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28/02/2019 | FRANCE | N°16/01230

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 1ere chambre section 1, 28 février 2019, 16/01230


28/02/2019



ARRÊT N°68



N° RG 16/01230 - N° Portalis DBVI-V-B7A-K3GQ

CB/AE



Décision déférée du 01 Mars 2016 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - M. GUICHARD12/03372



















[O] [F]





C/



SAS ETABLISSEMENTS [5]





























































INFIRMATION







Grosse délivrée



le



à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT HUIT FEVRIER DEUX MILLE DIX NEUF

***



APPELANT



Monsieur [O] [F]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Géraud VACARIE de l'ASSOCIATION VACARIE - DUVERNEUIL, avoc...

28/02/2019

ARRÊT N°68

N° RG 16/01230 - N° Portalis DBVI-V-B7A-K3GQ

CB/AE

Décision déférée du 01 Mars 2016 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - M. GUICHARD12/03372

[O] [F]

C/

SAS ETABLISSEMENTS [5]

INFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT HUIT FEVRIER DEUX MILLE DIX NEUF

***

APPELANT

Monsieur [O] [F]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Géraud VACARIE de l'ASSOCIATION VACARIE - DUVERNEUIL, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE

SAS ETABLISSEMENTS [5] prise en la personne de son représentant légaldomicilié ès qualités au dit siège social

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représentée par Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE

Assistée par Me Christine LOUSTALOT-TERRET de la SELAFA FIDAL, avocat au barreau de PAU

COMPOSITION DE LA COUR

Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 10 Septembre 2018 en audience publique, devant la Cour composée de :

C. BELIERES, président

C. ROUGER, conseiller

J-H.DESFONTAINE, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : C.PREVOT

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par C. BELIERES, président, et par, C. PREVOT greffier de chambre.

Exposé des faits et procédure

M. [O] [F] a été agent commercial de la Sas Etablissements [5] (Dupuy) suivant contrat en date du 11 octobre 1999 qui vise exclusivement les produits 'charcuteries-salaison-Jambon de Bayonne- Produits d'Aquitaine', ces deux derniers termes étant inscrits de façon manuscrite et contresignés, avec comme secteur géographique les départements 09, 11, 12, 31 et 32 (sauf les magasins dépendant de la Scalandes dans ces départements) 34, 46, 81, 82 et 66 et comme clientèle les grandes et moyennes surfaces, grossistes, distributeurs, étendu suivant courrier électronique du 19 juin 2002 au 'département 30 plus groupe Altis plus Logidis à compter du 1er juin 2002".

Ce contrat contient notamment la clause suivante 'l'agent commercial pourra effectuer des opérations pour son compte personnel ou pour le compte de toute autre entreprise sans avoir à demander d'autorisation au mandant. Cependant il s'interdit sauf accord préalable et écrit du mandant, toute activité se rapportant à la fabrication ou à la commercialisation de tous produits susceptibles de concurrencer ceux dont la représentation lui est ici confiée'.

Par acte d'huissier du 27 septembre 2012 M. [F] a saisi le tribunal de grande instance de Toulouse d'une action en résiliation de son contrat, versement des indemnités de rupture prévues par l'article L. 134-12 du Code de commerce et arriérés de commissions.

Par ordonnance du 14 mars 2014 le juge de la mise en état a constaté que les éléments communiqués par la Sas Dupuy pour la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012 répondent aux prescriptions légales mais devront être complétées par des documents comptables de même nature relatifs au département du Gard et a enjoint à la Sas Dupuy de communiquer les extraits du grand livre des tiers concernant l'activité du demandeur du 1er juillet au 31 décembre 2007 pour l'ensemble du secteur d'activité le concernant, en ce compris le département du Gard, de même que pour l'exercice 2013, ainsi que le tableau récapitulatif du chiffre d'affaires toutes taxe comprises déclaré par client et par mois pour ces périodes, étant précisé que ces tableaux récapitulatifs devront faire l'objet de l'attestation de conformité d'un expert comptable, conformément à ce qui a déjà été fait pour les exercices antérieurs, les extraits du grand livre des tiers concernant l'activité du demandeur du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012 pour le secteur d'activité concernant le département du Gard

Par jugement contradictoire du 1er mars 2016, non assorti de l'exécution provisoire, cette juridiction a rejeté les demandes de M. [F] à l'encontre de la Sas Dupuy, a prononcé la résiliation du contrat aux torts exclusifs de M. [F], l'a condamné à payer à son mandant les sommes de 10.000 € à titre de dommages et intérêts outre celle de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et a mis les entiers dépens à sa charge.

Pour statuer ainsi elle a considéré qu'aucun des manquements à son obligation de loyauté, aucun défaut ou retard de paiement des commissions invoqués à l'encontre de la Sas Dupuy justifiant le prononcé de la résiliation du contrat à ses torts n'était établi, qu'en revanche M. [F] avait commis des actes de concurrence déloyale démontrés, qu'un tel manquement à une obligation essentielle du mandat d'intérêt commun entraînant la perte de confiance du mandant était constitutif d'une faute grave de nature à provoquer la rupture du contrat aux torts exclusifs de cet agent commercial.

Par déclaration du 8 mars 2016 M. [F] a interjeté appel général de cette décision.

Par lettre recommandée en date du 16 février 2017 la Sas Dupuy a rompu unilatéralement le contrat après avoir refusé de régler à M. [F] les sommes réclamées à titre d'arriérés de commissions pour des montants de 136.161,78 € (période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2014) et 92.698,83 € (période de janvier à septembre 2015 et janvier à septembre 2016) sur la base des documents comptables communiqués.

Par ordonnance en date du 5 avril 2018 le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de production de pièces sollicitée tant par M. [F] que par la Sas Dupuy, rejeté la demande de provision de M. [F], dit que les dépens et frais irrépétibles de l'incident seront joints à ceux de l'instance au fond.

Prétentions et moyens des parties

M. [F] demande dans ses conclusions du 20 juin 2018, au visa des articles 1134 et 1184 anciens du code civil et des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce, de :

- réformer le jugement

- rejeter toutes les demandes de la Sas Dupuy et tout appel incident de sa part

- condamner la Sas Dupuy à

* produire tous les éléments comptables lui permettant de vérifier le calcul de ses commissions depuis le 1er janvier 2007 jusqu'au 16 novembre 2017, sous astreinte de 200 € par jour de retard

* lui payer la somme de 228.860,64 € à titre de rappel de commissions, montant à parfaire lorsqu'il aura reçu toutes les pièces comptables

- dire qu'il était bien fondé en sa demande de résolution judiciaire du contrat d'agent commercial aux torts de la Sas Dupuy, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal

- condamner la Sas Dupuy à lui payer les sommes de

* 450.000 € à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce

* 300.000 € à titre de dommages et intérêts

- rejeter toutes les demandes de la Sas Dupuy

- condamner la Sas Dupuy à lui payer la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Il expose qu'il est agent commercial depuis 1995, spécialisé dans les produits de charcuterie, raison pour laquelle la Sas Dupuy a fait appel à ses services en 1999 et a joué un rôle déterminant dans le développement de cette société réalisant un chiffre d'affaires en progression constante de 1999 jusqu'en 2010 passant de 734.152 € en 2003 à 2.6122.862,49 € en 2010 soit une progression de 213 % alors que celui de la société passait durant la même période de 4.850.000 € à 9.563.000 € soit une progression de 97 % et précise qu'il a apporté de très nombreux clients : la Socamil, Carrefour, Emc Casino.

Il affirme qu'à partir de 2010 ses deux dirigeants vont engager à son encontre une entreprise de déstabilisation systématique avec de nombreuses entraves et obstacles à la poursuite normale de son contrat d'agent commercial et manoeuvres gravement déloyales (courriers de remontrances injustifiées, insultes, modifications unilatérales de délais de paiement, déduction injustifiées sur les commissions jusqu'à l'envoi d'un huissier chez lui) qui l'ont amené à agir en résiliation judiciaire du contrat.

Il fait grief à la Sas Dupuy de ne pas lui avoir communiqué les documents comptables lui permettant de vérifier le calcul de ses commissions pour la période du 1er octobre 2008 au 30 septembre 2013, en violation des dispositions de l'article R 134-3 du code de commerce, en dépit de nombreuses démarches amiables et notamment une sommation interpellative du 11 juillet 2012, une sommation de communiquer du 2 octobre 2013 et ne s'être exécuté qu'au vu d'une ordonnance du juge de la mise en état du 14 mars 2014 prescrivant cette transmission sous astreinte mais n'a communiqué que des pièces tronquées et incomplètes puisque l'intégralité de ses clients n'y figurait pas ; il en déduit que ce refus est illégal et constitue une cause de rupture du contrat à ses torts ; il ajoute que le problème s'est, à nouveau, posé pour les pièces comptables des années 2015 à 2017, qu'il a été contraint de faire délivrer une sommation de communiquer en ce sens, que les pièces produites sont tout aussi incomplètes voire mensongères.

Il lui reproche, également, un défaut de paiement de commissions, retard de paiement de commissions et des déductions opérées injustifiées, comme expressément relevé par l'expert comptable mandaté par ses soins qui a analysé la situation dans un rapport du 10 mai 2016 ; il explique que le phénomène de retards récurrents dans le paiement des commissions est apparu au fur et à mesure de l'exécution du contrat et n'a fait que s'aggraver à compter de 2011, passant d'entre le 10 et 20 du mois de la réception de la facture de son agent commercial par virement à un paiement par chèque datés à un moment donné mais envoyés bien plus tard, dans le seul but de le mettre en difficulté, qu'en réponse à une sommation interpellative du 11 juillet 2012 la Sas Dupuy a délibérément donné des informations inexactes à l'huissier en indiquant que les commissions étaient payables le mois civil suivant la fin de chaque trimestre avec l'envoi d'un bordereau stipulant les affaires du trimestre écoulé ouvrant droit à commission, alors que le contrat prévoit expressément en son article 6 que les commissions sont payables le mois suivant la fin de chaque mois avec l'envoi d'un bordereau stipulant les affaires du mois écoulé ouvrant droit à commission, délais indiqués de façon manuscrite et paraphés ; il ajoute que le mandant a retenu sur les commissions les frais facturés par des clients pour des 'opérations de communication', ce qui n'avait jamais été fait auparavant et qui met obstacle à la poursuite des relations contractuelles ; il souligne qu'il s'est rendu compte que d'importantes commissions ne lui avaient pas été payées pour un montant d'au moins 228.860,64 €.

Il estime que la Sas Dupuy a violé ses obligations légales de loyauté et d'information mises à sa charge par l'article L 134-4 du code de commerce puisqu'elle n'a pas respecté le secteur de client confié à son agent commercial, a eu à son égard une attitude extrêmement injurieuse, agressive et blessante et n'a pas hésité à manoeuvrer afin de lui nuire et a, notamment, entrepris de travailler directement avec certains clients du secteur de sa clientèle au mépris des règles fixées par l'article L 134-6 du code de commerce.

Il soutient avoir droit à l'indemnité de rupture des articles L 134-12 et L 134-13 2° du code de commerce qui prévoient que l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi en cas de cessation de ses relations avec le mandant, que ce soit à son initiative ou pas, si la cessation du contrat est justifiée par des circonstances imputables au mandant.

Il affirme que de multiples commissions lui restent dues, qu'en vertu de l'article L 134-6 du code de commerce elles doivent être versées pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention et, lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique, pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur.

Il demande à avoir accès, sous astreinte, à l'ensemble des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues, en application de l'article R 134-3 du code de commerce ; il indique se heurter depuis 2012 aux plus grandes difficultés pour obtenir ces éléments car d'une part, les pièces communiquées après ordonnance du juge de la mise en état ne couvrent pas l'ensemble de la période soit jusqu'au 16 novembre 2017 puisque le contrat a été rompu le 16 février 2017 sans respecter le délai de 3 mois de l'article L 134-11 du code de commerce et que le droit à commission se poursuit pendant six mois, délai raisonnable au sens de l'article L 134-7 du code de commerce et d'autre part, l'expert comptable n'a procédé qu'à une vérification de pure forme des informations, comme il l'indique lui-même, les pièces comptables transmises étant incomplètes, nombre de commandes prises sur son secteur de clientèle n'y figurant pas et en donne quelques exemples non exhaustifs.

Il chiffre l'arriéré de commissions dues pour les 11 départements confiés outre la clientèle des grandes et moyennes surfaces, grossistes et distributeurs et clients spécifiques (EMC Casino), situés hors secteur à un montant de 136.161,78 € TTC de janvier 2007 au 31 décembre 2014 suivant facture n° 5bis/16 et à 92.698,86 € TTC de janvier à septembre 2015 et de janvier à septembre 2016 suivant facture 12bis/16, sur la base des éléments comptables fournis par le mandant lui-même soit au total 228.860,64 €, éléments confirmés par l'expert comptable [X] mandaté par ses soins, sous réserve de compléter sa demande au vu des pièces comptables complètes dont il demande communication.

Il fait valoir que les manquements de la Sas Dupuy à ses obligations légales et contractuelles et les multiples manoeuvres déloyales à son égard justifient sa demande de résiliation judiciaire du contrat d'agent commercial aux torts du mandant.

Il soutient que cette société l'accuse, de mauvaise foi et par allégations mensongères, de concurrence illicite par le biais de la vente de produits d'origine espagnole alors qu'il n'est chargé, par son mandat, comme précisé par une mention manuscrite contresignée en marge, que de commercialiser du jambon de Bayonne et des produits d'Aquitaine.

Il explique que son activité pour la société espagnole Carnicas Serrano portant sur du jambon Serrano était connue de la Sas Dupuy depuis 2008 soit depuis plusieurs années et avait été acceptée et, en tout cas, tolérée conformément à l'article L 134-4 du code de commerce, d'autant que les deux marchés sont distincts et ne sont pas concurrents car portant sur des produits bien différents ; il affirme qu'il en va de même pour la société de droit espagnol Font Sans.

Il sollicite l'octroi de l'indemnité de rupture prévue à l'article L 134-12 et L 134-13 2° du code de commerce égale à 3 années de commissions soit la somme de 450.000 € outre 300.000 € de dommages et intérêts pour le préjudice économique et moral subi.

La Sas Dupuy demande dans ses dernières conclusions du 9 août 2018 de

A titre principal,

Vu les articles 1134 anciens et suivants du code civil et articles L. 134-1 et suivants du code de commerce,

- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat d'agent commercial la liant avec M. [F] aux torts exclusifs de ce dernier

- constater qu'elle a rompu ce contrat pour faute grave de M. [F]

- constater qu'elle a déféré à la sommation de communiquer concernant le calcul des commissions de M. [F]

- réformer le jugement en ce qu'il a limité la condamnation de M. [F] au paiement de la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts

- ordonner à M. [F] de lui communiquer, sous astreinte de 300 € par jour de retard à l'issue d'un délai de 15 jours à compter de l'arrêt à intervenir, les chiffres d'affaires réalisés pour le compte de M. [C] de la société Carnicas Serrano ainsi que pour le compte de la société Fons-Sans depuis le 10 mars 2008 jusqu'au 16 février 2017, ces chiffres d'affaires devant être certifiés par son expert-comptable

- condamner M. [F] à lui payer la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts

A titre subsidiaire,

- débouter M. [F] de l'intégralité de ses demandes formulées tant au titre de l'indemnité compensatrice que des dommages et intérêts et, en tout état de cause, les réduite à de plus justes proportions

En tout état de cause,

- condamner M. [F] au paiement de la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner le même aux entiers dépens de première instance et d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle fait valoir qu'avant même de s'attacher les services de M. [F] elle avait noué des liens commerciaux avec les grandes et moyennes surfaces Groupe Guyenne et Gascogne, la Scalandes (centrale d'approvisionnement des Landes du groupe Leclerc), la Scaso (centrale d'approvisionnement du Sud Ouest du groupe Leclerc), les groupes Casino, Carrefour et Intermarchés de sorte que la progression de son chiffre d'affaires n'est pas directement liée à l'intervention de cet agent commercial, étant souligné qu'en 2009 elle a créé un site spécialisé dans la production de jambons secs disposant d'un atelier de désossage et de tranchage et qu'elle pratique une politique tarifaire.

Elle indique avoir constaté, à compter de l'année 2010, que le chiffre d'affaire généré par de M. [F] auprès de Socamil Leclerc et de Carrefour était nettement en baisse par rapport aux années précédentes (- 40 % de chiffres d'affaires de 2007 à 2011), qu'elle lui a adressé le 17 août 2011 puis le 6 septembre 2011 un courrier lui demandant d'expliciter les causes de cette perte de parts de marché et les mesures correctives qu'il souhaitait mettre en place pour relancer leur partenariat qui n'a pas reçu de réponse ; elle précise avoir ultérieurement compris que son agent commercial intervenait également pour une société de droit espagnol dénommée 'Carnicas Serrano' qui exerce son activité dans le secteur de la charcuterie, de la salaison et fabrique du jambon Serrano sans avoir sollicité son autorisation alors que les jambons Serrano et Parme sont en concurrence directe avec les jambons de Bayonne et, plus récemment, s'être rendu compte qu'il distribuait aussi des produits concurrents pour une autre entité, la société de droit espagnol Font-Sans ; elle estime que devant ces manquements répétés, elle n'a eu d'autre choix que de rompre le contrat d'agent commercial pour faute grave.

Elle affirme avoir toujours respecté ses obligations contractuelles et soutient que le rapport de l'expert comptable mandaté par M. [F], dont elle conteste la teneur, est dépourvu de toute valeur probante car il ne fait que relayer des analyses juridiques de ce dernier qui se situent hors du champ de compétence de son rédacteur.

Elle indique avoir toujours communiqué mensuellement à M. [F] les éléments comptables lui permettant de vérifier le calcul de ses commissions ainsi que les relevés clients tout comme les extraits des grands livres au titre des années requises par l'intéressé dans le cadre de la présente instance, sans estimer devoir lui communiquer l'intégralité des grands livres puisque n'ayant jamais prospecté sur la France entière il n'est pas en droit d'obtenir communication des comptes clients qu'il n'a jamais suivi, sauf à violer le secret des affaires et ajoute que les dispositions légales n'imposent pas que les documents comptables fournis à l'agent commercial soient certifiés, de surcroît, par un expert comptable, qu'elle a en toute hypothèse produit une attestation de son expert comptable pour l'année 2008, pour les périodes de 2009 à 2012 puis pour les années 2013 à 2016 et jusqu'au 17 mai 2017 ; elle conclut au rejet de la demande de communication sous astreinte de nouvelles pièces, que rien ne justifie.

Elle soutient que le prétendu retard de paiement des commissions n'est pas établi et affirme que M. [F] n'a pas respecté les dispositions du contrat sur ce point puisqu'il a envoyé tous les mois une facture non détaillée sans y avoir annexé le bordereau récapitulatif des affaires et donc sans satisfaire à ses propres diligences, étant souligné que la clientèle est définie dans le contrat par catégories de clients (grandes et moyennes surfaces, grossistes, distributeurs) et non sur un secteur géographique ; elle prétend que conformément à l'article 6 du contrat l'agent ne peut solliciter le paiement de ses commissions que sur le triple net correspondant au montant hors taxe outre toutes les baisses techniques de prix ; elle ajoute qu'il ne pouvait pas être commissionné sur le client EMC (centrale d'achat du groupe Casino à Marne la Vallée) puisqu'il est situé hors secteur dévolu à l'agent commercial ; elle fait valoir que le rappel de commissions au titre de la période de janvier 2007 à décembre 2014, de janvier 2015 à septembre 2015 et de janvier à septembre 2016 n'est pas dû dès lors qu'elles ne sont justifiées ni dans leur principe ni dans leur montant puisqu'aucun détail n'est fourni ni tableau récapitulatif annexé, alors qu'il n'a pas droit à des commissions relevant de secteurs et/ou catégories de clientèle qui ne lui ont jamais été dévolus, que le contrat d'agent commercial ne porte pas mention d'une exclusivité et que les centrales d'achat ne font pas partie des clients qui lui sont dévolus ; elle s'oppose à toute mesure d'expertise comptable qui, en vertu de l'article 146 du code de procédure civile, ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.

Elle fait valoir qu'elle a toujours respecté son obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi mais que M. [F] a eu un comportement gravement fautif justifiant la résiliation du contrat à ses torts en présence d'actes de concurrence avérés.

Elle rappelle que le contrat vise la promotion et la vente de 4 produits ainsi désignés 'charcuterie-salaisons-Jambons de Bayonne-Produits d'Aquitaine', que le terme 'charcuterie' se définit comme étant la fabrication et le commerce de produits préparés principalement à base de viande de porc, que le terme Jambon de Bayonne figurant dans cette convention interdit à M. [F] de distribuer du jambon Serrano puisque ces produits sont en concurrence frontale sur le marché et qu'il n'a ni sollicité ni obtenu l'accord préalable et écrit visé à l'article 7 du contrat lui permettant de le faire ; elle souligne que M. [F] intervient pour la société Carnicas Serrano en qualité d'agent commercial exclusif pour la même clientèle et le même secteur géographique et également pour le compte d'une autre société Font Sans toujours pour de produits de charcuterie (jambon, poitrine, coppas...) et en déduit que de tels manquements à une obligation essentielle du mandat d'intérêt commun entraînant la perte de confiance du mandant sont constitutifs de faute grave de nature à provoquer la rupture aux torts exclusifs de l'agent commercial.

Elle considère que ces actes déloyaux lui ont causé un préjudice et sollicite, dans ce cadre, la communication, sous astreinte, des chiffres d'affaires réalisés par M. [F] pour le compte de M. [C] de la société Carnicas Serrano depuis le 10 mars 2008 jusqu'au 16 février 2017 certifiés par un expert comptable ainsi que le chiffre d'affaires généré avec la société Font-Sans sur cette même période, sous astreinte et réclame l'octroi d'une indemnité de 50.000 €.

Subsidiairement, elle estime exagérées les demandes d'indemnisation de M. [F] dès lors que l'indemnité compensatrice est limitée à deux ans de commissions et que l'existence d'un préjudice moral n'est pas avérée.

Motifs de la décision

Sur la procédure

Les conclusions et pièces 92 et 93 déposées par l'appelant le 5 septembre 2018 précédées de conclusions de procédure demandant la révocation de l'ordonnance de clôture doivent être déclarées irrecevables au regard des dispositions de l'article 783 du code de procédure civile, comme sollicité par la Sas Dupuy dans des conclusions de procédure du 4 septembre 2018, car elles sont postérieures au prononcé de l'ordonnance de clôture en date du 28 août 2018 et qu'aucune cause grave au sens de l'article 784 du même code justifiant sa révocation n'est invoquée par M. [F].

Seules ses précédentes conclusions du 20 juin 2018 peuvent, ainsi, être prises en considération.

Sur la résiliation du contrat d'agent commercial

Le contrat d'agent commercial a été résilié à l'initiative de la Sas Dupuy, de façon unilatérale et donc à ses risques et périls, le 16 février 2017 avec effet immédiat, ce qui rend sans objet la demande initiale de M. [F] du prononcé de sa résiliation judiciaire mais commande de déterminer l'imputabilité de cette rupture qui reste litigieuse, chacune des parties en attribuant les torts exclusifs à l'autre pour non respect des obligations envers son co-contractant, avec ses incidences, notamment indemnitaires.

Dans sa lettre de rupture pour faute grave et sans préavis, la Sas Dupuy fait grief à M. [F] de 'distribuer sans autorisation préalable du jambon sous la marque Carnicas Serrano pour les territoires et les clients dévolus par le contrat, ce qui pénalise le bon fonctionnement de la société puisque la situation commerciale du secteur Midi Pyrénées s'aggrave par des pertes très importantes de chiffres d'affaires et de tonnages, ainsi que du jambon tranché, des poitrines, coppas tranches épaisses, produits identiques à sa gamme, pour le compte de la société de droit espagnol Sa Font Sans, sans l'en avoir informée'.

M. [F] reproche à la Sas Dupuy l'absence de communication des documents comptables lui permettant de vérifier le calcul de ses commissions, si ce n'est des pièces tronquées et incomplètes, un défaut de paiement des commissions ou des retards de paiement ou des retenues injustifiées, des entraves et manoeuvres diverses à la poursuite normale de son contrat, tous faits constitutifs de violation des obligations légales de loyauté et d'information.

*

En vertu de l'article L 134-4 du code de commerce, les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties. Les rapports entre eux sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information. L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.

Sur les fautes de l'agent

Aux termes de l'article L 134-3 du code de commerce l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandats. Toutefois, il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente à celle de l'un des mandants sans l'accord de ce dernier.

Ces dispositions n'étant pas d'ordre public, les parties peuvent y déroger et, à cet égard, M. [F] et la Sas Dupuy ont inséré dans le contrat d'agent signé le 11 octobre 1999 la clause 2 ainsi libellée 'Liberté d'effectuer d'autres opérations : L'agent commercial pourra effectuer des opérations pour son compte personnel ou pour le compte de toutes autres entreprises sans avoir à demander d'autorisation au mandant.

Cependant, il s'interdit, sauf accord préalable et écrit du mandant, toute activité se rapportant à la fabrication ou à la commercialisation de tous produits susceptibles de concurrencer ceux dont la représentation lui est ici confiée' et en son article 9 'l'agent commercial s'interdit, sauf accord préalable et écrit du mandant, toute activité se rapportant à la fabrication ou à la commercialisation de tout produit susceptible de concurrencer ceux dont la représentation lui est confiée'.

L'interdiction est ainsi contractuellement définie par rapport aux produits, que l'article 2 du contrat intitulé 'Produits contractuels' désigne ainsi 'L'agent visitera la clientèle au nom et pour le compte du mandant, en vue de la promotion et de la vente des produits suivants : charcuterie - salaisons. Jambons de Bayonne. Produits d'Aquitaine'. Les termes Jambons de Bayonne. Produits d'Aquitaine sont écrits à la main et contresignés ; tout le reste est dactylographié.

La portée de cet article est discutée par les parties, l'agent commercial soutenant que les mentions manuscrites viennent préciser et limiter la gamme de charcuterie - salaisons dont la représentation lui est confiée, alors que le mandant considère que la commercialisation n'était pas limitée aux produits rédigés à la main.

Cette dernière interprétation doit être retenue dès lors que les parties ont maintenu les mentions dactylographiées qui n'ont pas été barrées, à l'inverse de ce qui a pu être fait dans d'autres articles du contrat.

Par ailleurs, au vu des quelques éléments versés aux débats, M. [F] ne commercialisait pas pour le compte de la Sas Dupuy que des Jambons de Bayonne et Produits d'Aquitaine.

Le document intitulé 'carte d'identité Dupuy' (pièce 63 de l'appelant) mentionne dans sa gamme de produits Jambon de Bayonne IGP entiers avec ou sans os et tranché, Jambons secs entiers avec ou sans os et tranchés, Poitrines plates et roulées entières et tranchées, Charcuteries cuites (boudins, andouilles, rôti, saucisses confites, jambonneaux).

Celui désigné 'La Nouvelle Gamme Libre Service à compter de mars 2009" (pièce 91 de l'appelant) mentionne Les chiffonnades (Jambon de Bayonne, Chorizo, Pancetta, Saucisson, Coppa), les Jambons secs (Jambon Serrano), la Poitrine de porc tranchées (Poitrine Plate Campagne, Poitrine Roulée Campagne)

Surtout, l'examen les tableaux comparatifs 2010-2011annexée à la lettre recommandée avec accusé de réception adressée à son agent commercial par la Sarl Dupuy le 17 août 2011 (pièce n° 7 de l'intimé) relatifs au tonnage pour le premier et au chiffre d'affaire pour le second réalisés par M. [F], par articles, du 1er janvier au 31 juillet 2010 et du 1er janvier au 31 juillet 2011 atteste que cet agent commercialise pour le compte de cette société une liste de 54 produits parmi lesquels figurent bien plus que du Jambon de Bayonne et des produits d'Aquitaine et notamment de la poitrine plate, de la poitrine roulée, de la coppa, de la pancetta, du boudin, du jambon sec, du saucisson sec, de la chiffonnade coppa, de la chiffonnade saucisson, de la chiffonnade pancetta.

M. [F] admet avoir effectué au cours de son mandat avec la Sas Dupuy des opérations pour le compte de deux sociétés espagnoles, d'une part la société Carnicas Serrano pour laquelle il fournit, d'ailleurs, le contrat de sous agent commercial signé et d'autre part, la société Font Sans, tout en prétendant qu'elles ne tombent pas sous le coup de la prohibition contractuelle.

Mais nombre de produits commercialisés par M. [F] pour le compte de ces deux sociétés espagnoles sont susceptibles de concurrencer directement ou indirectement les produits commercialisés pour le compte de ce premier mandant, au surplus sur un secteur géographique de prospection intégrant les mêmes départements et à destination de la même clientèle à visiter à savoir grandes et moyennes surfaces et grossistes ; M. [F] a d'ailleurs conclu pour le compte de la Sa Font Sans avec la Sas Sadam (enseigne Leclerc) à [Localité 4] (81) avec effet au 1er janvier 2017 un contrat cadre annuel pour la fourniture de 'charcuteries LS' avec effet au 1er janvier 2017.

Or M. [F] ne fournit pas d'autorisation écrite de la Sas Dupuy, en infraction aux obligations prévues et imposées par la convention, ce qui suffit à constituer un manquement fautif de sa part.

Ce comportement déloyal dans l'exécution du contrat ne peut, toutefois, être qualifiée de faute grave, définie comme celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, étant précisé que la charge de la preuve incombe au mandant qui s'en prévaut.

La situation dure, en effet, depuis 2008 et la Sas Dupuy, qui en avait connaissance, l'a donc tolérée pendant des années.

Dans une attestation du 29 mai 2012, M. [C], agent commercial de la société Carnicas Serrano indique que le directeur de la Sas Dupuy, 'M. [T] [G] était parfaitement au courant que M. [O] [F] représentait pour moi les produits de la société Carnicas Serrano. Cela ne lui posait a priori aucun problème puisque nous ne commercialisons pas les mêmes produits.' ; il précise 'J'atteste avoir rencontré M. [T] [G] le 19 mai 2011 au salon Socamil où j'étais présent pour remplacer M. [F] qui était à cette période en arrêt de travail suite à un accident. Je représentais à ce salon les produits de la société espagnole Carnicas Serrano que M. [F] commercialise pour moi dans ce secteur depuis le mois d'avril 2008. M. [G] était présent et remplaçait M. [F] pour le compte de la société Dupuy et pour les mêmes raisons.

Nous étions voisins sur les stands du salon et nous avons donc discuté ensemble de notre agent commercial commun en l'occurrence M. [F]'.

La valeur probante de cette attestation ne peut être remise en cause dès lors qu'elle est précise et circonstanciée et corroborée par un certificat d'hospitalisation de M. [F] du 20 avril 2011, les contrats d'application au 'contrat cadre régional' conclus datés du 11 mai 2011 entre la Sa Socamil et la Sa Dupuy représentée par M. [G] pour l'un et la Sa Carnicas Serrano pour l'autre ayant pour objet l'organisation d'un salon produits frais le 19 mai 2011 comportant la présentation des produits du fournisseur, un mail du 25 avril 2011 adressé par M. [F] à M. [G], où il lui demande 'en ce qui concerne mes clients, je continuerai mon travail, je te demanderai d'être présent sur les salons comme d'habitude' en réponse au mail de ce dernier du 21 avril 2011 où il indiquait 'Socamil Salon du 19 mai 2011 je serai présent, as-tu confirmé à [I] les propositions du salon''

La présence de M. [G] ce jour là est confirmée par une nouvelle attestation du 23 juillet 2012 dans laquelle il certifie que 'les contrats Salon Socamil sont signés sur place le jour des salons', affirmation qui est corroborée par l'attestation de M. [D] qui confirme 'qu'à chaque saison produits frais j'ai toujours signé les accords salon Socamil le jour du salon à [Localité 6]'.

M. [G] indique lui-même dans une attestation régulière en la forme en date du 5 décembre 2011 (pièce 11) que 'mardi 13/09/2011 je me suis rendu pour le compte des etbts Dupuy à la centrale d'achat Socamil accompagné de M. [F]

Après avoir émargé...de chaque commission j'ai laissé l'agent commercial car la négociation concernait Carnicas Serrano qu'il représente', sans que rien ne permette de dire, au vu de la teneur même de cet écrit, qu'il n'aurait découvert la situation qu'à ce moment là.

De même, la Sas Dupuy ne rapporte pas la preuve, à sa charge, qu'elle aurait découvert les liens entretenus par M. [F] avec la société de droit espagnol, la Sa Font Sans, en 2017 comme affirmé dans la lettre de résiliation du 16 février 2017.

Elle ne communique pas la moindre donnée à l'appui.

La liste de la gamme des produits de cette société qu'elle verse aux débats sur laquelle figure le nom et les coordonnées de M. [F] est en date du 20 février 2013 soit quatre ans plus tôt.

Un mail de la même époque, plus précisément du 12 février 2013 (pièce 80), atteste d'échanges de M. [G] avec M. [F] à propos d'un produit de cette société.

Par ailleurs, aucune baisse du chiffre d'affaire imputable à une activité insuffisante de M. [F] n'est démontrée d'autant qu'aucun objectif ne lui a jamais été fixé ; son chiffre d'affaire est passé de 1.807.738,10 € en 2007 à 1.881.346,53 € en 2008, à 1.865.533,13 € en 2009, à 2.083.838,30 € en 2010, 1.979.577,25 € en 2011, 1.904.875,26 € en 2012, 1.895.411,44 € en 2013, 1.761.160,50 € en 2014, 1.737.615 € en 2015 et 1.883.448,70 € en 2016.

sur les fautes de la Sas Dupuy

L'attitude injurieuse et blessante de son mandant, alléguée par M. [F] ne peut être retenue ; le terme excessif utilisé dans un courrier du 6 décembre 2011 est resté isolé et faisait réponse à une lettre de l'agent lui-même adressée la veille comportant des mots tout aussi excessifs, traduisant une situation de tensions réciproques ; les propos oraux prétendument plus agressifs qui auraient été tenus à son égard ne sont nullement démontrés, en l'absence du moindre témoignage ou autre à leur sujet.

De même, le non respect par son mandant du secteur de client confié à son agent n'est nullement établi, en l'absence de tout fait précis articulé alors que M. [F] ne disposait d'aucune exclusivité.

La Sas Dupuy a également toujours transmis chaque mois à son agent les relevés de chiffres d'affaires, ce qui n'est pas contesté.

Aucune carence dans la fourniture des documents comptables ne peut être admise dès lors que ce mandant a communiqué en première instance pour la période du 1er juillet 2007 jusqu'à l'année 2013 puis en cause d'appel pour la période du 1er janvier 2014 au 17 mai 2017 des extraits du grand livre des tiers concernant l'activité de M. [F], ainsi que le tableau récapitulatif du chiffre d'affaires toutes taxes comprises déclaré par le client, qui transcrivent les factures établies, leur date, le nom des clients, le montant TTC, les mouvements de comptes en débit et crédit et par mois pour ces périodes, accompagnés d'une attestation de conformité d'un expert-comptable, ce qui satisfait aux exigences de l'article R 134-3 du code de commerce qui n'oblige le mandant qu'à fournir un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions dues à l'agent, et pour le secteur d'activité et géographique qui le concerne à l'exclusion de tout autre.

Le grief d'insuffisance de communication des pièces comptables permettant de vérifier le calcul de ses commissions, qualifiées 'd'incomplètes et tronquées', ne peut être retenu dès lors que, conformément aux dispositions légales, il s'agit d'extraits, que M. [F] n'exerçant pas son activité sur l'ensemble du territoire national, la communication de l'intégralité des grands livres reflétant la totalité des affaires conclues sur l'ensemble du territoire national par la Sas Dupuy ne pouvait être exigée, comme l'a d'ailleurs déjà estimé le juge de la mise en état.

Les prétendues retenues injustifiées opérées ne sont pas davantage caractérisées, l'article 6 du contrat relatif aux commissions précisant qu'elles sont fixées à 5 % sur le montant hors taxes, après déduction éventuelle des remises immédiates ou différées et M. [F] n'établissant aucunement qu'elles aient excédé le cadre contractuel ainsi défini.

Le défaut de paiement de commissions n'est pas non plus avéré pour les raisons qui seront exposées lors de l'examen de sa demande de règlement d'un arriéré de commissions.

En revanche, des retards de paiement de commissions, qui ne sont pas restés ponctuels, sont caractérisés.

Par courrier du 1er avril 2011 M. [F] a dénoncé l'absence de paiement de ses factures de décembre 2010 et de janvier 2011 pourtant conformes aux montants communiqués par le service comptable de la Sas Dupuy.

A compter de 2015, les commissions lui ont été réglées par chèque adressé un mois après sa date d'établissement comme en attestent les copies des enveloppes et chèques versés aux débats par M. [F] ; cette situation s'est notamment produite en février 2015 et juillet 2015 ; elle a fait l'objet pour l'année 2016 de plusieurs constats d'huissiers en date du 13 mai 2016 attestant de ce même décalage entre l'envoi du courrier le 6 mai 2016 et l'émission du chèque le 15 avril 2016, en date du 27 juin 2016 avec un cachet de la poste sur l'enveloppe d'envoi du 23 juin 2016 et un chèque du 23 mai 2016, en date du 28 octobre 2016 avec un envoi postal du 26 octobre 2016 et un chèque du 21 septembre 2016.

Or, en vertu de l'article 6. 2 du contrat d'agent commercial 'Les commissions sont payables le mois civil suivant la fin de chaque mois'.

Ces retards de règlement de commissions dues à l'agent qui se sont poursuivies dans le temps sur deux années successives et à plusieurs reprises caractérisent une faute du mandant à une obligation contractuelle essentielle.

*

Les fautes respectives commises par chacune des deux parties envers l'autre et de nature à justifier la résiliation de la convention, commandent d'imputer à leurs torts partagés la rupture survenue le 16 février 2017.

Sur les incidences de la rupture du contrat

* vis à vis de M. [F]

En vertu de l'article L 134-12 du code de commerce M. [F] a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, dès lors qu'aucune circonstance ne permet d'exclure ce droit, en l'absence de toute faute grave de sa part comme déjà analysé ; elle compense la perte des rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon leur nature.

Par la cessation du contrat, l'agent commercial se trouve privé de son pouvoir de représentation, de la part du marché qu'il avait constituée et du potentiel de commissions généré par son activité.

Au vu des données de la cause et notamment de l'ancienneté des relations contractuelles soit 17 ans (d'octobre 1999 à février 2017), du montant du chiffre d'affaires réalisé avec le mandant qui s'est toujours maintenu depuis 2007 entre 1.700.000 € et 1.880.000 € (chiffres arrondis) avec des pointes au-delà de 1.900.000 € en 2011 et 2012 et au-delà de 2.000.000 € en 2010, du contexte de la rupture, l'indemnisation de M. [F] doit être fixée à l'équivalent de trois années de commissions sur la base de la moyenne des trois dernières années soit 2014 à 2016 qui selon les pièces justificatives produites s'établit à environ 90.000 € ce qui donne une somme de 270.000 € ; aucun décompte précis des commissions n'a été communiqué par les parties pour ces années là mais il s'induit des attestations de l'expert comptable EXCO relatives aux 'chiffres d'affaires TTC déclarés par client et par mois à M. [F]' pour 2014 et 2015 et pour les mois de janvier à mai 2016 complétés pour les sept mois suivants par les documents mensuels intitulés 'CA par vendeur' ; cette indemnité intègre tous les aspects patrimoniaux, ce qui exclut les dommages et intérêts complémentaires réclamés 'pour la perturbation causée à son activité qui lui cause un tort important' ainsi que pour le préjudice moral, non démontré.

La brutalité de la rupture sans aucun préavis, en l'absence de faute grave avérée, en violation de l'article L 134-11 du code de commerce qui imposait un délai de 3 mois est source de préjudice distinct pour M. [F] ouvrant droit à une indemnité spécifique de 23.800 €.

En vertu de l'article 1153-1 devenu 1231-7 code civil, les intérêts de retard courent au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt.

Aucun arriéré de commissions ne peut être alloué à M. [F], en l'absence de tout élément justificatif venant étayer l'importante demande formulée à ce titre puisqu'elle atteint 228.000 €.

La conformité des informations communiquées par la Sa Dupuy sur le chiffre d'affaires déclaré par client et par mois à M. [F] avec les éléments comptables a été attestée par le commissaire aux comptes pour les années 2007 à 2017.

Cet agent critique ces chiffres mais sans communiquer de décompte détaillé et explicatif.

Il se borne à établir des factures 12 bis/16 du 24/10/2016 sous le libellé 'solde des commissions du CA réalisé sur mon secteur de janvier à septembre 2015 et de janvier à septembre 2016 conforme aux éléments fournis par M. [G] de 2007 à 2013" d'un montant de 92.698,83 € et une facture n° 5 du 15/04/2016 pour 'solde de commissions du CA réalisé sur mon secteur de 2007 à 2014 conforme à votre expert comptable' pour 136.161,78 €, composées d'un chiffre global HT, TVA, TTC.

Ses deux tableaux récapitulatifs (pièce 33 et 37) ne sont pas davantage explicités et comportent des chiffres globaux annuels sans référence précise à tel ou tel document, sans être accompagnés d'une note détaillée précisant quelle écriture et de quelle nature figurant dans les pièces comptables aurait été omise par rapport aux relevés mensuels reçus de la Sas Dupuy.

Par ailleurs, l'article 6 du contrat stipule que la commission est de 5 % sur le montant HT des ventes réalisées par l'intervention de l'agent commercial mais après déduction éventuelle des remises immédiates ou différées ; les montants correspondants figurent précisément, mois par mois, dans l'attestation de la Sa KPMG, commissaire aux comptes de la Sas Dupuy.

Le rapport établi le 10 mai 2016 par l'expert comptable de M. [F] ne peut servir de base à la solution du litige dès lors le juge ne peut, pour statuer, se fonder exclusivement sur une mesure d'instruction amiable réalisée non contradictoirement à la demande d'une seule des parties ; au surplus, il n'est pas réellement motivé et se fonde sur des critères donnés par l'agent commercial qui sont parfois inexacts tels le bénéfice de l'exclusivité sur son secteur ou des déductions non autorisés sur le chiffre d'affaires apporté, de sorte que des investigations techniques poussées seraient nécessaires.

Toute mesure d'instruction est à écarter, l'article 146 du code de procédure civile interdisant de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve, d'autant que M. [F] n'envisage pas d'avancer les frais d'une expertise qui n'est pas sollicitée dans le dispositif de ses conclusions.

La communication de l'intégralité des livres comptables de la Sas Dupuy n'est pas davantage justifiée, en l'absence de raison particulière à l'espèce de déroger aux dispositions de l'article R 134-3 du code de commerce qui vise la fourniture d'un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions dues, lesquels ont bien été communiqués, d'autant que M. [F] n'exerçait pas son activité sur l'ensemble du territoire national mais sur un secteur géographique bien défini.

* Vis à vis de la Sas Dupuy

Dès lors que la Sas Dupuy a connu et toléré les manquements à l'obligation de loyauté dont M. [F] était débiteur à son égard du fait de l'activité exercée pour le compte de deux sociétés espagnoles pendant le cours du mandat, elle ne peut plus s'en prévaloir ensuite pour obtenir une indemnisation du préjudice dont elle se prétend victime.

Sa demande de communication de pièces comptables relatives au chiffre d'affaires réalisé par M. [F] pour le compte des sociétés Carnicas Serrano et Font-Sans pour la période du 10 mars 2008 au 16 février 2017 doit également être rejetée.

Sur les demandes annexes

La Sas Dupuy qui succombe dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des entiers dépens de première instance et d'appel et doit être déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande d'allouer à M. [F] une indemnité globale de 10.000 € au titre de ses frais irrépétibles exposés devant le tribunal et la cour.

Par ces motifs

La Cour,

- Déclare irrecevables les conclusions déposées et notifiées le 5 septembre 2018 et les pièces n° 92 et n° 93 communiquée le 5 septembre 2018 par M. [F].

- Infirme le jugement.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- Déboute chacune des parties de leur demande respective de production de pièces comptables.

- Dit que la rupture à la date du 16 février 2017 du contrat d'agent commercial est imputable aux torts partagés des deux parties.

- Condamne la Sas Etablissements [5] à payer à M. [F] les sommes de

* 270.000 € au titre de l'indemnité compensatrice de rupture

* 23.800 € au titre de l'indemnité de préavis

* 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Déboute M. [F] de sa demande en dommages et intérêts complémentaires.

- Déboute la Sas Etablissements [5] de sa demande en dommages et intérêts pour concurrence déloyale et au titre de ses propres frais irrépétibles exposés devant le tribunal et la cour.

- Condamne la Sas Etablissements [5] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le greffierLe président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 1ere chambre section 1
Numéro d'arrêt : 16/01230
Date de la décision : 28/02/2019

Références :

Cour d'appel de Toulouse 11, arrêt n°16/01230 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-02-28;16.01230 ?
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