29/04/2008
ARRÊT No
NoRG: 07/00654
Décision déférée du 27 Avril 2004 - Cour d'Appel de BORDEAUX - 02/4756
Societe BORIE MANOUX
représentée par la SCP DESSART-SOREL-DESSART
C/
S.C.F.E.D.LANDUREAU
représentée par la SCP RIVES-PODESTA
Grosse délivrée
le
à REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème Chambre Section 2
***
ARRÊT DU VINGT NEUF AVRIL DEUX MILLE HUIT
***
DEMANDEUR(E/S)
Societe BORIE MANOUX
86 Cour Balguerie Stuttenberg
33000 BORDEAUX
représentée par la SCP DESSART-SOREL-DESSART, avoués à la Cour
assistée de la SCP MARTIN et CONDAT, avocats au barreau de BORDEAUX
DEFENDEUR(E/S)
S.C.F.E.D.LANDUREAU
Chateau d'Escurac
33340 CIVRAC EN MEDOC
représentée par la SCP RIVES-PODESTA, avoués à la Cour
assistée de Me LINDNER-JAMIN, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR
Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 18 Mars 2008 en audience publique, devant la Cour composée de :
D. VERDE DE LISLE, président
C. COLENO, conseiller
V. SALMERON, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : R. GARCIA
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par D. VERDE DE LISLE, président, et par R. GARCIA, greffier de chambre.
Le 7 octobre 1998 la société Borie Manoux a acheté à la société Landureau 95.000 bouteilles de château Haut Myles appellation Médoc après dégustation en fût, pour un prix de 24,50 francs HT la bouteille.
Après livraison d'une partie des lots soit 28.200 bouteilles intervenue le 12 juillet 1999 , l'acheteur a constaté un dépôt anormal de tartre et a refusé de prendre livraison du restant du lot.
Une expertise judiciaire ordonné par ordonnance du juge des référés du Tribunal de grande instance de Bordeaux du 7 septembre 2000 a mis en évidence une forte précipitation tartrique due à une mise en bouteille trop précoce du vin, qui n'altérait pas les qualités gustatives du vin mais constituait un défaut de présentation visuel qui ne permet pas de le commercialiser en l'état.
Par jugement du 3 septembre 2003 le Tribunal de grande instance de Bordeaux a :
* rejeté la demande de nullité de la requête à jour fixe et de l'assignation de la SA Borie Manoux
* constaté le caractère parfait de la vente intervenue le 7 octobre 1998 par application de l'article 1587 du code civil, s'agissant d'une vente intervenue après dégustation,
* a rejeté la demande de résolution de la vente présentée par la SA Borie Manoux au motif que le défaut invoqué ne présentait pas de gravité suffisante
*a condamné la SA Borie Manoux sous astreinte à procéder à l'enlèvement des 68.600 bouteilles restantes dans les locaux de la S.C.F.E.D Landureau
* a condamné la SA Borie Manoux à payer la somme de 168.075,04 euros représentant le prix de vente et la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
Sur appel de la SA Borie Manoux, la cour d'appel de Bordeaux par arrêt du 27 avril 2004 a infirmé cette décision,
* a dit que la vente qui avait porté sur du vin en vrac n'était pas parfaite faute d'agréage
* a rejeté les demandes de la S.C.F.E.D Landureau et l'a condamnée à payer à la SA Borie Manoux les sommes suivantes:
- 189.708,45 euros en remboursement de la partie du prix payé, des taxes et des frais de courtage et de transport, avec intérêts au taux légal sur la somme de 56.025 euros à compter du 12 juillet 1999 jusqu'au 13 mars 2002 et sur la somme de 130.725,03 euros à compter du 31 août 1999 jusqu'au 13 mars 2002
- 4.994,23 euros au titre du coût des stockages des bouteilles retirées arrêté au 31 décembre 2002,
- 4.575 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
* a donné acte à la SA Borie Manoux de ce qu'elle tient à disposition de la S.C.F.E.D Landureau les 28.200 bouteilles déjà enlevées
* a condamné la S.C.F.E.D Landureau aux dépens y compris les frais de référés et d'expertise.
Par arrêt du 21 novembre 2006 la Cour de Cassation a cassé cet arrêt dans toutes ses dispositions au visa de l'article 1587 du code civil l'accord sur la chose et le prix intervenu après que celui ci ait été goûté et agrée valant vente, peu important que le vin ait été commandé en vrac ou en bouteille.
La cour de cassation a renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse.
Par déclaration du 5 décembre 2007la SA Borie Manoux a saisi la cour d'appel de Toulouse
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions récapitulatives notifiées le 29 juin 2007 auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé du détail de l'argumentation la SA Borie Manoux demande à la cour de prononcer la résolution du marché par application des articles 1604 et 1184 du code civil en raison de la non conformité du produit livré à l'échantillon agrée.
Elle demande en outre la condamnation de la S.C.F.E.D Landureau à lui payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose qu'après constatation du dépôt tartrique que présentaient les bouteilles, elle a formulé ses réclamations, mais que des négociations sur le reconditionnement du vin ont échouées , faute d'accord sur l'évaluation du préjudice subi.
Elle fait valoir
* que le risque de précipitation tartrique était d'autant plus important qu'il s'agissait de la mise en bouteille d'un vin jeune,
* que les circonstances dans les quelles le vendeur a procédé à la mise en bouteilles sont ignorées, et n'ont pu être éclaircies dans le cadre de l'expertise judiciaire, ce qui démontre que la S.C.F.E.D Landureau n'entend pas rendre compte sur ce point ,
* que la S.C.F.E.D Landureau restait tenue de délivrer une chose conforme à l'échantillon, ce qui n'est pas le cas, puisque le vin n'est pas commercialisable, de sorte que "l'agréation" n'est pas intervenue
* qu'elle n'a commis aucune faute et n'avait aucune raison de procéder à des vérifications des premières livraisons effectuées.
La S.C.F.E.D Landureau par conclusions notifiées le 19 novembre 2007 auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé du détail de l'argumentation conclut à l'irrecevabilité de la demande en résolution de la vente formulée par la SA Borie Manoux s'agissant d'une demande nouvelle en cause d'appel.
Elle conclut à la confirmation de la décision en ce qu'elle a constaté le caractère parfait de la vente .
Elle demande à la cour en raison de l'évolution du litige de réformer la décision pour le surplus, de prononcer la résolution de la vente aux torts de la SA Borie Manoux à l'exclusion de la vente de 6.750 bouteilles qui n'ont pas été restituées, et de condamner la SA Borie Manoux au paiement des sommes suivantes :
* préjudice commercial 161.025,09 euros
* préjudice résultant des sommes indûment versées en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux 50.653,22 euros
* préjudice résultant de l'atteinte à l'image 30.000 euros
* préjudice financier 40.000 euros
* frais de stockage 25.013,25 euros
outre 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient :
* que les précipitations tartriques sont un phénomène normal et connu que la SA Borie Manoux a accepté en demandant une mise en bouteille précoce sans inclure aucune réserve dans le bordereau d'achat,
* qu'elle a parfaitement rempli son obligation de délivrance mettant à disposition 95.000 bouteilles de Chateau Haut Myles millésime 1997, vin droit de goût, loyal et marchand conforme aux prescriptions légales
* que le bordereau ne prévoit aucune agréation par l'acquéreur
* que le défaut constaté n'est ni rédhibitoire ni caché,
Elle expose enfin :
* que la SA Borie Manoux a exigé l'exécution forcée de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux mais n'a restitué que 21.460 bouteilles , ce qui démontre qu'elle a pu en commercialiser, que la société la S.C.F.E.D Landureau de son côté a également procédé à la commercialisation de ces bouteilles sans difficulté,
* que la SA Borie Manoux est mal venue à soutenir qu'elle n'a commis aucune faute alors qu'après avoir découvert le défaut de présentation du vin en décembre 1999 elle a accepté la livraison d'un second lot, ce qui constitue une reconnaissance explicite de la conformité du vin, qu'au surplus elle n'a informé le courtier qu'en février 2000 soit 7 mois après la première livraison, et que ce retard a empêché tout traitement du vin en temps utile et qu'il s'agit d'une stratégie dilatoire destiné à se défaire d'un contrat portant sur un millésime difficilement commercialisable compte tenu de la supériorité des millésimes des deux années suivantes.
MOTIFS DE LA DECISION
I sur l'incident de procédure
L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 Février 2008 elle a été précédé d'un avis le 22 novembre 2007.
La SA Borie Manoux a de nouveau conclu par conclusions notifiées entre avoués le 18 mars 2008 et déposées au greffe le 19 Mars 2008, et demande la révocation de l'ordonnance de clôture par conclusions de procédure notifiées le 5 mars 2008
La S.C.F.E.D Landureau s'est opposée à cette demande et à conclu à l'irrecevabilité des conclusions de la SA Borie Manoux
Il résulte du visa du greffe que les dernières écritures de la SA Borie Manoux ont été déposées au greffe le 19 février 2008 soit le lendemain de l'ordonnance de clôture, ces conclusions visent à répondre à des conclusions notifiées le 19 novembre 2007, soit trois mois auparavant, compte tenu du délai dont avait ainsi bénéficié la société Borie Manoux aucune cause grave ne justifie le rabat de l'ordonnance de clôture, les dernières conclusions de la SA Borie Manoux sont donc irrecevables par application de l'article 783 du code de procédure civile.
II Sur le fond
La discussion qui a opposé les parties en première instance concernant la régularité de la procédure d'assignation à jour fixe n'est pas reprise devant la Cour, et la décision déférée n'est pas critiquée sur ce chef de décision.
Par ailleurs aucune des parties ne discute désormais que la vente est parfaite, et la cour est saisie de demande réciproque de résolution de la vente.
-A) la demande de la SA Borie Manoux
La S.C.F.E.D Landureau conclut à son irrecevabilité au motif qu'il s'agirait d'une demande nouvelle.
Or le tribunal avait été saisi d'une assignation de la SA Borie Manoux délivrée selon la procédure à jour fixe, qu'il a déclaré valable, et qui visait précisément à obtenir la résolution de la vente sur le fondement de l'article 1184 du code civil.
Le tribunal a statué sur cette demande, et l'a rejetée
La demande en résolution du contrat n'est donc pas nouvelle en cause d'appel, le moyen d'irrecevabilité sera écarté
Au fond la SA Borie Manoux invoque le défaut de conformité de la chose livrée, et se prévaut d'un défaut "d'agréation".
L'expert judiciaire Grandchamp a déposé un rapport daté du 30 janvier 2002
Ses analyses et conclusions sur le plan technique ne sont pas critiquées et seront entérinées
Il ressort de ce rapport que le vin livré est gustativement loyal et marchand dans le type d'appellation et le millésime. Il est donc sur ce point conforme à ce qui a été commandé.
Toutefois à l'examen, il est trouble et manque de limpidité sans que ce dépôt aie d'incidence gustative.
Ce phénomène est lié au fait que le vin présentait un taux très élevé de potassium; en effet ce constituant est à l'état de solution instable dans le vin et susceptible de ce précipiter sous l'action du froid; cette précipitation est normalement progressive et se déroule tout au long de l'élevage du vin qui suit la vinification et précède la mise en bouteille mais en l'espèce, il s'agissait d'un vin jeune, cette clarification ne s'est pas réalisée naturellement
La mise en bouteille précoce (courant février) de ce vin jeune a entraîné la précipitation en bouteille.
La question est donc de savoir si l'existence de ce dépôt constitue une non conformité dont la SA Borie Manoux peut se prévaloir.
La non-conformité suppose que le produit livré ne correspond pas aux caractéristiques convenues.
Le phénomène de précipitation tartrique en bouteille est un phénomène connu, et la possibilité de la matérialisation de ce phénomène ne pouvait être ignoré de chacune des parties en leur qualité de professionnel.
Or la SA Borie Manoux n'a établi aucun cahier des charges en ce qui concerne la mise en bouteille, et n'a apporté aucune spécification à ce titre sur le bordereau d'achat.
Par ailleurs elle a réceptionné le premier lot de bouteille en juillet 1999.
Elle ne l'a pas vérifié à la réception, de sorte que la notion d'agréation du produit qui interviendrait à la réception de la commande est ici inopérante l'acquéreur s'étant précisément abstenu d'opérer un nouveau contrôle du produit livré.
Elle soutient qu'elle n'avait pas à procéder à un contrôle, en l'absence de toute suspicion concernant la qualité du vin, mais la mise en bouteille pour les considérations précédemment analysées emportait le risque de matérialisation d'un phénomène de précipitation qu'elle ne pouvait ignorer de sorte que son absence de vérification contribue à démontrer que l'absence d'un dépôt, qui n'avait pas été stipulé dans le cahier des charges, était indifférent et ne participait pas de la conformité du produit.
D'ailleurs , et ce point est décisif, la SA Borie Manoux reconnaît avoir décelé le phénomène de précipitation en décembre 1999 au cours d'un contrôle de qualité qu'elle a opéré dans ses chais. Toutefois elle a néanmoins pris livraison sans réserve le 6 janvier 2000 d'un nouveau lot de 12.000 bouteilles, et n'a averti son courtier que par courrier du 3 février 2000.
Dans ce contexte, la S.C.F.E.D Landureau soutient à juste titre que cette livraison acceptée sans réserve et en connaissance de cause vaut acceptation du produit, et reconnaissance de sa conformité de sorte que la demande de résolution de la vente présentée par la SA Borie Manoux sera rejetée.
La décision déférée sera confirmée sur ce point.
- B) la demande reconventionnelle de la S.C.F.E.D Landureau.
La S.C.F.E.D Landureau demande désormais à son tour la résolution du contrat pour inexécution par la SA Borie Manoux de ses obligations contractuelles.
La recevabilité de cette demande n'est pas critiquée.
Il est constant que la SA Borie Manoux a refusé d'exécuter sa part de contrat, a refusé de prendre livraison des bouteilles restant à livrer et de payer le prix convenu.
En raison de ces manquements, la S.C.F.E.D Landureau est fondé à obtenir la résolution du contrat, celle ci sera prononcée, à l'exclusion des 6.750 bouteilles non restituées.
Les conséquences financières
La S.C.F.E.D Landureau demande en premier lieu la différence ente le montant du marché, et les prix auquel elle a vendu ce vin, après l'avoir récupéré en exécution de l'arrêt cassé.
Ce manque à gagner est une conséquence directe de la non exécution du contrat de vente par la SA Borie Manoux
La SA Borie Manoux était acquéreur au prix de 24,50 francs HT la bouteille, la S.C.F.E.D Landureau justifie de propositions d'achat en janvier 2005 dans une fourchette de prix de 2 euros à 2,15 euros au mieux par bouteille soit 14,10 francs
Son préjudice qui représente le différentiel entre le prix qu'elle devait retirer de la vente et le prix obtenu sera fixé à la somme de 139.900 euros.
La S.C.F.E.D Landureau n'a pas livré une part des bouteilles et a récupéré après l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, les bouteilles livrées.
Les frais de stockage sont évalués par l'expert à 0,04 francs par bouteille et par mois. En outre le retard dans le règlement de sa créance a été générateur de frais financiers
Le préjudice lié à ces inconvénients et aux frais exposés sera globalisé et réparé par l'allocation d'une somme forfaitaire totale de 30.000 euros.
La S.C.F.E.D Landureau ne justifie ni d'un comportement anormal de la SA Borie Manoux dans la conduite de l'instance ni d'aucun préjudice lié à l'atteinte à sa marque et à sa crédibilité, qu'elle aurait subis, la demande à ce titre sera rejetée
L'arrêt de cassation constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution de la décision cassée, il n'y a pas lieu à nouvelle délivrance de titre.
Il sera enfin alloué à la société Landureau la somme de 5 .000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme la décision déférée en ce qu'elle a rejeté la demande de résolution de la vente présentée par la société Borie Manoux.
Réformant pour le surplus et statuant à nouveau compte tenu de l'évolution du litige
Prononce la résolution du contrat de vente aux torts de la société Borie Manoux,
La condamne à payer à la société Landureau les sommes suivantes:
* 139.900 euros au titre du préjudice commercial
* 30.000 euros en réparation des frais annexes
* 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de dommages et intérêts au titre de l'atteinte à l'image
Condamne la société Borie Manoux aux entiers dépens y compris de référé et d'expertise avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Rives Podesta, Avoués.
Le greffier Le président
R.GARCIA D. VERDE DE LISLE