20/05/2022
ARRÊT N°2022/228
N° RG 20/02928 - N° Portalis DBVI-V-B7E-NZET
FCC-AR
Décision déférée du 08 Octobre 2020 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( 18/01980)
[S]
[D] [K]
C/
Association CGEA
S.E.L.A.R.L. BENOIT ET ASSOCIES
CONFIRMATION TOTALE
Grosse délivrée
le 20 05 22
à Me [J]
Me EYCHENNE
Me Pascal SAINT GENIEST
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2
***
ARRÊT DU VINGT MAI DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANT
Monsieur [D] [K]
36 Rue du Capitaine Escudié
31000 TOULOUSE
Représenté par Me Jean-romain RAPP de la SELARL PRICENS, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
S.E.L.A.R.L. BENOIT ET ASSOCIES ès qualités de liquidateur judiciaire de la société VOYAGES FRAM SAS
17 rue de METZ BP 7132 31000 TOULOUSE
Représentée par Me Christophe EYCHENNE, avocat au barreau de TOULOUSE
PARTIE INTERVENANTE
AGS CGEA Association déclarée, représentée par sa Directrice Nationale, Madame [N] [O], domiciliée 1 rue des Pénitents blancs 31015 TOULOUSE
Représentée par Me Pascal SAINT GENIEST de l'AARPI QUATORZE, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant F. CROISILLE-CABROL, Conseillère, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BRISSET, présidente
A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère
F. CROISILLE-CABROL, conseillère
Greffier, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 3 mars 1987, la SA FRAM devenue ensuite la SA Voyages FRAM a souscrit auprès de la SA GAN Vie un contrat de retraite complémentaire pour ses salariés, à effet du 31 décembre 1986, leur permettant, le moment venu, de bénéficier d'une 'retraite chapeau'. Un avenant a ensuite été signé le 3 septembre 1990 avec la SA GAN Assurances.
M. [D] [K], né le 7 février 1955, a été embauché suivant contrat à durée indéterminée non versé aux débats, à compter du 1er août 1988, par la SA FRAM en qualité de directeur administratif et financier.
Le 26 octobre 2010, la SA Voyages FRAM a souscrit au profit de ses salariés, auprès de la compagnie d'assurance Swisslife, un nouveau contrat de retraite supplémentaire, dit 'article 39 du CGI', à effet du 1er janvier 2011, les provisions inscrites sur le contrat GAN étant transférées sur le nouveau contrat. Ce contrat a fait l'objet d'un avenant du 12 novembre 2012 à effet du 1er novembre 2012.
La SA Voyages FRAM a fait l'objet de plusieurs jugements du tribunal de commerce de Toulouse :
- jugement du 30 octobre 2015 ouvrant une procédure de redressement judiciaire ;
- jugement du 25 novembre 2015 arrêtant un plan de cession partiel au profit de la société Voyages Invest et de sa filiale Phoenix, avec faculté de substitution ;
- jugement du 25 novembre 2015 prononçant la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire.
Par LRAR du 18 décembre 2015, Me [I] ès qualités d'administrateur judiciaire de la SA Voyages FRAM a notifié à M. [K] son licenciement pour motif économique dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi ; M. [K] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle ; le contrat de travail a pris fin au 11 janvier 2016.
Par LRAR du 10 août 2016, le conseil de M. [K] a indiqué à la SELARL Benoît & associés, liquidateur judiciaire de la SA Voyages FRAM, que son client serait en droit de faire valoir ses droits à retraite au 1er mars 2017 et de prétendre à une retraite supplémentaire auprès de Swisslife.
Par courrier du 6 septembre 2016, la SELARL Benoît & associés a répondu que les fonds cotisés par la SA Voyages FRAM dans le cadre du régime de retraite chapeau étaient, au jour de l'ouverture de la procédure collective, insuffisants pour permettre le versement de la rente par Swisslife ; la SELARL Benoît & associés a estimé que la créance du salarié ne semblait pouvoir s'analyser que comme une créance indemnitaire résultant de la perte d'un droit à retraite complémentaire, et non comme une créance salariale privilégiée couverte par la procédure collective ; elle a ajouté qu'elle n'avait pas à ce jour obtenu de réponse de l'AGS quant à son obligation de couverture.
Le 5 décembre 2018, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse, aux fins notamment de fixation de sa créance au titre de la retraite au passif de la liquidation judiciaire de la SA Voyages FRAM.
M. [K] a finalement demandé la liquidation de sa retraite au 1er février 2019, et la compagnie Swisslife ne lui a versé aucune rente, faute de fonds suffisants.
Par jugement du 8 octobre 2020, le conseil de prud'hommes de Toulouse a :
- débouté le salarié de l'intégralité de ses prétentions,
- débouté la défenderesse de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné le salarié aux éventuels dépens,
- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire.
Le 29 octobre 2020, M. [K] a interjeté appel du jugement, en énonçant dans sa déclaration d'appel les chefs critiqués mais sans mentionner d'intimé. Il a réitéré son appel le 9 novembre 2020, en intimant la SELARL Benoît & associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Voyages FRAM et le CGEA. Les deux dossiers ont été joints par ordonnance du 18 janvier 2021.
Par conclusions responsives et récapitulatives n° 3 notifiées par voie électronique le 24 février 2022, auxquelles il est expressément fait référence, M. [K] demande à la cour de :
- infirmer le jugement,
et statuant à nouveau,
- juger que M. [K] est bien fondé à pouvoir bénéficier du régime de retraite supplémentaire,
- juger que 'la SA Voyages FRAM en liquidation judiciaire, la SELARL Benoît & associés ès qualités' a manqué à ses obligations dans la constitution ou préservation d'un capital suffisant pour permettre la liquidation du régime de retraite supplémentaire de M. [K],
- juger que M. [K] est bien fondé à solliciter une créance indemnitaire fixée à la somme de 488.369 €,
En conséquence :
- condamner 'la liquidation judiciaire de la SA Voyages FRAM, la SELARL Benoît & associés ès qualités' à verser à M. [K] les sommes suivantes :
* 488.369 € à titre de dommages et intérêts,
* 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- juger opposable au CGEA la décision à intervenir,
- 'condamner aux entiers dépens'.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 avril 2021 auxquelles il est expressément fait référence, la SELARL Benoît et associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA Voyages FRAM demande à la cour de :
- confirmer purement et simplement le jugement,
y ajoutant,
- condamner M. [K] à payer à la liquidation judiciaire de la SA Voyages FRAM la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 avril 2021, auxquelles il est expressément fait référence, l'UNEDIC délégation AGS CGEA de Toulouse demande à la cour de :
- confirmer le jugement,
- dire et juger que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-19, L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail, étant précisé que le plafond applicable s'entend pour les salariés toutes sommes et créances avancées confondues et inclut les cotisations et contributions sociales et salariales d'origine légale ou d'origine conventionnelle imposée par la loi,
- dire et juger que la somme de... (sic) réclamée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile est exclue de la garantie, les conditions spécifiques de celle-ci n'étant pas remplies,
En tout état de cause,
- dire et juger que l'obligation du CGEA de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et sur justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,
- statuer ce que de droit en ce qui concerne les dépens sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'AGS.
MOTIFS
1 - Sur la créance du salarié au titre de la retraite :
Le contrat souscrit auprès de Swisslife était un contrat collectif d'assurance sur la vie, avec fonds collectif multi-supports, au titre d'un régime de retraite supplémentaire à prestations définies par l'article 39 du code général des impôts ; la SA Voyages FRAM devait ainsi verser à Swisslife des contributions afin d'abonder un fonds collectif avec support en unités de compte et support en euros ; lorsque le salarié prenait sa retraite, Swisslife devait liquider sa rente selon un plan de retraite et lui verser cette rente, ou à défaut un capital si le montant de la rente était inférieur au montant défini par l'article A 160-2 du code des assurances. Ainsi, la SA Voyages FRAM ne devait, en application de ce contrat, verser aucune somme directement au salarié retraité.
Par suite, le salarié se prévaut à l'encontre de la SA Voyages FRAM d'une créance de nature indemnitaire car selon lui la SA Voyages FRAM aurait engagé sa responsabilité en commettant des fautes aboutissant à l'absence de versement par Swisslife de la retraite chapeau, et il demande la condamnation de la liquidation de la SA Voyages FRAM et de la SELARL Benoît & associés ès qualités.
Dans les motifs de ses conclusions, la SELARL Benoît & associés conclut à l'irrecevabilité de la demande en paiement de M. [K] dans le cadre d'une procédure collective, seule une demande de fixation au passif étant recevable ; toutefois, elle ne reprend pas cette irrecevabilité dans le dispositif de ses conclusions puisqu'elle ne demande que la confirmation du jugement lequel a débouté M. [K] de ses demandes. Outre que la cour n'est pas saisie d'une fin de non-recevoir dans le dispositif des écritures, il lui incomberait en cas de succès des prétentions de M. [K] de procéder par voie de fixation au passif sans que l'énonciation des demandes sous forme de condamnation conduise à ne pas les apprécier au fond.
M. [K] invoque les fautes suivantes :
- dans le cadre du pré-pack de cession', la décision de la SA Voyages FRAM d'autoriser le transfert du contrat Swisslife et de la totalité des fonds au profit du futur repreneur le groupe Karavel (voyages Invest & Phoenix), préalablement à l'ouverture de la procédure collective le 30 octobre 2015, la SA Voyages FRAM n'ayant pas appliqué l'article 7 du contrat Swisslife prévoyant la possibilité de verser le solde du fonds collectif au liquidateur judiciaire sur autorisation du tribunal de commerce ;
- la rupture d'égalité entre salariés, M. [W], sous-directeur informatique, ayant bénéficié de sa retraite chapeau ;
- l'insuffisance d'abondement par la SA Voyages FRAM auprès de Swisslife ;
- le fait que les fonds aient bénéficié en priorité aux dirigeants de FRAM (M. [X], membre du directoire, M. [F], ancien président, M. [R], directeur général) ;
- le non-respect des règles en matière de sécurisation des rentes, en méconnaissance de l'ordonnance du 9 juillet 2015 ;
- le fait que les fonds disponibles aient été reversés au repreneur qui ne les a utilisés qu'en partie au profit des salariés retraités et a utilisé le reste dans sa trésorerie d'exploitation, 'au mépris des dispositions et des salariés', et notamment de l'article 7, que les organes de la procédure n'ont pas appliqué ;
- le fait que les organes de la procédure collective aient autorisé le remboursement des comptes courants actionnaires pour plus de 3 millions d'euros, au détriment des salariés ;
- le fait que les actionnaires soient à l'origine des difficultés financières du groupe FRAM par leur politique de distribution de dividendes et leurs querelles de pouvoirs.
Néanmoins, la cour relève que :
- l'argumentation de M. [K] est quelque peu contradictoire puisqu'il affirme qu'au moment de l'ouverture de la procédure collective, il existait des fonds suffisants pour régler sa rente retraite, tout en reprochant à la SA Voyages FRAM de ne pas avoir suffisamment cotisé ; en réalité, il entretient une confusion entre les fonds disponibles pour FRAM Agences (1.010.779,75 €) et les fonds disponibles pour Voyages FRAM (44.419,75 €), donc entre deux sociétés distinctes même si elles font partie du groupe FRAM, et deux contrats d'assurance distincts ;
- M. [K] met en cause soit la SA Voyages FRAM elle-même alors qu'elle était encore in bonis, soit les organes de la procédure collective de la SA Voyages FRAM ; toutefois, la cour n'est pas saisie d'une action en responsabilité des organes de la procédure, qui n'aurait pu être intentée devant le conseil de prud'hommes, et elle ne peut envisager que les éventuelles fautes de la SA Voyages FRAM désormais représentée par son liquidateur ;
- il est incontestable que la SA Voyages FRAM a préparé, en amont de l'ouverture d'une procédure collective, le projet de cession au profit du groupe Karavel, ce qui impliquait le transfert du contrat Swisslife ; pour autant, il était normal que la SA Voyages FRAM tente de préserver l'activité et les emplois par le biais d'un projet de cession ; elle n'a pas demandé à la compagnie Swisslife de se libérer des fonds cotisés entre les mains du futur repreneur, et c'est le repreneur par le biais de la société nouvellement créée dans le cadre du plan de cession, la SAS FRAM, qui a résilié le contrat Swisslife et demandé le versement des fonds à son profit par courrier du 20 mars 2017 ; après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire du 30 octobre 2015, la SA Voyages FRAM qui n'était plus in bonis n'avait plus le pouvoir d'appliquer l'article 7 du contrat Swisslife, et il ne peut lui être reproché de ne pas avoir demandé au tribunal le versement du solde des fonds ;
- dans son jugement du 25 novembre 2015, arrêtant un plan de cession, le tribunal de commerce a bien mentionné la reprise du contrat Swisslife par le repreneur, et que ce contrat devait être résilié par la suite ;
- la SA Voyages FRAM n'est pas non plus responsable des choix opérés par le repreneur dans l'utilisation des fonds du contrat Swisslife, qui ont en partie été affectés à la trésorerie d'exploitation du repreneur ;
- M. [K] ne peut alléguer une rupture d'égalité avec MM. [W], [X], [F] et [R] qui ont fait valoir leurs droits à retraite avant l'ouverture de la procédure collective et ont perçu leur retraite chapeau conformément au contrat d'assurance, la SA Voyages FRAM n'ayant eu aucun pouvoir, ni pour empêcher Swisslife de leur verser ces retraites, ni pour obliger Swisslife à verser une retraite à M. [K] ;
- l'article 12 du contrat Swisslife stipulait que les cotisations à verser étaient déterminées en fonction du résultat d'expertises actuarielles menées à la souscription ou en cours de contrat ; M. [K], qui se borne à déplorer une insuffisance d'abondement par la SA Voyages FRAM, ne caractérise pas un manquement à ce texte ou à un 'plan d'abondement' daté et chiffré, ne donne pas de précisions sur les sommes qui auraient dû être abondées et celles qui l'ont été, et ne dit pas en quoi l'insuffisance des abondements aurait été fautive ;
- l'ordonnance du 9 juillet 2015 relative à la sécurisation des rentes n'est entrée en vigueur qu'au 1er janvier 2016, soit postérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire de la SA Voyages FRAM du 30 octobre 2015 et au jugement arrêtant le plan de cession du 25 novembre 2015 ; d'ailleurs, M. [K] ne précise pas quelles mesures de sécurisation auraient dû être mises en oeuvre ;
- le remboursement des comptes courants d'associés des actionnaires a été autorisé par ordonnance du juge commissaire du 24 mars 2017 ;
- les articles de presse ne sont pas de nature à faire la preuve d'une faute de la SA Voyages FRAM au regard de son comportement avec ses actionnaires, à l'origine de ses difficultés financières ;
- ainsi que l'a relevé à juste titre le conseil de prud'hommes, M. [K] n'a pas contesté son licenciement économique en alléguant des fautes de gestion de la SA Voyages FRAM à l'origine des difficultés financières et de la procédure collective.
Le salarié ne démontrant pas une faute de la SA Voyages FRAM à l'origine de l'absence de versement par Swisslife de sa retraite supplémentaire, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande indemnitaire.
2 - Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Le salarié qui perd au principal supportera les entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi que ses propres frais irrépétibles ; l'équité commande de laisser à la charge de la SELARL Benoît & associés ès qualités ses propres frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne M. [D] [K] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Catherine BRISSET, présidente, et par Arielle RAVEANE, greffière.
LA GREFFIERELA PRESIDENTE
A. RAVEANEC. BRISSET
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