13/05/2022
ARRÊT N° 2022/294
N° RG 20/03723 - N° Portalis DBVI-V-B7E-N4DQ
CP/KS
Décision déférée du 01 Décembre 2020 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( F 19/00214)
C FARRE
SECTION COMMERCE CH1
[U] [D]
C/
S.A.R.L. XALES
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU TREIZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANT
Monsieur [U] [D]
7, Impasse de l'Abbe salvat
31100 TOULOUSE
Représenté par Me Erick LEBAHR, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉE
S.A.R.L. XALES
12 PLACE VICTOR HUGO
31000 TOULOUSE
Représentée par Me Jean-charles CHAMPOL de la SELARL CABINET CHAMPOL CONSEIL, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant C. PARANT, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
S. BLUME, présidente
M. DARIES, conseillère
C. PARANT, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par S. BLUME, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.
EXPOSE DU LITIGE
M. [U] [D] a été embauché le 5 septembre 2008 par la SARL Xales, exploitant un bar sous l'enseigne Le Caribe, en qualité de portier, suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel de 11 h 30 par semaine régi par la convention collective nationale des hôtels, cafés et restaurants.
Le 3 mai 2018, M. [D] et son employeur ont formalisé la rupture conventionnelle de ce contrat de travail.
M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse le 11 février 2019 afin de voir prononcer la nullité de la rupture conventionnelle et demander le versement de diverses sommes.
Par jugement du 1er décembre 2020 le conseil de prud'hommes de Toulouse a :
-débouté Monsieur [U] [D] de l'ensemble de ses demandes,
-dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné Monsieur [U] [D] aux dépens.
Par déclaration du 21 décembre 2020, M. [D] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 11 décembre 2020, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique
le 9 septembre 2021, auxquelles il est expressément fait référence, M. [U] [D] demande à la cour de :
-réformer totalement le jugement dont appel,
-prononcer la nullité de la rupture conventionnelle,
-condamner la société Xales à lui régler les sommes suivantes :
*224,51 € à titre de solde d'indemnité de licenciement,
*1 174,40 € à titre d'indemnité de préavis,
*117,44 € au titre des congés payés afférents,
*5 877 € à titre des dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
*3 526,20 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
*964,72 € à titre de dommages et intérêts pour la perte de revenus pendant l'arrêt maladie,
*2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-statuer ce que de droit sur les dépens.
Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique
le 21 mai 2021, auxquelles il est expressément fait référence, la SARL Xales demande à la cour de :
-confirmer le jugement dont appel,
-débouter M. [D] de l'intégralité de ses demandes,
-le condamner au paiement d'une indemnité de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 25 mars 2022.
MOTIFS
Sur la demande de prononcé de la nullité de la rupture conventionnelle du contrat de travail liant les parties et sur les demandes d'indemnisation subséquentes
En application de l'article L.1237-11 du code du travail, l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie.
La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties.
Elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties.
Il appartient à M. [D] qui sollicite le prononcé de la nullité de la rupture conventionnelle du contrat de travail liant les parties de rapporter la preuve d'un vice du consentement justifiant sa demande de nullité de la rupture conventionnelle signée le 3 mai 2018 avec le représentant de la société Xales.
M. [D] prétend qu'alors qu'il exerçait son emploi de portier ayant pour objet d'assurer, de 22 h à 2 ou 3 heures du matin, la sécurité du bar exploité par la société Xales, dans des conditions difficiles et pour la parfaite satisfaction de tous, il a subi de la part de son employeur, à la suite notamment d'une agression d'un client ayant entraîné un accident du travail, l'acrimonie récurrente de son employeur ; le 13 février 2018, il a été convoqué à une réunion ayant pour objet de le voir partir avant la fin du mois, le gérant l'encourageant à chercher du travail et subi des pressions psychologiques destinées à le faire partir coûte que coûte. Usé psychologiquement, il a été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 26 mars au 11 juin 2018 avant de finir par signer le 3 mai 2018, le document de rupture conventionnelle dans ce contexte d'affaiblissement psychologique. Ces pressions et manoeuvres sont constitutives, selon lui, d'un vice du consentement, ces violences psychologiques étant constitutives de faits de harcèlement moral.
La société Xales conteste formellement les prétendues pressions et le prétendu harcèlement moral allégués par M. [D], les attestations de complaisance produites par ce dernier étant non circonstanciées et produites pour les besoins de la cause ; aucun élément médical ne relie l'état dépressif de M. [D] à l'exercice de son travail étant rappelé, qu'il est constant qu'en l'absence de vice du consentement, l'existence de faits de harcèlement, qu'elle conteste au demeurant, n'affecte pas en elle-même la validité de la rupture conventionnelle.
Il est rappelé qu'en vertu de l'article 1130 du code civil, l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.
Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.
Aux termes des articles 1142 et 1143 du code civil, la violence est une cause de nullité qu'elle ait été exercée par une partie ou par un tiers. Il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif.
En l'espèce, M. [D] établit qu'il a signé le document de rupture conventionnelle le 3 mai 2018 alors qu'il se trouvait en arrêt de travail pour maladie en raison d'une dépression réactionnelle, comme l'indique son médecin traitant dans son certificat du 13 août 2018.
Il rapporte la preuve, par plusieurs attestations, régulières en la forme, d'avoir subi de la part du gérant de la société Xales et du père de ce dernier des pressions destinées à le faire démissionner.
C'est ainsi que M. [I], client du bar le Caribe, a établi deux attestations dans lesquelles il certifie, première attestation, avoir été témoin des pressions psychologiques exercées par le patron de M. [D], avec menaces à la clef, depuis mars 2017. Dans sa seconde attestation il précise avoir été témoin des pressions et du harcèlement exercés par le patron du bar à l'encontre de M. [D] ; il indique avoir assisté à une scène, en février 2018, au cours de laquelle ce patron, dans un état apparemment second, a pris M. [D] à partie avec beaucoup d'insistance devant les clients, lui demandant de présenter sa démission et que, devant l'attitude stoïque de M. [D], le gérant a employé des termes tels que : 'tu me soûles', 'dégage', insistant fortement sur le fait que M. [D] ne pouvait plus rester ; il termine en indiquant qu'ayant croisé quelques jours plus tard M. [D] sur son lieu de travail, ce dernier lui a confirmé que le père du gérant avait pris le relais et maintenait la pression pour lui faire signer une rupture conventionnelle, que M. [D] était abattu et lui avait indiqué ne pas savoir quoi faire.
M. [Y], ancien collègue de travail de M. [D], atteste que le responsable du bar, sous les ordres du gérant, demandait à M. [D] de réaliser des tâches subalternes ; il ajoute que M. [D] ayant refusé d'exécuter ces tâches, le responsable du bar, sous les ordres du gérant, a continué à harceler M. [D] pour lui faire peur.
M. [A] [B], [J], atteste encore avoir été témoin des pressions de la part de M. [F] sur M. [D] lui demandant de présenter sa démission et comme ce dernier ne voulait pas, que le père de M. [F] a pris le relais avant que le gérant ne lui donne un ultimatum pour le 31 mars 2018 ; qu'il a vu M. [D] de plus en plus déprimé au travail et finir par craquer quand M. [Z] [F] lui a fait signer une rupture conventionnelle qu'il estime avoir été signée en état de faiblesse.
La preuve des pressions et de la contrainte morale exercées par le gérant de la société Xales et le père de ce dernier, dans les semaines précédant l'arrêt de travail pour maladie de M. [D] est ainsi parfaitement rapportée par ces attestations, ces pressions ayant pour objet de pousser M. [D] à la démission.
M. [D] produit encore un imprimé de prise de rendez-vous avec l'inspection du travail dans lequel l'objet de sa demande est libellé comme suit :' mon patron veut me licencier sans motif'.
La cour constate que la société Xales ne produit aucune attestation contraire, se contentant de faire valoir la parfaite régularité de la rupture conventionnelle et la tardiveté de la saisine prud'homale, laquelle est indifférente à la démonstration d'un vice du consentement.
Ce, alors que M. [D] verse encore aux débats de nombreuses attestations qui vantent son calme et son sérieux dans l'exercice de fonctions délicates de portier de nuit, confronté à certains clients difficiles et alors qu'il comptait une ancienneté de près de 10 ans au sein de l'entreprise, sans difficulté et qu'aucune explication ne permet d'objectiver les motifs de la signature par ce salarié du document de rupture conventionnelle.
La cour estime, en conséquence que M. [D] rapporte la preuve qu'il a signé le 3 mai 2018 le document de rupture conventionnelle dans un état de contrainte morale au sens des articles 1142 et 1143 du code civil alors qu'il se trouvait en arrêt de travail pour maladie, en état dépressif à la suite de pressions de son employeur et du père de ce dernier destinées à le faire démissionner.
Cette violence a vicié le consentement de M. [D] lors de la signature du document de rupture conventionnelle et elle entraîne la nullité de cette rupture par application de l'article 1130 du code civil.
Le jugement entrepris qui a débouté M. [D] de cette demande de nullité sera infirmé de ce chef.
La nullité de la rupture conventionnelle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. [D] est ainsi bien fondé à solliciter le paiement du solde de l'indemnité de licenciement, soit 224,51 €, déduction faite de l'indemnité de rupture conventionnelle d'un montant de 1 158,05 € que M. [D] doit rembourser compte tenu de l'annulation de la convention de rupture conventionnelle prononcée par la cour, d'une indemnité de préavis de 1 174,40 €, outre 117,44 € au titre des congés payés y afférents, ces montants n'étant pas contestés par la société Xales.
M. [D] qui comptait 9 ans d'ancienneté au sein de l'entreprise qui employait moins de onze salariés percevait, y compris le rappel de salaire pour heures supplémentaires,
un salaire moyen de 587 € par mois. Il ne justifie pas de sa situation au regard de l'emploi après la rupture du contrat de travail. Il lui sera alloué en application
de l'article L. 1235-3 alinéa 2 du code du travail dans sa version issue de l'ordonnance
du 22 septembre 2017 une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure à 2,5 mois de salaire et supérieure à 10 mois de salaire, que la cour arbitre à la somme de 5 000 €.
Sur la demande d'indemnité de travail dissimulé
En application de l'article L. 8221-5 2° du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.
Et, en vertu de l'article L. 8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de
l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
En l'espèce, il est constant que ce n'est qu'après la rupture du contrat de travail que, sur demande de l'assureur protection juridique de M. [D], la société Xales s'est acquittée des rappels de salaire dus à M. [D] pour heures complémentaires
depuis 2015 à hauteur de la somme totale de 2 515,16 €, somme figurant sur le bulletin de paye de septembre 2018.
Pour autant, il n'est pas démontré que le défaut de paiement des heures supplémentaires et de fourniture de bulletins de paie en temps et en heure procédait d'une intention de dissimuler celles-ci de sorte que la demande en paiement d'une indemnité de travail dissimulé sera rejetée par confirmation du jugement entrepris.
Sur la demande de dommages et intérêts pour la perte de revenus pendant l'arrêt de travail pour maladie
M. [D] ne démontre pas que le retard de déclaration par la société Xales de ses heures complémentaires l'ait empêché de percevoir ses indemnités journalières alors que la société Xales fait la preuve que M. [D] ne remplissait pas les conditions permettant cette perception tant sur le nombre d'heures de travail réalisées pendant les 3 derniers mois que sur le montant du salaire perçu de sorte qu'il sera débouté de cette demande de dommages et intérêts par confirmation du jugement entrepris.
Sur le surplus des demandes
La société Xales qui perd partiellement le procès sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à M. [D] la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement déféré étant infirmé sur les dépens et confirmé sur les frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [U] [D] en paiement d'une indemnité de travail dissimulé et de dommages et intérêts pour perte de revenus pendant l'arrêt de travail pour maladie et sur les frais irrépétibles de première instance,
l'infirme sur le surplus,
statuant à nouveau des chefs infirmés et, y ajoutant,
Prononce la nullité de la rupture conventionnelle signée entre les parties le 3 mai 2018,
Condamne la société Xales à payer à M. [D] les sommes suivantes :
*224,51 € à titre de solde d'indemnité de licenciement,
*1 174,40 € à titre d'indemnité de préavis,
*117,44 € au titre des congés payés afférents,
*5 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
* 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Xales aux dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par S.BLUMÉ, présidente et par C.DELVER, greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
C.DELVER S.BLUMÉ
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