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10/07/2020 | FRANCE | N°18/02963

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 4eme chambre section 2, 10 juillet 2020, 18/02963


10/07/2020



ARRÊT N°



N° RG 18/02963 - N° Portalis DBVI-V-B7C-MMS3

APB/SK



Décision déférée du 25 Mai 2018 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTAUBAN ( F 17/00264)

I. BOSCHIERO

















SARL CARIBOU TG





C/



[O] [K]


















































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INFIRMATION







Grosse délivrée



le



à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU DIX JUILLET DEUX MILLE VINGT

***



APPELANTE



SARL CARIBOU TG

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Jean CAMBRIEL de la SCP CAMBRIEL - DE MALAFOSSE - ST...

10/07/2020

ARRÊT N°

N° RG 18/02963 - N° Portalis DBVI-V-B7C-MMS3

APB/SK

Décision déférée du 25 Mai 2018 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTAUBAN ( F 17/00264)

I. BOSCHIERO

SARL CARIBOU TG

C/

[O] [K]

INFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU DIX JUILLET DEUX MILLE VINGT

***

APPELANTE

SARL CARIBOU TG

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean CAMBRIEL de la SCP CAMBRIEL - DE MALAFOSSE - STREMOOUHOFF - GERBAUD COUTURE-ZOU ANIA, avocat au barreau du TARN-ET-GARONNE

INTIMÉE

Madame [O] [K]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Delphine HEINRICH-BERTRAND, avocat au barreau du TARN-ET-GARONNE

COMPOSITION DE LA COUR

Affaire retenue sans audience en application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 et modifié par l'article 6 de l'ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale en raison de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 pour faire face à l'épidémie de Covid-19 modifiée par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire.

Caroline PARANT, présidente

Alexandra PIERRE-BLANCHARD, conseillère

Florence CROISILLE-CABROL, conseillère

Greffier : Eve LAUNAY

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

- signé par Caroline PARANT, présidente, et par Eve LAUNAY, greffière de chambre

EXPOSE DU LITIGE :

Mme [O] [K] a été embauchée par la SARL Caribou TG à compter du 02 avril 2013 en qualité de Responsable Recherche & Développement pour une durée de 39 heures par semaine, moyennant une rémunération mensuelle brute de 3728,98 €.

Par lettre remise en main propre le 12 novembre 2015, la société Caribou TG a notifié à Mme [K] sa convocation à un entretien préalable prévue le 20 novembre 2015, ainsi que sa mise à pied à titre conservatoire.

Elle a été licenciée pour faute grave par courrier recommandé du 25 novembre 2015.

Par acte du 16 mars 2016, Mme [K] saisi le conseil de prud'hommes de Montauban de la contestation de son licenciement.

Par jugement du 6 juin 2018, le Conseil de prud'hommes de Montauban a dit et jugé que le licenciement pour faute grave de Mme [K] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse et a condamné la SARL CARIBOU TG au paiement des sommes suivantes:

- 24000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1840,67 € bruts au titre du rappel de salaires correspondant à la mise à pied conservatoire,

- 184,07 € bruts au titre des congés payés y afférents,

- 11571,51 € bruts au titre de l'indemnité de préavis,

- 1157,15 € bruts au titre des congés payés afférents au préavis,

- 2244,87 € au titre de l'indemnité de licenciement,

- 500 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné la remise des documents légaux conformes au jugement,

- débouté les parties des autres demandes,

- condamné la SARL CARIBOU TG aux dépens de l'instance.

La SARL CARIBOU TG a relevé appel de cette décision dans des conditions de régularité non discutées.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 28 mars 2019, auxquelles il est fait expressément référence, la société Caribou TG demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de :

- dire et juger que le licenciement pour faute grave de la salariée est justifié,

- débouter Mme [K] de l'ensemble de ses demandes, ainsi que de son appel incident,

- condamner Mme [K] à lui payer la somme de 2500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- en tout état de cause, débouter Mme [K] de son appel incident et de ses demandes plus amples ou contraires.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 9 janvier 2020, auxquelles il est fait expressément référence, Mme [K] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions excepté sur le montant des dommages alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qu'elle sollicite à hauteur de 48'000 € et sur le rejet de sa demande au paiement des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes qu'elle maintient devant la cour. Mme [K] sollicite également la condamnation de la société Caribou TG à lui payer la somme de 2500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'affaire initialement fixée à l'audience du 10 février 2020 renvoyée au 25 mai 2020 a été retenue avec l'accord des parties selon la procédure sans audience en application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 et modifié par l'article 6 de l'ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale en raison de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 pour faire face à l'épidémie de Covid-19 modifiée par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire.

MOTIFS :

Sur le licenciement pour faute grave :

Il appartient à la société qui a procédé au licenciement pour faute grave de Mme [K] de rapporter la preuve de la faute grave qu'elle a invoquée à l'encontre de son salarié, étant rappelé que la faute grave se définit comme un manquement ou un ensemble de manquements qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; la cour examinera les motifs du licenciement énoncés dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige.

En l'espèce, la lettre de licenciement vise deux griefs différents :

- la révélation à des tiers d'informations couvertes par le secret de fabrication, et la violation de l'obligation de discrétion de la salariée,

- la dissimulation d'informations sur ses autres activités.

Il est rappelé que la salariée exerçait les fonctions de 'responsable recherche et de développement' au sein de la société Caribou TG, dont l'activité est d'assurer et maîtriser le développement de nouveaux produits et procédés destinés à l'alimentation animale. En particulier, cette société a innové avec un certain nombre de procédés relatifs à la fermentation avec du kéfir de certains produits et plantes médicinales et a inventé le concept de « kéfiplantes ».

Il est constant entre les parties que Mme [K] était soumise à une obligation de discrétion libellée comme suit dans son contrat de travail :

« Article 12 - Obligation de discrétion :

Madame [O] [K] s'engage à conserver, de la façon la plus stricte, la discrétion la plus absolue sur l'ensemble des renseignements qu'elle pourra recueillir à l'occasion de ses fonctions ou du fait de sa présence. Elle ne pourra, sans l'accord écrit de l'employeur, divulguer aucune information confidentielle sous quelque forme que ce soit, portant sur les travaux (notamment recettes et procédés de fabrication) ou des informations, couverts par l'obligation de confidentialité. Elle sera liée par la même obligation vis-à-vis de tout renseignement ou document dont elle aura pris connaissance chez les clients et fournisseurs de l'entreprise.

Cette obligation de discrétion demeurera même après la cessation de ses fonctions quelle qu'en soit la cause ».

Dans ce contexte, la société indique avoir découvert dans le bureau de la salariée un document dont elle ignorait l'existence à savoir un rapport de soutenance datant de fin 2014 rédigé par deux étudiants inscrits en Master 2 professionnel à l'université de [Localité 6] [5] comportant le logo de la société et renfermant des informations stratégiques concernant ces 'kéfiplantes'.

Sur le premier grief :

La société Caribou TG reproche à sa salariée dans la lettre de licenciement d'avoir divulgué à des tiers des secrets de fabrication et d'avoir manqué à l'obligation de discrétion stipulée à l'article 12 son contrat de travail, en permettant à des étudiants de travailler sur des produits de la société et à soutenir un mémoire sur ce sujet.

Elle précise qu'en sa qualité de responsable recherche et développement la salariée ne pouvait ignorer l'existence du contrat de licence, de procédé et d'assistance technique liant son employeur à la société Laboratoire Symbiotec.

Ce contrat concède une licence d'exploitation sur les procédés produits et mis au point par ce laboratoire et notamment les « Kéfiplantes », produits pour la nutrition humaine et animale ainsi que les traitements phytosanitaires.

Or, le rapport de soutenance découvert dans le bureau de Mme [K] dont la direction ignorait l'existence et le contenu renferme en page 15 un tableau listant le contenu des kéfirs.

La société Caribou TG rappelle qu' en termes de stratégie de protection intellectuelle, elle-même et Symbiotec ont fait le choix volontairement de ne pas intégrer au brevet la partie relevant des souches, afin de ne pas faciliter l'accès à l'ensemble du process, et de maintenir ces savoir-faire dans le champ du secret de fabrication interne à l'entreprise (procédés de fabrication), et que le fait que ces informations aient pu être transmises à des étudiants, ainsi qu'à des membres du corps enseignant et à des salariés de laboratoires publics par Mme [K], est un manquement grave à ses obligations contractuelles.

Elle ajoute qu'outre les étudiants, il apparaît que Mme [K] a échangé plusieurs courriels autour de ce rapport et de son contenu avec différents interlocuteurs appartenant à des laboratoires publics de recherche rattachés à l'Université [5] (le CRITT-BIO, INSA-LISBP, CNRS-BIOTOUL, INP-CNRS-Laboratoire de Génie chimique LGC BIOSYM), laboratoires qui sont des partenaires autant que des concurrents. Des formules chimiques confidentielles ont été communiquées aux deux étudiants.

De plus le rapport a été soutenu publiquement sans que la société en ait été informée de sorte qu'elle n'a pu contrôler l'identité des personnes présentes qui pouvaient appartenir des laboratoires concurrents ou être des étudiants qui seront recrutés prochainement par ces concurrents.

Le fait que la salariée ait proposé aux étudiants présents un accord de confidentialité montre bien qu'elle avait connaissance de la sensibilité des informations divulguées.

De plus plusieurs étudiants n'ont pas signé l'accord de confidentialité et n'ont pas pu être retrouvés.

Une réunion s'est tenue le lendemain de la soutenance soit le 19 décembre 2014 sans que la direction de la société en ait été informée, en présence des deux étudiants concernés par le mémoire ainsi que plusieurs personnes de laboratoires différents.

De plus le rapport final des étudiants a été adressé le 11 juin 2015 à Mme [G] qui n'a signé aucun accord de confidentialité pour ce document alors qu'il contient des informations confidentielles.

La couverture du rapport comporte le logo de la société et en page 3 une présentation des activités de l'entreprise. Il est également mentionné en entête du tableau page 15 révélant le secret de fabrication, que les informations ont été « identifiées par la société Caribou TG », preuve que ces informations ont été transmises par quelqu'un de l'entreprise.

Mme [K] expose pour sa part qu'elle a été évincée pour des motifs fallacieux, que le poste de cadre auquel elle a candidaté était initialement prévu en contrat à durée déterminée sur deux ans.

Elle indique que la société ne disposait que d'une liste de souches théoriques transmises par le laboratoire Symbiotech et que l'objectif était d'obtenir de manière fiable le produit de base des Kéfiplantes pour s'affranchir des services du laboratoire. Pour connaître avec précision les micro-organismes contenus dans les souches et les reproduire de manière aussi invariable que possible, Mme [K] a proposé en accord avec M. [I] de lancer un programme de recherche.

C'est ainsi qu'elle a échangé avec la responsable du Master 2 professionnel 'diagnostic microbiologique' sur les modalités de l'aide que pouvaient apporter des étudiants de Master, ceci pour un faible coût pour l'entreprise.

Le rapport litigieux permettait de procéder à un travail bibliographique pour déterminer quels moyens d'exploration étaient permis et ainsi pouvoir lancer le projet d'identification des souches utilisées. C'était l'objet de la réunion du 19 décembre 2014.

Mme [K] conteste avoir révélé à des tiers des informations couvertes par le secret de fabrication car la fiche de sécurité communiquée par le fournisseur ne contient pas d'informations confidentielles. De plus la mention 'confidentielle' a été rajoutée à la main sur ce document et n'émane pas de la main du responsable du laboratoire.

Selon elle, il est faux de d'affirmer que par leur travail les étudiants auraient été en mesure d'identifier précisément les souches présentes dans la mère de kéfir.

Elle ajoute que si la fiche de sécurité mentionnait exactement la composition de la mère de kéfir, le projet d'identification confié aux étudiants n'aurait pas lieu d'être et la société aurait été en mesure de s'affranchir des services du laboratoire. Elle n'a donc pas trahi un procédé de fabrication ni violé son obligation de discrétion en transmettant la base de travail aux étudiants.

Elle oeuvrait au contraire pour la sécurité du processus de fabrication des produits commercialisés par la société et dans le seul intérêt de celle-ci.

Sur ce,

La société produit aux débats le contrat de licence qu'elle a signé avec le laboratoire Symbiotec dont il résulte qu'elle s'engage à conserver la confidentialité notamment des produits 'kéfiplantes'.

Mme [K] ne conteste pas avoir eu connaissance de ce contrat de licence, central dans les fonctions occupées.

La société produit par ailleurs la 'fiche de données de sécurité' émise par ce laboratoire sur le produit de 'grains de kéfir' fourni par le laboratoire ; cette fiche mentionne la liste des composants et en particulier le type de bactéries acétiques et de levures.

Toutefois ce document ne comporte ni le dosage des composants ni les souches précises de bactéries utilisées, ni le procédé de production ou de mise en culture permettant de reproduire le produit.

De plus, comme le démontrent les pièces produites par la salariée, cette fiche de données de sécurité est un document obligatoire répondant à une norme européenne destinée à fournir des informations importantes sur les risques présentés par les produits chimiques vis-à-vis des salariés, de l'environnement, et des consommateurs. Ce document ne peut faire l'objet d'une demande de confidentialité comme l'ont pertinemment relevé les premiers juges.

Il ne peut donc être soutenu par la société que la salariée aurait transmis aux étudiants une formule confidentielle en leur remettant cette fiche.

Mme [K] verse d'ailleurs aux débats les échanges de mails entre elle et le laboratoire montrant que ce dernier a transmis la fiche de sécurité sans aucune recommandation de confidentialité.

Seul l'exemplaire de la fiche de sécurité produit par l'employeur comporte une mention manuscrite rajoutée à la main ' confidentielle' ce qui ne saurait faire preuve de l'existence de cette confidentialité dont la mention est absente sur les documents produits par la salariée.

Les nombreuses pièces techniques produites tant par la société que par la salariée relativement aux produits 'Kéfiplantes' démontrent que la détention de la seule fiche de sécurité rendait impossible toute reproduction du processus confidentiel de production interne à l'entreprise, et que la littérature présente sur Internet fournit davantage de renseignements sur ces produits.

Le tableau figurant à la page 15 du rapport des étudiants ne fait que reprendre les données de la fiche de sécurité.

Au demeurant il ressort du rapport de stage produit aux débats que le projet confié aux étudiants était justement de : « trouver une technique permettant d'identifier l'ensemble du microbiote composant les mères de kéfir et le produit fini, trouver une technique permettant d'identifier et de quantifier ces principaux micro-organismes ».

Ainsi, en amont de la rédaction de ce rapport, la cour ne relève aucun manquement de la salariée à ses obligations de discrétion et de confidentialité.

En revanche, la salariée est dans l'incapacité de démontrer qu'elle avait obtenu l'accord de l'employeur pour faire travailler des étudiants sur les produits de la société, ni surtout l'accord de celui-ci pour que le résultat des travaux des étudiants soit largement diffusé à d'autres scientifiques dont certains travaillent pour des laboratoires concurrents.

Mme [K] affirme que l'entreprise souhaitait s'affranchir du laboratoire Symbiotec en identifiant de manière fiable les micro-organismes contenus dans le kéfir utilisé pour la fabrication des 'kéfiplantes' et qu'il s'agissait en premier lieu de faire faire un travail de bibliographie à coût zéro avec les étudiants du Master M2P ; pour autant force est de constater qu'elle ne produit aucune pièce permettant d'illustrer cette volonté de l'employeur, notamment en la personne de M. [I] dont Mme [K] affirme qu'il avait connaissance du projet. Celui-ci était d'ailleurs absent de la réunion du 19 décembre 2014 avec les universitaires.

Par ailleurs, les éléments produits aux débats montrent que la salariée a nourri de nombreux échanges par mail au sujet du rapport établi par les étudiants et de son contenu avec plusieurs scientifiques intervenant à l'université de [Localité 6] et travaillant pour différents laboratoires, que les travaux des étudiants ont fait l'objet d'une soutenance auquel a assisté un public important, qu'un engagement de confidentialité a été proposé par la salariée à la signature de certains étudiants ce qui démontre qu'elle avait conscience de la sensibilité des informations livrées au public.

De plus, deux étudiants présents à la soutenance n'ont pas signé l'accord de confidentialité, et le rapport final a été transmis par la salariée par mail à Mme [G] (laboratoire LIPSBP-INSA) le 11 juin 2015 alors que cette personne n'a signé aucun accord de confidentialité.

La société Caribou TG soutient à juste titre qu'une telle situation l'a mise en porte-à-faux avec son fournisseur Symbiotec ; l'employeur était donc légitime à reprocher à sa salariée, dans la lettre de licenciement, d'avoir divulgué le rapport des étudiants à des tiers alors que ce document fait état de différentes techniques chimiques permettant d'identifier plus précisément les micros organismes composant les 'kéfiplantes' et qu'il s'agissait d'une première étape pour permettre la fabrication de ce produit en s'affranchissant des services du laboratoire Symbiotec.

Sur le deuxième grief :

La société Caribou TG reproche à la salariée d'avoir exercé une activité dissimulée et de ne pas avoir respecté son obligation d'exclusivité figurant l'article 11 de son contrat de travail libellé comme suit :

« Article 11 ' Exclusivité de services :

Pouvant être amenée à réaliser des heures supplémentaires, pendant toute la durée du présent contrat, Madame [O] [K] devra réserver à l'entreprise l'exclusivité de ses services et ne pourra avoir aucune autre occupation professionnelle même non concurrente sauf accord exprès de l'employeur.

En cas de cumul d'emploi, l'activité exercée ne doit en aucun cas être de nature à porter préjudice aux intérêts légitimes de l'entreprise, Madame [O] [K] s'engage alors à ne pas dépasser les durées maximales légales journalières et hebdomadaires applicables en cas de cumul d'emploi. Elle s'engage en outre à respecter les règles sur le repos quotidien ».

La société Caribou TG indique que le rapport de soutenance n'est que l'aboutissement de relations entretenues durant de nombreux mois par Mme [K] avec l'INSA et des laboratoires publics extérieurs à l'entreprise sans qu'à aucun moment son dirigeant M. [I] n'ait été avisé de cette activité ; que la salariée a pris une totale liberté pour piloter des études de son propre chef et a, sur son temps de travail payé par la société, agi pour son propre bénéfice et le bénéfice de son « réseau professionnel personnel», et ni dans l'intérêt de l'entreprise, ni à la demande de son employeur.

Mme [K] conteste pour sa part toute dissimulation d'activité, et soutient que la lettre de licenciement ne lui reproche qu'un prétendu défaut d'information à l'égard du gérant sur son activité concernant l'étude engagée pour la caractérisation microbienne du kéfir.

Elle indique n'a jamais reçu d'instruction sur un quelconque reporting dû à son supérieur hiérarchique, et rappelle que les échanges avec son supérieur hiérarchique se faisaient oralement et que celui-ci était tenu au courant de ce projet comme des autres. À ce titre elle indique que son mail du 8 juillet 2014 fait ressortir le fait qu'elle en avait référé à M. [I] avant d'apporter une réponse à Mme [V] sur le travail des étudiants.

Elle produit une attestation d'une ancienne salariée témoignant du travail à l'ancienne dans cette entreprise familiale et de l'autonomie des salariés.

Mme [K] fait observer que le rapport des étudiants se trouvait sur son bureau, visible de tous et que ceci est incompatible avec une quelconque dissimulation.

De même, parmi les notes de frais de déplacement soumises à l'épouse du gérant figuraient celles des déplacements de novembre et décembre 2014 où est mentionné très précisément le motif de la réunion du 19 décembre 2014 en ces termes « réunion étude de la flore du Kéfir ' Insa-[Localité 6] ».

Par ailleurs le gérant a signé une lettre d'intention constituant la première étape de la recherche de financement pour la seconde partie du projet litigieux : ce projet CLE avait pour objectif de se servir du projet des étudiants pour poursuivre la détermination précise des micro-organismes des souches de Kéfir.

Sur ce,

Ainsi que le fait valoir la société Caribou TG, il n'est nullement établi que le licenciement de Mme [K] aurait eu pour but de permettre l'embauche de Mme [M] [I], dans la mesure où celle-ci n'a pas de formation scientifique et est salariée de la holding, et alors que la société précise sans être contredite sur ce point qu'elle avait de nombreux projets en cours nécessitant la présence de Mme [K] ; les faits ayant motivé le licenciement étant par ailleurs largement antérieurs à l'arrivée de Mme [I].

Il a été indiqué précédemment que la salariée ne produisait aux débats aucune pièce permettant d'illustrer la connaissance par l'employeur de son activité menée en parallèle avec l'université de [Localité 6] et les différents scientifiques constituant ses interlocuteurs.

Ainsi qu'il ressort de ses différents mails et notamment ceux des 17 et 21 juillet 2014, Mme [K] agissait en toute liberté pour confier à des étudiants des travaux de recherche sur les produits de l'entreprise.

Par ailleurs les pièces produites démontrent que le projet s'est déroulé sur plus de six mois, de juillet à décembre 2014, et à aucun moment le dirigeant de la société n'a été mis en copie des échanges de mails, alors même que les parties échangeaient sur de nombreux autres projets tel que le programme Épicure.

Mme [K] a décidé unilatéralement que la société ne serait pas présentée lors de la soutenance du rapport des étudiants étant précisé que cette soutenance se tenait le même jour et au même moment qu'une autre réunion à laquelle participait la direction de la société Caribou TG (projet Épicure).

La cour relève que le rapport des étudiants comporte en couverture le logo de la société.

La salariée a attribué une note à ce travail en mai 2015 et évoqué avec l'une des directrices du projet la possibilité de rémunérer le laboratoire de l'université pour le travail accompli par les étudiants ; or le descriptif de ses fonctions figurant à son contrat de travail ne permet pas de considérer qu'elle pouvait agir de la sorte sans en référer à son employeur, durant son temps de travail, et pour le compte de tiers, alors même au contraire que le contrat de travail mentionne qu'elle 'travaillera sous la responsabilité du dirigeant ou de toute autre personne déléguée à qui elle devra régulièrement rendre compte'.

Le mail du 8 juillet 2014 évoqué par la salariée, qu'elle a adressé à l'une de ces interlocutrices de la faculté, mentionne ' qu'elle discuté de ce projet d'étudiants avec [F]' ; il s'agit de l'affirmation unilatérale de la salariée ne pouvant faire preuve de l'information transmise à M. [I], et encore moins de son accord sur ce projet.

Et ni l'attestation d'une ancienne salariée selon laquelle le travail s'effectuait « à l'ancienne » dans cette société où toute information était transmise oralement, ni la prétendue présence du rapport des étudiants sur le bureau de la salariée, ni encore le remboursement d'une note de frais de déplacement pour se rendre à l'université de [Localité 6] ne sauraient davantage faire preuve de l'existence d'un accord de l'employeur pour que la salariée mène un tel projet de recherche sur de nombreux mois avec l'université de [Localité 6].

Quant au projet 'CLE' ayant fait l'objet d'une lettre d'intention par M. [I], la cour relève que celle-ci est en date du 5 octobre 2015 soit plus d'un an après les faits litigieux, et ne mentionne nullement la diffusion de données confidentielles de l'entreprise à des tiers, ni le fait que le projet aurait pour base les travaux des étudiants.

La cour estime donc que c'est à juste titre que l'employeur a reproché à la salariée dans sa lettre de licenciement d'avoir dissimulé son activité menée en parallèle sur ce projet avec des scientifiques extérieurs à l'entreprise.

Dans ces conditions, le jugement déféré sera infirmé ce qu'il a considéré le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

Le travail mené par la salariée à l'insu de son employeur sur de très nombreux mois avec des partenaires scientifiques extérieurs à l'entreprise, dont certains travaillent pour la concurrence, et la diffusion à un large public de travaux de recherche menés au sujet de produits exploités et commercialisés par la société, diffusion de nature à porter préjudice aux intérêts de la société, sont des manquements justifiant le licenciement intervenu pour faute grave.

Dans ces conditions, le jugement sera infirmé en ce qu'il a alloué des indemnités de rupture et les dommages intérêts à la salariée, et cette dernière sera déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Mme [K], succombant, sera condamnée aux dépens de première instance par infirmation du jugement déféré ainsi qu'aux dépens d'appel.

Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

Dit et juge que le licenciement de Mme [K] repose sur une faute grave,

en conséquence,

Déboute Mme [K] de l'ensemble de ses demandes,

Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [K] aux entiers dépens.

Le présent arrêt a été signé par Caroline PARANT, présidente, et par Eve LAUNAY, greffière.

La greffièreLa présidente

Eve LAUNAYCaroline PARANT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 4eme chambre section 2
Numéro d'arrêt : 18/02963
Date de la décision : 10/07/2020

Références :

Cour d'appel de Toulouse 42, arrêt n°18/02963 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-07-10;18.02963 ?
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