07/12/2018
ARRÊT N°18/907
N° RG 16/01346 - N° Portalis DBVI-V-B7A-K3TE
CAPA/BC
Décision déférée du 23 Février 2016 - Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de TOULOUSE (14/01175)
Anne X...
SASU HIREX ENGINEERING
C/
Michaël Y...
CONTRADICTOIRE
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2 - Chambre sociale
***
ARRÊT DU SEPT DECEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT
***
APPELANTE
SASU HIREX ENGINEERING
[...]
représentée par Me Laurent Z... de la SELARL COTEG & AZAM ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉ
Monsieur Michaël Y...
[...]
représenté par Me Marie F..., avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945.1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Octobre 2018, en audience publique, devant Caroline PARANT, présidente, chargée d'instruire l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Caroline PARANT, présidente
Alexandra PIERRE-BLANCHARD, conseillère
Sonia A... ARCO SALCEDO, conseillère
Greffière, lors des débats : Brigitte COUTTENIER
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile
- signé par Caroline PARANT, présidente, et par Brigitte COUTTENIER, greffière de chambre.
EXPOSE DU LITIGE
La Sasu Hirex Engineering est une société spécialisée dans l'expertise des composants électroniques spatiaux de haute fiabilité.
Elle a embauché M. Michaël Y... en qualité d'ingénieur, suivant contrat de travail à durée indéterminée à effet au 27 août 2007, statut cadre position 1-2 coefficient 100 de la convention collective dite Syntec.
Au dernier état de la relation contractuelle, M. Y... était classé en position 2-2 coefficient 130 de la convention collective précitée.
Le 29 janvier 2014, la société Engineering a convoqué M. Y... à un entretien préalable à son éventuel licenciement pour faute grave, lui reprochant une intrusion dans le système informatique de la société, la copie de documents personnels de dirigeants de la société et de documents sensibles se rapportant à l'activité de la société, et leur stockage sur un périphérique extérieur.
A l'issue de l'entretien préalable réalisé le 10 février 2014, M. Y... se voyait notifier son licenciement pour faute grave le 14 février 2014.
M. Y... a saisi la juridiction prud'homale le 5 mai 2014.
Par jugement de départition du 23 février 2016, le conseil de prud'hommes de Toulouse a déclaré sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. Y... et condamné la société Hirex Engineering à verser à celui-ci les sommes suivantes :
- 7 000 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 10 500 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 050 € au titre des congés payés y afférents,
- 1 945,07 € bruts à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire outre 194,50 € au titre des congés payés y afférents,
- 37 000 € à titre de dommages et intérêts.
La juridiction prud'homale a, en outre, ordonné le remboursement à Pôle Emploi des indemnités chômage versées à M. Y... dans la limite de six mois d'indemnités, condamné la société Hirex Engineering à verser à M. Y... une somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens et ordonné l'exécution provisoire de la décision.
La société Hirex Engineering a interjeté appel dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées.
Par conclusions visées au greffe le 5 juin 2018 reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément fait référence, la société Hirex Engineering demande à la cour :
- A titre liminaire :
* de juger qu'elle a procédé au versement au profit de M. Y... des sommes fixées par le jugement entrepris au titre de l'exécution provisoire ordonnée en application de l'article 515 du code de procédure civile,
* de débouter par conséquent M. Y... de son exception d'irrecevabilité fondée sur les articles 409-1 à 410-1 du code de procédure civile,
- Sur le fond :
* de juger qu'elle apporte la preuve matérielle de ce que M. Y... a, sans autorisation, ni habilitation, procédé frauduleusement à la copie, au stockage et au transfert de fichiers confidentiels,
* de juger que ces faits sont personnellement et exclusivement imputables à M. Y..., et qu'ils sont constitutifs de faute grave justifiant le licenciement de M.Y...,
* de réformer par conséquent, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris,
* d'ordonner à M. Y... et de le condamner en tant que de besoin à procéder au remboursement de la somme de 36 000 € versée au titre de l'exécution provisoire,
* de condamner M. Y... à lui payer une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par dernières conclusions visées au greffe le 5 septembre 2018 reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément fait référence, M. Y... demande à la cour:
- à titre principal,
de déclarer irrecevable la demande de la société Hirex Engineering tendant à la réformation du jugement sur le chef de condamnation à des dommages et intérêts pour licenciement abusif, sous le constat de l'acquiescement au jugement par la société,
- A titre subsidiaire,
de constater que la société Hirex Engineering a, pour partie, acquiescé au jugement à hauteur de 18 238,47 € et de déclarer, au moins partiellement, irrecevable sa demande de réformation du jugement sur le chef de condamnation à des dommages et intérêts pour licenciement abusif,
En toute hypothèse :
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- de condamner la société Hirex Engineering à lui verser en cause d'appel une somme de 3000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
MOTIFS
Sur l'acquiescement au jugement
M. Y... soutient que la société Hirex Engineering a acquiescé au jugement déféré.
Cette dernière a en effet exécuté volontairement et de sa propre initiative ce jugement à hauteur de 36000€, soit au-delà des sommes auxquelles elle était tenue au titre de l'exécution provisoire de droit.
Il ajoute que la société Hirex Engineering ne peut prétendre que la décision de la juridiction prud'homale était assortie de l'exécution provisoire pour l'intégralité de ses dispositions tout en ayant cantonné son exécution à 9 mois de salaire.
Enfin, il argue qu'au demeurant, la somme versée au titre de l'exécution provisoire par la société Hirex Engineering ne correspond pas à l'équivalent de 9 mois de salaire.
M. Y... allègue, à titre subsidiaire, que la société Hirex Engineering a, a minima, acquiescé au jugement à hauteur de 18 238,47 €.
La société Hirex Engineering conteste avoir acquiescé au jugement.
Elle soutient que la juridiction prud'homale a, sans équivoque, ordonné dans son jugement l'exécution provisoire sur l'ensemble des sommes portées sur la condamnation, allant au-delà de celles qui ont la nature de salaire.
Elle affirme avoir rempli son obligation dans le respect des textes en versant au titre de cette exécution provisoire une somme correspondant à 9 mois de rémunération, au-delà même de l'exécution provisoire de droit.
Sur ce,
Si, en application de l'article 409 du code de procédure civile, l'acquiescement au jugement emporte soumission aux chefs de celui-ci et renonciation aux voies de recours, encore faut il qu'il soit certain, l'article 410 du même code prévoyant qu'il puisse être exprès ou implicite et indiquant que l'acquiescement sans réserve d'un jugement non exécutoire vaut acquiescement hors le cas où celui-ci n'est pas permis.
En l'espèce, il résulte de la lecture du jugement entrepris que le conseil de prud'hommes a ordonné l'exécution provisoire de toute la décision de sorte qu'aucun acquiescement implicite ne peut être tiré de l'exécution partielle du jugement par la société Hirex Engineering qui s'est acquittée du paiement de la somme de 36 000 € en 5 versements.
La fin de non recevoir tirée de l'acquiescement au jugement sera rejetée.
Sur le licenciement
La société Hirex Engineering soutient que le licenciement pour faute grave de M.Y... est fondé.
Elle allègue que les faits qui sont reprochés à M. Y... au titre de la faute grave sont établis et qu'il ne fait pas de doute que ceux-ci ont été réalisés à l'aide du compte utilisateur du salarié.
Elle affirme que M.Y... ne conteste d'ailleurs pas que ces actes ont été accomplis à partir de l'unité centrale se rattachant au poste informatique professionnel qui lui était attribué.
La société Hirex Engineering tire cette preuve des éléments objectifs suivants :
- le logiciel antivirus SOPHOS qui sert à protéger ses données et son système informatiques, a déclenché le 28 janvier 2014 l'envoi d'une série d'e-mails d'alerte à la direction. Il a ainsi signalé l'intrusion de M. Y... sur le système informatique de la société et la copie par celui-ci sur un périphérique USB, de répertoires nominatifs et personnels concernant des dirigeants de la société, de répertoires comportant des informations confidentielles sur les orientations stratégiques de la société ainsi que sa gestion courante, alors que M. Y... ne disposait d'aucune habilitation pour effectuer ce type d'opérations ;
- l'expertise diligentée sur la copie du disque dur de l'ordinateur de M. Y... établit que les copies litigieuses émanent du compte de M. Y... ;
- les salariés présents attestent n'être jamais intervenus sur le poste de travail de M.Y... ;
- M. Y... a ainsi violé la charte de bon usage des moyens informatiques annexée au règlement intérieur ;
- il a pu profiter de l'intervention, le 28 janvier 2014, de l'administrateur réseau à l'occasion de l'installation d'un nouveau logiciel sur son poste informatique, pour accéder à l'ensemble de ces données et effectuer les manoeuvres qui lui sont reprochées.
M. Y... soutient qu'il existe un doute sur le fait qu'il soit l'auteur des faits fautifs qui lui sont reprochés et il conteste en être l'auteur.
Il allègue que plusieurs éléments sont de nature à semer le doute sur son implication :
- un laps de temps s'est écoulé entre la constatation des faits par le logiciel SOPHOS (le 28 janvier 2014 entre 16h52 et 17 heures) sa mise à pied conservatoire (le 29 janvier 2014 à 15 heures) et le procès-verbal de constat réalisé par l'huissier de justice (le 29 janvier 2014 à 17 heures) de sorte qu'une autre personne que lui pourrait avoir commis les actes incriminés dans l'intervalle ;
- l'expertise informatique réalisée s'est limitée à une simple copie du disque dur de son ordinateur ; il n'a pas été procédé à l'analyse technique de ce disque dur, ne démontrant nullement qu'il ait été l'auteur du déplacement des fichiers dits 'confidentiels' vers un périphérique externe ;
- il n'est pas non plus établi que les messages SOPHOS proviendraient de son poste informatique ;
- il travaillait en open space, son poste était donc facilement accessible par les autres personnes qui travaillaient à proximité ;
- le jour des faits, le responsable informatique qui était en train d'effectuer une maintenance, a également eu accès à son ordinateur et a commis la négligence de laisser sa propre session ouverte, engendrant une confusion sur les horaires auxquels chacun aurait eu accès aux dits fichiers ;
- rien ne permet d'établir qu'il ait introduit la clé USB, donc qu'il soit l'auteur des prétendues copies, d'autant que le responsable informatique a eu, le jour de son intervention, accès à sa session qui était ouverte.
M. Y... soutient, par ailleurs, que l'utilisation du logiciel SOPHOS constitue un mode de preuve illicite car ce procédé, qui a été détourné de son objet par l'employeur afin de lui permettre de contrôler l'activité des salariés, aurait dû faire l'objet d'une déclaration auprès de la CNIL.
Sur ce point, la société Hirex Engineering rétorque que le logiciel SOPHOS est un antivirus qui n'a pas à faire l'objet d'une telle déclaration.
M. Y... ajoute enfin que la charte informatique dont se prévaut la société constitue une annexe au règlement intérieur qui, pour être opposable au salarié, aurait dû être déposée auprès de l'Inspection du travail ou soumise à la consultation des délégués du personnel, ce qui n'a pas été fait.
Sur ce,
Il est rappelé qu'il appartient à la société Hirex Engineering qui a licencié M. Y... pour faute grave de rapporter la preuve de la réalité des faits reprochés au salarié dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige et d'établir que ces faits rendaient impossible le maintien de la relation de travail.
La société Hirex Engineering rapporte la preuve par les constats réalisés par Me B...
le 29 janvier 2014 et, le 3 février, sous le contrôle de M. C..., expert informatique, que, le 28 janvier 2014 dans l'après-midi, de nombreux documents confidentiels de la société Hirex Engineering ont été copiés sur le logiciel de la société Hirex Engineering puis déplacés sur le disque amovible de M. Y.... Ce fait est corroboré par l'expertise de M. D... du 6 septembre 2016.
M. Y... soutient que la preuve n'est pas rapportée qu'il soit l'auteur de cette manoeuvre de piratage de données informatiques confidentielles. Il ne conteste pas la réalité de la manoeuvre d'appropriation des fichiers depuis son poste informatique mais seulement qu'il en ait été l'auteur.
La cour estime, comme le conseil de prud'hommes, que l'attestation de M. E..., informaticien intervenu le 28 janvier 2014, ne permet nullement de lever le doute sur l'auteur du piratage : en effet, il résulte de son attestation qu'il est bien intervenu le 28 janvier 2014 sur le poste de M. Y... aux fins d'installation d'un logiciel sur son ordinateur professionnel ; que, pour ce faire, il s'est connecté avec la session administrateur du domaine sur son ordinateur ; que, pendant l'installation du logiciel, il a effectué d'autres tâches informatiques sur d'autres ordinateurs dans le même laboratoire et qu'à la fin de l'installation, après avoir validé avec M. Y... le bon fonctionnement du logiciel, il a omis de fermer la session administrateur sur son ordinateur.
La lecture de cette attestation permet d'établir que, le jour des faits reprochés à M.Y..., cet informaticien a eu la main sur l'ordinateur professionnel de M. Y... et qu'à la fin de son intervention il a omis de fermer la session administrateur sur cet ordinateur.
L'intervention de ce tiers le jour du piratage sur l'ordinateur de M. Y... avec ouverture de la session administrateur permet à la cour, comme l'a fait le conseil de prud'hommes, de constater qu'au moins deux utilisateurs, M. Y... et M. E... ont pu effectuer la manoeuvre de copie des documents confidentiels sur le logiciel de la société Hirex Engineering. La seconde attestation de l'informaticien, salarié de la société appelante qui certifie n'avoir effectué aucune autre copie sur le disque dur de l'ordinateur que celle du fichier dont il était chargé de l'installation est insuffisante à établir la preuve de ce que l'attestant avance, s'agissant d'un fait reproché à l'attestant, salarié de la société appelante.
De même, la lecture des deux attestations des collègues de travail de M. Y... présents dans l'open space le 28 janvier 2014 permet seulement d'établir qu'ils n'ont pas vu d'autre personne que M. E... et M. Y... utiliser le 28 janvier 2014 l'ordinateur de M.Y... et qu'au départ de M. E..., M. Y... a repris l'utilisation de son ordinateur.
La cour estime, à la lecture des pièces versées aux débats, que l'imputabilité de l'intrusion de M. Y... sur le système informatique de la société et la copie par celui-ci sur un périphérique USB, de répertoires nominatifs et personnels concernant des dirigeants de la société, de répertoires comportant des informations confidentielles sur les orientations stratégiques de la société ainsi que sa gestion courante n'est pas certaine eu égard au travail effectué sur l'ordinateur par l'informaticien E... le jour des faits et en raison de son accès à la session administrateur depuis le poste de M. Y.... Elle rappelle que la procédure pénale engagée par la société Hirex Engineering a fait l'objet d'un classement sans suite, la procureure générale, saisie d'un recours contre ce classement sans suite, ayant indiqué au directeur général de la société Hirex Engineering que, 'bien que de fortes présomptions existent à la charge du mis en cause (M. Y...), il n'existe pas de preuve formelle de nature à emporter la conviction d'un tribunal' ...
Elle confirmera en conséquence le jugement entrepris qui a jugé le licenciement de M.Y... sans cause réelle et sérieuse et lui a alloué un rappel de salaire sur mise à pied ainsi que le bénéfice de ses indemnités de rupture dont le quantum n'est pas discuté par la société appelante.
La cour confirmera également le montant des dommages et intérêts alloués à M. Y... pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail , soit 37 000 €, eu égard à l'ancienneté de M. Y..., soit 6 ans et demi, sa situation au regard de l'emploi, M. Y... ayant retrouvé sur Albi un emploi d'ingénieur avec une perte de salaire d'environ 300 € par rapport à son salaire de base après 15 mois de chômage, la moyenne des 6 derniers mois de salaire figurant sur son attestation Pôle Emploi s'élevant à 4 519 €.
Sur le surplus des demandes
La condamnation de la société Hirex Engineering au remboursement des allocations Pôle Emploi sera confirmée par application combinée des articles L.1235-3 et 4 du code du travail
La société Hirex Engineering qui succombe en cause d'appel sera condamnée aux dépens et à payer à M. Y... la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement entrepris étant confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Rejette la fin de non recevoir tirée de l'acquiescement au jugement,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
y ajoutant,
Condamne la société Hirex Engineering à payer à M. Michaël Y... la somme de 3000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Hirex Engineering aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Caroline PARANT, présidente, et par Brigitte COUTTENIER, greffière
LA GREFFIERELA PRÉSIDENTE
Brigitte COUTTENIERCaroline PARANT