19/11/2007
ARRÊT No
NoRG: 06/05447
CF/CD
Décision déférée du 07 Novembre 2006 - Tribunal de Grande Instance d'ALBI - 05/2116
Mme X... JEAN
Georges Jean Marie Léon A...
représenté par la SCP NIDECKER PRIEU-PHILIPPOT JEUSSET
Danièle B... épouse A...
représentée par la SCP NIDECKER PRIEU-PHILIPPOT JEUSSET
Grégory A...
représenté par la SCP NIDECKER PRIEU-PHILIPPOT JEUSSET
Aurélie A...
représentée par la SCP NIDECKER PRIEU-PHILIPPOT JEUSSET
C/
LE TRESORIER PAYEUR GENERAL DU C...
représentée par la SCP DESSART-SOREL-DESSART
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
1ère Chambre Section 1
***
ARRÊT DU DIX NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE SEPT
***
APPELANTS
Monsieur Georges Jean Marie Léon A...
"La Fondue"
Fonvialanne
81000 ALBI
représenté par la SCP NIDECKER PRIEU-PHILIPPOT JEUSSET, avoués à la Cour
assisté de Me Thierry D..., avocat au barreau de TOULOUSE
Madame Danièle B... épouse A...
"La Fondue"
Fonvialanne
81000 ALBI
représentée par la SCP NIDECKER PRIEU-PHILIPPOT JEUSSET, avoués à la Cour
assistée de Me Thierry D..., avocat au barreau de TOULOUSE
Monsieur Grégory A...
...
81000 ALBI
représenté par la SCP NIDECKER PRIEU-PHILIPPOT JEUSSET, avoués à la Cour
assisté de Me Thierry D..., avocat au barreau de TOULOUSE
Madame Aurélie A...
...
81000 ALBI
représentée par la SCP NIDECKER PRIEU-PHILIPPOT JEUSSET, avoués à la Cour
assistée de Me Thierry D..., avocat au barreau de TOULOUSE
INTIME
LE TRESORIER PAYEUR GENERAL DU C...
...
81016 ALBI
représentée par la SCP DESSART-SOREL-DESSART, avoués à la Cour
assistée de la SCP MERCIE FRANCES JUSTICE ESPENAN, avocats au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 8 Octobre 2007 en audience publique, devant la Cour composée de :
A. MILHET, président
O. COLENO, conseiller
C. FOURNIEL, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : E. KAIM-MARTIN
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par A. MILHET, président, et par E. KAIM-MARTIN, greffier de chambre.
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EXPOSE DU LITIGE
Selon acte authentique reçu par maître E..., notaire à ALBI, le 28 février 1998, monsieur Georges A... et madame Danielle B... épouse A... ont fait donation de leur maison d'habitation sise à ALBI , lieudit Fonvialane, à leurs enfants Gregory et Aurélie, tout en se réservant un droit d'usage et d'habitation ainsi qu'un droit de retour.
Le 18 novembre 2003, ils ont souscrit auprès du Crédit Agricole un contrat d'assurance vie pour un montant de 85.000 euros, auquel ils ont ajouté le 11 mars 2004 la somme de 30.000 euros.
Monsieur et madame A... ont fait l'objet d'un redressement fiscal portant sur la somme de 2.165.694,94 euros en principal, majorations et frais de poursuites au titre des impôts sur le revenu des années 1999 à 2002.
Par actes d'huissier du 27 octobre 2005, le trésorier payeur général du C... a fait assigner les époux A... et leurs deux enfants sur le fondement de l'article 1167 du code civil aux fins de voir déclarer inopposable au trésor public l'acte de donation du 28 février 1998 et le contrat d'assurance vie souscrit le 18 novembre 2003.
Suivant jugement en date du 7 novembre 2006, le tribunal de grande instance d'ALBI a fait droit à cette demande, a rejeté la demande des consorts A... au titre de l'abus du droit d'ester en justice, et les a condamnés in solidum à payer au trésorier payeur général du C... la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration en date du 27 novembre 2006 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas discutées, les consorts A... ont relevé appel de ce jugement.
Ils demandent à la cour de débouter le trésorier payeur général du C... de ses demandes, et de le condamner au versement des sommes de 6.000 euros sur le fondement de l'abus d'agir en justice, outre 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP NIDECKER-PRIEU-JEUSSET.
Les appelants font valoir que la créance fiscale constituée par le redressement de 2003 ne peut remonter qu'à 1999, qu'elle est largement postérieure à la donation intervenue le 28 février 1998, que les époux A... ne pouvaient pas deviner qu'ils se sépareraient à la suite de leur domiciliation en Andorre en 1997, ce qui a eu des incidences sur les opérations de contrôle fiscal, que monsieur A... n'ayant aucun créancier, même virtuel en 1998, pouvait parfaitement résider en France comme en Andorre, que la donation réalisée est un acte de gestion du patrimoine courant avant un départ à l'étranger susceptible d'être définitif, la réserve d'usufruit étant motivée par le souci de conserver un droit de regard sur l'utilisation de la maison familiale, que monsieur A... a bien résidé en Andorre de 1997 à 2003, et y était domicilié dans le cadre de sa procédure de divorce, que l'administration fiscale n'a jamais apporté aucun élément de contestation de la résidence andorrane des époux A... pour l'année 1998, et n'a pas remis en cause l'activité de l'époux en Andorre à cette époque.
En ce qui concerne le contrat d'assurance vie, les consorts A... affirment que les sommes versées sur ce contrat sont loin d'être significatives, eu égard à l'importance de leur patrimoine après la cession des parts de la société TEDDY F..., et qu'il s'agissait d'un placement en vue de veiller à la conservation de ce patrimoine.
Ils ajoutent que ni la donation avec réserve d'usufruit ni la souscription d'un contrat d'assurance vie et son nantissement pour garantir l'activité commerciale de mademoiselle Aurélie A... ne peuvent être considérés comme des acte d'appauvrissement, et qu'aucune des conditions requises pour bénéficier du régime juridique d'exception de l'action paulienne n'est en l'espèce réunie.
Le trésorier payeur général du C... conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, à ce qu'il soit dit et jugé que l'inopposabilité de l'acte de donation et du contrat d'assurance vie entraîne le retour du bien donné et des fonds placés dans le patrimoine des époux A... et à la condamnation des appelants au paiement d'une somme supplémentaire de 5.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP SOREL-DESSART-SOREL.
L'intimé soutient que consécutivement à la cession de leurs parts dans la SA TEDDY F... les époux A... n'ont eu de cesse de dissimuler leurs revenus à l'administration fiscale et d'organiser leur apparente insolvabilité, qu'ils n'ont jamais apporté la moindre preuve de leur séparation ni de la procédure de divorce qu'ils auraient introduite, que leur domicile a toujours été à ALBI et non pas en principauté d'Andorre, et que la donation faisait partie des manoeuvres mises en place pour se soustraire au paiement de l'impôt.
Il dit ensuite qu'en souscrivant un contrat d'assurance vie et en l'affectant en nantissement pendant 7 ans au profit du Crédit Agricole en garantie d'une dette de leur fille, alors que le contrôle fiscal était en cours, les époux A... se sont délibérément appauvris dans le but de soustraire leur patrimoine au droit de gage du trésor, rendant insaisissables les fonds placés.
Il précise enfin que le tribunal administratif de TOULOUSE vient, par jugement du 26 juin 2007, de rejeter dans sa globalité la requête présentée par les époux A....
La procédure a été clôturée par ordonnance du 8 octobre 2007.
* * *
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité et le bien fondé de l'action paulienne
Aux termes de l'article 1167 du code civil, les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits.
Le créancier qui exerce une telle action doit établir que l'acte attaqué lui cause un préjudice connu du débiteur et existant à la date de l'insolvabilité du débiteur ainsi qu'à la date de la demande, indépendamment de la date d'exigibilité et de la liquidité de la créance servant de fondement à l'action.
Il doit démontrer l'insolvabilité au moins apparente du débiteur, auquel il appartient de prouver qu'il dispose de biens de valeur suffisante pour permettre au créancier d'obtenir paiement des sommes qui lui sont dues.
Le demandeur doit également justifier d'une créance certaine en son principe au moment de la conclusion de l'acte, toutefois l'antériorité de la créance n'est pas exigée lorsqu'il est démontré que la fraude a été organisée à l'avance en vue de porter préjudice à un créancier futur.
Lorsqu'il s'agit d'un acte à titre gratuit, la complicité de fraude du tiers acquéreur n'a pas à être prouvée.
En l'espèce il résulte des écritures concordantes des parties sur ce point qu'au mois de juillet 1997, les époux A... ont cédé les parts qu'ils détenaient dans la société TEDDY F... moyennant le prix de 16.542.610 francs, soit 2.521.904,64 euros.
L'administration fiscale indique que le produit de cette cession a été placé sur des comptes bancaires au Luxembourg, ce que les consorts A... ne démentent pas.
Ils versent aux débats des pièces attestant du virement le 14 juillet 1999 de la somme de 5.655.153 ,31 francs d'un compte ouvert à la CORTAL BANK à LUXEMBOURG sur un compte à la BANCA REIG à ANDORRE, et d'un virement en mars 2000 de la somme de 3.000.000 francs de la Banque Internationale à LUXEMBOURG à la même banque andorrane.
Monsieur A... justifie avoir loué un appartement en principauté d'Andorre à compter du 1er juillet 1997, et déclare avoir été embauché par la société andorrane ANTUNEZ SA CONFECACCIONS ARICA, puis avoir changé d'employeur fin 1998 pour exercer les fonctions de directeur technique consultant en matière textile de la société IDIN SA dont le siège social est également en Andorre.
Il a effectivement obtenu du gouvernement d'Andorre une autorisation de travail en date du 4 septembre 1997.
Cependant aucun justificatif précis n'est produit des conditions de son emploi par la société ANTUNEZ CONFECACCIONS ARICA, ni d'une occupation régulière de son logement andorran à partir du mois de juillet 1997.
Le 28 février 1998 les époux A... ont fait donation à leurs enfants de la nue propriété de leur maison d'habitation, dont ils se réservaient l'usufruit, ce qui est en contradiction avec leur volonté déclarée de s'installer définitivement en Andorre.
Les investigations effectuées par l'administration fiscale pour les années 1999, 2000 et 2001 font apparaître que monsieur A... est en réalité le dirigeant de fait de la société IDIN SA, dont l'existence juridique à compter du 1er janvier 1998 n'est pas contestée, et dont il détient tous les pouvoirs d'administration, bien au delà de ceux d'un directeur technique consultant ;
qu'ainsi il dispose du pouvoir d'ouvrir des comptes bancaires et de les faire fonctionner, de la signature auprès des organismes financiers, et prend les décisions concernant les relations avec les clients et fournisseurs.
Il ressort également de ces investigations que l'adresse de la société IDIN pour toute correspondance, ainsi que le numéro de télécopie, correspondent à la maison d'ALBI , d'où monsieur A... effectue les commandes et reçoit les factures des fournisseurs, et adresse les ordres de paiement à la banque andorrane de ladite société.
Par ailleurs durant les années 2000 et 2001 les cartes bancaires des époux A... ont été utilisées à de très nombreuses reprises en France, en particulier à ALBI et dans la région toulousaine, pour des paiements destinés au règlement de dépenses de la vie courante, et les échantillons de copies de chèques examinés par les services fiscaux concernent en majorité des bénéficiaires albigeois.
En outre la constance de la consommation EDF en 1999, 2000 et 2001 traduit une occupation habituelle de la maison d'ALBI, l'abonnement EDF est au nom de monsieur A..., et des prélèvements mensuels au titre d'abonnements à des chaînes de télévision payantes sont effectués sur le compte des époux A....
Ces derniers disposent de deux véhicules immatriculés en France, d'un compte client permanent auprès de la station ELF d'ALBI, et effectuent des règlements mensuels correspondant pour l'essentiel à des dépenses de carburant.
L'existence d'une séparation de fait effective entre les époux est démentie par ces constatations, ainsi que par la preuve de déplacements en avion réalisés conjointement et par les propres déclarations de madame A... aux services de police andorrans en 2002.
Certes les appelants versent aux débats la copie d'une convocation adressée en 2003 aux époux par le juge aux affaires familiales d'ALBI dans le cadre d'une procédure de divorce sur requête conjointe, mais ils ne justifient pas de la suite donnée à cette procédure.
Il s'évince de l'ensemble de ces éléments qu'après avoir placé hors du territoire national le produit de la cession de leurs parts de la société TEDDY F..., et pris des dispositions pour donner l'apparence d'une installation en Andorre (location d'un appartement, obtention par monsieur A... d'une carte d'autorisation de travail), les époux A... ont fait donation à leurs enfants de la nue propriété de leur maison d'habitation d'ALBI, tout en y conservant leur résidence principale d'où monsieur A... gère une société ayant son siège social en Andorre ;
que dès la vente des parts sociales en 1997 et au cours de l'année 1998, ils ont organisé leur insolvabilité en France dans le but d'éluder pour les années à venir le paiement de l'impôt sur le revenu sur le territoire français.
La donation consentie à leurs enfants s'inscrit dans le cadre de cette fraude destinée à porter préjudice aux droits futurs de l'administration fiscale sur les revenus dont ils allaient bénéficier.
En ce qui concerne le contrat d'assurance vie, il apparaît que l'examen contradictoire de la situation fiscale et personnelle de monsieur et de madame A... a débuté par un avis envoyé à leur domicile le 29 juillet 2002, soit antérieurement à la souscription de ce contrat intervenue le 18 novembre 2003.
Du fait de ce début de vérification fiscale il existait à cette date sinon une créance certaine, du moins un principe de créance.
La donation de la nue propriété de la maison d'habitation des époux A... les a incontestablement appauvris.
Ils ne sont apparemment propriétaires d'aucun autre bien immobilier en France.
Le nantissement du contrat d'assurance vie souscrit par monsieur A... a rendu insaisissables les sommes qui y figurent pendant la durée de cette garantie, et ces sommes peuvent être irrémédiablement acquises au profit de l'établissement bancaire dans le cas où l'emprunteur Aurélie A... n'honorerait pas les échéances du prêt.
Le Trésor public n'a pu recouvrer qu'une somme de 22.474,06 euros sur un total de créance de 2.165.694,94 euros, et les époux A..., qui ont placé la quasi-totalité de leur patrimoine à l'étranger, ne démontrent pas qu'ils disposent en France de biens d'une valeur suffisante pour régler les sommes dues à l'administration fiscale dont le préjudice est ainsi établi.
Par conséquent l'action paulienne engagée par le trésorier payeur général du C... est recevable et fondée.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré inopposables au Trésor public l'acte de donation reçu par maître E... le 28 février 1998, publié à la conservation des hypothèques d'ALBI le 27 mars 1998 volume 1998 P sous le numéro 1956, et le contrat d'assurance vie FLORIGE souscrit par monsieur Georges A... le 18 novembre 2003 auprès du Crédit Agricole Sud Alliance devenu le Crédit Agricole Nord Midi Pyrénées.
Cette inopposabilité n'a pas pour effet d'entraîner le retour de l'immeuble donné dans le patrimoine des époux A..., mais de permettre au créancier d'échapper aux effets des actes consentis en fraude de ses droits et d'en faire éventuellement saisir l'objet entre les mains des tiers bénéficiaires.
Sur les demandes annexes
Dans la mesure où il est fait droit à la demande principale du trésorier payeur général du C..., aucun abus du droit d'ester en justice n'est établi à son encontre et la demande de dommages et intérêts présentée par les consorts A... sur ce fondement a été justement rejetée.
Les dispositions du jugement relatives à l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile seront maintenues.
Il y a lieu d'allouer à l'intimé une somme complémentaire de 1.500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés devant la cour.
Sur les dépens
Les consorts A... qui succombent ont été condamnés à bon droit in solidum aux dépens, et ils supporteront les dépens de leur appel injustifié.
PAR CES MOTIFS
La cour
En la forme, déclare l'appel régulier,
Au fond, confirme le jugement,
Précise que l'inopposabilité au Trésor public de la donation du 28 février 1998 n'a pas pour effet de réintégrer le bien donné dans le patrimoine des époux A...,
Condamne in solidum les consorts A... à payer au trésorier payeur général du C... la somme de 1.500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel,
Les condamne in solidum aux dépens de l'instance d'appel, dont distraction au profit de la SCP SOREL-DESSART-SOREL, avoués à la cour.
LE GREFFIER LE PRESIDENT