14/11/2007
ARRÊT No771
No RG : 06/03651
CC/MB
Décision déférée du 04 Juillet 2006 - Conseil de Prud'hommes de MAZAMET - 05/00036
Y. PAGES
EURL X...
C/
Gabriel X... Y...
RÉFORMATION
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4ème Chambre Section 1 - Chambre sociale
***
ARRÊT DU QUATORZE NOVEMBRE DEUX MILLE SEPT
***
APPELANT
EURL X...
...
81200 AUSSILLON
représentée par la SCP PALAZY-BRU ET ASSOCIES, avocats au barreau d'ALBI
INTIMÉ
Monsieur Gabriel X... Y...
...
81200 MAZAMET
représenté par Me Françoise BALLIN, avocat au barreau de CASTRES
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 03 Octobre 2007, en audience publique, devant la cour composée de :
B. Z..., président
C. PESSO, conseiller
C. CHASSAGNE, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : P. A...
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile
- signé par B. Z..., président, et par P. A..., greffier de chambre.
FAITS ET PROCÉDURE :
Embauché à compter du 1er novembre 1987 en qualité de prothésiste dentaire par le laboratoire de prothèse dentaire Ligério PEREIRA devenu ensuite l'EURL X..., Gabriel X... Y... était licencié pour faute grave par lettre du 9 décembre 2005 alors qu'il avait saisi , le 2 décembre 2005, le conseil de prud'hommes de MAZAMET pour obtenir paiement de ses heures supplémentaires et se voir reconnaître victime de harcèlement moral et discrimination.
Par jugement en date du 6 juin 2006, le conseil , estimait que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et que Gabriel X... Y... avait bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées et condamnait l'EURL X... à lui payer :
- 1 585 euros à titre de dommages et intérêts
- 3 380 euros brut à titre d'indemnité de préavis outre 338 euros de congés payés afférents
- 7 962,51 euros brut à titre d'indemnité de licenciement
- 60 024,76 euros brut au titre des heures supplémentaires outre celle de 6 202,47 euros de congés payés afférents
- 1000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Le conseil ordonnait en outre la rectification des documents sociaux sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
Par lettre recommandée expédiée le 18 juillet 2006, l'EURL X... interjetait appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 11 juillet.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
L'EURL X... demande à la cour de réformer le jugement sur la question des heures supplémentaires, de condamner Gabriel X... Y... à lui rembourser les sommes versées à ce titre ainsi qu'à lui payer 3000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elle expose que :
- la société spécialisée dans la fabrication de prothèses dentaires a été constituée en 1989 entre les deux frères PEREIRA, Ligério et Gabriel, au bout de dix ans, ce dernier a cédé ses parts à son frère tout en restant salarié ;
- à partir du 3 septembre 2005 Gabriel X... Y... réclamait par écrit le paiement d'heures supplémentaires ;
- le 15 novembre, l'EURL X... lui opposait une fin de non recevoir au motif qu'elle n'avait jamais formulé de demande en ce sens et que les dépassements d'horaires éventuels avaient été compensés par des primes ;
- le 2 décembre 2005 Gabriel X... Y... saisissait le conseil de prud'hommes ;
- la dégradation des relations entre les deux frères s'accentuait jusqu'au licenciement de Gabriel X... Y... après la délivrance de deux avertissements.
Elle conteste la valeur probante des relevés horaires effectués unilatéralement par Gabriel X... Y... sur des calendriers qui sont en contradiction avec les feuilles de temps signées des deux parties pour la période du 3 décembre 2001 au 25 mai 2002 et, de manière plus générale réfute les affirmations et les pièces produites par le salarié à l'appui de sa demande au titre des heures supplémentaires.
Elle maintient par ailleurs que les motifs énoncés à l'appui du licenciement constituaient une cause réelle et sérieuse de rupture car depuis quelques mois, Gabriel X... Y... sabotait son travail.
Gabriel X... Y... conclut à la confirmation du jugement sur les heures supplémentaires mais à sa réformation sur le licenciement et réclame à ce titre 30 000 euros de dommages et intérêts outre 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Il demande en premier lieu que les pièces communiquées tardivement soient écartées des débats.
Il affirme que les nombreux témoignages qu'il produit corroborent le relevé de ses heures de travail et que l'employeur a implicitement reconnu par écrit le principe même de ces heures supplémentaires.
Il conteste avoir signé les feuilles de temps produites par l'EURL X....
Il soutient que son licenciement n'est que la conséquence de ses propres revendications que le gérant de l'entreprise n'a pas réussit à étouffer malgré la pression exercée sur lui pour y parvenir.
Il réfute le motif de licenciement lié à la qualité de son travail et s'il admet avoir prononcé des paroles peu amènes à l'égard de son employeur , c'est uniquement en réponse aux insultes qu'il a lui même essuyées.
SUR QUOI :
Sur l'incident de communication de pièces :
Attendu que le caractère oral de la procédure ne dispense pas les parties de respecter le principe du contradictoire; qu'en l'espèce, le conseil de Gabriel X... Y... indique avoir reçu par fax trois pièces nouvelles la veille de l'audience et qu'il n'a pas eu la possibilité de communiquer avec son client qui se trouve en déplacement ; que la cour constate qu'effectivement cette communication effectuée par bordereau du 2 octobre 2007 transmis par fax à 11heures 23 mn alors que l'affaire devait être plaidée le lendemain à 8 heures 30 est tardive ; qu'en conséquence, la facture point P et l'attestation du Dr B... seront écartées des débats ; qu'en revanche, la cour constate que les feuilles de temps de Gabriel X... Y... jointes au même bordereau ont été communiquées régulièrement en première instance ;
Sur les heures supplémentaires
Attendu que la preuve des heures supplémentaires n'incombe spécialement à aucune des parties mais le salarié doit fournir préalablement à sa demande des éléments de nature à étayer sa revendication; que si la demande est étayée, l'employeur doit fournir la justification des horaires effectivement réalisés par le salarié ;
Qu'en l'espèce, le principe même de ces heures supplémentaires n'est pas sérieusement discutable dans la mesure où dans ses courriers des 16 septembre et 15 novembre 2005, en réponse aux réclamations de l'intimé, l'employeur admet avoir compensé financièrement par le biais de primes "les surplus de production" ou "les dépassements d'horaires" de Gabriel X... Y... ;
Que par ailleurs, le salarié produit de nombreuses attestations et notamment celles de David C..., Giles D..., Vincent ESTABAUTet Lionel E... qui confirment qu'il arrivait tôt le matin et restait souvent tard le soir ;
Que face à ces éléments, l'EURL X... produit des feuilles de temps pour la période du 3 décembre 2001 au 25 mai 2002 sur lesquelles n'apparaissent aucune heure supplémentaire ; que ces feuilles sont cosignées par l'employeur et Gabriel X... Y... ; que la cour constate que la signature du demandeur correspond bien à celle qui figure sur les courriers dont il revendique la paternité et que selon les jours cette signature est plus ou moins haute ou large ce qui exclut une apposition par manipulation informatique comme il le suggère ;
Qu'outre la contradiction entre ces feuilles de temps et les mentions figurant sur les calendriers de la poste sur lesquels Gabriel X... Y... affirme avoir mentionné au jour le jour ses horaires de travail, l'expertise de ces calendriers à l'initiative de l'employeur, tend à démontrer qu'ils ont vraisemblablement tous été remplis le même jour ; que la cour ne peut donc se fonder sur cet unique élément comme l'a fait le conseil de prud'hommes ;
Attendu qu'il s'évince des témoignages produits que Gabriel X... Y... arrivait plus tôt le matin et qu'il restait souvent tard le soir et revenait parfois après le dîner ; qu'au vu des éléments suffisants dont dispose la cour, il y a lieu de retenir qu'il effectuait en moyenne deux heures supplémentaires par jour, ce qui, déduction faite des périodes de congés telles qu'elles apparaissent sur les calendriers, doit conduire à réduire de moitié les sommes demandées à ce titre ; qu'il lui sera donc alloué 30.012,38 euros de rappel de salaire ainsi que 300,12 euros de congés payés afférents ;
Sur le licenciement :
Attendu que la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige est rédigée dans les termes suivants:
" ...tout d'abord, le 03/11/2005, je vous ai fait une observation concernant votre travail sur un "appareil de résine du bas"prêt à livrer. Il y avait à l'intérieur du montage, plein de plâtre, avec une mise à dépouille trop importante au niveau des canines. Cela donnait un vide trop important entre les dents naturelles et les dents ajoutées. De plus, le praticien avait demandé 3 dents , et vous en aviez placé 4.
Suite à ces remarques, vous êtes allé laver l'appareil, puis je vous ai fait observer que le problème de "contre dépouille" n'était pas résolu.
Vous m'avez repris avec une attitude déplacée et agressive devant le personnel en me disant :
"regarde ton travail dégueulasse avant de regarder le mien. Je suis là jusqu'à la fin de mes jours pour te nuire, je sais des choses sur le labo et je ne pense qu'à te nuire jour et nuit. Je boufferai ma maison s'il le faut mais je te détruirai."
Vous avez reposé le travail prêt à livrer sans les rectifications nécessaires et demandées. Aussi j'ai du les effectuer moi même , avant la finition.
Cette attitude agressive et déplacée s'inscrit dans un comportement général chaque fois que je vous fais des observations quant à l'exécution de votre travail.
De plus, le 22/11/2005, le "stellite du haut" que vous avez préparé pour un praticien dentiste présentait de gros défauts de finitions au niveau du polissage et des malfaçons concernant les "crochets sur canines".
Je vous ai demandé de reprendre ce travail , et encore une fois, vous vous êtes emporté .
Vous m'avez dit que votre travail était parfait et que vous ne le retoucheriez pas. Vous avez rajouté que je devrais regarder le mien ainsi que celui des autres.
Enfin, le 24/11/2005, suite à un montage à refaire (essayage haut et bas) retourné par un autre praticien, vous m'avez dit:"comment se fait-il que mon articulateur soit mal préparé?"
Je vous ai répondu que je ne savais pas , et que si tel était le cas, vous aviez toutes les qualifications et les éléments nécessaires pour remédier à ce problème.
Vous m'avez répondu que l'on vous sabotait le travail, en quoi je vous ai rappelé l'incident du 22/11/2005 relatif à la qualité de votre travail sur un "stellite".
A ce moment là, je me suis permis de vous indiquer que personne d'autre que vous n'avez pu toucher ce stellite et qu'il présentait tout de même des malfaçons.
Une nouvelle fois, vous m'avez insulté et menacé, et cela devant l'ensemble du personnel, très choqué par vos propos violents, lorsque vous m'avez dit:"si tu as des couilles, tu n'as qu'à me licencier, je n'attends que ça. Licencie moi , de toutes façons, tu n'es qu'un enculé (répété plusieurs fois) je vais t'en mettre une , de toute façons je te chopperai sans témoin , le labo je vais te le couler".
Nous considérons que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien même temporaire dans l'entreprise où, d'une part, vos manquements professionnels nuisent à l'entreprise et, d'autre part, vos insultes et menaces à mon encontre, sont intolérables et gênent la bonne marche de l'entreprise ..." ;
Attendu que la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l'employeur ; qu'en l'espèce, force est de constater que l'EURL X... n'apporte aucune preuve en faveur de la mauvaise qualité du travail de Gabriel X... Y... ; que ce grief , vigoureusement contesté par l'intéressé est par ailleurs incompatible avec la durée de la relation contractuelle qui s'était déroulée sans aucun incident entre les deux frères PEREIRA jusqu'à ce que l'intimé commence à réclamer le paiement de ses heures supplémentaires ;
Attendu qu'en revanche, Gabriel X... Y... reconnaît avoir tenu les propos qui lui sont reprochés mais soutient qu'ils n'étaient qu'une réponse aux provocations de son employeur qui voulait le faire sortir de ses gonds en lui tenant des propos blessants devant les autres salariés ; qu'il convient de souligner que ce moyen de défense était déjà contenu dans la lettre de contestation du licenciement que l'intimé a envoyée à son frère le 2 janvier 2006 en reprenant certains des propos proférés par lui devant tous les membres du laboratoire, en substance "quand je t'ai embauché tu n'étais qu'un clochard, sans moi tu n'es rien je t'enverrai pleurer à l'assistante sociale pour bouffer ; pourquoi tu ne pars pas toi même , tu t'accroches aux branches" ;
Que par ailleurs, le salarié démontre que cette provocation correspond bien au tempérament habituel de Ligério PEREIRA dont le caractère agressif et colèrique est décrit par plusieurs témoins, comme Vincent F... sur qui il criait, ou , Bernadette G..., qui venait faire le ménage la peur au ventre, ou encore sa propre soeur Christine qu'il avait agressée physiquement en l'étranglant de ses mains jusqu'à ce qu'elle perde connaissance et qui n'a dû son salut qu'à l'intervention de l'intimé ;
Que force est de constater que l'employeur reste taisant sur ces témoignages et sur la provocation alléguée par Gabriel X... Y... ; que le doute devant profiter au salarié, il y a lieu de considérer que le comportement de celui-ci n'était qu'une réponse à celui de son employeur, ce qui prive ce second grief de toute pertinence ;
Qu'au vu de ces considérations, le licenciement de Gabriel X... Y... est dépourvu de cause réelle et sérieuse, ce qui doit conduire à confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'EURL X... à lui payer l'indemnité de licenciement et de préavis ; qu'en outre, eu égard à son ancienneté dans l'entreprise (18 ans) au montant de son dernier salaire de base (1838 euros brut avec la prime d'ancienneté) à son âge au jour de la rupture (40 ans) et aux circonstances de celle-ci, il lui sera alloué l'indemnité, somme toute raisonnable, qu'il réclame en réparation du préjudice que lui a occasionné la perte injustifiée de son emploi contrat de travail ;
Attendu que l'EURL X... assumera les dépens d'appel et ne peut donc prétendre à indemnisation sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile mais sera condamné à verser 1500 euros en application de cet texte ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Réforme le jugement rendu le 6 juin 2006 par le conseil de prud'hommes de MAZAMET en ce qu'il a statué sur le licenciement, le montant des heures supplémentaires et sur le montant des dommages et intérêts, le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les chefs réformés et y ajoutant :
Dit que le licenciement notifié par l'EURL X... à Gabriel X... Y... le 9 décembre 2005 est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne l'EURL X... à payer à Gabriel X... Y... :
- 30 000 euros à titre de dommages et intérêts
- 30 012,38 euros au titre des heures supplémentaires
- 3001,23 euros de congés payés afférents aux heures supplémentaires
- 1500 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne l'EURL X... aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par monsieur BRUNET, président et madame MARENGO, greffier.
Le greffier, Le président,
P. A... B. Z...