17/06/2022
ARRÊT N°2022/277
N° RG 20/03641 - N° Portalis DBVI-V-B7E-N3ZO
CB/AR
Décision déférée du 12 Novembre 2020 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( F 18/02092)
MUNOZ
Association ASSOCIATION EDENIS
C/
[Z] [L]
CONFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le 17 06 22
à Me Patrick JOLIBERT
Me Laurence DESPRES
CCC POLE EMPLOI
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2
***
ARRÊT DU DIX SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANTE
EDENIS prise en la personne de son représentant légal, son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2] [Localité 3]
Représentée par Me Patrick JOLIBERT de la SELAS MORVILLIERS-SENTENAC AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
Madame [Z] [L]
[Adresse 1] [Localité 4]
Représentée par Me Laurence DESPRES de la SELARL DESPRES, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant C. BRISSET, Présidente, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BRISSET, présidente
A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère
F. CROISILLE-CABROL, conseillère
Greffier, lors des débats : A. RAVEANE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [L] a été embauchée selon contrat à durée indéterminée du 11 mars 2003 par l'association Promo Accueil, aux droits de laquelle se trouve l'association Edenis, en qualité de directrice de résidence stagiaire.
Dans le dernier état de la relation contractuelle, elle occupait les fonctions de directrice d'établissement.
La convention collective applicable est celle de l'hospitalisation privée à but lucratif.
Par courrier du 4 mai 2017 comportant mise à pied à titre conservatoire, elle a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 22 mai 2017, entretien déplacé au 23 mai 2017 à la demande de la salariée.
Mme [L] a été licenciée pour faute grave selon lettre du 12 juin 2017.
Le 19 juillet 2017, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse aux fins de voir l'association Edenis condamnée au paiement de diverses sommes.
Par jugement du 12 novembre 2020, le conseil, en substance, a :
- dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse mais non pas sur une faute grave,
- condamné l'association Edenis à payer à Mme [L] les sommes de:
- 7 311,92 euros brut au titre des salaires pendant la mise à pied,
- 731,19 euros au titre des congés payés y afférents,
- 17 947,43 euros brut à titre d'indemnité de préavis,
- 1 794,74 euros au titre des congés payés y afférents,
- 70 792,64 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 1 200 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- rejeté les autres demandes,
- condamné l'association Edenis aux dépens.
L'association Edenis a relevé appel de la décision le 16 décembre 2020, énonçant dans sa déclaration les chefs critiqués du jugement.
Dans ses dernières écritures en date du 24 août 2021, auxquelles il est fait expressément référence, l'association Edenis demande à la cour de:
- Réformer le jugement prononcé par le conseil de prud'hommes de Toulouse en ce qu'il a condamné l'association Edenis à payer à Madame [Z] [L] les sommes de :
- 7 311,92 euros brut au titre du remboursement de la mise à pied conservatoire
- 731,19 euros brut au titre des congés payés y afférents.
- 17 947,43 euros brut au titre du préavis.
- 1 794,74 euros brut au titre au titre des congés payés y afférents.
- 70 792,64 euros au titre de I 'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Débouté l'association Edenis de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamné l'association Edenis aux entiers dépens.
En complément de cette réformation
- Dire et juger que la rupture du contrat de travail de Madame [L] notifié pour fait de faute grave est parfaitement légitime et régulière.
- Débouter Madame [L] de l'intégralité de ses demandes concernant l'appel principal et l'appel incident ;
Complémentairement,
- Condamner Madame [L] au paiement d'une somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- La condamner aux entiers dépens de l'instance.
Elle soutient que le licenciement reposait bien sur une faute grave et s'explique sur les griefs articulés à la lettre de licenciement qu'elle considère comme établis. Elle conteste avoir manqué à son obligation de sécurité et sur le maintien de l'employabilité se prévaut de formations dispensées à la salariée. Elle conteste enfin tout caractère vexatoire au licenciement.
Dans ses dernières écritures en date du 25 mai 2021, auxquelles il est fait expressément référence, Mme [L] demande à la cour de :
Réformer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement intervenu fondé sur une cause réelle et sérieuse,
Condamner l'association Edenis au paiement des sommes suivantes :
- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 107 684,58 euros,
- Indemnité compensatrice de préavis : 17 947,43 euros
- Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 1 794,74 euros
- Indemnité de licenciement conventionnelle : 70 792,64 euros
- Mise à pied du 4/05 au 12/06 rappel de salaire : 7 311,92 euros
- Indemnité compensatrice de congés payés sur mise à pied : 731,19 euros
Réformer le jugement en ce qu'il a débouté Madame [L] de sa demande relative à des dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,
Condamner l'association Edenis au paiement de la somme de 47 859,81 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif vexatoire et humiliant.
En tout état de cause, condamner l'association Edenis au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux éventuels dépens.
Elle soutient que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle ou sérieuse et discute les griefs énoncés à la lettre de licenciement. Elle invoque un licenciement prononcé dans des conditions vexatoires alors qu'il s'agissait en réalité de supprimer un poste pour des questions de rentabilité.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 20 avril 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Compte tenu de l'appel interjeté tant à titre principal qu'incident, ce sont toutes les dispositions du jugement au titre de la rupture qui sont remises en cause, l'employeur soutenant que le licenciement procède bien d'une faute grave alors que la salariée considère qu'il n'existait pas de motif de rupture. La question du maintien de l'employabilité de la salariée ne fait en revanche plus l'objet de prétentions devant la cour.
La faute grave se définit comme un fait ou un ensemble de faits, personnellement imputables au salarié, constituant une violation d'une obligation contractuelle ou un manquement à la discipline de l'entreprise, d'une gravité telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise.
Lorsque l'employeur retient la qualification de faute grave, il lui incombe d'en rapporter la preuve et ce dans les termes de la lettre de licenciement, laquelle fixe les limites du litige. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement a été adressée le 12 juin 2017 suite à une procédure engagée le 4 mai 2017. Les griefs sont énoncés longuement et peuvent être distingués entre des reproches tenant au mode de management et des reproches plus techniques.
Quant au management, il est reproché à Mme [L] des méthodes de communication inadaptées et agressives, consistant à multiplier les reproches répétés, les atteintes personnelles à la dignité, dès lors que l'aspect physique, vestimentaire, les choix de vie sont évoqués.
Il est donné des exemples et produit des attestations en particulier de Mme [M] (directrice adjointe), Mme [S] (infirmière), Mme [I] (psychologue) et de Mme [G] (directrice adjointe).
Il existe cependant une manifeste difficulté tant dans la chronologie que dans l'attitude de l'employeur. En effet, si la lettre de licenciement énonce des exemples pouvant correspondre à un management dédaigneux ou infantilisant, les premiers faits énoncés et qui correspondraient aux derniers en date, ceux dont Mme [M] aurait fait état à son retour d'arrêt de travail, ne sont pas datés. Les seuls éléments qui comportent une date sont très anciens. Il est ainsi fait état des termes de la lettre de démission de deux adjointes respectivement en mai 2013 et en août 2011 et des termes d'un courrier du médecin coordonnateur en août 2011. Or ces documents faisaient état d'un problème de management dans des conditions certes moins détaillées que les attestations produites mais parfois plus graves en évoquant explicitement un harcèlement moral.
Or, l'employeur n'avait en aucun cas réagi en août 2011 ou en mai 2013. Il n'est invoqué aucune enquête et il n'est justifié d'aucune alerte qui aurait été adressée à Mme [L] ne serait-ce que pour adapter son management. Au contraire, Mme [L] depuis cette date avait été promue, et particulièrement en janvier 2015, en qualité de directeur d'établissement. L'employeur avait même fait état dans le bulletin interne de ses compétences managériales reconnues. La position de l'employeur pose d'autant plus difficulté que manifestement dans un premier temps Mme [G], qui désormais atteste pour celui-ci, avait été également mise à pied à titre conservatoire. Aucune sanction ne sera prononcée à son encontre et elle poursuivra son parcours par un processus de qualification complémentaire. Cela pouvait certes relever de l'enquête disciplinaire mais aucun élément véritablement pertinent n'est donné à ce titre et cela conduit à tout le moins à considérer avec circonspection l'attestation de Mme [G]. Cela pose d'autant plus difficulté que lors de la mise à pied disciplinaire un certain nombre de salariés avaient spontanément et collectivement manifesté leur soutien tant à Mme [G] qu'à Mme [L] et que la période correspondait à une réorganisation de la direction des sites. Par ailleurs, Mme [L] produit un certain nombre d'attestations faisant état d'un management de qualité.
Dans de telles conditions les doléances des salariées vis-à-vis de Mme [L] devaient bien évidemment être prises en considération et donner lieu à une enquête, étant observé qu'il pouvait certes s'agir d'un problème de management toxique, mais également de difficultés relationnelles, de tensions liées à la réorganisation ou d'un ressenti subjectif difficile. En revanche, l'employeur ne pouvait, sans aucune alerte préalable à Mme [L] sur son mode de management, en faire un motif de rupture et ce alors même qu'il avait loué le management de la salariée après les faits de 2011 et 2013 repris à la lettre de licenciement. Cela est d'autant plus le cas que Mme [G], dans un courrier que produit l'employeur qui supporte la charge de la preuve, indique que le management de Mme [L] était connu de la direction et ne fait état d'aucune évolution. Dans de telles circonstances, à supposer le management effectivement déviant de la salariée, l'absence de toute réaction en 2011 et en 2013 et même la promotion de la salariée ne pouvaient l'inciter à modifier ses pratiques. En toute hypothèse, l'employeur ne pouvait faire preuve de l'inertie qui a été la sienne pendant plusieurs années et ce alors qu'il était saisi d'au moins deux alertes, pour brusquement en faire un motif de rupture a fortiori pour faute grave.
La lettre de licenciement fait également état d'un manque de transparence ou de loyauté vis-à-vis du siège et de propos dénigrant. Ceci n'est établi que par les attestations des salariées en conflit avec Mme [L] et sans qu'il ait été procédé à une véritable enquête alors en outre que les termes mêmes de la lettre en font une question presque incidente.
Il est enfin fait mention à la lettre de licenciement d'une liste de reproches plus techniques tenant aux horaires de travail, à la gestion des heures supplémentaires, à la gestion de la caisse, au pilotage de l'activité ou aux enquêtes de satisfaction.
Ces griefs sont peu étayés et ne sauraient être suffisamment sérieux pour justifier la rupture. Il existe surtout une contradiction fondamentale dans l'argumentation de l'employeur qui en page 15 de ses écritures indique expressément que le travail technique de la salariée n'a jamais été en cause ou que la rupture du contrat de travail n'est pas fondée sur des manquements techniques ou des fautes qui auraient été commises dans l'exécution des tâches afférentes aux fonctions dont Mme [L] avait la responsabilité mais ensuite reprend ses griefs tenant à des questions qui relèvent bien de l'exécution des tâches contractuelles.
Au regard de la confrontation de tous ces éléments et de la chronologie suivie par l'employeur, il ne satisfait pas à la charge probatoire qui est la sienne et la cour retient que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave comme l'a jugé le conseil mais n'avait pas davantage de cause réelle et sérieuse.
Mme [L] peut ainsi prétendre aux indemnités de rupture dont le montant n'est pas spécialement contesté et qui ont été exactement appréciées par les premiers juges de sorte qu'il y a lieu à confirmation de ce chef. Elle peut également prétendre à des dommages et intérêts, qui tiendront compte des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail dans sa version applicable aux faits de l'espèce, de son ancienneté (14 ans), d'un salaire de référence de 5 982,47 euros et du fait qu'elle a retrouvé un emploi en août 2018 mais pour un salaire moindre et l'obligeant à une mobilité géographique. Au regard de l'ensemble de ces éléments le montant des dommages et intérêts sera fixé à 60 000 euros. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Il sera fait application des dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail dans la limite de six mois.
Mme [L] sollicite en outre des dommages et intérêts pour licenciement dans des conditions vexatoires. S'il est exact que la mise à pied conservatoire a été longue, il n'est pas justifié d'un préjudice distinct de celui indemnisé au titre de la rupture de sorte qu'il n'y a pas lieu à dommages et intérêts complémentaires. Mme [L] sera déboutée de ce chef de demande.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et statué sur les dépens.
L'appelé étant mal fondé, l'association Edenis sera condamnée au paiement de la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse du 12 novembre 2020 sauf en ce qu'il a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Dit que le licenciement de Mme [L] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne l'association Edenis à payer à Mme [L] la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Déboute Mme [L] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,
Ordonne le remboursement par l'employeur des indemnités chômage dans la limite de six mois,
Condamne l'association Edenis à payer à Mme [L] la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne l'association Edenis aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Catherine BRISSET, présidente, et par Arielle RAVEANE, greffière.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,
Arielle RAVEANECatherine BRISSET
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