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11/01/2010 | FRANCE | N°08/06000

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 1ère chambre section 1, 11 janvier 2010, 08/06000


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11/01/2010



ARRÊT N° 24



N°RG: 08/06000

CF/CD



Décision déférée du 04 Novembre 2008 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - 06/03933

Mme BENEIX

















[S] [M]

représenté par la SCP CANTALOUBE-FERRIEU CERRI





C/



[U] [Z] épouse [N]

représentée par la SCP B. CHATEAU

[T] [N]

représenté par la SCP B. CHATEAU

[P] [N] épouse [V]

représentée par la SCP B. CHATEAU

[E] [N]

épouse [C]

représentée par la SCP B. CHATEAU

[L] [N]

représenté par la SCP B. CHATEAU

[H] [N]

représenté par la SCP B. CHATEAU

[X] [N]

représenté par la SCP B. CHATEAU

CPAM DE LA HAUTE GARONNE

représentée par la SCP DESSART-SOREL-DESS...

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11/01/2010

ARRÊT N° 24

N°RG: 08/06000

CF/CD

Décision déférée du 04 Novembre 2008 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - 06/03933

Mme BENEIX

[S] [M]

représenté par la SCP CANTALOUBE-FERRIEU CERRI

C/

[U] [Z] épouse [N]

représentée par la SCP B. CHATEAU

[T] [N]

représenté par la SCP B. CHATEAU

[P] [N] épouse [V]

représentée par la SCP B. CHATEAU

[E] [N] épouse [C]

représentée par la SCP B. CHATEAU

[L] [N]

représenté par la SCP B. CHATEAU

[H] [N]

représenté par la SCP B. CHATEAU

[X] [N]

représenté par la SCP B. CHATEAU

CPAM DE LA HAUTE GARONNE

représentée par la SCP DESSART-SOREL-DESSART

CONFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ère Chambre Section 1

***

ARRÊT DU ONZE JANVIER DEUX MILLE DIX

***

APPELANT

Monsieur [S] [M]

[Adresse 10]

[Localité 9]

représenté par la SCP CANTALOUBE-FERRIEU CERRI, avoués à la Cour

assisté de la SCP MERCIE FRANCES JUSTICE ESPENAN, avocats au barreau de TOULOUSE

INTIMES

Madame [U] [Z] épouse [N]

[Adresse 4]

[Localité 8]

représentée par la SCP B. CHATEAU, avoués à la Cour

assistée de la SCP DENJEAN - ETELIN M.C. - ETELIN C. - SERIEYS, avocats au barreau de TOULOUSE

Monsieur [T] [N]

[Adresse 11]

[Localité 13]

représenté par la SCP B. CHATEAU, avoués à la Cour

assisté de la SCP DENJEAN - ETELIN M.C. - ETELIN C. - SERIEYS, avocats au barreau de TOULOUSE

Madame [P] [N] épouse [V]

[Adresse 5]

[Localité 14]

représentée par la SCP B. CHATEAU, avoués à la Cour

assistée de la SCP DENJEAN - ETELIN M.C. - ETELIN C. - SERIEYS, avocats au barreau de TOULOUSE

Madame [E] [N] épouse [C]

[Adresse 2]

[Localité 14]

représentée par la SCP B. CHATEAU, avoués à la Cour

assistée de la SCP DENJEAN - ETELIN M.C. - ETELIN C. - SERIEYS, avocats au barreau de TOULOUSE

Monsieur [L] [N]

[Adresse 3]

[Localité 13]

représenté par la SCP B. CHATEAU, avoués à la Cour

assisté de la SCP DENJEAN - ETELIN M.C. - ETELIN C. - SERIEYS, avocats au barreau de TOULOUSE

Monsieur [H] [N]

[Adresse 12]

[Localité 13]

représenté par la SCP B. CHATEAU, avoués à la Cour

assisté de la SCP DENJEAN - ETELIN M.C. - ETELIN C. - SERIEYS, avocats au barreau de TOULOUSE

Monsieur [X] [N]

[Adresse 1]

[Localité 8]

représenté par la SCP B. CHATEAU, avoués à la Cour

assisté de la SCP DENJEAN - ETELIN M.C. - ETELIN C. - SERIEYS, avocats au barreau de TOULOUSE

CPAM DE LA HAUTE GARONNE

[Adresse 7]

[Localité 8]

représentée par la SCP DESSART-SOREL-DESSART, avoués à la Cour

COMPOSITION DE LA COUR

Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 17 Novembre 2009 en audience publique, devant la Cour composée de :

A. MILHET, président

O. COLENO, conseiller

C. FOURNIEL, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : E. KAIM-MARTIN

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par A. MILHET, président, et par E. KAIM-MARTIN, greffier de chambre.

********

EXPOSE DU LITIGE

A la suite d'examens médicaux réalisés en 1990 par le docteur [S] [M], il a été révélé que monsieur [R] [N] présentait une tumeur de la vessie située sur la face latérale gauche.

Le docteur [M] a procédé le 2 novembre 1990 à une cystectomie totale avec reconstitution de vessie et préservation des nerfs érecteurs et ablation de la prostate.

Monsieur [N] a depuis lors été incontinent, impuissant et sujet à de nombreuses infections urinaires.

De nombreux patients ayant formulé des plaintes contre ce praticien, une information pénale a été ouverte.

Plusieurs expertises ont été réalisées dans le cadre de l'instruction, mais aussi des procédures au fond en première instance et en appel.

Le docteur [M] a été relaxé des fins des poursuites dirigées à son encontre.

Par acte d'huissier du 8 novembre 2006 monsieur [N] a fait assigner devant la juridiction civile le docteur [M] en responsabilité et réparation de l'ensemble de ses préjudices sur le fondement de la faute médicale et du manquement à son obligation d'information.

Il a également fait assigner la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de la Haute Garonne.

Monsieur [N] étant décédé le [Date décès 6] 2007, ses ayant droits ont repris l'instance.

Suivant jugement en date du 4 novembre 2008, le tribunal de grande instance de TOULOUSE a :

-déclaré le docteur [M] entièrement responsable des préjudices subis par monsieur [R] [N] en raison de l'intervention chirurgicale du 2 novembre 1990 ;

-condamné le docteur [M] à payer à madame [U] [N], messieurs [T] [L] [H] et [X] [N], mesdames [P] et [E] [N] la somme de 131.300 euros en réparation des préjudices soufferts par monsieur [R] [N] outre celle de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

-débouté les consorts [N] de leurs amples demandes ;

-condamné le docteur [M] aux dépens ;

-prononcé l'exécution provisoire de la décision.

Monsieur [S] [M] a relevé appel de ce jugement par déclaration en date du 27 novembre 2008 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas discutées.

Il demande à la cour :

-à titre principal, de débouter les consorts [N] de l'ensemble de leurs demandes, de déclarer irrecevables les demandes de la CPAM de la Haute Garonne, et de condamner tout succombant à lui payer la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP CANTALOUBE-FERRIEU-CERRI ;

-à titre subsidiaire, si la cour devait estimer qu'il ne rapporte pas la preuve de la délivrance de son obligation d'information sur les conséquences de l'intervention, et du recueil d'un consentement valable, de :

* dire et juger que le lien de causalité entre la faute alléguée et le dommage est hautement incertain, et débouter en conséquence les consorts [N] de l'ensemble de leurs demandes indemnitaires,

*dire et juger que le lien de causalité entre la faute alléguée et les prestations versées par la CPAM de la Haute Garonne est hautement incertain, et débouter la CPAM, qui ne distingue pas les frais engagés du seul fait de l'intervention litigieuse, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

-à titre infiniment subsidiaire, de :

*dire et juger que le préjudice de monsieur [N] s'analyse en une perte de chance, laquelle ne peut dépasser 30 %, correspondant au pourcentage de chances de rémission de la tumeur par BCG thérapie,

*liquider le préjudice corporel de monsieur [N] en réduisant les indemnités allouées, à l'exclusion du pretium doloris, au prorata temporis compte tenu du décès de monsieur [N] survenu pour autre cause le [Date décès 6] 2007,

*liquider la créance de la CPAM de la Haute Garonne et dire et juger que cette créance s'imputera par priorité sur les postes de préjudice soumis à recours.

L'appelant, après avoir rappelé le principe de la liberté du choix thérapeutique du médecin, fait valoir que le tribunal a omis de prendre en considération la littérature médicale qu'il avait fournie, dont il résulte qu'il coexistait à l'époque de l'intervention litigieuse une thèse chirurgicale divergente de celle recommandée par les experts, que les premiers juges ont par ailleurs complètement éludé tous les éléments inhérents à la personne du patient, qui sont pourtant absolument indissociables de la personnalisation du traitement, que l'intervention qu'il a pratiquée était parfaitement légitime et efficace, qu'elle s'inscrivait dans un contexte scientifique d'absence de consensus thérapeutique, et qu'elle a permis de préserver le pronostic vital du patient, qui a pu vivre pendant 17 ans après l'intervention sans avoir subi de récidive métastasique.

Il affirme que les experts ont commis une confusion au stade de l'exploitation du résultat de la résection endoscopique qui objectivait un carcinome urothélial de grade III stade 0, en lieu et place d'un grade III au moins A, lequel est beaucoup plus grave que le stade 0, et qu'ils ont éludé un peu vite que d'autres facteurs de gravité étaient réunis, à savoir un scanner montrant une forme infiltrante de la tumeur, une pénétration profonde et complète du chorion, avec un doute sur l'atteinte du muscle, et une tumeur qui n'était pas unique.

En ce qui concerne le défaut d'information et le défaut de recueil du consentement, monsieur [M] rappelle qu'aucun texte n'impose une information écrite du patient, ni la remise d'une brochure type, et prétend que les courriers des 23, 26 octobre et 24 novembre 1990 démontrent qu'il a parfaitement rempli son obligation d'information lorsqu'il a reçu monsieur [N] le 26 octobre 1990 afin de discuter avec lui des orientations thérapeutiques, mais également qu'il a tenu informé son médecin traitant le docteur [D], avec qui monsieur [N] a certainement dû évoquer l'intervention chirurgicale envisagée.

Il souligne que monsieur [N] a continué à le consulter pendant plus d'un an et qu'il n'a jamais soutenu au cours des expertises que s'il avait connu les effets secondaires de cette intervention il n'aurait pas donné son consentement.

A titre subsidiaire, il affirme que les consorts [N] ne sont pas en mesure de démontrer que la guérison de monsieur [N] aurait été obtenue par l'utilisation d'un traitement conservatif, ni qu'il n'aurait pas eu à subir cette prostato-cystectomie quelques mois plus tard, avec les mêmes conséquences que celles qu'il a subies, qu' à supposer que l'information requise n'ait pas été donnée, ils ne démontrent pas que monsieur [N] aurait refusé l'intervention s'il en avait connu les séquelles éventuelles, et qu'il aurait opté pour une solution dans laquelle les chances de survie étaient seulement de 30 % et les risques d'aggravation de 70 %, plutôt que pour une solution certes plus radicale mais lui assurant une guérison à 85 voire 90 %.

Il est fait référence aux écritures de l'appelant pour l'exposé détaillé des propositions d'indemnisation et des contestations de certains postes de préjudice qu'il formule dans l'hypothèse où l'existence d'une perte de chance serait retenue.

Monsieur [M] ajoute que la CPAM, déjà partie au litige en première instance, n'avait ni conclu, ni produit sa créance devant les premiers juges, qu'elle n'est pas recevable à présenter en appel de nouvelles demandes qui n'ont pas pour objet d'opposer des compensations, ou de faire écarter des prétentions adverses, qu'elle n'a pas la qualité de tiers intervenant en appel, et que ses prétentions ne constituent pas une demande reconventionnelle.

A titre subsidiaire, il fait observer que la CPAM ne peut réclamer le paiement de prestations qu'elle aurait de toute façon été amenée à verser à monsieur [N] du fait de son affection tumorale, indépendamment de l'intervention litigieuse.

Les consorts [N] concluent à titre principal à la confirmation du jugement, sauf à condamner monsieur [M] à leur verser la somme de 425.369,24 euros en réparation des préjudices soufferts par leur auteur.

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où seule une perte de chance serait retenue, ils demandent qu'elle soit évaluée à 75 % du préjudice total.

Ils sollicitent enfin la condamnation du docteur [M] au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP CHATEAU.

Les intimés, appelants à titre incident, soutiennent que contrairement à ce que prétend le docteur [M], les conclusions des experts n'étaient pas basées sur une erreur quant au stade de la tumeur, que ces derniers ont bien travaillé sur l'hypothèse d'une tumeur de stade au moins A, que le docteur [M] n'a jamais demandé de contre-expertise, que monsieur [N] n'était pas atteint d'une tumeur aussi grave que continue mensongèrement de le prétendre le docteur [M], et que le pronostic vital n'était nullement engagé, qu'un examen préopératoire complémentaire aurait permis d'établir le bon diagnostic, et que la démonstration est faite qu'en pratiquant une prostatocystectomie totale hâtive et injustifiée, le docteur [M] a violé les articles R 4127-8 et R 4127-41 du code de la santé publique.

Les consorts [N] précisent que la faute de ce praticien est d'autant plus grave qu'il a pratiqué à tort cette intervention mutilante sans informer son patient de ses conséquences et donc sans recueillir un consentement valable, que monsieur [N] a toujours dénoncé le fait de n'avoir pas été correctement informé, que les courriers adressés par le docteur [M] au docteur [D] sont inopérants, que le fait que monsieur [N] ait revu 3 fois le docteur [M] après l'opération n'a aucune influence sur la question du défaut d'information préalable, que si monsieur [N] avait reçu l'information qui s'imposait il aurait pris le temps de la réflexion, notamment en prenant conseil auprès d'un autre chirurgien, aurait pu privilégier l'autre mode de traitement moins préjudiciable qu'est la BCG thérapie, et que dans l'hypothèse où il aurait décidé de tenter l'opération, il aurait pu prendre les dispositions nécessaires notamment au niveau patrimonial et professionnel.

Il est fait référence aux conclusions des consorts [N] quant aux demandes d'indemnisation des différents postes de préjudice subis par leur auteur.

La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de la Haute Garonne demande à la cour de condamner monsieur [M] à lui payer la somme de 137.280,73 euros, ainsi que celle de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre celle de 955 euros au titre des frais de gestion, et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP DESSART-SOREL-DESSART.

Elle soutient que ses prétentions n'introduisent aucun litige nouveau puisque la victime avait déjà fait état du caractère très important de la créance de l'organisme social et que dans le cadre de l'instance correctionnelle le docteur [M] avait pris connaissance du montant global de ses prestations, qu'il s'agit de respecter le principe de l'appel voie d'achèvement, et que sa demande peut être analysée comme une demande reconventionnelle se rattachant très largement aux prétentions initialement développées par les consorts [N].

La procédure a été clôturée par ordonnance du 17 novembre 2009.

* * *

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la responsabilité de monsieur [M]

Il se forme entre le médecin et son patient un véritable contrat comportant pour le praticien l'obligation de donner des soins consciencieux, attentifs et, sous réserve de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science.

Cette obligation concerne également le diagnostic posé par le médecin, ses investigations ou mesures préalables, le traitement qu'il doit adapter à la pathologie du patient, et le suivi de ce traitement.

La violation même involontaire de cette obligation engage la responsabilité du médecin sur le fondement de l'article 1147 du code civil et du nouvel article L 1141-1 du code de la santé publique.

Il s'agit d'une obligation de moyen dont le non respect ne peut engager la responsabilité du médecin que pour faute prouvée.

En l'espèce la demande des consorts [N] doit être examinée au regard des éléments fournis par les expertises instituées dans le cadre des procédures pénales, sur lesquelles ils fondent leur argumentation, et des données invoquées par le docteur [M] à l'appui de sa contestation de responsabilité.

Il résulte du rapport déposé le 9 janvier 1993 par les professeurs [I], [Y], [J] et [B], respectivement spécialistes en urologie, radiothérapie, radiologie et imagerie médicale et anatomo-pathologie, que la malignité des tumeurs de vessie s'apprécie par l'aspect des cellules tumorales (grades I, II, III, IV) et par la pénétration des cellules dans la paroi vésicale (stades O, A, B, C, D) ;

que la décision thérapeutique doit se fonder sur un faisceau d'arguments : aspect macroscopique des lésions en endoscopie, caractères anatomo-pathologiques, évolutivité locale ;

que le traitement est fonction de l'état de la tumeur :

-lorsque la tumeur est certainement maligne, les cellules cancéreuses atteignant la couche musculaire (à partir du stade B), la meilleure solution est une cystectomie totale, précédée ou encadrée par une radiothérapie ou une chimiothérapie, et avec remplacement vésical, ainsi qu' éventuellement une prostatectomie en cas d'extension de la tumeur à la prostate ou concomitance d'un cancer de la prostate.

Ce traitement peut avoir de graves conséquences sur la continence urinaire et sur la sexualité du patient.

-quand la tumeur n'atteint pas la couche musculaire mais dépasse déjà la sous muqueuse (stade A ou T1) et témoigne d'un processus évolutif manifesté par un grade cellulaire élevé, une localisation multifocale ou de grande taille supérieure à 3 cm, une récidive rapide après un premier traitement local, la décision légitime consiste en une prostatocystectomie totale avec vessie de remplacement.

-si la tumeur est de stade A infiltrant la sous muqueuse mais unifocale ou de petite taille, elle peut être traitée pendant des années par des résections endoscopiques itératives, étant précisé que selon certains auteurs cités par les experts seulement 12 % des tumeurs pTa deviennent infiltrantes, que le taux de récidive est de 40 % à 5 ans et de 50 % à 10 ans.

Les experts concluent que la résection trans uréthrale itérative est le geste thérapeutique initial commun à toutes les tumeurs de stade A, et qu'il est souvent suffisant pour les tumeurs de bon pronostic ;

que les tumeurs de pronostic incertain relèvent d'un traitement à vessie fermée et d'une surveillance régulière, que pour celles de mauvais pronostic des instillations endovésicales par BCG sont systématiquement entreprises après l'exérèse endoscopique de la tumeur, et que c'est seulement en cas d'échec que l'indication d'un traitement radical va se poser.

Dans leur rapport du 30 octobre 1993 concernant exclusivement monsieur [N], les experts indiquent que ce dernier était porteur d'une tumeur vésicale gauche que l'on peut considérer comme unique au vu des données de l'urographie intraveineuse, de l'échographie et de la cystoscopie.

Ils soulignent en effet que si sur le compte rendu anatomopathologique de la pièce de cystectomie totale il est fait état d'une tumeur plurifocale, tout porte à croire qu'il s'agit de plusieurs foyers regroupés autour de la tumeur principale, et non pas de tumeurs disséminées dans tout le réservoir vésical, dont le pronostic serait totalement différent ;

que le premier traitement à appliquer pour ce type de tumeur était donc une résection complète et profonde emportant l'ensemble des formations tumorales, alors que le docteur [M] s'est contenté d'une résection biopsique incomplète.

Ils estiment que même si cette tumeur était de grade III, rien ne permettait de prévoir son évolution ultérieure, et évoquent quatre évolutions possibles comportant un traitement différent :

-en cas de non récidive précoce, des contrôles réguliers de la vessie ;

-en cas de rédicive unique, une nouvelle résection avec à nouveau discussion du schéma thérapeutique ;

-en cas de récidive multifocale, une BCG thérapie intravésicale qui offrait de grands espoirs de guérison pour une tumeur superficielle ;

-en cas de récidive rapide (trois mois) avec progression de l'infiltration, une prostatocystectomie totale devenait légitime et urgente.

Dans ce contexte les experts s'étonnent que le docteur [M] ait pris d'emblée une décision de prostatocystectomie totale avec exécution quasi immédiate, puisqu'il s'est écoulé quinze jours entre la résection et cette intervention.

Ils concluent que le traitement qui a été appliqué à monsieur [N] pour la tumeur vésicale dont il était porteur, ne correspond pas aux règles de l'urologie connues en 1990, que la décision de faire une prostatocystectomie totale pour cette lésion a été hâtive, injustifiée, et que d'autres possibilités thérapeutiques existaient, n'ayant pas les mêmes conséquences sur le plan urinaire et sexuel.

Par arrêt du 21 septembre 2000, la chambre des appels correctionnels de cette cour a ordonné un complément d'expertise en demandant notamment aux experts précédemment désignés de dire s'il existait en 1990 une controverse ou un consensus thérapeutique sur le traitement à appliquer à un carcinome urothélial de grade III et de stade A.

En réponse à cette question les professeurs [O], [J] et [Y] indiquent le 10 mai 2004 :

'En reprenant les documents bibliographiques fournis dans le dossier ainsi que cette brève mise à jour publiée en 1991 qui synthétise assez bien le problème, il est indiscutable à notre sens, que le traitement que la majorité de la communauté urologique était d'accord pour considérer, de première intention d'une tumeur de vessie grade III stade A (ou T1) unifocale était représenté selon toute vraisemblance par un essai loyal d'instillations endovésicales de BCG thérapie suivi en cas d'échec, d'un traitement radical (prostatocystectomie totale avec enteroplastie de substitution éventuellement).'

Il apparaît que le docteur [M] s'est déterminé au vu des résultats des examens précédant l'opération, c'est à dire l'échographie, l'urographie, la tomodensitométrie et l'examen anatomo pathologique du docteur [G] qui concluaient à la présence d'une tumeur vésicale latérale gauche de grade III stade au moins A, c'est à dire une tumeur ayant infiltré le chorion.

Toutefois il n'avait pas constaté l'échec d'un traitement antérieur.

Or les experts expliquent que le degré de malignité d'une tumeur de la vessie est difficile à déterminer ;

qu'en effet l'examen radiologique traduit sa présence, mais ne permet pas de connaître le degré d'infiltration pariétale du pied de la tumeur, et que l'urographie intraveineuse, l'échographie et la tomodensitométrie (scanner) donnent des résultats assez décevants pour apprécier l'extension locale et locorégionale de la tumeur au début de leur évolution ;

que des erreurs ont lieu aussi bien en minoration qu'en majoration, et qu'il est toujours extrêmement difficile d'affirmer qu'une tumeur de vessie va devenir un véritable cancer.

Il s'ensuit que le docteur [M] n'avait aucune certitude quant au degré de malignité de la tumeur et à son évolution.

Au demeurant l'analyse post opératoire de la tumeur réalisée par le docteur [A] a démontré qu'il s'agissait d'une tumeur de faible dimension comprise entre 0,2 mm et 1 cm de diamètre de grade I stade T1 (A).

Les experts ont expliqué de façon claire pourquoi la tumeur pouvait être considérée comme unifocale, et le docteur [M] n'apporte pas d'éléments médicaux objectifs susceptibles de contredire efficacement leur analyse.

La conclusion du complément d'expertise déposé le 10 mai 2004 met en évidence que les experts n'ont pas commis de confusion quant au stade de la tumeur révélée initialement, qu'il s'agissait bien d'un stade au moins A et non d'un stade 0.

Par ailleurs cette conclusion fait apparaître qu'il existait en 1990 un consensus de la majorité de la communauté urologique pour traiter les tumeurs de vessie grade III stade A unifocales par instillations endovésicales de BCG thérapie.

A cet égard les documents produits par le docteur [M], qui n'a jamais sollicité de contre-expertise, ne sont pas de nature à remettre en cause l'appréciation des experts judiciaires, sérieusement étayée par de nombreuses références à des auteurs spécialisés en la matière.

L'article de 1997 du journal d'urologie de l'American Urological Association, rédigé en langue anglaise, est invoqué par l'appelant pour mettre en exergue les excellentes chances de survie des patients traités par cystoprostatectomie, élément non contesté.

Les extraits du congrès européen d'urologie tenu à [Localité 15] en mars 2003 évoquent la préconisation par certains auteurs dans la deuxième moitié des années 1980, d'une chirurgie radicale après résection endoscopique des tumeurs T1 G3, mais aussi le fait que dans les années suivantes la majorité des urologues préconisaient en première intention la tentative de contrôle par BCG.

L'article du professeur [O] du mois de janvier 2000 n'est pas en contradiction avec son avis du 10 mai 2004 puisqu'il mentionne sa préférence d'une approche conservatrice pour le traitement de ces tumeurs, et conclut que les instillations de BCG sont une alternative efficace dans ce traitement et permettent avec une faible morbidité de conserver le réservoir vésical.

L'existence d'antécédents médicaux présentés par monsieur [N] qui auraient pu conduire à privilégier le choix thérapeutique retenu par le docteur [M] n'est pas évoquée par les experts.

L'ensemble des données fournies par les expertises réalisées démontre que la prostatocystectomie totale avec vessie de remplacement ne peut pas être considérée comme une thérapie de prévention eu égard aux conséquences gravement invalidantes qu'elle entraîne ;

qu'il existe une marge d'erreur importante et des probabilités de stabilisation, du moins de maîtrise et même de guérison, qui doivent conduire à ne pas privilégier d'emblée un tel traitement radical.

Les premiers juges ont justement rappelé que la liberté de choix du praticien se limite à ce qui est adapté à l'état du patient et à sa pathologie.

Or les experts préconisent, s'agissant d'une tumeur de stade A infiltrant la muqueuse mais pas encore les muscles, une résection totale avec une surveillance constante, voire en cas de récidive unique une nouvelle résection, et en cas de récidive multifocale une BCG thérapie intravésicale, la prostatocystectomie ne devant être réalisée qu'en cas de récidive rapide, soit dans les trois mois.

Le docteur [M] n'ayant pas pris ces précautions qui correspondaient à un protocole connu comme appliqué par la majorité de la communauté des urologues à l'époque des faits, le tribunal a décidé à juste titre qu'il n'avait pas apporté à monsieur [N] les soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science que l'état de santé de ce dernier justifiait.

La responsabilité du docteur [M] a été justement retenue au titre de ce manquement à son obligation de soins, impliquant de mettre à sa charge la réparation de l'intégralité des préjudices subis par monsieur [N].

Il n'y a donc pas lieu de rechercher s'il a également commis une faute dans l'accomplissement de son devoir d'information.

Sur l'indemnisation des préjudices subis par monsieur [N]

Il ressort de l'expertise réalisée par les docteurs [W] et [F] que la prostatocystectomie avec vessie de remplacement a généré des épisodes infectieux urinaires, une incontinence urinaire nocturne et diurne nécessitant la pose d'un sphincter artificiel, une impuissance améliorable par traitement médical mais très gênante, et un syndrome dépressif.

Les experts fixent la date de consolidation au 10 avril 1992, retiennent une ITT du 2 novembre 1990 au 25 décembre 1990, une IPP au taux de 40 %, un préjudice esthétique de 1/7, des souffrances endurées estimées à 4/7, et évoquent l'existence d'un préjudice d'agrément certain.

Ils mentionnent que du fait des suites de l'intervention du 2 novembre 1990, monsieur [N] a perdu son emploi de gardien d'immeuble.

Ces conclusions médico-légales qui ne font pas l'objet de critique médicalement fondée ont été justement prises par le tribunal comme base d'évaluation du préjudice corporel subi par monsieur [N].

I/ Préjudices patrimoniaux

Les consorts [N] réclament en cause d'appel l'indemnisation d'un préjudice professionnel temporaire qu'ils chiffrent à la somme de 33.869,24 euros, correspondant selon eux au manque à gagner qu'aurait subi monsieur [N] entre sa mise en invalidité à compter du 16 octobre 1993 et la date de la retraite.

Or le préjudice professionnel temporaire correspond à des pertes de revenus subies pendant la période d'incapacité temporaire totale ou partielle.

Il n'est pas démontré que monsieur [N] a subi une perte de revenus pendant cette période.

Les consorts [N] réclament en réalité l'indemnisation d'une perte de gains professionnels futurs pour la période postérieure à la consolidation, mais ils ne produisent aucun justificatif précis à l'appui de leur demande qu'il convient donc de rejeter.

Ils sollicitent également l'allocation d'une somme de 49.000 euros au titre de l'incidence professionnelle qu'ont entraîné les séquelles de l'opération.

A cet égard les experts notent qu'ont participé à l'impossibilité de retrouver un éventuel emploi non seulement l'handicap lié à l'incontinence urinaire mais aussi l'âge (54 ans à la date de la consolidation), et le manque de qualification de monsieur [N].

L'incidence professionnelle sera donc suffisamment indemnisée par l'allocation d'une somme de 10.000 euros.

II/ Préjudices extra patrimoniaux

A/ Préjudices extra patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

Les souffrances endurées lors de l'hospitalisation initiale mais aussi du fait des différentes démarches thérapeutiques et rééducatives ont été justement indemnisées par une somme de 10.000 euros.

B/ Préjudices extra patrimoniaux permanents (après consolidation)

1/ Déficit fonctionnel permanent

Eu égard à l'âge de monsieur [N] à la date de la consolidation, à la réduction de son potentiel physique et aux répercussions psychologiques liées à l'atteinte séquellaire décrite par les experts, que l'intéressé a dû subir, la somme de 71.000 euros a été justement allouée aux consorts [N], sans qu'il y ait lieu de diminuer ce montant au prorata temporis compte tenu du décès de monsieur [N] survenu en 2007 pour autre cause.

2/ Préjudice esthétique

Il est caractérisé par l'existence d'une cicatrice sus pubienne.

L'indemnité de 1.100 euros accordée à ce titre sera confirmée

3/ Préjudice d'agrément

Le préjudice d'agrément résultant de l'atteinte objective aux conditions habituelles d'existence est indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent.

Monsieur [N] a indiqué aux experts qu'il ne pouvait plus pratiquer la marche à pied ni le vélo, ce qui constituait ses loisirs antérieurs.

Les experts relèvent qu'il en résulte pour monsieur [N] un préjudice d'agrément médicalement justifié.

Il apparaît incontestable qu'une incontinence urinaire telle que celle présentée par monsieur [N] rend impossible la pratique d'un sport comme le vélo.

Un préjudice d'agrément spécifique doit être retenu et a été exactement indemnisé par la somme de 5.000 euros.

4/ Préjudice sexuel

Au vu des conclusions expertales évoquant une possible amélioration de l'impuissance avec des injections intracaverneuses, il convient de limiter l'indemnisation de ce poste de préjudice à la somme de 25.000 euros.

5/ Préjudice moral

L'indemnisation d'un tel préjudice est réclamée par les consorts [N] au motif que leur auteur n'a pas été informé des conséquences prévisibles mais non connues de lui de l'opération, et au titre des souffrances et épreuves subies par monsieur [N].

La responsabilité du docteur [M] est retenue au titre d'un manquement à son obligation de soins, et non au titre d'un défaut d'information.

Les souffrances morales résultant de la diminution des capacités physiques sont indemnisées dans le cadre du déficit fonctionnel permanent.

Les consorts [N] seront donc déboutés de cette demande.

L'indemnisation totale due aux consorts [N] par monsieur [M] s'élève à la somme de 122.100 euros.

Sur les demandes de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de la Haute Garonne

La CPAM de la Haute Garonne, régulièrement assignée et représentée en première instance, n'a pas conclu ni produit une créance.

Ses demandes formées pour la première fois devant la cour ne tendent pas à opposer compensation, à faire écarter les prétentions adverses ou à faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Elle ne peut valablement prétendre qu'il existerait une continuité entre les instances pénales et l'instance civile dont la cour est saisie par suite de l'appel du jugement du 4 novembre 2008, étant observé que par jugement du 9 novembre 1999 le tribunal correctionnel qui a relaxé monsieur [M] des fins de la poursuite, a déclaré irrecevables en leurs constitutions de parties civiles monsieur [N] et la CPAM, et que par arrêt du 20 juin 2005, la chambre des appels correctionnels a donné acte à monsieur [N] et au ministère public de leur désistement d'appel, et a constaté son dessaisissement.

Les demandes de la CPAM de la Haute Garonne sont par conséquent irrecevables.

Sur les demandes annexes

L'indemnité allouée aux consorts [N] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera confirmée.

Il convient de leur octroyer une somme complémentaire de 2.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'ils ont dû exposer en cause d'appel.

Les autres demandes formées à ce titre seront rejetées.

Sur les dépens

Le jugement doit être confirmé de ce chef.

Monsieur [M] qui succombe à titre principal en ses prétentions devant la cour supportera les dépens de la présente procédure.

* * *

PAR CES MOTIFS

La cour

En la forme, déclare les appels principal et incident réguliers,

Au fond, confirme le jugement, à l'exception du montant de l'indemnisation allouée aux consorts [N] en réparation des préjudices soufferts par monsieur [R] [N],

Condamne monsieur [S] [M] à payer à ce titre aux consorts [N] la somme de 122.100 euros,

Déclare irrecevables les demandes formées pour la première fois par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de la Haute Garonne en cause d'appel,

Condamne monsieur [M] à payer aux consorts [N] la somme de 2.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens de l'instance d'appel,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne monsieur [M] aux dépens de l'instance d'appel, qui seront recouvrés par les SCP CHATEAU et DESSART-SOREL-DESSART, avoués à la cour.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 1ère chambre section 1
Numéro d'arrêt : 08/06000
Date de la décision : 11/01/2010

Références :

Cour d'appel de Toulouse 11, arrêt n°08/06000 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-01-11;08.06000 ?
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