28/05/2008
ARRÊT No
NoRG: 04/01669
Décisions déférées des 14 Novembre 2002 et
10 Février 2004 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - 02/2748
Mme X...
SARL NEJAVA
représentée par la SCP DESSART-SOREL-DESSART
C/
Marc Y...
représenté par la SCP BOYER LESCAT MERLE
Grosse délivrée
le
àREPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT HUIT MAI DEUX MILLE HUIT
***
APPELANT(E/S)
SARL NEJAVA
5, rue du Poids de l'Huile
31000 TOULOUSE
représentée par la SCP DESSART-SOREL-DESSART, avoués à la Cour
assistée de Me SIMON Z..., avocat au barreau de TOULOUSE
INTIME(E/S)
Monsieur Marc Y...
...
31500 TOULOUSE
représenté par la SCP BOYER LESCAT MERLE, avoués à la Cour
assisté de Me Jean-Paul COTTIN, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 10 Avril 2008 en audience publique, devant la Cour composée de :
D. VERDE DE LISLE, président
C. BELIERES, conseiller
C. COLENO, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : A. THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par D. VERDE DE LISLE, président, et par A. THOMAS, greffier de chambre.
La SARL Nejava venant aux droits de Mme B... suivant acte de cession du 15 février 1988 est titulaire d'un bail portant sur un local commercial situé 5 rue du poids de l'huile à Toulouse, appartenant à M. Y..., dans lequel elle exploite un commerce de petits articles de luxe pour enfants.
Ce bail a été renouvelé le 1er janvier 1991 et son loyer a été fixé par arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 15 mars 1995 par application du coefficient légal.
Le 30 juin 1999 le bailleur délivrait congé avec offre de renouvellement avec un loyer annuel de 120.000 francs (18.293 euros) à compter du 1er janvier 2000.
Par jugement du 14 novembre 2002 le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Toulouse a
* constaté l'existence d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité justifiant le déplafonnement du loyer renouvelé applicable au 1er janvier 2000
avant dire droit pour le surplus, ordonné une expertise confiée à Mme C....
Par jugement du 10 février 2004 le juge des loyers commerciaux statuant en lecture du rapport d'expertise de Mme C... a fixé le prix du bail renouvelé hors charge et hors taxe à la somme de 12.295,77 euros par an à compter du 1er janvier 2000.
La société Nejava a relevé appel de ces deux jugements.
Par arrêt avant dire droit du 26 mai 2005 auquel il est fait expressément référence pour l'énoncé des faits et de la procédure antérieure, la cour a ordonné une expertise confiée à M. D... avant de se prononcer sur la demande d'exclusion du plafonnement.
L'expert commis a déposé son rapport le 4 avril 2007.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Nejava par conclusions notifiées le 14 mai 2007 auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé du détail de l'argumentation, conclut à la réformation des deux décisions déférées et demande à la cour de dire qu'il n'y a pas lieu à déplafonnement, en l'absence de démonstration de l'incidence sur son commerce de la modification des facteurs locaux de commercialité, et de juger que le loyer du bail renouvelé ne peut être fixé que par référence à l'application de l'indice de la construction.
Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour admettrait le déplafonnement, elle demande la fixation du loyer à une somme n'excédant pas 10.264,20 euros hors charges et HT par an sans tenir compte de la référence concernant un bail contracté par la SARL Nejava pour un local voisin s'agisant d'une référence tout à fait hors marché.
Elle demande enfin la condamnation de M. Y... à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
M. Y... par conclusions notifiées le 24 août 2007 auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé du détail de l'argumentation demande à la cour de confirmer le jugement du 14 novembre 2002 qui a accueilli la demande de déplafonnement, de réformer le jugement du 10 février 2004, et de fixer la valeur locative du bail renouvelé à la somme de 30.539,15 euros hors taxes et hors charges ou tout au moins à titre susbidaire d'intégrer pour une grande part dans le calcul de la valeur locative, le montant du loyer payé par la société Nejava pour un local strictement identique, et s'élevant à 824,49 euros le m².
Il demande la condamnation de la SARL Nejava à lui payer la différence entre le loyer qu'elle a payé pendant la procédure et celui qui sera fixé par la cour à compter de l'échéance de chaque loyer outre révisions triennales et la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 décembre 2007.
MOTIFS DE LA DECISION
1o le déplafonnement
L'exclusion du plafonnement peut intervenir en cas de modifications notables des facteurs de commercialité ayant une incidence sur le commerce considéré.
En l'espèce, le premier juge a retenu à juste titre par des motifs circonstanciés comme constitutifs de modifications notables de facteurs de commercialité
* la mise en service à compter de juin 1993 d'une ligne de métro et plus globalement des services liés aux transports en commun (restructuration des lignes de bus rue Alsace Lorraine et ouverture d'un parking souterrain place Esquirol)
* les améliorations à la circulation piétonnière avec l'embellissements de la place du Capitole achevé en 1995 l'élargissement des trottoirs, la création de circulations piétonnières,
* l'essor démographique du pôle urbain avec plus de 10.000 habitants supplémentaires par an entre 1990 et 1999.
Ces modifications notables intervenues au cours du bail expiré ne sont pas contestables, mais la société Nejava en dénie l'incidence sur le commerce qu'elle exploite.
Elle soutient que la commercialité du secteur s'est dégradé, au profit de secteurs qui seraient plus attractifs mais cette affirmation n'est corroborée par aucun élément de preuve.
Par ailleurs l'attestation de M. E... son expert comptable, sur la baisse de son chiffre d'affaire, en l'absence de production des bilans des années considérées, ne permet pas de connaitre de façon précise la situation économique de l'entreprise, d'autant plus que la société Nejava a ouvert par sous location le 1er mars 1996 un second point de vente destiné aux vêtements d'enfants et d'adolescents ce qui n'est pas compatible avec une commercialité en régression.
Bien au contraire, il résulte du dossier technique de l'AUAT (observatoire urbain de l'agglomération toulousaine) de 1999, qui porte notamment sur l'analyse du plateau piétonnier que les flux de piétons ont sensiblement augmenté en particulier autour des bouches de métro, le secteur du Capitole connaissant la plus forte progression (+16%).
De même la croissance du nombre d'entrées dans les parkings a augmenté, et le nombre de déplacements en transports collectifs urbains avait doublé en 1996 par rapport à 1990.
Or le commerce considéré se situe à une cinquantaine de mètres de la bouche de métro du Capitole.
S'agissant d'un commerce de luxe, qui n'est pas dédié à la clientèle locale, l'amélioration des modes d'accès a une incidence de causalité directe avec le commerce considéré.
L'augmentation de chalands se traduit par une augmentation de potentialité d'achat, d'autant plus que le cheminement des piétons devant les vitrines est plus aisé et favorise les achats de séduction et d'impulsion, que le commerce considéré a vocation à satisfaire puisqu'il s'agit d'un commerce de luxe et non d'achat de nécessités.
Le fait, dont se prévaut la société Nejava, que le retour vers le centre urbain ne concerne pas principalement les familles avec de jeunes enfants ne constitue pas davantage un argument probant ; en effet l'augmentation de la fréquentation des inactifs tels que les retraités au fort pouvoir d'achat et désireux de gâter leurs petits enfants constitue également une donnée objective d'amélioration de la chalandise pour le commerce considéré, de sorte que le premier juge a retenu à juste titre que la modification des facteurs locaux de commercialité justifiait le déplafonnement en l'espèce.
2o la valeur locative
La valeur locative sera déterminée d'après les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
* les caractéristiques du local considéré.
Elles sont détaillées p 5 et 6 du rapport d'expertise de Mme C... et annexe 2 du rapport de M. D..., elles ne sont pas sujettes à discussion.
Il s'agit d'un local situé ... près du croisement avec la rue Lapeyrouse composé d'une boutique, d'un sas menant à la porte arrière et situé sous la cage d'escalier de l'immeuble avec sanitaires fermés et d'une arrière boutique où est entreposé le stock, le local dispose d'une façade entièrement vitrée soit 3,54 m de longueur.
La surface globale est de 62,55 m² dont 41,35 m² de boutique sur rue, et une surface pondérée de 48,13 m².
* La détermination des éléments de comparaison.
Les deux parties discutent chacune en ce qui la concerne les références retenues par les experts ;
1o La sous location consentie à la SARL Nejava
Il s'agit d'une sous location à effet du 1er mars 1996 portant sur un local également situé ... concernant un magasin et une pièce à usage de réserve pour une surface de 42,24 m² dans lequel la SARL Nejava exploite une commerce sous l'enseigne COM'Les Grands.
Le loyer s'établit à 824,49 euros le m².
Cette référence s'agissant d'une référence unique ne satisfait pas aux critères de comparaison définis par l'article 23-5 du décret du 30 septembre 1953 qui impose de se référer aux prix couramment pratiqués, et à plusieurs références, ce qui implique une pluralité d'éléments de comparaison.
Il s'en suit que la demande de M. Y... de voir fixer le loyer par référence exclusive au loyer de ce local voisin ne peut qu'être écartée.
Toutefois le premier juge a complètement écarté toute référence au loyer de ce local au motif qu'il s'agit d'une sous location consentie pour une durée de 12 ans sans pas de porte, ces différences juridiques et économiques en faisant une référence très "hors marché".
Or cette location concerne un local présentant des caractéristiques exactement équivalentes à celle du local litigieux, la fixation de ce loyer est intervenue dans le cadre d'une libre négociation entre les parties, et ne se trouve donc pas hors marché. La différence de régime juridique s'agissant d'une sous location ne prohibe pas la prise en considération de cette référence, d'autant plus qu'aucune des deux locations n'a donné lieu à perception de pas de porte.
Cette référence constitue donc une référence de comparaison qui ne saurait être totalement éludée.
Les baux Kookai-Célio et Toulouse stylo se situent dans des zones de plus grande commercialité, rue Saint Antoine du T, ce qui a conduit l'expert C... à appliquer des pondérations de 30% qui apparaissent pertinentes car elles ont déjà été mises en oeuvre dans des cas similaires (P 16 rapport C...).
Dans ces conditions, ces références seront prises en considération.
Le bail sur le local "le donjon", qualifié par l'expert lui même de trop ancien sera toutefois écarté.
En définitive, et au vu des éléments produits aux débats la cour retiendra les éléments de comparaisons suivants cités dans les deux rapports d'expertise :
Temys maroquinerie 26 Rue Montardy 165,88
Wolford lingerie 185,59
Version originale 260,00
Celio -30% 415,64
Chemises traditionnelles 354,84
Kookai -30% 236,15
Mango 214,34
Mango 203,79
Toulouse stylo -30% 170,33
C.Com les grands 824,49
moyenne.............................................................................................303,11
Le loyer annuel pour 48,13 m² s'établira donc au 1er janvier 2000 à 14.588,68 euros hors charge et hors taxe.
La SARL Nejava sera en conséquence condamnée à payer le différentiel sur chaque loyer avec applications des révisions triennales et intérêts de droit à compter de la signification de la décision.
Chacune des parties succombant dans une part de ses prétentions initiales, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens pour les même motifs seront partagés entre les parties.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement du 14 novembre 2002 en ce qu'il a exclu le plafonnement.
Réforme le jugement du 10 février 2004.
Statuant à nouveau,
Fixe la valeur locative du bail renouvelé portant sur les locaux ... à la somme de 14.588,68 euros par an hors charge et taxes.
Condamne la SARL Nejava à payer la différence mensuelle entre les mensualités réglées et les mensualités dues en exécution du présent arrêt et ce avec application des révisions triennales et intérêts de droit à compter de la signification de la présente décision.
Rejette les autres demandes.
Fait masse des dépens qui seront supportés par parts égales entres les parties avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit des avoués de la cause en ce qui concerne les dépens d'appel.
Le greffier,Le président,