30/01/2009
ARRÊT No
No RG : 08/05784
PC/DN
Décision déférée du 16 Octobre 2008 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - 08/02569
Mme XIVECAS
SAS CARREFOUR HYPERMARCHES
C/
COMITE D'ETABLISSEMENT DU SERVICE APRES VENTE CARREFOUR SUD OUEST
SYNDICAT CFDT DES SERVICES DE LA HAUTE GARONNE
CONFIRMATION
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4ème Chambre Section 2 - Chambre sociale
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ARRÊT DU TRENTE JANVIER DEUX MILLE NEUF
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APPELANTE
SAS CARREFOUR HYPERMARCHES
pris en la personne de son représentant domicilié en son établissement deSAVR SUD OUEST à PORTET SUR GARONNE
1 rue Jean Mermoz Courcouronnes
ZAE Saint Guérault - BP 60075
91002 EVRY
représentée par la SCP NIDECKER PRIEU-PHILIPPOT JEUSSET, avoués à la Cour, et par Maître Philippe CLEMENT de la SCP FROMONT BRIENS et ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
INTIMES
COMITE D'ETABLISSEMENT DU SERVICE APRES VENTE CARREFOUR SUD OUEST
3, Rue du Bois Vert
31120 PORTET SUR GARONNE
représenté par la SCP BOYER LESCAT MERLE, avoués à la Cour, et par Me Alain OTTAN, avocat au barreau de MONTPELLIER
SYNDICAT CFDT DES SERVICES DE LA HAUTE GARONNE
3, Chemin du Pigeonnier de la Cépière
31081 TOULOUSE CEDEX
représenté par la SCP BOYER LESCAT MERLE, avoués à la Cour, et par Me Alain OTTAN, avocat au barreau de MONTPELLIER
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 22 Janvier 2009, en audience publique, devant la Cour composée de:
P. DE CHARETTE, président
C. PESSO, conseiller
C. CHASSAGNE, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : D. FOLTYN-NIDECKER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile
- signé par P. DE CHARETTE, président, et par D. FOLTYN-NIDECKER, greffier de chambre.
OBJET DU LITIGE
Le 20 avril 2006, le groupe CARREFOUR et les fédérations syndicales représentatives ont signé un accord de groupe sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et un accord de méthode de groupe sur le dispositif d'accompagnement des restructurations. Ce dernier a défini la méthodologie et les procédures d'information et de consultation et les garanties collectives des salariés dans le cadre du volontariat puis après application des critères d'ordre, lorsque les sociétés du groupe CARREFOUR en France seront confrontées à une évolution susceptible d'avoir des conséquences sur l'emploi.
En novembre 2007, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES a engagé la procédure d'information du comité central d'entreprise et des comités d'établissements régionaux sur un projet de redéploiement de l'activité des services après-vente régionaux et sur la mise en oeuvre corrélative de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Le projet comportait la suppression de 4 services régionaux sur 7, dont le service Sud-Ouest et la suppression de 186 postes sur un effectif de 392.
Après reclassement de 19 salariés dans le cadre de la GPEC, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES a présenté le 21 avril 2008 un plan de sauvegarde de l'emploi, dans les termes de l'accord de méthode, prévoyant la suppression de 154 postes de travail dont 42 dans le Service après-vente régional Sud-Ouest.
Saisi par le Comité d'établissement du Service après-vente Carrefour Sud-Ouest et par le syndicat CFDT des Services de la Haute-Garonne, le tribunal de grande instance de Toulouse, par jugement du 16 octobre 2008, a en premier lieu déclaré recevable en la forme l'action du syndicat CFDT. Cette décision ne fait pas l'objet de contestation devant la cour.
Le tribunal a rejeté une exception de forclusion soulevée par la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES tirée de l'expiration du délai pour contester l'accord de méthode, en retenant que la critique du plan de sauvegarde de l'emploi ne tendait pas à remettre en question la validité de cet accord.
Sur le fond, le tribunal a prononcé l'annulation du plan de sauvegarde de l'emploi en estimant que les mesures prévues par celui-ci étaient trop générales et trop imprécises dans leur application aux métiers du service après-vente et que, au regard des moyens dont dispose le groupe, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES n'avait pas respecté son obligation de rechercher avant tout licenciement par des mesures concrètes et adaptées le reclassement préalable des salariés dont le poste est supprimé.
La SAS CARREFOUR HYPERMARCHES a régulièrement relevé appel de ce jugement. Elle reprend la fin de non-recevoir tirée de la forclusion en faisant valoir que l'action du Comité d'établissement et du syndicat CFDT, dès lors qu'elle porte sur un plan de sauvegarde de l'emploi qui n'est que la reprise intégrale de l'accord de groupe, a en réalité pour objet de remettre en cause cet accord de méthode, alors que le délai de recours de 12 mois prévu par la loi est venu à expiration.
Elle conteste subsidiairement sur le fond les éléments retenus par le tribunal de grande instance et soutient que les mesures prévues par le plan, dont elle rappelle le détail, sont de nature à répondre aux conditions prévues par la loi. Elle énonce sur ce point que, pour la seule phase de volontariat avec mesures d'accompagnement prévue dans un premier temps par le plan, reconduite jusqu'au 31 décembre 2008, 140 salariés ont trouvé une solution au 19 octobre 2008 sur les 186 postes touchés initialement par le projet.
Le Comité d'établissement et le syndicat CFDT contestent qu'un accord de méthode puisse prévoir de façon anticipée l'intégralité des dispositions d'un plan de sauvegarde de l'emploi et soutiennent que l'accord de méthode ne peut constituer qu'une base plancher sur le fondement de laquelle l'employeur établit dans un second temps le plan de sauvegarde de l'emploi lorsqu'il souhaite procéder à une restructuration.
Ils demandent sur le fond la confirmation du jugement.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'exception de forclusion
L'article L. 1233-21 du code du travail permet la conclusion d'un accord d'entreprise, de groupe ou de branche en vue de fixer les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise applicables lorsque l'employeur envisage de prononcer le licenciement économique de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours.
L'article L. 1233-22 dispose :
« L'accord prévu à l'article L. 1233-21 fixe les conditions dans lesquelles le comité d'entreprise :
1o Est réuni et informé de la situation économique et financière de l'entreprise ;
2o Peut formuler des propositions alternatives au projet économique à l'origine d'une restructuration ayant des incidences sur l'emploi et obtenir une réponse motivée de l'employeur à ses propositions.
L'accord peut organiser la mise en oeuvre d'actions de mobilité professionnelle et géographique au sein de l'entreprise et du groupe.
Il peut déterminer les conditions dans lesquelles l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi prévu à l'article L. 1233-61 fait l'objet d'un accord et anticiper le contenu de celui-ci »
Alors même qu'en application de ce texte, l'accord de méthode a pour objet d'anticiper le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il ne peut avoir pour effet de régler de façon exhaustive la portée, l'ampleur et les modalités de celui-ci.
En décider autrement priverait d'objet le processus de consultation des représentants du personnel prévu par la loi qui permet de parvenir à l'élaboration définitive du plan.
D'autre part, il ne peut être sérieusement soutenu que les partenaires sociaux, lors de la signature de l'accord de méthode, sont en mesure de fixer de façon complète et définitive le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi susceptible d'intervenir dans les années qui suivent en fonction de l'incidence sur l'emploi des difficultés économiques rencontrées par l'entreprise. Ainsi, aucun décideur économique n'était en mesure de connaître en 2006 la crise financière et économique majeure survenue à la fin de l'année 2008 de nature à entraîner des mesures drastiques de réductions d'effectifs dans de nombreuses entreprises.
De plus, l'accord de méthode ne peut déterminer par avance de façon standardisée les mesures contenues dans un plan de sauvegarde de l'emploi dans l'ignorance des catégories de personnel auquel celui-ci devra s'appliquer, spécialement lorsque, comme en l'espèce, l'entreprise est une société importante employant 74 722 salariés dans des emplois qui correspondent à des métiers de nature différente, et que, au surplus, l'accord a été conclu à l'échelle du groupe CARREFOUR, second groupe mondial de distribution, dont la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES ne constitue qu'une partie.
Ainsi, dans sa lettre d'observations du 29 mai 2008 sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, le directeur départemental du travail et de l'emploi relève une difficulté sur les modalités de calcul des indemnités de rupture en raison d'une augmentation constante du coût de la sous-traitance qui a eu pour effet de diminuer les primes de productivité des techniciens du service après-vente et préconise une révision à la hausse des stipulations prévues sur le calcul des indemnités. Le directeur départemental ajoute : « Cette question illustre la limite d'un accord de méthode pluriannuel conclu à l'échelle du groupe qui aujourd'hui n'est plus adapté à la réalité de certaines entités »
Dans ces conditions, l'accord de méthode qui anticipe le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi constitue un accord-cadre ayant pour objet de déterminer les garanties minimum que devra comporter le plan qui sera ultérieurement élaboré par l'employeur et soumis pour discussion aux représentants du personnel.
Le plan de sauvegarde de l'emploi ne peut dès lors se confondre avec l'accord de méthode. Par suite, la contestation du plan par les représentants du personnel peut intervenir alors même que le délai de contestation de l'accord de méthode est venu à expiration.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a écarté l'exception de forclusion soulevée par la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES.
La validité du plan de sauvegarde de l'emploi
L'article L. 1233-62 du code du travail dispose :
« Le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit des mesures telles que :
1o Des actions en vue du reclassement interne des salariés sur des emplois relevant de la même catégorie d'emplois ou équivalents à ceux qu'ils occupent où, sous réserve de l'accord exprès des salariés concernés, sur des emplois de catégorie inférieure ;
2o Des créations d'activités nouvelles par l'entreprise ;
3o Des actions favorisant le reclassement externe à l'entreprise, notamment par le soutien à la réactivation du bassin d'emploi ;
4o Des actions de soutien à la création d'activités nouvelles ou à la reprise des activités existantes par les salariés ;
5o Des actions de formation, de validation des acquis de l'expérience ou de reconversion de nature à faciliter le reclassement interne ou externe des salariés sur des emplois équivalents ;
6o Des mesures de réduction ou d'aménagement du temps de travail ainsi que des mesures de réduction du volume des heures supplémentaires réalisées de manière régulière lorsque ce volume montre que l'organisation du travail de l'entreprise est établie sur la base d'une durée collective manifestement supérieure à 35 heures hebdomadaires ou 1600 heures par an et que sa réduction pourrait préserver tout ou partie des emplois dont la suppression est envisagée ».
Au regard des dispositions de ce texte, le plan est entaché d'insuffisance et encourt la nullité lorsqu'il ne comporte pas en annexe une liste de postes disponibles pour assurer le reclassement des salariés, lorsqu'il ne comporte pas d'informations sur le nombre, la nature et la localisation des emplois disponibles dans l'entreprise et dans le groupe ou encore lorsque, au titre du reclassement interne, l'employeur n'a pas procédé à une recherche des postes disponibles dans le cadre du groupe.
Par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal a exactement retenu que les conditions de la validité du plan de sauvegarde de l'emploi en cause n'étaient pas réunies.
En effet, les premiers juges relèvent à juste titre que les mesures prévues dans le plan étaient trop générales et trop imprécises pour permettre leur application aux métiers du service après-vente, en énonçant en premier lieu qu'aucun recensement précis des offres d'emploi susceptibles de convenir aux catégories du service après-vente n'avait été mis à la disposition des salariés de façon effective ni annexé au plan.
De plus, la seule indication par le plan de l'existence d'une bourse de l'emploi et de l'assistance d'un bureau externe (BPI) pour l'élaboration de bilans de compétences et d'actes de candidature ne permet pas lors de l'ouverture des discussions de déterminer si les postes offerts sont de nature à permettre un reclassement efficace, alors qu'au surplus la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES reconnaîtra pendant les réunions du comité d'entreprise, notamment le 30 mai 2008, que les postes proposés n'étaient pas adaptés au profil et aux compétences des techniciens.
Le tribunal relève au surplus sur ce point de façon fondée que dans le cadre de cette bourse de l'emploi peu adaptée, les salariés sont dans l'obligation de formaliser des actes de candidature auprès des directions des magasins ou des services et se trouvent soumis au bon vouloir de celles-ci, alors que par ailleurs l'insuffisance des prestations du bureau BPI a été relevée.
D'autre part, les offres d'emplois n'ont pas porté sur le secteur des sous-traitants, alors pourtant que la nécessité de réorganiser les services après-vente est liée au moins pour partie à un recours accru à la sous-traitance. Le jugement relève par ailleurs à juste titre l'insuffisance manifeste des propositions de formation permettant un reclassement en interne de même que la faiblesse des propositions en durée et en financement pour les formations en vue du reclassement externe.
Enfin, l'argument tiré par la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES du succès de la phase de volontariat ayant permis le reclassement de 140 salariés n'est pas déterminant, dès lors qu'au sein du Service après-vente régional Sud-Ouest pour lequel 42 salariés étaient concernés, 25 situations ne sont pas réglées et concernent 13 techniciens, 4 administratifs, 3 employés, 3 cadres et 2 hôtesses, les intéressés ayant une ancienneté moyenne de 18 ans.
Le Comité d'établissement et le syndicat CFDT rappellent sur ce point de façon justifiée que la capacité des techniciens et des employés à occuper de nouveaux emplois est faible dès lors que leurs compétences n'ont pas été actualisées, dans la mesure où depuis quatre ans leur formation a été laissée largement en déshérence.
Dans ces conditions, c'est de façon justifiée que l'annulation du plan de sauvegarde et de l'emploi a été prononcée.
Le jugement sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement.
Condamne la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES à payer au Comité d'établissement du Service après-vente Carrefour Sud-Ouest et au syndicat CFDT des Services de la Haute-Garonne la somme globale de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES aux dépens et dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés directement par la SCP BOYER-LESCAT-MERLE conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par M. P. de CHARETTE, président et par Mme D. FOLTYN-NIDECKER, greffier.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
Dominique FOLTYN-NIDECKER Patrice de CHARETTE