE
Madame [M] [P]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Jacques MONFERRAN de la SCP MONFERRAN-CARRIERE-ESPAGNO, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant S. LECLERCQ, Conseiller, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. DEFIX, président
A.M. ROBERT, conseiller
S. LECLERCQ, conseiller
Greffier, lors des débats : A. RAVEANE
lors du prononcé : C.DELVER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par M. DEFIX, président, et par C. DELVER, greffière de chambre
FAITS - PROCÉDURE - PRÉTENTIONS
Par acte authentique du 20 décembre 2011, Mme [M] [P] a acquis de M. [Z] [F] et Mme [W] [F] une maison d'habitation située [Adresse 2]) moyennant paiement du prix de 327 000 euros.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 3 février 2012, Mme [P] a écrit à la société Lcl assurance iard, ancien assureur des consorts [F], pour lui signaler des infiltrations d'eau en toiture.
À la même date, Mme [P] a déclaré le sinistre à son assureur habitation, la Macif sud-ouest Pyrénées.
Une expertise amiable a été réalisée sur demande de cet assureur par M. [J] qui a déposé son rapport le 7 mai 2012.
Mme [P] a saisi la juridiction des référés afin que soit ordonnée une expertise judiciaire.
Par ordonnance du 15 novembre 2013, le président du tribunal d'instance de Toulouse a désigné M. [Y] [B] en qualité d'expert judiciaire.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 15 avril 2014.
Par acte d'huissier en date du 9 décembre 2014, Mme [P] a fait assigner M. et Mme [F] devant le tribunal de grande instance de Toulouse aux fins de constater les désordres affectant le bien vendu par M. et Mme [F] et dire que ces désordres constituent des vices cachés au sens de l'article 1641 du code civil.
Suivant jugement réputé contradictoire du 15 février 2016, le tribunal de grande instance de Toulouse a :
- constaté les désordres affectant le bien vendu par M. et Mme [F],
- dit qu'ils constituent des vices cachés au sens de l'article 1641 du code civil,
- en conséquence, condamné M. et Mme [F] à payer à Mme [P] les sommes de :
' 9 194,90 euros au titre des travaux de réparation,
' 300 euros par mois à compter du mois de décembre 2011 jusqu'à la date du jugement au titre du préjudice de jouissance,
' 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure,
- débouté Mme [P] du surplus de ses demandes,
- condamné M. et Mme [F] aux entiers dépens,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- accordé à la Scp Monferran Carriere Espagno, avocats, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le tribunal a estimé, au vu du rapport d'expertise judiciaire, que le bien vendu par M. et Mme [F] était affecté de désordres au niveau de la couverture, désordres qui constituaient des vices cachés au sens de l'article 1641 du code civil.
Suivant déclaration du 6 septembre 2016, M. et Mme [F] ont relevé appel de ce jugement, critiquant l'ensemble de ses dispositions.
Par conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 20 janvier 2017, Mme [P] a saisi le conseiller de la mise en état d'une demande tendant, au visa de l'article 526 du code de procédure civile, à constater que les appelants n'ont pas procédé à l'exécution provisoire du jugement frappé d'appel, à prononcer en conséquence la radiation de l'affaire du rôle de la cour.
Par conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 2 mai 2017, M. et Mme [F] ont demandé au conseiller de la mise en état de constater la violation du principe du contradictoire et des articles 14 et 16 du code de procédure civile, ordonner la suspension de l'exécution provisoire, et débouter l'intimée de sa demande de radiation.
Par ordonnance du 7 septembre 2017, le magistrat chargé de la mise
en état a :
- dit qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du conseiller de la mise en état de constater une violation en première instance du principe contradictoire et des articles 14 et 16 du code de procédure civile, ni d'ordonner la suspension de l'exécution provisoire,
- ordonné la radiation du rôle de la cour de l'affaire jusqu'alors suivie sous le numéro 16/04533,
- condamné in solidum les époux [F] aux dépens de l'incident, à recouvrer directement par la Scp Monferran Carriere Espagno conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du même code.
Par acte en date du 22 février 2018, M. et Mme [F] ont fait assigner Mme [P] devant le premier président de la cour d'appel de Toulouse sur le fondement de l'article 524 du code de procédure civile pour voir ordonner la suspension de l'exécution provisoire.
Par ordonnance de référé du 30 mai 2018, le magistrat délégué par ordonnance du premier président a :
- débouté M. et Mme [F] de leur demande de suspension de l'exécution provisoire dont est assorti le jugement du 15 février 2016 du tribunal de grande instance de Toulouse et de leur demande de consignation des condamnations pécuniaires prononcées contre eux,
- condamné M. et Mme [F] à payer à Mme [P] les sommes de 800 euros à titre de dommages et intérêts et 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamné M. et Mme [F] aux dépens,
- autorisé, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.
M et Mme [F] ont réglé à Mme [P] le montant des sommes mises à leur charge et demandé la réinscription de l'affaire au rôle de la cour d'appel.
L'affaire a été réinscrite au rôle de la cour.
Dans leurs conclusions transmises par voie électronique le 13 avril 2020, M. [Z] et Mme [W] [F], appelants, demandent à la cour, au visa du règlement n°1393/2007 du Parlement européen et du Conseil, des articles 14, 16, 688 et suivants du code de procédure civile et 1641 et suivants du code civil, de :
- réinscrire l'affaire au rôle de la cour d'appel de Toulouse sous le numéro 16/04533,
- accueillir l'appel qu'ils ont formé,
- le déclarer bien-fondé,
Et, en conséquence :
- prononcer la nullité du jugement dont appel, conjointement avec la nullité de l'assignation devant le tribunal de grande instance de Toulouse délivrée
le 9 décembre 2014,
- condamner Mme [P] :
' à leur restituer, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, les sommes qu'elle a perçues, à savoir la somme de 35 464,56 euros, avec intérêts à compter de leur versement,
' au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier et moral,
' au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
' aux entiers dépens des ordonnances des 7 septembre 2017 et 30 mai 2018 ainsi qu'aux dépens de la présente procédure, dont distraction au profit de la Selarl Cabinet Eichenholc sur ses affirmations de droit,
Subsidiairement,
- réformer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :
- les mettre hors de cause,
- débouter Mme [P] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner Mme [P] :
' au remboursement sous astreinte de l'intégralité des sommes qu'ils ont réglées, à savoir la somme de 35 464,56 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de son règlement,
' au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier et moral,
' au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
' aux entiers dépens des ordonnances des 7 septembre 2017 et 30 mai 2018 ainsi qu'aux dépens de la présente procédure,
Très subsidiairement,
- réformer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :
- réduire à de plus justes proportions les condamnations prononcées à leur encontre.
À l'appui de leurs prétentions, les appelants soutiennent que :
- les modalités de signification d'une assignation au sein de l'Union européenne n'ont pas été respectées et le principe du contradictoire a été violé,
- l'ensemble des formulaires requis par le règlement européen 1393/2007 ne sont pas versés au débat, et aucun acte produit ne contient l'acte d'assignation signifié,
- l'article 693 du code de procédure civile qui prescrit à peine de nullité le respect de l'article 4 du règlement susvisé n'a pas été respecté, de sorte que l'assignation est nulle en l'absence de signification de celle-ci,
- l'article 19 dudit règlement a également été violé, les époux [F] n'ayant jamais été destinataires de l'assignation au fond délivrée le 9 décembre 2014 et ont donc été défaillants à la procédure, alors que le juge du fond aurait dû surseoir à statuer et s'assurer que le principe du contradictoire avait été respecté,
- il n'est pas nécessaire que la preuve d'un grief soit rapportée, l'acte n'étant pas régularisable,
- les époux [F] n'ont pu faire valoir l'existence d'une clause de non garantie des vices cachés prévue par l'acte de vente et ont ainsi perdu un degré de juridiction,
- le principe du contradictoire n'a donc pas été respecté,
- l'assignation est donc nulle ainsi que tous les actes subséquents y compris le jugement attaqué,
- en vertu de la clause d'exclusion de la garantie des vices cachés figurant dans l'acte de vente, les époux [F] ne peuvent pas être tenus de la garantie des vices cachés,
- la preuve n'est pas rapportée que les consorts [F] auraient eu connaissance des vices allégués,
- Mme [P] n'établit pas que les vices existaient au jour de la vente, et le rapport d'expertise se fonde sur ses déclarations puisqu'il n'a pas constaté d'infiltrations lors de sa visite, et qu'elles seraient dues à de violentes pluies survenues après la vente,
- la malfaçon affectant la toiture n'induit pas que des infiltrations auraient été subis par les époux [F] et qu'ils connaissaient le vice,
- les tuiles cassées sur le toit peuvent être dues aux travaux effectués après la vente par Mme [P],
- Mme [P] aurait pu effectuer les travaux dès 2012 pour un coût moindre que les travaux qu'elle a fait réaliser en 2016 et pour lesquels aucune facture n'est produite,
- l'expert judiciaire n'a pas relevé de préjudice de jouissance et n'a pas qualifié le logement d'inhabitable, la seule gêne éventuelle résulte des travaux de reprise estimés à deux semaines par l'expert judiciaire,
- en 2015, Mme [P] a acheté un bien à 200 000 euros et a aggravé son préjudice en ne réalisant pas les travaux de réfection de la toiture de la maison litigieuse.
Dans ses conclusions du 20 février 2019, Mme [P], intimée, demande à la cour, au visa des articles 1641 et suivants du code civil, de :
- confirmer le jugement dont appel, en ce qu'il a dit et jugé que les désordres affectant son immeuble constituaient des vices cachés au sens de l'article 1641 du code civil,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il déclarait responsables de ces vices cachés M. et Mme [F],
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il condamnait M. et Mme [F] à lui verser la somme de 300 euros par mois à compter de décembre 2011 au titre du préjudice de jouissance,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il condamnait M. et Mme [F] à lui verser la somme de 9 194,90 euros au titre des travaux de réparations nécessaires,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il arrêtait le préjudice de jouissance
au 15 février 2016,
Et statuant à nouveau,
- 'dire et juger' que la somme de 300 euros par mois au titre du préjudice de jouissance sera due jusqu'au 26 avril 2016, jour des réparations qu'elle a effectuées,
- condamner M. et Mme [F] à lui verser la somme de 13 472,91 euros au titre des travaux de réparation,
- condamner M. et Mme [F] à lui verser la somme de 15 600 euros au titre du préjudice de jouissance,
- condamner M. et Mme [F] à lui verser la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, dont distraction au profit de la Scp Monferran Carriere Espagno, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
À l'appui de ses prétentions, l'intimée soutient que :
- l'ensemble des modalités de signification de l'assignation en Angleterre ont été respectées lors de la délivrance de l'assignation,
- l'acte de signification a été traduit et transmis au Senior master près la Royal court of justice et l'acte a ensuite été délivré aux époux [F] conformément aux règles de signification des actes judiciaires en Angleterre, l'huissier ayant reçu l'accusé de réception de demande de signification les 3 et 9 octobre 2014, puis l'accusé de réception relatif à la délivrance de l'acte sur place le 19 décembre 2014, et que l'acte comportait les mentions exigées,
- la signification du jugement de première instance a été faite selon les mêmes modalités et les consorts [F] ayant interjeté appel ont bien reçu le jugement,
- M. et Mme [F] sont de mauvaise foi car M. [F] était présent à l'audience
du 11 octobre 2013 et apparaît comme comparant sur l'ordonnance de référé
du 15 novembre 2013,
- le juge de première instance n'avait pas à sursoir à statuer puisque l'assignation a été délivrée le 9 décembre 2014 et que la clôture des débats a été prononcée
le 17 décembre 2015,
- l'expert judiciaire a relevé des malfaçons affectant la toiture et causant des infiltrations, ce qui exclut que les dégâts puissent avoir été causés par une tempête de vent, qui n'a en outre, pas affecté la commune de [Localité 3],
- la clause exonératoire de garantie des vices cachés est inapplicable puisque M. et Mme [F] sont de mauvaise foi, l'expert judiciaire ayant retenu que l'entretien du toit avait été bâclé, et que les désordres avaient été dissimulés par du scotch,
- Mme [P] n'a pas pu effectuer les travaux nécessités dans l'immédiat faute de moyens, et les désordres l'ont plongé dans un état dépressif.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique
le 28 mars 2022, la veille de la clôture, Mme [P], intimée, demande à la cour, au visa des articles 1641 et suivants du code civil, de :
- prononcer l'irrecevabilité des trois demandes suivantes et tardives des consorts [F] au sens de l'article 910-4 du code de procédure civile :
* la demande de restitution sous astreinte de 100 euros par jour de retard de la somme de 35 464,56 euros, avec intérêts à compter de leur versement,
* la demande de paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier et moral,
* la demande de condamnation aux dépens des ordonnances du 7 septembre 2017 et 30 mai 2018,
- prononcer l'irrecevabilité des arguments en réponse à sa demande de préjudice de jouissance, tardifs au sens de l'article 910 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement dont appel, en ce qu'il a dit que les désordres affectant son immeuble constituaient des vices cachés au sens de l'article 1641 du code civil,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il déclarait responsables de ces vices cachés M. et Mme [F],
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il condamnait M. et Mme [F] à lui verser la somme de 300 euros par mois à compter de décembre 2011 au titre du préjudice de jouissance,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il condamnait M. et Mme [F] à lui verser la somme de 9 194,90 euros au titre des travaux de réparations nécessaires,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il arrêtait le préjudice de jouissance
au 15 février 2016,
Et statuant à nouveau,
- 'dire et juger' que la somme de 300 euros par mois au titre du préjudice de jouissance sera due jusqu'au 26 avril 2016, jour des réparations qu'elle a effectuées,
- condamner M. et Mme [F] à lui verser la somme de 13 472,91 euros au titre des travaux de réparation,
- condamner M. et Mme [F] à lui verser la somme de 15 600 euros au titre du préjudice de jouissance,
- condamner M. et Mme [F] à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, dont distraction au profit de la Scp Monferran Carriere Espagno, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 mars 2022.
Le 6 avril 2022 les appelants ont déposé et notifié des conclusions demandant le rejet des dernières conclusions adverses. En réponse, Mme [P] a conclu
le 12 avril 2022.
L'affaire a été examinée à l'audience du 12 avril 2022.
MOTIVATION DE LA DECISION
- Sur la demande de rabat de l'ordonnance de clôture et d'irrecevabilité des conclusions tardives :
Selon les articles 15 et 16 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense et le juge, doit en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
En application des articles 802 et 803 du même code, dans leur rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée, ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, à l'exception des conclusions par lesquelles une partie demande la révocation de l'ordonnance de clôture ou le rejet des débats des conclusions ou production tardives et l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.
L'appel a été formé le 03 décembre 2018. Mme [P] a conclu
le 20 février 2019. Les appelants ont déposé des conclusions le 13 avril 2020, l'intimée a sollicité le rabat de la clôture et la défixation de l'affaire pour répondre aux conclusions des appelants.
Par avis de defixation - refixation du 15 février 2021, la cour d'appel a informé les parties que l'affaire serait évoquée à l'audience de plaidoirie du 12 avril 2022 et que la clôture de l'instruction interviendrait le 29 mars 2022.
Les dernières conclusions de Mme [P] déposées et notifiées
le 28 mars 2022, soit la veille de l'ordonnance de clôture fixée un an plus tôt, comportent des demandes nouvelles. Le 6 avril 2022 les appelants ont déposé et notifié des conclusions demandant le rejet des dernières conclusions adverses.
La notification de nouvelles conclusions, la veille de la clôture de la mise en l'état prévue le 29 mars 2022, ne permet pas aux appelants de répondre aux demandes nouvelles. De sorte que les conclusions déposées et notifiées le 28 mars 2022 par Mme [P] doivent être considérées comme tardives et déclarées irrecevables. De même, les conclusions du 12 avril 2022 de Mme [P] seront déclarées irrecevables.
- Sur la validité de l'assignation de M. et Mme [F] par Mme [P] :
En vertu de l'article 479 du code de procédure civile le jugement par défaut ou le jugement réputé contradictoire rendu contre une partie demeurant à l'étranger doit constater expressément les diligences faites en vue de donner connaissance de l'acte introductif d'instance au défendeur.
En vertu de l'article 683 du code de procédure civile : 'Les notifications des actes judiciaires et extrajudiciaires à l'étranger ou en provenance de l'étranger sont régies par les règles prévues par la présente section, sous réserve de l'application des règlements européens et des traités internationaux'.
L'article 688 du code de procédure civile dispose : 'La juridiction est saisie de la demande formée par assignation par la remise qui lui est faite de l'acte complété par les indications prévues à l'article 684-1 ou selon le cas, à l'article 687-1, le cas échéant accompagné des justificatifs des diligences accomplies en vue de sa notification au destinataire.
S'il n'est pas établi que le destinataire d'un acte en a eu connaissance en temps utile, le juge saisi de l'affaire ne peut statuer au fond que si les conditions ci-après sont réunies :
1° L'acte a été transmis selon les modes prévus par les règlements européens ou les traités internationaux applicables ou, à défaut de ceux-ci, selon les prescriptions des articles 684 à 687;
2° Un délai d'au moins six mois s'est écoulé depuis l'envoi de l'acte ;
3° Aucun justificatif de remise de l'acte n'a pu être obtenu nonobstant les démarches effectuées auprès des autorités compétentes de l'Etat où l'acte doit être remis.
Le juge peut prescrire d'office toutes diligences complémentaires, notamment donner commission rogatoire à toute autorité compétente aux fins de s'assurer que le destinataire a eu connaissance de l'acte et de l'informer des conséquences d'une abstention de sa part.
Toutefois, le juge peut ordonner immédiatement les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires à la sauvegarde des droits du demandeur'.
L'article 693, alinéa 2 du code de procédure civile dispose que 'doivent être également observées, à peine de nullité, les dispositions des articles 4, 6, 7 et 8, paragraphes 1, 2, 4 et 5, du règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 en cas d'expédition d'un acte vers un autre Etat membre de l'Union européenne'.
En l'espèce, le jugement de première instance est intervenu le 15 février 2016, soit antérieurement au processus de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, qui a été enclenché à partir du 29 mars 2017 lorsque le premier ministre [I] [T] a activé l'article 50 du Traité de Lisbonne par une lettre envoyée au président du Conseil européen. La sortie du Royaume Uni de l'Union européenne a eu lieu
le 31 janvier 2020. Les textes de l'Union européenne sont donc applicables au litige.
Le règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil
du 13 novembre 2007 relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale dispose en ses articles :
- 2 que : '1.'''Chaque État membre désigne les officiers ministériels, autorités ou autres personnes, ci-après dénommés « entités d'origine », compétents pour transmettre les actes judiciaires ou extrajudiciaires aux fins de signification ou de notification dans un autre État membre.
2.'''Chaque État membre désigne les officiers ministériels, autorités ou autres personnes, ci-après dénommés « entités requises », compétents pour recevoir les actes judiciaires ou extrajudiciaires en provenance d'un autre État membre'.
- 3 que : 'Chaque État membre désigne une entité centrale chargée:
a) de fournir des informations aux entités d'origine;
b)de rechercher des solutions aux difficultés qui peuvent se présenter à l'occasion de la transmission des actes aux fins de signification ou de notification;
c) de faire parvenir, dans des cas exceptionnels, à la requête de l'entité d'origine, une demande de signification ou de notification à l'entité requise compétente'».
En France, les entités d'origine sont les huissiers de justice et les greffes des juridictions.
En Angleterre, l'entité requise est la 'Haute cour (High court) - division du Queen's Bench - section 'procédure étrangère' et l'entité centrale est 'The senior master, Royal courts of justice'.
- 4': «'(') 3.'''L'acte à transmettre est accompagné d'une demande établie au moyen du formulaire type figurant à l'annexe'I. Ce formulaire est complété dans la langue officielle de l'État membre requis ou, s'il existe plusieurs langues officielles dans cet État membre, dans la langue officielle ou l'une des langues officielles du lieu où il doit être procédé à la signification ou à la notification, ou dans toute autre langue dont l'État membre requis aura indiqué qu'il peut l'accepter. Chaque État membre indique la ou les langues officielles des institutions de l'Union européenne, autres que la sienne ou les siennes, dans laquelle ou lesquelles il accepte que le formulaire soit complété. 4.'''Les actes ainsi que toutes les pièces transmises sont dispensés de légalisation et de toute formalité équivalente.
5.'''Lorsque l'entité d'origine souhaite que lui soit retourné un exemplaire de l'acte avec l'attestation visée à l'article'10, elle adresse l'acte à signifier ou à notifier en double exemplaire ».
- 6 que : «'1.'''À la réception de l'acte, l'entité requise adresse par les moyens de transmission les plus rapides un accusé de réception à l'entité d'origine, dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, dans les sept jours qui suivent cette réception en utilisant le formulaire type figurant à l'annexe'I'».
- 7 que : «'1.'''L'entité requise procède ou fait procéder à la signification ou à la notification de l'acte soit conformément à la législation de l'État membre requis, soit selon le mode particulier demandé par l'entité d'origine, sauf si ce mode est incompatible avec la loi de cet État membre.
2.'''L'entité requise prend toutes les mesures nécessaires pour assurer la signification ou la notification de l'acte dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, dans un délai d'un mois à compter de la réception. (')'».
- 10 que : «'1.'''Lorsque les formalités relatives à la signification ou à la notification de l'acte ont été accomplies, une attestation le confirmant est établie au moyen du formulaire type figurant à l'annexe'I et elle est adressée à l'entité d'origine, avec une copie de l'acte signifié ou notifié'».
- 19 que : «'1.'''Lorsqu'un acte introductif d'instance ou un acte équivalent a dû être transmis dans un autre État membre aux fins de signification ou de notification, selon les dispositions du présent règlement, et que le défendeur ne comparaît pas, le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu'il n'est pas établi:
a) ou bien que l'acte a été signifié ou notifié selon un mode prescrit par la loi de l'État membre requis pour la signification ou la notification des actes dressés dans ce pays et qui sont destinés aux personnes se trouvant sur son territoire;
b) ou bien que l'acte a été effectivement remis au défendeur ou à sa résidence selon un autre mode prévu par le présent règlement;
et que, dans chacune de ces éventualités, soit la signification ou la notification, soit la remise a eu lieu en temps utile pour que le défendeur ait pu se défendre.
2.'''Chaque État membre peut faire savoir, conformément à l'article'23, paragraphe'1, que ses juges, nonobstant les dispositions du paragraphe'1, peuvent statuer si toutes les conditions ci-après sont réunies, même si aucune attestation constatant soit la signification ou la notification, soit la remise n'a été reçue:
a) l'acte a été transmis selon un des modes prévus par le présent règlement;
b) un délai, que le juge appréciera dans chaque cas particulier et qui sera d'au moins six mois, s'est écoulé depuis la date d'envoi de l'acte;
c) aucune attestation n'a pu être obtenue nonobstant toutes les démarches effectuées auprès des autorités ou entités compétentes de l'État membre requis'».
Dès lors, en cas de transmission d'un acte depuis un État membre en vue de sa notification à une personne résidant dans un autre État membre de l'Union européenne, l'entité requise de cet État procède ou fait procéder à cette notification.
Lorsque la transmission porte sur un acte introductif d'instance et que le défendeur ne comparaît pas, le juge judiciaire français ne peut statuer qu'après s'être assuré soit que l'acte a été notifié selon un mode prescrit par la loi de l'État membre requis, soit que l'acte a été transmis selon un des modes prévus par le règlement, mais que sa notification ou sa remise au destinataire n'est pas établie et dès lors qu'un délai d'au moins six mois s'est écoulé depuis la date d'envoi de l'acte et qu'aucune attestation n'a pu être obtenue nonobstant toutes les démarches effectuées auprès des autorités ou entités compétentes de l'État membre. Le jugement doit constater expressément les diligences faites en vue de donner connaissance de l'acte au défendeur (2e Civ., 11 avril 2019, pourvoi n° 17-31.497, publié).
Le juge doit donc s'assurer que la notification de l'assignation de première instance devant le tribunal de grande instance de Toulouse aux défendeurs a été attestée par les autorités britanniques ou, à défaut, préciser les modalités de transmission de cette déclaration et les diligences accomplies auprès de ces autorités pour obtenir une telle attestation.
En l'espèce, figurent au dossier des actes intitulés 'actes d'accomplissement des formalités prévues par l'article 9-2 du règlement européen n°1393/2007" réalisés par l'huissier de justice désigné par Mme [P]. L'huissier y atteste avoir adressé le
9 décembre 2014à «'The senior master, Royal court of justice'» une demande de signification ou notification des assignations devant le tribunal de grande instance de Toulouse éditées en deux exemplaires, un pour chacun des consorts [F].
Par actes établis les 18 et 19 décembre 2014, The senior court of England a accusé réception des demandes de transmission des assignations.
Cependant, ces accusés de réception ni aucune autre pièce produite aux débats ne permettent de savoir si les assignations ont effectivement été notifiées aux consorts [F] par le service compétent en Angleterre.
Certes, il s'est écoulé plus de six mois entre la réception de l'assignation par le Senior master et le jugement. Cependant, Mme [P] n'établit pas les diligences qu'elle aurait effectuées auprès des autorités britanniques compétentes pour obtenir une attestation de remise de l'acte au destinataire.
De sorte que les articles 7 et 19 du règlement européen susvisé n'ont pas été respectés.
En vertu de l'article 694 du code de procédure civile la nullité des notifications est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure, c'est-à-dire, s'agissant des nullités pour vice de forme, par les articles 112 à 116 du même code.
L'article 114 du code de procédure civile dispose qu'aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
En l'espèce la notification des assignations réalisées sur demande de Mme [P] à destination des consorts [F] encourt la nullité en raison d'un vice de forme.
Les consorts [F] n'ont pas constitué avocat et n'ont pas pu présenter de moyens de défense dans le cadre de l'action intentée contre eux par Mme [P] devant le tribunal de grande instance de Toulouse, l'irrégularité leur a donc causé un grief.
Il convient donc de déclarer nuls les actes de notification des assignations et par conséquent les assignations elles-mêmes.
La nullité de l'acte introductif d'instance, qui entraîne celle de tous les actes de procédure subséquents entraîne la nullité du jugement rendu le 15 février 2016 par le tribunal de grande instance de Toulouse.
Le premier juge n'ayant pas été valablement saisi, le premier degré de juridiction n'a pas réellement existé de sorte que l'appel est dépourvu de tout effet dévolutif.
Il y a lieu de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.
Compte tenu de la nullité du jugement, M. et Mme [F] demandent à la cour de condamner Mme [P] à leur restituer, sous astreinte, les sommes qu'elle a perçues dans le cadre de l'exécution provisoire, réclamant la somme de 35 464,56 euros, avec intérêts à compter de leur versement.
Cependant, le présent arrêt constituant le titre impliquant la restitution des sommes réglées en vertu du jugement annulé, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande en restitution des sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire.
- Sur les dépens et frais irrépétibles :
Mme [P] sera condamnée aux dépens de première instance, y compris les dépens de référé, et aux dépens d'appel, avec application au profit de la Selarl cabinet Eichenholc des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Mme [P] sera condamnée à verser à M. et Mme [F] la somme
de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Déclare irrecevables les conclusions déposées et notifiées le 28 mars 2022 et
le 12 avril 2022 par Madame [M] [P]';
Déclare nulles les assignations devant le tribunal de grande instance de Toulouse délivrées par Mme [M] [P] à M. [Z] et Mme [W] [F]';
En conséquence, déclare nul le jugement rendu le 15 février 2016 par le tribunal de grande instance de Toulouse';
Renvoie les parties à mieux se pourvoir';
Dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande en restitution des sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire';
Condamne Mme [P] aux dépens de première instance, y compris les dépens de référé, et aux dépens d'appel, avec application au profit de la Selarl cabinet Eichenholc des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [P] à verser à M. et Mme [F] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par M.DEFIX, présidente et par C.DELVER, greffière.
LA GREFFIÈRE PRÉSIDENT
C.DELVER M.DEFIX