22/04/2022
ARRÊT N° 2022/268
N° RG 20/02044 - N° Portalis DBVI-V-B7E-NU63
MD/KS
Décision déférée du 09 Juillet 2020 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( 19/0446)
E CUGNO
SECTION COMMERCE CH 2
S.A. TELEPERFORMANCE FRANCE
C/
[N] [Z]
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT DEUX AVRIL DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANTE
S.A. TELEPERFORMANCE FRANCE
12-14 Rue Sarah Bernhardt
92600 ASNIERES SUR SEINE
Représentée par Me Laurent SEYTE de la SELARL GUYOMARCH-SEYTE AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉE
Madame [N] [Z]
3 rue Charlotte Delbo - Bâtiment A - Appartement 17
31200 TOULOUSE
Représentée par Me Cécile ROBERT de la SCP CABINET SABATTE ET ASSOCIEES, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devantM.DARIES, Conseillère, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
S. BLUME, présidente
M. DARIES, conseillère
N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par S. BLUME, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.
FAITS ET PROCÉDURE:
Mme [N] [Z] a été embauchée le 2 juillet 2011 par la SA Téléperformance Grand Sud (qui deviendra Téléperformance France) en qualité de conseillère client suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire.
A compter de l'année 2014, compte tenu de problèmes de santé, Mme [Z] a bénéficié d'un poste aménagé en termes d'horaires, à la suite des préconisations du médecin du travail: « horaires de repas : déjeuner démarrant entre 12 heures
et 13 heures 30 et dîner démarrant entre 18h30 et 20 heures ».
Le 27 septembre 2017, Mme [Z] a adressé un courrier au directeur, M. [W], ainsi qu'à la responsable des ressources humaines, Mme [S], afin de les alerter sur la dégradation de ses conditions de travail. Une copie a été transmise au comité d'hygiène et de sécurité, ainsi qu'à l'inspection du travail.
Par courrier du 6 octobre 2017, Mme [Z] a été convoquée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé
au 24 octobre 2017.
Mme [Z] a été placée en arrêt maladie par son médecin traitant du 13 octobre 2017
au 17 novembre 2017, elle a sollicité le report de son entretien qui a été remis
au 21 novembre 2017.
La procédure a été abandonnée du fait del'arrêt-maladie.
Lors de la visite de reprise du 7 novembre 2017, Mme [Z] a été déclarée inapte par le médecin du travail.
La société Téléperformance France a convoqué Mme [Z] à un entretien préalable à son éventuel licenciement en date du 20 mars 2018 et lui a notifié la rupture de son contrat de travail pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 26 mars 2018.
Mme [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse le 26 mars 2019 pour contester son licenciement et demander le versement de diverses sommes.
Le conseil de prud'hommes de Toulouse, section Commerce, par jugement
du 9 juillet 2020, a:
- jugé que le harcèlement moral subi par Mme [Z] est caractérisé,
-en conséquence,
- jugé que le licenciement notifié par la Sa Téléperformance France à Mme [Z] est nul,
-fixé le salaire moyen des 3 derniers mois de Mme [Z] à la somme de 1487,20 euros bruts,
-condamné la société à payer à Mme [Z] :
*14 000 euros nets au titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement,
*2 974,40 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,
*297,44 euros bruts au titre des congés payés afférents,
*1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-débouté Mme [Z] du surplus de ses demandes,
-rappelé que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation (soit le 10 avril 2019) et qu'elles sont assorties de plein droit de l'exécution provisoire, la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élevant à 1 487,20 euros,
-rappelé que les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement,
-condamné la société aux entiers dépens,
-dit qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision et qu'en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application des dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 devront être supportées par la partie défenderesse.
Par déclarations des 28 juillet et 30 juillet 2020, la société Téléperformance France a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 21 juillet 2020.
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique
le 21 octobre 2020, la SA Téléperformance France demande à la cour de :
-à titre préalable, ordonner la jonction de la procédure d'appel RG 20/02044 et de la procédure d'appel RG 20/02087,
-juger qu'il n'y a pas de harcèlement moral imputable à l'entreprise à l'encontre de Mme [Z],
-juger que le licenciement est fondé et justifié,
-juger qu'il n'y a aucune violation de l'obligation de sécurité,
-en conséquence, réformer le jugement dont appel en ce qu'il a considéré
que Mme [Z] avait subi un harcèlement moral et en ce qu'il a considéré que le licenciement du 26 mars 2018 était entaché de nullité,
-débouter Mme [Z] de ses demandes de ce chef,
-confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Mme [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et de sa demande de dommages et intérêts au titre d'une prétendue violation de l'obligation de sécurité,
-débouter Mme [Z] de l'intégralité de ses demandes,
-condamner Mme [Z] au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique
le 24 décembre 2020, Mme [N] [Z] demande à la cour de :
-confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
*jugé nul le licenciement de Mme [Z],
*condamné la Sa Téléperformance France au paiement de la somme de 2 997 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 299,70 euros de congés payés afférents,
*condamné la société au paiement d'une somme à titre de dommages et intérêts au titre de la nullité du licenciement, la majorer dans son quantum à 30 000 euros,
-infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
*débouté Mme [Z] de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi et condamner la société au paiement de la somme de 10 000 euros sur ce fondement,
*débouté Mme [Z] de sa demande de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité et condamner la société au paiement de la somme de 8 000 euros de dommages et intérêts à ce titre,
-condamner la société au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
-débouter la société de ses demandes.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance en date du 21 janvier 2022.
Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION:
La Sa Téléperformance France a formé 2 appels à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes.
Les parties sollicitent la jonction des procédures.
Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient de prononcer la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 20/02044 et RG 20/02087.
Sur le harcèlement moral et le licenciement:
Selon l'article L 1152-1 du code du travail, 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.
Madame [Z] expose que courant 2016, après presque cinq années de fonction de conseiller clientèle, elle a sollicité, en vain, son passage sur un poste de manager pour lequel des recrutements avaient été ouverts et que par la suite, elle s'est trouvée confrontée à des agissements hostiles de la part de Mme [U] [A], responsable d'équipe ( également membre du CHSCT). Elle a été stigmatisée par cette dernière, de plus Mme [S], responsable des ressources humaines a eu un comportement dénigrant, ce qui a entraîné une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé.
Le 27 septembre 2017, elle a ainsi adressé un courrier au directeur du site de Blagnac et à la responsable des ressources humaines, pour faire part des conditions de l'entretien avec Mme [U] [A] le 26/09/2017, concernant l'usage de son téléphone portable suite à 3 appels de son conjoint, qui 'était de nature agressif et très directif qui peut être validé par certains téléconseillers présents à nos côtés'.
Elle indique dans cette lettre qu'elle a sollicité Mme [S], responsable des ressources humaines, qui l'avait recadré le 22/09/2017 'pour des histoires de pipi caca', laquelle lui avait demandé de prendre du recul par rapport à la situation de Mme [A] (enceinte) et au caractère enfantin de la situation du 21/09/2017 pour avoir exprimé ses conditions de travail impactées par la soufflerie de la climatisation.
Elle écrit: ' Il est clair que Mme [A] [U] n'a pas pris le recul nécessaire par rapport à cette histoire de climatisation et en a fait une vengeance personnelle pour me cadrer à la moindre occasion'. (..)
Je cite Mme [A] quand je lui ai demandé de justifier son attitude agressive et méchante: 'si tu veux qu'on parle, tu peux prendre rendez-vous et si je peux te recevoir' et ' tu es une rageuse depuis quelques temps donc remets toi en question' ' je n'ai plus rien à te dire, tu peux retourner à ta place'. (..) Je me suis faite traiter comme une moins que rien lors des deux debriefing inappropriés qui atteignent l'estime de soi et la motivation du salarié (..)'
Madame [Z] énonce que comme réponse, le 06 octobre 2017, elle a été convoquée par lettre signée de Mme [S] à un entretien préalable à une sanction disciplinaire.
Du fait de l'inertie de la direction qui n'a pas reçu Mme [A] et de la persistance du harcèlement moral, elle a été placée en arrêt de travail à compter du 13 octobre 2017 puis déclarée inapte le 07 novembre 2017.
Elle verse des attestations de:
- Monsieur [L] [C], salarié, déclarant avoir été témoin de plusieurs faits entre le 21 mai 2017 et le 13 octobre 2017, date à laquelle Mme [Z] n'a pas supporté 'l'acharnement continuel et visible ' des supérieurs hiérarchiques de Téléperformance Blagnac :
' A plusieurs reprises, j'ai vu revenir de debriefing Madame [Z] [N] anéantie et touchée moralement. Elle continuait malgré tout à faire son travail en souriant, en me confiant son mal être et ses ressentis par sms et de vive voix en pause.
Le 21/09/2017, Mme [Z] [N] s'est plainte d'avoir très froid et d'être gelée car la climatisation lui soufflait dessus. Madame [A] [U] ( responsable d'équipe) a mal pris qu'elle veuille baisser la soufflerie et s'est mise très en colère.
Le lendemain matin le 22/08/2017, en arrivant au bureau, j'ai vu un responsable d'équipe '[D]' se diriger vers Mme [Z] et l'informer discrètement que Mme [S], RRH l'attendait dans son bureau. Je l'ai vu revenir très mal, perdue et semblait souffrir de cette conversation'.
Il ajoute que le 26/09/2017, il a vu Mme [A] [U], responsable d'équipe surveillant Mme [Z], cherchant la moindre erreur ou faute de sa part, ce qu'elle n'avait pas fait en 8 ans.
Mme [Z] lui a téléphoné pour l'informer d'un recadrage inapproprié de Mme [U] et le 13/10, elle a reçu une convocation à entretien préalable à licenciement qui ' a fini de la détruire'.
- Mme [K], conseillère client et déléguée du personnel, indique notamment que certains superviseurs ont refusé de passer sur Apple pour ne pas travailler le dimanche, les conseillers étaient tracés sur leur temps de pause, la durée des appels, le téléphone portable:
' J'ai vu une [N] complètement métamorphosée en cela que de souriante elle est devenue taciturne (..) Ce traçage et ce placement tops n'ont pas aidé Madame [Z] qui ne savait plus quoi faire ni comment se comporter pour avoir la « paix » et faire ses journées de travail sans craquer ».
- Monsieur [F], téléconseiller, ayant eu l'occasion de collaborer avec Madame [Z] à plusieurs reprises sur la mission SFR depuis 2010, atteste de son engagement, son professionnalisme, sa bonne humeur. Il fait état du changement de direction avec l'arrivée de Madame [P] [E] et d'une nouvelle directrice des ressources humaines Mme [V] [S], de la perte du marché SFR et de la mise en place d'« une longue liste de recadrages et d'EPL pour le personnel. »
Ainsi il a fait l'objet d'un recadrage, ne conteste pas les faits reprochés mais la façon dont Mme [S] a mené l'entretien, à la limite de l'impolitesse: ' l'on en a marre de vos expressions de la campagne, c'est n'importe quoi, où va-t'on '' Et dont le mépris était perceptible.
Il déclare qu'il lui a été très difficile d'assurer sa fonction sur l'année 2016/2017 ' par peur et dégoût: le travail de sape de Mme [S] avait réussi, j'ai constaté chez Mme [Z] et d'autres collaborateurs la même consternation . Depuis mi-2018, la direction et les RH ont été remaniés et on constate un effort d'encadrement et de communication (..)'
- Madame [R], conseillère clientèle pour le client SFR, explique qu'à la suite de la perte du client SFR en 2016, il a été annoncé que tous les salariés de cette activité ne pourraient être reclassés sur la seule activité Apple, que le climat s'est détérioré, il y a eu un durcissement du management avec la présence accrue de la hiérarchie et une surveillance renforcée des télé-conseillers clientèles. Elle indique qu'à la suite du congé maternité de Mme [Z], ses horaires ont été aménagés et il lui a été proposé de candidater au poste de responsable d'équipe sur l'activité Apple mais cela est resté lettre morte, Apple ne voulant pas de conseiller en horaire aménagé.
Elle ajoute qu'en février 2018 elle a échangé avec Mme [Z], qu'elle a trouvée, fatiguée et démoralisée, celle-ci lui a expliqué sa détresse suite aux évènements des derniers jours vécus comme du harcèlement au travail, que la hiérarchie lui avait fait de nombreuses remontrances et débriefing concernant l'usage du téléphone portable sur les plateaux de production et le fait qu'ayant froid, elle avait baissé la climatisation alors que cela était interdit.
Les éléments pris en leur ensemble laissent présumer une situation de harcèlement moral. Il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La société Téléperformance conteste tout harcèlement, faisant valoir qu'elle a mis en place des actions en matière de prévention des risques psycho-sociaux en concertation avec les institutions représentatives du personnel.
L'appelante émet des réserves quant aux témoignages versés par la salariée aux motifs que M. [C] a été licencié pour inaptitude et nourrit une rancoeur contre la société et que Mme [R], dont elle demande l'irrecevabilité du témoignage du 03 avril 2019, l'a fait alors qu'elle exerçait depuis le 01 janvier 2019, les fonctions de conseillère prud'hommes à Toulouse.
La société n'établit pas de volonté de nuire de la part de M. [C] et l'attestation de Mme [R], rédigée en sa qualité de salariée, ne sera pas écartée du seul fait de son nouveau statut, la rédactrice évoquant le contexte de travail et un échange avec Mme [Z] dans des termes proches de ceux relatés par d'autres salariés et se rapportant à une période antérieure à l'exercice du mandat prud'homal.
- S'agissant de l'offre de mobilité, contrairement à ce qu'indique la société, Madame [Z] a communiqué des échanges de mails du 11 mai 2016 avec Madame [H], conseillère mobilité et carrière, qui lui répond avoir reçu sa candidature au poste de RE (responsable d'équipe) pour la nouvelle activité et qu'ils reviendront vers elle pour la recevoir en entretien, ce qui n'a pas été fait.
L'employeur réplique que le poste de chef d'équipe au service production ne pouvait en tout état de cause lui être accordé, car il exigeait une maitrise de l'anglais et que le candidat travaille dans une ' amplitude horaire de production de 8 heures de 20 heures du lundi au dimanche ', tel qu'il ressort de l'offre de mobilité, ce qui n'était pas compatible avec les horaires aménagés de la salariée nécessitant un déjeuner démarrant entre12 heures et 13heures 30 et un diner démarrant entre 18 heures 30 et 20 heures .
Cet élément objectif est corroboré par Mme [R] laquelle écrit que le nouveau client Apple ne souhaitait pas de conseiller en horaire aménagé.
- Les attestants font état d'un contexte global de travail difficile à la suite de la perte du marché SFR qui s'est traduit par une surveillance renforcée des conseillers clientèle.
Si comme le souligne la société, le mode d'organisation reposant sur des entretiens des conseillers clients avec leurs supérieurs hiérarchiques, rappelant notamment que l'usage du téléphone portable est interdit sur le lieu de travail, relève du pouvoir de direction, il ne doit pas abusif.
Mme [Z] n'a adressé d'alerte écrite que le 27 septembre 2017 mais celle-ci était circonstanciée, se rapportant à des recadrages effectués par les supérieurs hiérarchiques dans un temps très court, avec un comportement décrit comme agressif et dévalorisant par l'appelante.
L'employeur réplique qu'elle a pu faire l'objet de remarques de la part de la supérieure hiérarchique concernant la climatisation mais si un conflit a existé, cet épisode était unique et que s'agissant du téléphone portable, il n'est pas incohérent que Mme [A] ait rappelé le respect de la règlementation.
Même si l'on fait abstraction du témoignage de Mme [R], les autres attestants font part à la fois d'un changement de direction et de contexte de travail mais aussi d'un changement de comportement de Mme [Z], tel que décrit par Mme [K]: 'de souriante, elle est devenue taciturne, elle s'isolait car l'emplacement choisi pour elle la plaçait avec des gens qui n'étaient pas de son équipe et qu'elle ne connaissait pas'.
Le fait que Mme [A] suite à la demande Mme [Z] concernant la climatisation se soit mise 'très en colère' est confirmé par Monsieur [C], qui précise que dès le lendemain, sa collègue a fait l'objet d'un entretien avec Mme [S] 'dont elle est revenue très mal, perdue et elle semblait souffrir de cette conversation'.
Quelques jours après, la responsable de plateau Mme [I] l'a convoquée, 'elle en ressortira très mal' puis elle lui confirmait son mal-être par téléphone et sa démotivation.
Le 27 septembre, Mme [Z] l'informait d'un nouveau recadrage de Mme [A] qu'elle qualifiait d'inapproprié et injustifié.
Si Monsieur [C] n'a pas, à l'exception du premier fait, assisté aux entrevues de Mme [Z] avec les supérieurs hiérarchiques, force est de constater que les entretiens se sont multipliés dans un temps très court avec des personnes différentes, sans que la société n'en explique les raisons . Si les ressentis de Monsieur [C] sur l'état d'esprit de sa collègue à la sortie des entretiens relèvent du subjectif, ils résultent néanmoins d'une constatation quant à son état physique et des propos qu'elle lui a tenus ensuite.
La société explicite qu'elle n'a pas souhaité répondre à la correspondance
de Mme [Z] 'pour éviter d'envenimer la situation', ce qui dénote qu'elle a connaissance d'un conflit qui va au-delà d'un simple différent et dont elle reste spectatrice, sans interroger les supérieurs hiérarchiques sur le contexte de ces recadrages dont se plaint une salariée, qui en près de 5 ans n'a pas fait l'objet de sanction et dont les entretiens d'évaluation de 2013 et 2014 soulignent l'implication, le respect des procédures et la fiabilité dans son poste.
En outre elle a été convoquée quelques jours après, soit le 07 octobre 2017, à un entretien préalable à sanction fixé au 13 octobre 2017, dont le courrier est versé à la procédure, qui n'en mentionne pas le motif et l'employeur reste taisant sur ce point.
Elle a fait l'objet d'un arrêt de travail le 13 octobre 2017, établi par le médecin en tant qu'accident du travail mais qui n'a pas été reconnu comme tel par la CPAM suite à la contestation de l'employeur.
Le docteur [T], psychiatre, au mois d'octobre 2017, certifie suivre Mme [Z] pour un trouble anxio-dépressif que celle-ci met en lien avec des tensions majeures avec sa hiérarchie, des brimades reçues et elle estime être mal considérée des efforts fournis.
Si le médecin relate les dires de sa patiente, il apprécie l'impact des troubles par rapport au travail, précisant: 'la simple évocation d'un éventuel retour déclenche des attaques de panique' , ce qui induit une atteinte au vécu et à la personne plus forte qu'un simple différend professionnel et corrobore les termes des témoignages des salariés sur la dégradation de l'état de santé de l'appelante.
Le 07 novembre 2017, le médecin du travail a conclu que tout maintien dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé.
Lors de l'entretien préalable au licenciement, le compte- rendu établi par le salarié assistant Mme [Z], en présence de Mme [J] ( RRH ayant remplacé Mme [S], ayant quitté l'entreprise), mentionne que 'cela est très douloureux pour Mme [Z]. Les larmes qui coulent pendant l'entretien à l'évocation de la procédure attestent que cette douleur est toujours présente'.
Au vu des éléments sus-développés relatifs à un contexte de travail dans lequel le management est devenu plus pressant pour les conseillers par les supérieurs hiérarchiques, dont le comportement a été décrit comme inadapté non seulement par Mme [Z] mais aussi par M. [C] et M. [F] (précisément en ce qui le concerne), de l'absence de réponse de la direction alors que celle-ci revendique être inscrite dans des actions de prévention ( elle ne justifie pas que les supérieurs concernés aient suivi la formation sur le management), de la souffrance constatée de l'intéressée encore plusieurs mois après la déclaration d'inaptitude, il y a lieu de considérer que les agissements répétés de l'employeur ayant eu une incidence sur les conditions de travail et l'état de santé de Mme [Z], sont constitutifs de harcèlement moral.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé en ce qu'il a qualifié le licenciement nul et en ce qu'il a prononcé condamnation de l'employeur à payer les sommes afférentes au licenciement nul à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, la salariée bénéficiant d'un salaire mensuel brut
de 1487,20 euros.
S'agissant d'une salariée de plus de deux ans d'ancienneté et d'une entreprise de plus de onze salariés, il y a lieu de faire application de l'article L 1235-4 du code du travail dans les conditions fixées au dispositif.
Sur les demandes indemnitaires:
Mme [Z] réclame paiement de:
- 30000,00 euros de dommages et intérêts au titre du licenciement nul, expliquant qu'elle a été indemnisée pendant 2 ans par Pôle Emploi avant de trouver un emploi en contrat à durée déterminée en mai 2020 en qualité d'aide ménagère, qui s'est transformé en durée indéterminée à compter de septembre 2020,
- 10000,00 euros pour le préjudice moral subi du fait du harcèlement pour acharnement injustifié de la hiérarchie après plus de 6 ans de fonctions investies dans la société et ont entraîné une dégradation de son état de santé, sans possibilité de reclassement,
- 8000,00 euros de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, en application de l'article L 4121-1 du code du travail, et des dispositions sur les risques psycho-sociaux, aucune enquête interne n'ayant été mise en oeuvre après son alerte.
La société Téléperformance conclut au débouté, considérant que la salariée ne peut réclamer des dommages et itnérêts pour licenciement nul et harcèlement moral et qu'elle ne démontre aucun préjudice distinct quant à l'obligation de sécurité , Madame [Z] fondant les deux préjudices allégués sur le même fait générateur.
Elle objecte en outre que la salariée, bénéficiant d'une ancienneté de moins de 7 ans ne peut prétendre selon le barême d'indemnisation qu'à une indemnité comprise entre 3 et 8 mois de salaires.
Sur ce:
- Sur l'indemnité pour licenciement nul:
Aux termes de l'article L 1235-3-1 du code du travail dans sa rédaction à la date du litige, l'article L 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article, notamment en matière de harcèlement moral. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu de la situation de Mme [Z] ( salaire mensuel, ancienneté, retour à l'emploi), l'employeur sera condamné à verser une somme de 10409,00 euros d'indemnité pour licenciement nul ( soit 7 mois de salaire brut).
- Sur le préjudice pour harcèlement moral:
Au regard des circonstances des faits de harcèlement avérés sur un temps rapproché et ayant entraîné une dégradation rapide de l'état de santé de Mme [Z], il lui sera octroyé une somme de 3000,00 euros de dommages et intérêts.
- Sur le manquement à l'obligation de sécurité par l'employeur:
Aux termes des articles L 4121-1 et 4121-2 du code du travail, l'employeur doit mettre en oeuvre des mesures de prévention pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1.
La société a rappelé qu'elle avait mis en place des mesures de prévention en matière de harcèlement moral et sexuel dans le règlement intérieur de l'entreprise, dans le cadre d'un accord avec les organisations syndicales représentatives sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail, dans le cadre d'un document unique d'évaluation des risques soumis au CHSCT de l'établissement de Blagnac, de programmes annuels de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail actualisés en concertation avec le CHSCT.
La société précise faire appel à des professionnels extérieurs et que les membres de l'encadrement ont suivi une formation organisée par le SAMSI portant sur la 'sensibilisation à la santé psychologique et physique des salariés'.
L'employeur a mis en place des mesures de prévention mais il ne justifie pas de la réalité des formations effectuées par les supérieurs hiérarchiques en cause et il ne conteste pas ne pas avoir répondu à l'alerte de Mme [Z].
Si le déroulement des faits incriminés est commun au harcèlement moral et au manquement à l'obligation de sécurité, il sera considéré l'existence d'un préjudice distinct en ce que la société, en restant taisante à l'alerte, n'a pas mis fin au harcèlement.
Il sera donc octroyé à Mme [Z] une somme de 2000,00 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice spécifique subi du fait du manquement à l'obligation de sécurité.
III/ Sur les demandes annexes:
La Sa Téléperformance France, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.
Madame [Z] est en droit de réclamer l'indemnisation des frais non compris dans les dépens exposés à l'occasion de la procédure. La société sera condamnée à lui verser une somme de 2500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La Sa Téléperformance France sera déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS:
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Prononce la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 20/02044 et RG 20/02087,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a jugé le licenciement nul, a condamné la Sa Téléperformance France à verser l'indemnité de préavis, les congés payés afférents, un article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
L'infirme pour le surplus,
Statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la Sa Téléperformance France à payer à Madame [N] [Z] les sommes de:
10409,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,
3000,00 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral dû au harcèlement,
2000,00 euros de dommages et intérêts pour préjudice dû au manquement à l'obligation de sécurité,
Ordonne le remboursement par la Sa Téléperformance France aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement payées à Madame [Z] dans la limite de six mois.
Dit que conformément aux dispositions des articles L 1235-4 et R 1235-2 du code du travail, une copie du présent arrêt sera adressée par le greffe au Pôle Emploi du lieu où demeure la salariée.
Condamne la Sa Téléperformance France aux dépens d'appel et à verser à Madame [Z] une somme de 2500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la Sa Téléperformance France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par S.BLUMÉ, présidente et par C.DELVER, greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
C.DELVER S.BLUMÉ
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