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30/05/2022 | FRANCE | N°19/05499

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 1ere chambre section 1, 30 mai 2022, 19/05499


30/05/2022





ARRÊT N°



N° RG 19/05499

N° Portalis DBVI-V-B7D-NLXW

SL / RC



Décision déférée du 30 Janvier 2018

Tribunal de Grande Instance d'ALBI

16/00636

Mme [X]

















[P] [W]

[D] [K]





C/



SCP [Z] [R] - [F] [V]













































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CONFIRMATION PARTIELLE







Grosse délivrée



le



à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU TRENTE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX

***



APPELANTS



Monsieur [P] [W]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représenté par Me Corinne DONNADIEU, avocat au barreau de TOULOUSE
...

30/05/2022

ARRÊT N°

N° RG 19/05499

N° Portalis DBVI-V-B7D-NLXW

SL / RC

Décision déférée du 30 Janvier 2018

Tribunal de Grande Instance d'ALBI

16/00636

Mme [X]

[P] [W]

[D] [K]

C/

SCP [Z] [R] - [F] [V]

CONFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU TRENTE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX

***

APPELANTS

Monsieur [P] [W]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représenté par Me Corinne DONNADIEU, avocat au barreau de TOULOUSE

Madame [D] [K]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Corinne DONNADIEU, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

SCP [Z] [R] - [F] [V]

Société civile professionnelle titulaire d'un Office notarial agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social de la société.

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentée par Me Nicolas LARRAT de la SCP LARRAT, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 07 Mars 2022, en audience publique, devant M. DEFIX et Madame LECLERCQ, magistrats chargés de rapporter l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

M. DEFIX, président

J.C. GARRIGUES, conseiller

S. LECLERCQ, conseiller

Greffier, lors des débats : N.DIABY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par M. DEFIX, président, et par C. GIRAUD, Directrice des services de greffe.

Exposé des faits et procédure :

Aux termes d'un acte authentique en date du 1er août 2006, reçu par Me [V], notaire à [Localité 7], M. [W] a fait l'acquisition d'une maison d'habitation avec terrain, sise à [Localité 7], lieudit [Adresse 8], cadastrée section NX n°[Cadastre 3], au prix de 156 000 euros.

M. [W] indique que Mme [K], sa compagne, réglait une partie du crédit ayant servi à acquérir le bien, aussi il a souhaité qu'elle en devienne propriétaire pour partie.

Par acte du 19 décembre 2009 signé à l'étude de Me [V], M. [W] a donné à Mme [K] les droits indivis de moitié en pleine propriété sur ce bien.

Suite à une mutation professionnelle de M. [W], aux termes d'un acte sous seing privé du 8 février 2014, M. [W] et Mme [K] ont cédé l'immeuble à M. [N] et Mme [R], moyennant le prix de 220 000 euros, sous condition suspensive notamment d'obtention d'un prêt, l'acte définitif de vente devant être régularisé, au plus tard, le 9 mai 2014.

Par requête en date du 25 avril 2014, M. [W] et Mme [K] ont saisi le juge des tutelles d'Albi d'une demande tendant à autoriser leur fille mineure, [A] [W]-[K], à donner son consentement à la cession projetée, conformément aux dispositions de l'article 924-4 du code civil.

Par requête du même jour, M. [W] et son ex-épouse, Mme [I], déposaient la même requête devant le juge des tutelles de Compiègne à l'effet d'autoriser leurs trois enfants mineurs, [T], [C] et [J] [W], à donner leur consentement à la cession.

Par jugement du 7 mai 2014, le juge des tutelles de Compiègne a rejeté la requête déposée par M. [W] et Mme [I], au motif qu'aucune contrepartie financière n'avait été prévue.

Par décision du 12 mai 2014, le juge des tutelles d'Albi a rendu une décision de rejet similaire.

Un avenant du 6 juin 2014 a prévu à titre de condition suspensive au bénéfice tant du vendeur que de l'acquéreur 'que l'ordonnance qui sera rendue par le juge des tutelles près le tribunal de grande instance d'Albi et près le tribunal de grande instance de Compiègne ne conclue pas à un montant d'indemnité due au titre de la renonciation pour le compte des enfants au droit de suite d'exercer l'action en réduction éventuelle sur le bien vendu, ne soit pas supérieure à un montant de 22.000 euros.'

Par ordonnance du 13 juin 2014, le juge des tutelles d'Albi a désigné l'Udaf du Tarn en qualité d'administrateur ad hoc d'[A] [W]-[K]. Par ordonnance du 15 juillet 2014, le juge des tutelles de Compiègne a désigné l'Udaf de l'Oise en qualité d'administrateur ad hoc des enfants [T], [C] et [J] [W].

Par ordonnances du 13 et du 30 octobre 2014, les juges des tutelles d'Albi et de Compiègne ont autorisé les administrateurs ad hoc à donner leur consentement au profit des enfants, moyennant le versement de la somme de 5 500 euros par le père au bénéfice de chacun des enfants, soit au total 22.000 euros.

L'acte authentique de vente a été régularisé le 28 novembre 2014, au profit de M. [N] et Mme [R].

C'est dans ces circonstances que, par acte d'huissier en date du 18 mars 2016, M. [P] [W] et Mme [D] [K] ont fait assigner la Scp [R] [V] devant le tribunal de grande instance d'Albi, aux fins d'obtenir indemnisation de leurs préjudices résultant du manquement du notaire à son obligation de conseil tant lors de l'acte de donation, que lors de l'acte de vente, sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil.

Par jugement contradictoire du 30 janvier 2018, le tribunal de grande instance d'Albi a :

- dit que la Scp [R] [V], notaires, a engagé sa responsabilité civile professionnelle à l'égard de M. [W] et de Mme [K] en manquant à son devoir de conseil à l'occasion de la préparation de l'acte authentique de vente de l'immeuble situé lieu dit [Adresse 8] à [Localité 7] régularisé le 28 novembre 2014,

- condamné la Scp [R] [V] à payer à M. [W] et Mme [K] la somme de 3 173,73 euros au titre des intérêts du crédit,

- condamné la Scp [R] [V] à payer à M. [W] et Mme [K] la somme de 116,22 euros au titre des frais de déménagement,

- condamné la Scp [R] [V] à payer à M. [W] et Mme [K] la somme de 1 000 euros au titre du préjudice moral,

- débouté M. [W] et Mme [K] du surplus de leurs demandes,

- condamné la Scp [R] [V] à payer à M. [W] et Mme [K] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Scp [R] [V] aux entiers dépens,

- prononcé l'exécution provisoire.

Pour statuer ainsi, le tribunal a estimé que le notaire n'avait pas commis de manquement au devoir de conseil dans le cadre de la donation entre M. [W] et Mme [K].

Il a estimé en revanche que le notaire avait commis une faute en ne contrôlant pas la libre disposition du bien dès la signature de l'acte sous seing privé, en ne vérifiant pas la présence d'enfants mineurs et avait ainsi manqué à son devoir d'information quant à la nécessité de saisir le juge des tutelles et à la manière dont il convenait de le faire. Il a estimé que la clause de l'acte de vente mentionnant la nécessité d'obtenir le consentement à la vente des héritiers du donateur ne suffisait pas à permettre aux vendeurs de comprendre les subtilités liées à la minorité des héritiers et notamment la nécessité de saisir le juge des tutelles.

Il a jugé que la somme versée aux enfants mineurs indemnisait leur renonciation à leur droit de suite, et ne constituait pas un préjudice pour M. [W] et Mme [K] ; qu'en revanche, le préjudice de M. [W] et Mme [K] découlait du retard dans la signature de l'acte authentique, et que Me [V] était tenu au paiement des intérêts du crédit que ses clients n'auraient pas eu à payer s'ils avaient vendu plus tôt, ainsi qu'au surcoût des frais de déménagement et à une somme au titre du préjudice moral.

Par déclaration en date du 20 décembre 2019, M. [W] et Mme [K] ont relevé appel de ce jugement en ce qu'il a :

- condamné la Scp [R] [V] à payer à M. [W] et Mme [K] la somme de 116,22 euros au titre des frais de déménagement,

- condamné la Scp [R] [V] à payer à M. [W] et Mme [K] la somme de 1 000 euros au titre du préjudice moral,

- débouté M. [W] et Mme [K] du surplus de leurs demandes.

Prétentions et moyens des parties :

Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 2 octobre 2020, M. [W] et Mme [K], appelants, demandent à la cour, au visa des articles 913 et suivants, 920 et suivants, 924 et suivants, 938, 1382 (ancien) et suivants et 1242 (nouveau) du code civil, de :

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a n'a pas :

* jugé que la Scp [R] [V] a manqué à son obligation de conseil et a donc engagé sa responsabilité civile professionnelle à leur égard à l'occasion de l'acte de donation et quant aux conséquences de cet acte, relatif au bien immobilier objet de la donation et de l'acte de vente,

* condamné la Scp [R] [V] à l'indemnisation des entiers préjudices qu'ils ont subis de ce fait,

* condamné la Scp [R] [V] au versement de la somme de 22 000 euros relative à la contrepartie financière indemnisant la perte de chance d'obtenir le paiement de l'indemnité de réduction au moyen de l'action en revendication,

* condamné la Scp [R] [V] au versement de la somme de 4 620 euros relative au loyer assumé en sus du prêt immobilier,

* condamné la Scp [R] [V] au versement de la somme de 316,48 euros relatives au coût de l'assurance du prêt immobilier sur huit mois supplémentaires,

* condamné la Scp [R] [V] au versement de la somme de 232,45 euros relatives au coût du déménagement,

* condamné la Scp [R] [V] au versement de la somme de 352,50 euros relatives aux charges courantes assumées en double,

* condamné la Scp [R] [V] au versement de la somme de 47 euros relatives aux frais de réexpédition du courrier auprès de la poste,

* condamné la Scp [R] [V] au versement de la somme de 2 880,76 euros relatives aux frais inhérents à l'acte de donation,

* condamné la Scp [R] [V] au versement de la somme de 120 000 euros en réparation du préjudice moral,

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il :

* a condamné seulement la Scp [R] [V] à leur payer la somme de 116,22 euros à titre des frais de déménagement,

* a condamné seulement la Scp [R] [V] à leur payer la somme de 1 000 euros au titre du préjudice moral,

* les a déboutés du surplus de leurs demandes,

En conséquence, y ajouter,

- juger que la Scp [R] [V] a manqué à son obligation de conseil et a donc engagé sa responsabilité civile professionnelle à leur égard non seulement à l'occasion de la préparation de l'acte authentique de vente de l'immeuble situé lieudit [Adresse 8] à [Localité 7], mais également à l'occasion de l'acte de donation et quant aux conséquences de cet acte, relatif au bien immobilier objet de la donation et de l'acte de vente,

- condamner la Scp [R] [V] à l'indemnisation des entiers préjudices qu'ils ont subis et démontrés du fait de sa responsabilité professionnelle engagée tant à l'occasion de la préparation de l'acte authentique de vente de l'immeuble situé lieudit [Adresse 8] à [Localité 7] mais également à l'occasion de l'acte de donation et quant aux conséquences de cet acte, relatif au bien immobilier objet de la donation et de l'acte de vente, soit :

* la somme de 22 000 euros relative à la contrepartie financière liée à la renonciation de leurs droits par les enfants mineurs, conséquence du choix de la donation proposée par la Scp [R] [V],

* la somme de 4 620 euros relative au loyer assumé en sus du prêt immobilier,

* la somme de 316,48 euros relatives au coût de l'assurance du prêt immobilier sur huit mois supplémentaires,

* la somme de 232,45 euros relatives au coût des déménagements,

* la somme de 352,50 euros relatives aux charges courantes assumées en double,

* la somme de 47 euros relatives aux frais de réexpédition du courrier auprès de la poste,

* la somme de 2 880,76 euros relatives aux frais inhérents à l'acte de donation,

* la somme de 120 000 euros en réparation du préjudice moral,

- débouter la Scp [R] [V] prise en la personne de son représentant légal de ses demandes, fins et prétentions, notamment au titre de son appel incident et de sa demande de réformation à ce titre, comme infondées en faits comme en droit,

- débouter la Scp [R] [V] prise en la personne de son représentant légal de sa demande de condamnation à leur égard à la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

- condamner la Scp [R] [V] à leur payer la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la Scp Activ'Lex, et de Me [L].

Ils soutiennent que le notaire a manqué à son devoir de conseil. S'agissant de la donation, ils soutiennent qu'ils ont juste été informés des risques en cas de séparation, mais pas en cas de vente, de décès, en présence d'enfants mineurs de M. [W], situation que le notaire connaissait depuis 2006. S'agissant de la vente, ils soutiennent que la clause selon laquelle doit être fourni le cas échéant le consentement du donateur et des héritiers du donateur conformément aux dispositions de l'article 924-4 du code civil est beaucoup trop générale. Ils soutiennent que le notaire devait insérer dans l'acte une condition suspensive particulière précisant la nécessité de saisir le juge des tutelles afin d'être autorisé à procéder à la vente dans le respect du droit des enfants. Ils font valoir que l'insertion d'une telle clause leur aurait permis de renoncer à la vente en cas de refus d'autorisation du juge des tutelles, et leur aurait évité de subir 10 mois d'incertitude et de stress.

Ils exposent leurs préjudices.

Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 14 octobre 2020, la Scp [Z] [R] - [F] [V], intimée et appelante incidente, demande à la cour, au visa des articles 1382 et suivants du code civil devenus 1240 et suivants du code civil, de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré qu'elle n'a pu commettre aucune faute à l'occasion de l'acte de donation reçu le 19 décembre 2009,

- le réformer pour le surplus en ce qu'il a considéré qu'elle aurait commis en faute à l'occasion de l'acte de vente intervenue le 28 novembre 2014,

Et statuant à nouveau,

- dire que les éléments constitutifs de sa responsabilité civile professionnelle ne sont pas réunis,

- débouter en conséquence M. [W] et Mme [K] de l'intégralité de leurs demandes telles que dirigées à son encontre,

- si le manquement qui lui est imputé à faute devait être confirmé, dire qu'il n'a pu être générateur d'aucune préjudice indemnisable et débouter derechef M. [W] et Mme [K] de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner in solidum M. [W] et Mme [K] au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [W] et Mme [K] aux entiers dépens.

Elle soutient qu'elle n'a pas manqué à son devoir de conseil s'agissant de l'acte de donation, ayant indiqué à M. [W] que cet acte présentait des risques, le risque principal étant la séparation du couple, et lui ayant soumis une proposition alternative ; que le devoir du notaire ne s'étend pas à l'opération réalisée ultérieurement.

S'agissant de la vente, elle soutient qu'elle n'a pas manqué à son devoir de conseil car dès l'acte sous seing privé du 8 février 2014, elle avait tenu compte de ce qu'il existait une donation et qu'il était nécessaire en présence d'héritiers du donateur d'obtenir leur consentement à l'acte de vente ; qu'elle n'est pas responsable du délai nécessaire pour obtenir l'autorisation des juges des tutelles.

Elle conteste les préjudices, et disent subsidiairement qu'ils ne peuvent consister qu'en une perte de chance d'avoir pu renoncer à la donation.

Motifs de la décision :

L'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable au litige dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Sur la faute du notaire :

Le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets ainsi que sur les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique.

Le notaire doit apporter la preuve de l'exécution de son devoir de conseil. La preuve, par un notaire, de l'obligation de conseil qui lui incombe, peut résulter de toute circonstance ou document établissant que le client a été averti des risques inhérents à l'acte que ce notaire a instrumenté.

Sur le manquement au devoir de conseil lors de l'acte de donation :

Dans un courrier du 10 novembre 2009, le notaire a indiqué à [P] [W] :

'Je tiens à vous informer que votre acte est en cours de rédaction en mon étude.

Cependant, compte tenu de l'importance de votre acte, je tenais à vous rappeler par écrit les risques auxquels vous vous exposez, afin que vous puissiez y réfléchir.

Le risque principal étant qu'en cas de séparation, la donation ne sera pas révoquée. En conséquence, vous resterez propriétaires indivis de la maison, avec toutes les difficultés que cela pourrait impliquer (partage, indemnité d'occupation éventuelle, etc...).

Il est de mon devoir de vous informer que la protection du partenaire peut être assurée par le biais d'un testament où serait légué l'usufruit du bien, permettant au survivant de jouir de la maison jusqu'à son décès sans risque de devoir procéder à sa vente. L'avantage étant qu'en cas de séparation, le testament est librement révocable.'

Ainsi, le notaire a informé M. [W] des risques de la donation au regard d'une séparation du couple.

Il est inexact de dire que compte tenu de la présence de quatre enfants, la donation ne pouvait excéder un quart de la maison, et que le notaire a commis une faute en prévoyant une donation de la moitié. En effet, la réserve dépend de la consistance du patrimoine lors du décès, et le patrimoine est amené à évoluer. Il ne peut être apprécié au jour de l'acte si une action en réduction est ouverte, car la masse de calcul se détermine au jour du décès.

Mme [K] voulait une partie du patrimoine.

Le rachat de l'immeuble par Mme [K] avait été suggéré, mais ils avaient renoncé à ce projet, compte tenu de son coût.

Le legs n'a pas été retenu.

M. [W] a voulu prendre le risque d'une donation, irrévocable en cas de séparation.

Le notaire n'avait pas à conseiller M. [W] au regard d'actes futurs éventuels, comme l'hypothèse de la vente de la maison indivise pendant la minorité des enfants. Le devoir d'information en lien avec l'efficacité de l'acte ne comprend pas de la part du notaire une assistance juridique complète. Or, M. [W] ne justifie pas avoir posé spécifiquement la question de la vente du bien au notaire.

En conséquence, le notaire n'a pas manqué à son devoir de conseil lors de l'acte de donation.

Sur le manquement au devoir de conseil lors de l'acte de vente :

Le notaire qui prête son concours à l'établissement d'un acte dans des conditions créant un lien de dépendance avec un acte antérieur est tenu l'appeler l'attention des parties sur les stipulations de ce premier acte.

Ainsi, le notaire chargé de la vente du bien indivis devait se préoccuper des implications liées l'existence de l'acte de donation antérieur. En l'espèce, il ne pouvait pas être porté atteinte à la réserve héréditaire, donc il existait un droit de suite.

L'acte de vente prévoit à titre de condition suspensive que le vendeur communique à l'acquéreur ou à son notaire l'ensemble des pièces ou documents permettant l'établissement complet et régulier et la publication de l'acte de vente, cette communication devant comporter le cas échéant le consentement du donateur ou des héritiers du donateur donné préalablement ou dans l'acte de réalisation de la vente, conformément aux dispositions de l'article 924-4 du code civil.

L'article 924-4 du code civil dispose : 'Après discussion préalable des biens du débiteur de l'indemnité en réduction et en cas d'insolvabilité de ce dernier, les héritiers réservataires peuvent exercer l'action en réduction ou revendication contre les tiers détenteurs des immeubles faisant partie des libéralités et aliénés par le gratifié. L'action est exercée de la même manière que contre les gratifiés eux-mêmes et suivant l'ordre des dates des aliénations, en commençant par la plus récente. Elle peut être exercée contre les tiers détenteurs de meubles lorsque l'article 2276 ne peut être invoqué.

Lorsque, au jour de la donation ou postérieurement, le donateur et tous les héritiers réservataires présomptifs ont consenti à l'aliénation du bien donné, aucun héritier réservataire, même né après que le consentement de tous les héritiers intéressés a été recueilli, ne peut exercer l'action contre les tiers détenteurs. S'agissant des biens légués, cette action ne peut plus être exercée lorsque les héritiers réservataires ont consenti à l'aliénation.'

Cette information générale sur le consentement des héritiers n'était pas suffisante pour que M. [W] ait conscience des démarches à effectuer en présence d'enfants mineurs. Le notaire a commis une faute en ne vérifiant pas la composition familiale au moment de la vente, au moyen des actes d'état civil, d'autant qu'il connaissait M. [W] depuis 2006, et avait instrumenté la donation antérieure. Le notaire devait expressément lui dire qu'il devait s'adresser aux juges des tutelles, compte tenu de la présence d'enfants mineurs.

Le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a dit que la Scp [R] [V], notaires, a engagé sa responsabilité civile professionnelle à l'égard de M. [W] et de Mme [K] en manquant à son devoir de conseil à l'occasion de la préparation de l'acte authentique de vente de l'immeuble situé lieu dit [Adresse 8] à [Localité 7] régularisé le 28 novembre 2014.

Sur le préjudice :

Sur le préjudice matériel :

Il résulte de l'absence de faute du notaire au stade de l'acte de donation que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [W] et Mme [K] de leur demande au titre des frais inhérents à l'acte de donation.

- sur la contrepartie financière versée au titre de la renonciation des héritiers réservataires au droit de suite :

Ceci est sans lien sur la faute du notaire. Cette contrepartie financière est liée au fait d'avoir vendu le bien objet de la donation, en présence d'enfants mineurs. Cette contrepartie financière ne vient pas indemniser une amputation de la réserve héréditaire des enfants, mais leur renonciation à leur droit de suite. Les juges des tutelles ont considéré que les mineurs ne pouvaient renoncer sans contrepartie financière à l'exercice de leur droit de suite. Il n'est pas établi que mieux informés, M. [W] et Mme [K] auraient procédé différemment. En effet M. [W] ne pouvait pas révoquer la donation. Lorsqu'ils ont été avisés de la nécessité de saisir le juge des tutelles, ils auraient pu se prévaloir de la condition suspensive pour ne pas réitérer l'acte. Or, ils ont choisi de poursuivre la vente.

- sur les frais liés au retard de la vente :

L'acte authentique de vente aurait dû être passé le 9 mai 2014.

L'acte authentique a été passé le 28 novembre 2014, compte tenu de la nécessité d'obtenir l'accord des juges des tutelles.

La perte de chance implique la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable. Elle peut consister en la possibilité d'éviter un événement malheureux.

Ici, M. [W] et Mme [K] ont perdu une chance d'éviter certains frais. S'ils avaient été correctement informé, ils auraient pu faire les démarches devant le juge des tutelles dès le 8 février 2014, et ainsi espérer obtenir les ordonnances des juges des tutelles avant. Or, ils n'ont eu conscience de la nécessité de faire désigner des administrateurs ad hoc pour les mineurs qu'à partir des décisions des 7 et 12 mai 2014. Ils ont donc subi un retard de trois mois, de février et mai 2014.

La perte de chance peut être évaluée à 95% des frais liés au retard de 3 mois.

Les intérêts d'emprunt, alors qu'ils s'acquittaient d'un loyer, représentent de mai à juillet 2014, 470,63 + 468,81 + 466,98 = 1.406,42 euros.

En revanche, ils ne peuvent obtenir à la fois le remboursement des loyers et le remboursement des intérêts du prêt.

S'agissant de l'assurance du crédit, elle ne constitue pas un préjudice, dans la mesure où le crédit perdurant, celle-ci était obligatoire et ne pouvait constituer qu'une sécurité nécessaire pour les emprunteurs.

Les frais relatifs aux charges courantes sont des frais qu'ils auraient eu à payer en toute hypothèse.

Ils ont déménagé en avril 2014 puis sont revenus dans la maison en juillet 2014, en attendant la vente définitive. Ils ont donc exposé les frais d'un déménagement supplémentaire par rapport au fait d'avoir pris une location puis d'avoir intégré leur nouveau logement. Les factures de location de camions représentent 232,45 euros.

Les deux réexpéditions de courriers supplémentaires représentent 47 euros.

Au total, les frais d'intérêts d'emprunt, de déménagement et de réexpédition de courrier représentent 1.685,87 euros.

Leur perte de chance de ne pas exposer ces frais peut être évaluée à 95% de 1.685,87 euros, soit 1601,58 euros.

Le jugement dont appel sera infirmé sur les postes et le quantum du préjudice matériel.

La Scp [R] [V] sera condamnée à payer à M. [W] et Mme [K] la somme de 1.601,58 euros en réparation de leur préjudice matériel au titre de la perte de chance d'exposer des intérêts d'emprunt, des frais de déménagement et des frais de réexpédition de courrier.

Sur le préjudice moral :

S'agissant du préjudice moral, c'est à juste titre qu'il a été estimé à 1.000 euros par le premier juge. Le conflit d'intérêts entre M. [W] et ses enfants mineurs existait de toutes façons. Il aurait dû faire de toutes façons les démarches auprès des juges des tutelles, du fait de la donation. Il n'aurait pu dissimuler à Mme [I] son ex-épouse et mère de 3 de ses enfants la donation en faveur de sa nouvelle compagne. Lui et Mme [K] auraient eu la même incertitude quant à la position des administrateurs ad hoc et quant à la réponse des juges des tutelles. Le simple décalage de quelques mois a été tempéré par le fait que leurs acquéreurs ont accepté de signer un avenant dès le 6 juin 2014, prévoyant à titre de condition suspensive que la somme à payer aux enfants n'excède pas 22.000 euros.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Le jugement dont appel sera confirmé sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

M. [W] et Mme [K] qui succombent en appel seront condamnés aux dépens d'appel.

Compte tenu de l'équité, la Scp [R] [V] sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel et non compris dans les dépens.

M. [W] et Mme [K] seront déboutés de leur demande sur le même fondement.

Par ces motifs,

La Cour,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance d'Albi du 30 janvier 2018, sauf sur les postes et le quantum du préjudice matériel de M. [P] [W] et Mme [D] [K] ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,

Condamne la Scp [R] [V] à payer à M. [P] [W] et Mme [D] [K] la somme de 1.601,58 euros en réparation de leur préjudice matériel au titre de la perte de chance d'exposer des intérêts d'emprunt, des frais de déménagement et des frais de réexpédition de courrier ;

Condamne M. [W] et Mme [K] aux dépens d'appel ;

Déboute la Scp [R] [V] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel et non compris dans les dépens ;

Déboute M. [W] et Mme [K] de leur demande sur le même fondement.

La Directrice des services de greffeLe Président

C. GIRAUDM. DEFIX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 1ere chambre section 1
Numéro d'arrêt : 19/05499
Date de la décision : 30/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-30;19.05499 ?
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