La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/01/2008 | FRANCE | N°06/02011

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 23 janvier 2008, 06/02011


23/01/2008

ARRÊT No39

NoRG: 06/02011

Décision déférée du 23 Mars 2006 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - 04/444
Mme Duchac

SA PRODINTOUR
représentée par la SCP CANTALOUBE-FERRIEU CERRI

C/

Christian Y...

représenté par la SCP DESSART-SOREL-DESSART

Réformation

Grosse délivrée

le

à REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT TROIS JANVIER DEUX MILLE HUIT
***

APPELANT(E/S)

SA PRODINTO

UR
129 rue du Faubourg Poissonnière
75009 PARIS
représentée par la SCP CANTALOUBE-FERRIEU CERRI, avoués à la Cour
assistée de la SCP VERSINI-CAMPINCHI ET ASSOCIES, avo...

23/01/2008

ARRÊT No39

NoRG: 06/02011

Décision déférée du 23 Mars 2006 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - 04/444
Mme Duchac

SA PRODINTOUR
représentée par la SCP CANTALOUBE-FERRIEU CERRI

C/

Christian Y...

représenté par la SCP DESSART-SOREL-DESSART

Réformation

Grosse délivrée

le

à REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT TROIS JANVIER DEUX MILLE HUIT
***

APPELANT(E/S)

SA PRODINTOUR
129 rue du Faubourg Poissonnière
75009 PARIS
représentée par la SCP CANTALOUBE-FERRIEU CERRI, avoués à la Cour
assistée de la SCP VERSINI-CAMPINCHI ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS

INTIME(E/S)

Maître Christian Y...

...

31000 TOULOUSE
représenté par la SCP DESSART-SOREL-DESSART, avoués à la Cour
assisté de Me FABRE GUEUGNOT SAVARY, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR

Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 06 Décembre 2007 en audience publique, devant la Cour composée de :

J.P. SELMES, président
D. VERDE DE LISLE, conseiller
C. BELIERES, conseiller
qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : A. THOMAS

MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

ARRET :

- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par J.P. SELMES, président, et par A. THOMAS, greffier de chambre

EXPOSE DES FAITS ET PROCEDURE

Suivant acte sous seing privé du 13 mars 2003 la SA PRODINTOUR a signé avec la SA AERIS, un contrat d'affrètement d'un avion en vue d'assurer le transport aller et retour de passagers en Croatie tous les dimanches entre le 6 avril et le 1er juin 2003 et entre le 8 juin et le 12 octobre 2003 au prix de 28.295 € la rotation, payable par virement bancaire le mardi précédant le vol et le versement immédiat d'un acompte de 56.590 € correspondant au montant de deux rotations qui sera restitué par déduction sur les deux derniers vols.
Un chèque de ce montant a été remis le jour même par le voyagiste.
Par jugement du 23 septembre 2003 le tribunal de commerce de Toulouse a prononcé le redressement judiciaire de la SA AERIS et désigné Me Y... en qualité d'administrateur.
Le vol du 28 septembre 2003 a eu lieu conformément aux stipulations contractuelles mais, par courrier du 2 octobre 2003, l'administrateur au motif que les conditions de la compensation sollicitée n'étaient pas réunies, a invité la SA AERIS a effectuer le pré-paiement intégral des vols des 5 et 12 octobre 2003, "faute de quoi ils ne seraient pas assurés et une action judiciaire en dommages et intérêts équivalents au préjudice subi serait engagée" ; ce voyagiste a procédé le 3/10/2003 et 7/10/2003 aux versements correspondants.
Par acte du 23 mars 2006, la SA PRODINTOUR a fait assigner Me Y... devant le tribunal de grande instance de Toulouse en déclaration de responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil et réparation du préjudice subi, égal au montant de ce double paiement.
Par jugement du 23 mars 2006 cette juridiction a
- débouté la SA PRODINTOUR de l'ensemble de ses demandes en l'absence de lien de causalité direct entre la faute commise et le dommage allégué et mis les entiers dépens à sa charge
- débouté Me Y... de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par acte du 21 avril 2006, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la SA PRODINTOUR a formé appel général de cette décision.

MOYENS DES PARTIES

La SA PRODINTOUR sollicite l'infirmation du jugement déféré et demande de
- dire que les conditions de la responsabilité civile sont réunies
- condamner Me Y... à payer à la SA PRODINTOUR les sommes de 56.590 € avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et 7.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elle fait valoir que si le contrat est poursuivi après ouverture d'une procédure collective, chaque partie est tenue d'exécuter les obligations mises à sa charge de sorte que l'administrateur judiciaire qui intervient dans le cadre d'opérations de gestion courante doit respecter scrupuleusement les termes du contrat initial sans en modifier la teneur.
Elle estime que, par son refus d'admettre l'imputation des acomptes payés avant le jugement d'ouverture sur des factures émises postérieurement, Me Y... a commis un abus de pouvoir puisqu'il a modifié les modalités conventionnelles d'exécution du contrat en cours mettant à la charge de son administrée une obligation de faire et a aggravé sa responsabilité en prononçant des menaces injustifiées et injustifiables de poursuites judiciaires en indemnisation si son co-contractant ne se soumettait pas à ses exigences.
Elle soutient que le préjudice personnellement subi constitué par le paiement indu de la somme de 56.590 € trouve bien sa cause directe dans la demande illégale de l'administrateur judiciaire à qui il incombe de s'assurer, avant de décider de poursuivre le contrat, des possibilités financières immédiates et prévisibles de l'entreprise pour en garantir l'exécution.
Elle souligne qu'il n'a, à aucun moment, dans ses différents courriers évoqué l'insuffisance de trésorerie de cette société ou d'une manière plus générale sa situation économique ni émis de réserves quant à la poursuite de l'exploitation, s'étant limité à indiquer que les conditions de la compensation n'étaient pas réunies et que le paiement était du.
Elle en déduit que les difficultés économiques rencontrées par la SA AERIS en octobre 2003, dont elle n'avait été aucunement avisée, ne peuvent être considérées comme la cause de son préjudice et ajoute que la responsabilité de l'administrateur ne saurait être exclue au motif que sa faute a entraîné un dommage mais que son absence de faute en aurait entraîné un hypothétiquement plus grave.
Elle prétend que l'acceptation des risques par la victime ne peut être invoquée par l'auteur d'un dommage que si ce risque est tel que son acceptation constitue une faute, que le fait de payer par anticipation des prestations ne peut être analysé comme tel dès lors qu'il constitue un simple usage commercial, d'autant que la date de cessation des paiements de la SA AERIS a été fixé au 23 septembre 2003 ce qui exclut qu'elle ait pu six mois plus tôt douter de la solvabilité de son co-contractant.
Subsidiairement, elle affirme que Me Y... n'en reste pas moins tenu d'indemniser l'entier dommage causé par sa propre faute par application du principe général de l'équivalence des causes.

Me Y... conclut à la confirmation du jugement déféré avec octroi de la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Il soutient que la SA PRODINTOUR ne rapporte pas la triple preuve cumulative à sa charge d'une faute et d'un préjudice en relation de causalité directe.
Il indique que l'acompte litigieux versé dès le 13 mars 2003 avait déjà été consommé par la SA AERIS avant l'ouverture du redressement judiciaire en septembre 2003, qu'il n'a jamais opté pour la poursuite du contrat d'affrètement même tacitement puisqu'au contraire, contacté par la SA PRODINTOUR préalablement aux deux dernières rotations, il a répondu qu'elle devait procéder à leur règlement avant de pouvoir exécuter ces prestations, ce qui constituait de nouvelles conditions dérogatoires au contrat initial et antinomiques avec la continuation du contrat au sens de l'article L 621-28 du code de commerce.
Il explique que les conditions économiques d'exploitation de la SA AERIS ne permettaient pas d'exécuter ces deux vols sans les faire préalablement payer, eu égard à l'insuffisance de trésorerie de l'entreprise dont le solde était négatif à hauteur de 1.382.000 € avec un prévisionnel de 2.000.000 € à la fin du mois d'août.

Il estime n'avoir jamais menacé abusivement la SA PRODINTOUR mais l'avoir simplement informée qu'à défaut de paiement les deux dernières rotations ne pourraient être effectuées et que si elle souhaitait les voir accomplir il lui fallait les régler, ce qu'elle a fait.
Il prétend que le préjudice dont cette société demande réparation est la conséquence de la situation économique et de l'utilisation de l'acompte par la SA AERIS dès avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à des fins autres que celles stipulées au contrat, ce dont il ne saurait être tenu pour responsable s'agissant d'un fait antérieur à sa désignation, et dont la SA PRODINTOUR était parfaitement consciente puisqu'elle a procédé dès le 3 octobre 2003 au règlement sollicité sans la moindre protestation ni réserve et en pleine connaissance de cause.
Il affirme qu'en payant dès le mois de mars 2003 des prestations qui devaient être exécutées les 5 et 12 octobre 2003 soit 7 mois plus tard la SA PRODINTOUR a pris un risque commercial qu'elle doit seule assumer.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la responsabilité de Me Y...

L'administrateur judiciaire engage sa responsabilité personnelle envers les créanciers ou les tiers sur le fondement de l'article 1382 du code civil pour les fautes commises dans l'accomplissement de sa mission en relation de causalité directe avec un dommage subi.
Le contrat en date du 13 mars 2003 no 840 bis liant la SA PRODINTOUR à la SA AERIS était toujours en cours au moment de l'ouverture de la procédure collective le 23 septembre 2003 puisque les prestations qui en faisaient l'objet étaient convenues jusqu'au 12 octobre 2003, de sorte qu'en vertu de l'article L 621-28 du code de commerce Me Y... avait seul la faculté d'opter pour sa continuation ou sa cessation, sa décision devant être prise en fonction de l'intérêt de l'entreprise, du caractère indispensable du contrat, d'impératifs économiques et de la possibilité qu'il avait de fournir la prestation promise au co-contractant.
La décision de poursuivre ce contrat, qui peut être tacite, résulte clairement de son exécution après le jugement d'ouverture ; la rotation du 28 septembre 2003 a été effectivement assurée par la SA AERIS ; de même, la facture à en -tête AERIS en date du 24/09/03 portant le numéro 24272 qui vise le vol du 12/10/2003 fait expressément référence au contrat no 840 bis.
Me Y... devait donc respecter toutes les clauses et conditions de ce contrat ainsi poursuivi.
Or, l'article 4 prévoyait que l'acompte correspondant au montant de deux rotations soit 56.590 € serait "restitué" par AERIS par déduction sur les deux derniers vols ; la SA PRODINTOUR ayant effectivement réglé l'acompte mis à sa charge par chèque du 13 mars 2003, ainsi que tous les autres vols aux dates prévues à savoir le mardi précédent le vol, elle n'avait pas à acquitter les deux derniers puisqu'ils l'avaient été par avance dès la signature de la convention, ce versement initial étant expressément stipulé venir s'imputer sur le coût des dernières rotations.
En exigeant que la SA PRODINTOUR verse à nouveau "le pré-paiement intégral des vols du 5 et 12 octobre 2003" Me Y... a violé les dispositions contractuelles.

Cette attitude revêt par la même un caractère fautif, étant souligné que lorsqu'il décide de poursuivre un contrat l'administrateur doit s'assurer des possibilités financières immédiates et prévisibles de l'entreprise pour l'exécuter.

Elle est nécessairement et directement source de dommage pour la SA PRODINTOUR puisque ce voyagiste a du s'acquitter deux fois du coût de la même prestation et n‘a pu en obtenir le remboursement par la SA AERIS.
Le lien de causalité ne peut être sérieusement discuté.
Peu importe qu'au moment de l'ouverture de la procédure collective
la SA AERIS n'ait pas disposé en trésorerie de l'acompte versé plusieurs mois plus tôt pour l'avoir utilisé à d'autres fins ; le dommage est bien né de la faute commise puisque la situation économique et financière de la compagnie aérienne était une donnée à prendre en considération par l'administrateur avant d'opérer son choix de continuer le contrat.
De même, la SA PRODINTOUR n'est en aucun cas à l'origine de son propre dommage en l'absence de toute faute de sa part ; en versant l'acompte en mars 2003, elle n'a fait que se conformer aux dispositions contractuelles qui font la loi des parties et aux usages commerciaux en la matière ; à cette époque, rien ne l'autorisait à douter de la solvabilité de son co-contractant qui n'a été mis en procédure collective que six mois plus tard sans report de la date de cessation des paiements ; toute notion d'acceptation d'un quelconque risque est donc exclue ; et le second paiement effectué par le voyagiste n'a pas été volontaire mais exigé par l'administrateur sous la menace de ne pas assurer les vols (télécopie du 2/10/03 et 6/10) et d'engager des poursuites judiciaires en indemnisation (fax du 6/10), et a été assorti des "plus expresses réserves de ses droits en ce qui concerne notre dossier" (courrier du 7/10/2003).
Par ailleurs, le dommage juridiquement indemnisable se mesure au préjudice effectivement subi par la victime et non à celui même potentiellement supérieur qui a pu être évité.
En vertu de l'article 1153-1 du Code Civil, les intérêts de retard courent au taux légal sur l'indemnité allouée à compter du prononcé du présent arrêt.

Sur les demandes annexes

Me Y... qui succombe supportera donc la charge des dépens de première instance et d'appel ; il ne peut, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Eu égard aux circonstances de la cause et à la position des parties, il est inéquitable de laisser à la charge de la SA PRODINTOUR la totalité des frais exposés pour agir, se défendre et assurer sa représentation en justice tant devant le tribunal que devant la cour et non compris dans les dépens, ce qui commande l'octroi de la somme de 4.000 € à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Infirme le jugement déféré

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- Dit que Me Y... a engagé sa responsabilité délictuelle envers la SA PRODINTOUR.

- Condamne Me Y... à payer à la SA PRODINTOUR la somme de 56.590 € à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de ce jour.

Y ajoutant,

- Condamne Me Y... à payer à la SA PRODINTOUR la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

- Déboute Me Y... de sa demande à ce même titre.

- Condamne Me Y... aux entiers dépens.

- Dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile au profit de la SCP CANTALOUBE-FERRIEU, CERRI avoués.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Numéro d'arrêt : 06/02011
Date de la décision : 23/01/2008
Sens de l'arrêt : Autre

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Toulouse


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2008-01-23;06.02011 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award