28/05/2008
ARRÊT No
NoRG: 08/00807
Décision déférée du 10 Janvier 2008 - Tribunal de Commerce de TOULOUSE - 07/J01222
M. Pierre X...
SAS CASTORAMA FRANCE
représentée par la SCP NIDECKER PRIEU-PHILIPPOT JEUSSET
C/
SAS JESDA
représentée par la SCP BOYER LESCAT MERLE
Confirmation partielle
Grosse délivrée
le
àREPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT HUIT MAI DEUX MILLE HUIT
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APPELANT(E/S)
SAS CASTORAMA FRANCE
Zone Industrielle
59175 TEMPLEMARS
représentée par la SCP NIDECKER PRIEU-PHILIPPOT JEUSSET, avoués à la Cour
INTIME(E/S)
SAS JESDA
Avenue Latécoère
31700 CORNEBARRIEU
représentée par la SCP BOYER LESCAT MERLE, avoués à la Cour
assistée de Me Caroline JAUFFRET, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 03 Avril 2008 en audience publique, devant la Cour composée de :
D. VERDE DE LISLE, président
C. BELIERES, conseiller
C. COLENO, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : A. THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par D. VERDE DE LISLE, président, et par A. THOMAS, greffier de chambre.
La société Jesda exploite un magasin de bricolage à l'enseigne Brico Marché à Cornebarrieu.
La société Castorama a entrepris l'ouverture d'un magasin de bricolage d'une superficie de 12.300 m² situé ....
Une première série de décisions concernant l'autorisation de cette superficie de vente a donné lieu à un premier arrêt du Conseil d'Etat du 10 Novembre 2004 annulant la décision d'ouverture donnée par la Commission Nationale d'Equipement Commercial (CNEC) le 23 septembre 2003.
A la suite de cet arrêt une nouvelle autorisation d'ouverture a été délivrée par la CNEC le 20 Décembre 2005.
Cette décision a été déférée devant le conseil d'Etat par la société Jesda.
La société Castorama a ouvert son magasin le 20 Avril 2006.
Par arrêt du 9 juillet 2007, le Conseil d'Etat a annulé la décision de la Commission nationale d'Equipement commercial du 20 décembre 2005.
Par jugement du 10 novembre 2007 le tribunal de Commerce de Toulouse saisi par la société Jesda a
* dit que le comité d'entreprise n'avait pas capacité à agir
* ordonné à la société Castorama de se mettre en conformité avec les règlements en vigueur ou de réduire sa surface de vente à moins de 300 m² sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard trois mois après la signification de la décision, en se réservant la liquidation de l'astreinte,
* rejeté la demande de provision de la société Jesda
* avant dire droit sur le préjudice ordonné une expertise confiée à M. A... ou à défaut M. B....
Pour statuer ainsi le tribunal a considéré que l'arrêt du Conseil d'Etat annulant la décision d'ouverture constituait le droit positif, que l'exploitation de la surface de vente étant illicite constituait un fait de concurrence déloyale et qu'il y avait lieu de le faire cesser.
Par acte du 15 février 2008 la SAS Castorama France a relevé appel de cette décision.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SAS Castorama France a conclu par conclusions notifiées le 3 avril 2008 auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé du détail de l'argumentation.
La SAS Castorama France conclut à la réformation de la décision.
Elle demande à titre principal à la cour de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la CNEC de nouveau saisie à la suite de l'arrêt du conseil d'Etat, en soutenant
* que dans le cadre du réexamen de ce projet il existe une chance très sérieuse que l'autorisation soit délivrée,
* que la situation du magasin est susceptible d'être régularisée, et que compte tenu de cet état de fait l'irrégularité de la situation n'est pas suffisamment certaine pour mettre en oeuvre une mesure de fermeture en raison du caractère irréversible d'une telle mesure.
Elle soutient en second lieu que la SAS Jesda ne justifie d'aucun préjudice, qu'elle ne justifie ni d'une baisse significative de son chiffre d'affaire pour la période postérieure à l'ouverture du magasin Castorama, ni d'une évolution des emplois salariés qui soient imputables à cette ouverture d'autant plus que beaucoup d'autres magasins de bricolage se sont ouverts à proximité de la SAS Jesda, et qu'en outre la société Bricorama intervient sur un marché partiellement distinct car son référencement est deux fois plus important que celui de la société Jesda, qu'enfin même à supposer qu'un acte de concurrence déloyale soit caractérisé, il ne peut avoir débuté qu'à la date de la décision du conseil d'Etat, puisque l'ouverture du magasin avait eu lieu en l'état d'une autorisation d'exploitation commerciale.
En tout état de cause elle soutient que la législation française en matière d'équipement commercial est incompatible avec le droit communautaire pour des motifs qu'elle développe longuement, se trouve contraire à la directive CE du 12 décembre 2006 qui prohibe le recours à des procédure d'analyse de marché pour l'octroi d'autorisation administrative, et qu'elle va faire l'objet d'une réforme d'ensemble.
Pour toutes ces raisons elle demande à la cour soit d'écarter la loi française, soit de saisir la cour de justice des communautés Européennes d'une question préjudicielle.
Très subsidiairement, elle sollicite un délai significatif pour procéder à la régularisation de la situation.
La société Jesda a conclu par conclusions notifiées le 3 avril 2008 auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé du détail de l'argumentation
Elle demande à la cour
* de condamner la société Castorama sous astreinte de 100.000 euros par jour de retard à réduire sa surface de vente à 300 m²
de rejeter les demandes de la SAS Castorama France
* de condamner la SAS Castorama France à lui payer la somme de 250.000 euros à titre de provision
d'ordonner une expertise pour liquider son préjudice
* de condamner la SAS Castorama France à lui payer la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elle conteste en premier lieu la possibilité pour la SAS Castorama France de se prévaloir du droit communautaire s'agissant d'une situation purement interne entre deux ressortissants de cet Etat, et soutient en tout état de cause que la législation française en matière d'équipement commercial est conforme au droit communautaire, (arrêt Immaldi du 5 Mars 2003) car l'instauration d'un système d'autorisation pour la création de commerce de détail répond à des motifs d'intérêt général, qu'il n'existe aucune procédure de manquement devant la CJCE, que la directive du 12 décembre 2006 n'est pas transposée en droit français.
En ce qui concerne la situation de concurrence déloyale elle souligne que la SAS Castorama France a pris le risque d'ouvrir son magasin alors que l'instance en contestation de l'autorisation délivrée par la CNEC était toujours pendante devant le Conseil d'Etat et qu'elle a persisté à maintenir son activité malgré l'annulation de cette autorisation,
elle soutient que l'absence d'autorisation consacre une situation illicite, que la nouvelle saisie de la CNEC ne pourra aboutir à la délivrance d'une autorisation à effet rétroactif , que son préjudice est amplement démontré par les pièces comptables.
L'affaire a fait l'objet d'une fixation à bref délai en application de l'article 910 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
1o Sur le sursis à statuer.
La décision du 9 juillet 2007 annulant l'autorisation de la commission nationale d'équipement commercial est un arrêt du conseil d'Etat que le juge judiciaire n'a pas le pouvoir d'interpréter par application du principe de la séparation des pouvoirs, cet arrêt émanant de l' instance administrative suprême est irrévocable, et les jurisprudences invoquées par l'appelant qui concernent des décisions de tribunaux administratifs frappées d'appel, et qui de ce fait ne sont pas définitives ne sont pas transposables à l'espèce.
Les spéculations sur la décision à venir de la commission, voire sur des perspectives éventuelles de changement de législation sont donc sans effet sur la situation actuelle, telle qu'elle résulte de cet arrêt, et d'où il ressort clairement que la SAS Castorama France ne dispose pas de l'autorisation administrative requise pour exploiter.
Le caractère irréversible de la situation qui pourrait être crée par une décision de confirmation, ne constitue pas davantage un argument opérant sur la demande de sursis.
En effet la SAS Jesda souligne à juste titre que la SAS Castorama France a elle même pris un risque délibéré en ouvrant son magasin alors qu'elle n'ignorait pas la possibilité d'annulation de l'autorisation dont elle disposait, en raison du recours devant le conseil d'Etat introduit par la SAS Jesda qui était toujours pendant, et qu'elle ne peut donc venir se plaindre des conséquences dommageables susceptibles d'en résulter.
En outre la décision de la CNEC n'aura pas d'effet rétroactif.
La demande de sursis à statuer sera donc rejetée.
2o le fond
L'exercice d'une activité non autorisée constitue des actes perturbant le marché puisqu'en s'affranchissant de ces obligations administratives, l'intéressé se place dans une situation anormalement favorable vis à vis des concurrents qui les respectent.
* les dispositions communautaires
Pour dénier le caractère illicite de la situation invoquée, et contester qu'ils puissent constituer des agissements de concurrence déloyale, la SAS Castorama France soutient que le dispositif législatif français sur l'équipement commercial soumettant l'ouverture de grande surface à un mécanisme d'autorisation administrative est contraire à la Réglementation Européenne et notamment au principe de la liberté d'établissement garanti par l'article 43 CE, elle se prévaut en outre de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 qui bien que non transposée aurait une valeur interprétative de la lecture qui doit être faite du Traité.
Cependant le principe de la liberté d'établissement garanti par l'article 43 est un principe de non discrimination en raison de la nationalité, qui vise à assurer le bénéfice du traitement national à tout ressortissant d'un état membre qui s'établit dans un autre Etat membre, il n'est donc pas applicable à des situations purement internes à un état membre. Tel est bien le cas en l'espèce qui oppose deux personne morales de droit français relativement à l'exercice de leur activité professionnelle en France (CJCE 8 décembre 1987) il s'en suit que la méconnaissance prétendue de l'article 43 n'est pas invocable en l'espèce.
Quant à l'atteinte prétendue aux respects des libertés fondamentales prévues par le traité, la CJCE a toujours jugé de façon constante que le traité de la communauté Européenne ne s'opposait pas à la mise en place par chaque Etat membre d'une réglementation répondant à des impératifs d'intérêts généraux, de sorte qu'il n'existe à cet égard dans l'espèce considérée aucune violation d'un principe général fondamental.
En conséquence l'argument tiré du droit communautaire sera écarté, sans qu'il y ait matière à question préjudicielle.
En conséquence la SAS Jesda est bien fondé à se prévaloir du défaut d'autorisation d'ouverture du magasin de la SAS Castorama France, qui constitue une situation illicite.
* Les conséquences dommageables
L'exercice par la SAS Castorama France de son activité dans des conditions illicites constitue une faute, elle méconnaît les règles de l'égalité des chances, trouble le jeu normal de la concurrence et constitue donc indiscutablement un acte de concurrence déloyale, dont la réalité est d'ores et déjà établie à l'égard de la SAS Jesda, puisque les deux sociétés ont une activité dans le même domaine, et des implantations géographiquement très proches.
Cette faute impose à la SAS Castorama France de réparer le préjudice qui en résulte
* La liquidation du préjudice.
Sur le plan économique
La SAS Jesda produit une attestation de Philippe C... expert comptable faisant état d'une diminution de son chiffre d'affaire et d'une réduction de la moyenne de ses effectifs après l'implantation du magasin Castorama.
La SAS Castorama France conteste ces données et verse une attestation critique du cabinet Gorski expert comptable.
Compte tenu de la technicité des documents à analyser et de l'importance des investigations à mener, les premiers juges ont à juste titre ordonné une mesure d'expertise, leur décision sera confirmée.
La décision d'annulation de l'autorisation ayant un effet rétroactif, les investigations de l'expert porteront sur l'intégralité de la période d'activité, depuis le jour d'ouverture du magasin Castorama
Enfin les premiers juges ont prononcé une mesure de mise en conformité, cette mesure destinée à faire cesser le trouble sera confirmée ; toutefois pour tenir compte de l'importance des enjeux notamment humains, il convient de porter le délai à 6 mois, l'astreinte journalière passé ce délai étant fixée à 10.000 euros pour une période de 4 mois, et sans qu'il y ait lieu à se réserver la liquidation de l'astreinte.
* la demande de provision.
La mesure d'expertise qui est ordonnée n'est destinée qu'à affiner le quantum du préjudice économique subi, il n'en demeure pas moins que le principe d'agissements déloyaux préjudiciables qui sont caractérisés par l'ouverture puis la persistance d'une activité concurrentielle à celle de la société Jesda sans autorisation est d'ores et déjà établi. Il convient donc d'allouer une indemnité provisionnelle à la société Jesda. Cette provision sera arbitrée à la somme de 20.000 euros à la charge de la société Castorama france.
La décision déférée sera réformée sur ce point également.
La SAS Castorama France sera en outre condamnée à payer à la SAS Jesda la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour
Confirme la décision déférée, en ce qu'elle a ordonné à la société Castorama de se mettre en conformité avec les règlements en vigueur ou de réduire sa surface de vente à moins de 300 m² et ordonné une mesure d'expertise.
Réformant pour le surplus et statuant à nouveau
fixe un délai de 6 mois à compter de la signification de la présente décision pour permettre à la société Castorama d'opérer cette mise en conformité, et fixe passé ce délai une astreinte de 10.000 euros par jour de retard à la charge de la société Castorama France, pour une durée de quatre mois,
Condamne la SAS Castorama France à payer à la SAS Jesda la somme provisionnelle de 20.000 euros à valoir sur son préjudice
Condamne la SAS Castorama France à payer à la SAS Jesda la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile rejette les autres demandes,
Condamne la SAS Castorama France aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Boyer Lescat Merle Avoués pour les dépens d'appel.
Le greffier,Le président,