La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/05/2019 | FRANCE | N°16/02281

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 4ème chambre section 3, 10 mai 2019, 16/02281


10/05/2019



ARRÊT N°140/19



N° RG 16/02281

N° Portalis DBVI-V-B7A-K6O4

CD/ND





Décision déférée du 16 Mars 2016 - Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de HAUTE GARONNE (21500632)

Mme [D]























SAS SOLETBAT





C/



[Y] [C]

SAS RANDSTAD

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA [Localité 5]































































REFORMATION







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4ème chambre sociale - section 3

***

ARRÊT DU DIX MAI DEUX MILLE DIX NEUF

***

APPELANTE



SAS SOLETBAT

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Xav...

10/05/2019

ARRÊT N°140/19

N° RG 16/02281

N° Portalis DBVI-V-B7A-K6O4

CD/ND

Décision déférée du 16 Mars 2016 - Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de HAUTE GARONNE (21500632)

Mme [D]

SAS SOLETBAT

C/

[Y] [C]

SAS RANDSTAD

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA [Localité 5]

REFORMATION

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4ème chambre sociale - section 3

***

ARRÊT DU DIX MAI DEUX MILLE DIX NEUF

***

APPELANTE

SAS SOLETBAT

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Xavier CARCY, avocat au barreau de TOULOUSE substitué par Me Muriel ORLIAC-MASSONIE, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉS

Monsieur [Y] [C]

Maison 2

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représenté par Mme [H] [P] en vertu d'un pouvoir spécial

SAS RANDSTAD

[Adresse 4]

[Adresse 4]

représentée par Me Michel LEDOUX de la SCP MICHEL LEDOUX & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Marc-Antoine GODEFROY, avocat au barreau de PARIS

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE

DE LA [Localité 5]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Mme [V] [I] en vertu d'un pouvoir spécial

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945.1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Mars 2019, en audience publique, devant Mme C. DECHAUX conseillère, et Mme N. BERGOUNIOU magistrat honoraire juridictionnel, chargées d'instruire l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

C. DECHAUX, conseillère faisant fonction de président

A. BEAUCLAIR, conseiller

N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire juridictionnel

Greffier, lors des débats : N.DIABY

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile

- signé par C. DECHAUX, conseillère faisant fonction de président, et par N.DIABY, greffier de chambre.

EXPOSÉ DU LITIGE:

M. [Y] [C], maçon finisseur intérimaire, employé par la société Randstad, entreprise de travail temporaire, a été victime alors qu'il était mis à disposition de l'entreprise utilisatrice Soletbat, le 12 juin 2007, d'un accident du travail, déclaré le 14 suivant et pris en charge au titre de la législation professionnelle.

La caisse l'a déclaré consolidé à la date du 21 octobre 2008 en retenant un taux d'incapacité permanente partielle de 20 %. Ce taux a été ramené par jugement du tribunal du contentieux de l'incapacité de Toulouse en date du 12 novembre 2013 à 10 %, dans le cadre d'une instance opposant l'employeur à la caisse.

Après échec de la procédure de conciliation, M. [C] a saisi le 1er décembre 2009, le tribunal des affaires de sécurité sociale pour reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement en date du 21 avril 2011, le tribunal correctionnel de Toulouse, a déclaré M. [N], titulaire d'une délégation de responsabilité de la société Soletbat, coupable du délit d'omission de respecter les mesures relatives à l'hygiène et à la sécurité ou les conditions de travail, en ne mettant pas en place les mesures de prévention des risques et en ne dressant pas de plan particulier de sécurité et de protection de la santé.

Par jugement en date du 30 janvier 2014, rectifié le 20 février 2014, ayant acquis entre les parties autorité absolue de chose jugée, et assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Toulouse a déclaré les sociétés SCIB, Malet et Soltechnic responsables in solidum du préjudice subi par M. [C] consécutivement à l'accident du 12 juin 2007 et condamné in solidum les sociétés SCIB, Malet et Soltechnic à payer à:

* M. [C] la somme totale de 112 160 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice corporel,

* la Caisse primaire d'assurance maladie de la [Localité 5] la somme de 41 304.43 euros en capital à titre de réparation de son préjudice,

- dit que la charge définitive de cette réparation incombe à la société SCIB à hauteur de 20 %, de la société Malet à hauteur de 20 %, et à l'entreprise Soltechnic à hauteur de 60 %.

Après deux décisions ordonnant le retrait du rôle, en date des 6 avril 2011 et 9 octobre 2013, par jugement du 16 mars 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Haute-Garonne a:

* jugé que l'accident, dont M. [C] a été victime le 12 juin 2017, est dû à la faute inexcusable de la société Soletbat substituée à la société Randstad,

* fixé à son maximum la majoration de la rente allouée à M. [C] soit à 10 %,

* débouté les parties du surplus de leurs demandes,

* déclaré le jugement commun à la Caisse primaire d'assurance maladie laquelle assurera le paiement des sommes dues à la victime et en récupérera le montant auprès de l'employeur,

* condamné la société Randstad à payer à M. [C] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société Soletbat à garantir la société Randstad de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre, y compris sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Ce jugement est assorti de l'exécution provisoire.

La société Soletbat a interjeté régulièrement appel dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées.

Par conclusions visées au greffe le 22 décembre 2017, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la société Soletbat conclut à l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de:

* débouter M. [C] de son action en reconnaissance de la faute inexcusable et de l'ensemble de ses demandes,

* la mettre hors de cause.

A titre subsidiaire, si la reconnaissance d'une faute inexcusable était retenue, elle conclut au débouté du salarié de sa demande de majoration de la rente accident du travail à son taux maximum et demande à la cour en tout état de cause de:

* limiter le recours de la Caisse primaire d'assurance maladie contre la société Randstad et par voie de conséquence le recours de la société Randstad à son encontre, au titre du capital représentatif de la rente accident du travail et au titre du capital représentatif de la majoration de la rente accident du travail à une rente calculée sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle de 10 %,

* rejeter toute demande visant à sa condamnation au paiement d'une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* juger n'y avoir lieu à statuer sur les dépens.

Par conclusions visées au greffe le 3 avril 2018, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, M. [C] conclut à la confirmation du jugement entrepris et sollicite la condamnation de la société Randstad à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées au greffe le 6 avril 2018, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la société Randstad indique s'en remettre sur le principe de la faute inexcusable.

Si celle-ci était retenue, elle conclut à la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a fixé la majoration de la rente à 10 % et demande à la cour de débouter M. [C] de sa demande de majoration de la rente.

Subsidiairement, elle demande à la cour de juger que le capital représentatif de la majoration de rente qui pourrait être mis à sa charge ne pourra être calculé que sur la base du taux d'incapacité permanente partielle de 10 % qui lui est opposable.

Elle demande en outre à la cour de juger que la faute inexcusable a été commise par l'entreprise utilisatrice, substituée dans la direction, et de condamner la société Soletbat à la garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre, tant en principal, intérêts et frais que sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions visées au greffe le 7 mars 2019, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la Caisse primaire d'assurance maladie de la [Localité 5] indique s'en remettre sur la reconnaissance de la faute inexcusable et demande à la cour, dans l'hypothèse où celle-ci serait retenue, de:

* juger que l'arrêt à intervenir lui sera déclaré commun et qu'elle sera chargée de procéder auprès de la victime au paiement de la majoration de la rente,

* fixer dans les rapports caisse/assuré à son maximum la majoration de la rente, soit à 10 %, sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle de 20 %,

* constater que M. [C] a été intégralement indemnisé de l'intégralité de ses préjudices personnels,

* accueillir son action récursoire et dire qu'elle récupérera directement et immédiatement auprès de l'employeur la société Randstad, le capital représentatif de la majoration de la rente, sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle de 10 %, opposable dans les rapports caisse/employeur,

* rejeter toute demande visant à voir condamner la caisse sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* statuer ce que de droit sur les dépens.

MOTIFS :

* Sur la faute inexcusable:

Dans le cadre de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L.230-2 et suivants du code du travail applicables au présent litige (devenues L 4121-1 et suivants) lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, y compris des travailleurs temporaires.

L'employeur a, en particulier, l'obligation de veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. Il doit éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent pas l'être, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants.

Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

En matière d'accident du travail imputable à la faute inexcusable de l'employeur, il résulte de l'article L.412-6 du code de la sécurité sociale que l'entreprise utilisatrice est regardée comme substituée dans la direction, au sens de l'article L.452-1, à l'entreprise de travail temporaire et l'article L.124-4-6 ancien du code du travail (applicable au présent litige) dispose que pendant la durée de la mission, l'utilisateur est responsable des conditions d'exécution du travail telles qu'elles sont déterminées par celles des mesures législatives, réglementaires et conventionnelles qui sont applicables au lieu du travail.

Par application des dispositions de l'article L.231-8 ancien du code du travail, applicables au présent litige, la faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, est présumée établie pour les salariés sous contrat à durée déterminée et les salariés mis à la disposition d'une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail temporaire, victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, ils n'auraient pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue par l'article L.231-3-1 du même code.

M. [C] se prévaut de la présomption de la faute inexcusable résultant des dispositions de l'article L.4154-3 du code du travail motifs pris de son affectation à un poste de travail présentant des risques particuliers pour la santé et la sécurité du salarié temporaire, pour avoir été affecté à des travaux de terrassement par la société Soletbat, dans une tranchée à proximité d'un pigeonnier ancien et du passage d'un engin vibreur ainsi que de camions de terrassement, alors que les travaux entrepris ont fragilisé les fondations du pigeonnier entraînant son effondrement, sans qu'une formation renforcée à la sécurité lui ait été dispensée. Il estime que la faute inexcusable de la société Soletbat spécialisée dans la rénovation immobilière résulte du fait qu'elle a entrepris des travaux en urgence, sans veiller à la sécurité des trois salariés accidentés, par des moyens appropriés, tels que consolidation du pigeonnier, arrêt des travaux des engins du voisinage.

La société Soletbat soutient que la présomption de faute inexcusable n'est pas applicable, M. [C] ne rapportant pas la preuve qu'il était affecté à un poste présentant des risques particuliers, le contrat de mission précisant que le poste n'était pas à risque et que par ailleurs les poursuites pénales n'ayant porté que sur l'absence de plan particulier de sécurité et de protection de la santé et non point sur le délit de blessures involontaires, le lien entre la faute pénale et l'accident n'est pas établi. Elle souligne que la mission de coordonner l'intervention simultanée de plusieurs entreprises travaillant sur le chantier ne lui incombait pas, mais à la société SPS, et que l'accident a présenté un caractère imprévisible excluant la conscience d'une exposition des salariés à un risque.

En l'espèce, le contrat de mission en date du 9 juin 2007 mentionne que M. [C], salarié intérimaire de la société Randstad, est mis à disposition de la société Soletbat, en raison d'un surcroît temporaire d'activité, pour des travaux supplémentaires suite à des modifications de plans, pour effectuer des travaux divers de maçonnerie et de peinture. Les risques professionnels ne sont pas précisés et il est indiqué que le poste n'est pas à risque.

Contrairement à ce que les premiers juges ont retenu, la mention sur le contrat de mission que le poste n'est pas à risque est insuffisante pour l'établir et par suite pour écarter la présomption.

Dès lors que l'entreprise utilisatrice ne justifie pas de la liste qu'elle est censée avoir établie en application des dispositions de l'article L.231-3-1 du code du travail alors applicables, il appartient à la cour de dire, eu égard au poste attribué et aux missions confiées, si le salarié a été affecté à un poste présentant des risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité.

S'il s'avère que le poste occupé est un poste à risques, la présomption est applicable, et il incombe alors à l'entreprise utilisatrice de la renverser en rapportant la preuve que les éléments permettant de retenir l'existence d'une faute inexcusable ne sont pas réunis.

Il n'est pas contesté que M. [C] n'a pas bénéficié d'une formation renforcée à la sécurité de la part de la société Soletbat, qui tout en alléguant que le poste n'était pas à risque, et alors qu'elle était responsable des conditions d'exécution du travail, ne justifie pas avoir procédé à l'évaluation des risques, alors que l'article L.231-3-1 du code du travail lui en faisait obligation, ni avoir défini à la suite de cette évaluation, les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail pour garantir un meilleur niveau de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs.

Il résulte de la condamnation prononcée par le tribunal correctionnel de Toulouse qu'aucun plan particulier de sécurité et de protection de la santé n'a été dressé pour le chantier auquel la société Soletbat a affecté le salarié intérimaire. La cour relève que les poursuites pénales ont été dirigées à l'encontre de M. [E] [N], bénéficiant d'une délégation de pouvoir de la part de la société Soletbat, cosignataire d'une note rédigée sous l'entête de la société Soltechnic (qui a le même dirigeant que la société Soletbat) adressée à la société Malet, en date du 16 mai 2007, faisant ressortir que les investigations réalisées sur les fondations du pigeonnier ont révélé l'état 'très dégradé des maçonneries enterrées' rendant nécessaires la réalisation de longrines.

L'affectation d'un salarié intérimaire à des travaux de terrassement dans une tranchée, en toute connaissance de l'état 'très dégradé' des maçonneries enterrées', caractérise l'exposition à des risques particuliers pour la sécurité de ce salarié (tels qu'ensevelissement ou écrasement).

La société Soletbat ne renverse pas la présomption de faute inexcusable, n'établissant pas que les conditions de celle-ci ne sont pas réunies, alors qu'elle ne pouvait pas ne pas avoir conscience du risque, du fait de sa qualité d'entreprise du bâtiment spécialisée dans les travaux de rénovation, et de la proximité immédiate de la tranchée avec un pigeonnier.

Il résulte de l'enquête de gendarmerie que le 12 juin 2017, le pigeonnier de 10 mètres de haut environ, datant de la fin du XVIIIème siècle s'est effondré, alors que trois ouvriers, dont deux intérimaires creusaient manuellement sous les angles du pigeonnier à partir d'une tranchée creusée la veille, que M. [C] a été entièrement enseveli dans la tranchée, et M. [U], également intérimaire, a été enseveli jusqu'à la taille.

Le témoin [A] [S] (ingénieur retraité et voisin du lieu des travaux) a déclaré avoir constaté que deux ouvriers étaient occupés dans la tranchée ouverte le jour précédent à faire un creusement sous l'aplomb des quatre piliers de briques constituant l'assise du pigeonnier, pour y glisser des armatures en ferraille sans doute pour constituer des semelles armées en béton et que sa première réflexion a été de 'constater la dangerosité de la situation de ces deux ouvriers travaillant dans une tranchée non étayée, dans un sol détrempé par les fortes pluies du 10/06/07, le plus surprenant cependant était que pendant ces travaux assez délicats autour du pigeonnier, à quelques mètres à peine (5 à 10 mètres) la grosse pelleteuse continuait à charger les camions de terre et un rouleau compresseur à aplanir le terrain pour que les camions ne patinent pas (...) Mon sentiment personnel: tous les ingrédients étaient réunis pour que ce pigeonnier s'écroule'.

Ce témoignage qui contredit les déclarations de M. [J] dont se prévaut la société Soletbat, est corroboré par les conclusions de l'expert requis qui retient qu'une conjoncture d'éléments semble la cause de l'effondrement du pigeonnier et que c'est dans le planning des phases des travaux que se trouve l'explication, en ce qu'il aurait fallu faire les travaux de reprise en sous oeuvre avant toute autre tâche et en dehors de la présence de toute autre entreprise travaillant à proximité.

Par conséquent, et contrairement à ce que soutient la société Soletbat, l'absence de plan particulier de sécurité et de protection de la santé dont l'objet est justement de permettre une planification des travaux dans une perspective de sécurité et de protection des différents salariés affectés au chantier, a bien joué un rôle causal dans l'accident du travail, puisque les intérimaires se trouvaient dans la tranchée en même temps que de gros engins de chantiers fragilisaient encore plus l'édifice ancien par leurs actions.

La faute pénale pour laquelle le délégataire de pouvoir de la société Soletbat a été condamnée présente bien un lien avec l'accident du travail dont ont été victimes trois salariés, dont deux intérimaires.

Compte tenu de son activité spécialisée dans les travaux de gros oeuvre en rénovation, et de la propre transmission en date du 16 mai 2007, de son dirigeant et de l'ingénieur titulaire de la délégation en matière de sécurité, certes établie sous l'entête de la société Soltechnic, la société Soletbat ne pouvait pas ignorer les risques auxquels elle exposait le 12 juin 2007 ses salariés et a fortiori les intérimaires qu'elle a décidé d'affecter aux travaux de terrassement dans cette tranchée, qui y occupaient nécessairement un poste à risque, auxquels elle n'a pas dispensé de formation renforcée à la sécurité, conduit la cour à retenir, par infirmation du jugement entrepris, la présomption de la faute inexcusable.

La faute inexcusable ainsi commise est exclusivement imputable à la société Soletbat, substituée à la société Randstad dans la direction, et seule responsable des conditions d'exécution du travail ayant trait à la santé et à la sécurité au travail pour le poste auquel elle a affecté M. [C], alors même que le contrat de mission ne prévoyait pas qu'il soit affecté à un poste à risque selon l'article L.231-3-1 du code du travail.

Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a jugé que l'accident du travail de M. [C] est imputable à la faute inexcusable de la société Soletbat substituée à la société Randstad.

* sur les conséquences de la faute inexcusable :

Lorsque l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a droit, en application des dispositions des articles L.452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, à une indemnisation complémentaire de ses préjudices, et depuis la décision du conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, à une réparation de son préjudice au-delà des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale, et à une majoration de la rente.

La Caisse primaire d'assurance maladie a attribué à M. [C] un taux d'incapacité permanente partielle de 20 % ramené par jugement du tribunal du contentieux de l'incapacité à 10 % dans le cadre d'une instance opposant la caisse à l'employeur.

Dès lors, M. [C] est fondé à solliciter, en application des dispositions de l'article L.452-2 alinéa 2 du code de la sécurité sociale, la fixation de la majoration de sa rente à son taux maximum, soit 10 %, basée sur un taux d'incapacité permanente partielle de 20%.

Toutefois, M. [C] a été indemnisé des conséquences dommageables de l'accident par le tribunal de grande instance de Toulouse en date du 30 janvier 2014 alors que, victime d'un accident du travail, la réparation du préjudice subi relève la compétence exclusive de la juridiction de sécurité sociale.

La société Soletbat soutient que M. [C] ayant été indemnisé de ses préjudices (incidence professionnelle et déficit fonctionnel temporaire) il ne peut solliciter en sus le capital représentatif de la majoration de la rente accident du travail, même à son taux maximum (sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle de 20 %), alors que la rente accident du travail et sa majoration couvre l'indemnisation des préjudices suivants: perte de gains professionnels actuels et futurs, incidence professionnelle et déficit fonctionnel temporaire.

M. [C] et la Caisse primaire d'assurance maladie lui opposent que la majoration de la rente a pour unique fait générateur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Il résulte effectivement du jugement du tribunal de grande instance de Toulouse, qu'il a été alloué à M. [C]:

- au titre de l'incidence professionnelle, une indemnité de 50 000 euros,

- au titre du déficit fonctionnel temporaire, la somme de 27 360 euros,

- et au titre de la perte de gains professionnels actuels celle de 4 480 euros (compte tenu de la prise en charge par la caisse de la somme de 5 492.60 euros).

Ce jugement a alloué à la caisse au titre de la perte de gains professionnels futurs la somme de 32 313.78 euros.

Or la rente accident du travail liée à la reconnaissance de la faute inexcusable recouvre l'indemnisation des pertes de gains professionnels actuels et futurs, du déficit fonctionnel temporaire et de l'incidence professionnelle qui ont présentement déjà été réparés par la juridiction du droit commun, et la majoration de la rente liée à la reconnaissance de la faute inexcusable n'a pas pour effet de modifier la nature juridique de la rente accident du travail, qui indemnise nécessairement le même poste de préjudice.

M. [C] ne peut donc solliciter cumulativement aux indemnités listées, le paiement de la majoration de la rente accident du travail.

Le jugement entrepris doit en conséquence être infirmé à cet égard et M. [C] doit être débouté de ce chef de demande, et subséquemment, il n'y a pas lieu de statuer sur l'action récursoire de la Caisse primaire d'assurance maladie dirigée contre l'employeur la société Randstad, ni sur la demande de garantie de la société Randstad dirigée contre la société Soletbat.

L'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de quiconque.

Compte tenu de l'abrogation à la date du 1er janvier 2019 des dispositions de l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale, la cour doit statuer sur les dépens lesquels doivent être mis à la charge de la société Soletbat.

PAR CES MOTIFS,

- Confirme le jugement entrepris uniquement en ce qu'il a jugé que l'accident du travail dont a été victime M. [C] le 12 juin 2007 est dû à la faute inexcusable de la société Soletbat substituée à la société Randstad, et le réforme pour le surplus,

-Statuant à nouveau des chefs réformés et y ajoutant,

- Déboute M. [C] du surplus de ses demandes,

- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit que le présent arrêt est opposable à la Caisse primaire d'assurance maladie de la [Localité 5],

- Condamne la société Soletbat aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par C. DECHAUX, président et N. DIABY, greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

N. DIABY C. DECHAUX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 4ème chambre section 3
Numéro d'arrêt : 16/02281
Date de la décision : 10/05/2019

Références :

Cour d'appel de Toulouse 43, arrêt n°16/02281 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-05-10;16.02281 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award