12/11/2007
ARRÊT No
NoRG: 06/05910
OC/CD
Décision déférée du 16 Novembre 2006 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - 05/2370
M. SERNY
SA GAN EUROCOURTAGE
représenté par la SCP CANTALOUBE-FERRIEU CERRI
C/
SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES DE L'IMMEUBLE LE GAILLAC
représentée par la SCP NIDECKER PRIEU-PHILIPPOT JEUSSET
SCI LE RAISIN
représentée par la SCP BOYER-LESCAT-MERLE
INFIRMATION
Grosse délivrée
le
à REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
1ère Chambre Section 1
***
ARRÊT DU DOUZE NOVEMBRE DEUX MILLE SEPT
***
APPELANTE ET INTIMEE
SA GAN EUROCOURTAGE
...
75008 PARIS
représenté par la SCP CANTALOUBE-FERRIEU CERRI, avoués à la Cour
assisté de la SCP MERCIE FRANCES JUSTICE ESPENAN, avocats au barreau de TOULOUSE
INTIME ET APPELANT
SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES DE L'IMMEUBLE LE GAILLAC
représenté par son syndic FONCIA CAPITOLE
...
Bâtiment G- H
31200 TOULOUSE
représentée par la SCP NIDECKER PRIEU-PHILIPPOT JEUSSET, avoués à la Cour
assistée de Me Hervé Y..., avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
SCI LE RAISIN
...
31000 TOULOUSE
représentée par la SCP BOYER-LESCAT-MERLE, avoués à la Cour
assistée de Me Jean Henry Z..., avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 25 Septembre 2007 en audience publique, devant la Cour composée de :
A. MILHET, président
O. COLENO, conseiller
C. FOURNIEL, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : E. KAIM-MARTIN
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par A. MILHET, président, et par E. KAIM-MARTIN, greffier de chambre.
FAITS ET PROCÉDURE
En 1983 et 1984, la SCI DU RAISIN a fait construire deux immeubles collectifs à usage d'habitation formant la copropriété dénommée Le Gaillac à Toulouse. La réception des travaux a été donnée le 25 septembre 1984 sans réserve en rapport avec le présent litige.
En 1993 et 1994, deux déclarations de sinistre ont été adressées successivement au GAN, assureur dommages-ouvrage, pour des désordres affectant les jardinières en béton de trois appartements. Deux des appartements concernés sur trois ont été pris en garantie.
En considération d'une extension des sinistres affectant les jardinières des bâtiments G et H, la copropriété a pris l'avis de la société QUALICONSULT qui, aux termes d'un rapport du 19 octobre 2001, a mis en évidence l'existence d'un désordre généralisé, en conséquence de quoi le syndicat des copropriétaires a saisi le juge des référés aux fins d'expertise par assignation du 26 avril 2002.
Par actes d'huissier des 27 et 28 juin 2005 délivrés après dépôt du rapport d'expertise le 21 septembre 2004, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Gaillac a assigné la SCI DU RAISIN, la S.A.SOPRA, la S.A.GAN ASSURANCES, Robert Pages et Rémy B... devant le tribunal de grande instance de Toulouse en responsabilité et réparation des 125 jardinières de la copropriété à hauteur de 495.714,54 €.
Par le jugement déféré du 16 novembre 2006 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal, déclarant accomplie la prescription biennale de l'action tant en garantie qu'en responsabilité engagée contre la société GAN EUROCOURTAGE en tant qu'assureur dommages-ouvrage, a retenu la garantie de cette dernière en tant qu'assureur décennal du constructeur la SCI DU RAISIN en considérant que sa reconnaissance de garantie faite dans le délai de dix ans en qualité d'assureur dommages-ouvrage pour les premières manifestations du désordre évolutif, alors en germe dans toutes les jardinières, valait indivisiblement reconnaissance de responsabilité, et l'a condamnée au paiement de la somme de 495.714,54 € à réévaluer.
La compagnie GAN EUROCOURTAGE IARD et le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Gaillac bâtiments G et H ont successivement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions du 31 août 2007, la compagnie GAN EUROCOURTAGE IARD conclut à l'annulation et à tout le moins la réformation du jugement, à l'irrecevabilité et en tout cas au mal fondé des demandes du syndicat des copropriétaires.
Elle soutient que la reconnaissance de garantie de l'assureur dommages-ouvrage ne peut valoir reconnaissance de responsabilité, encore moins alors que la première est donnée pour un dommage limité et la seconde recherchée pour un dommage généralisé, qu'il ne peut être reproché à l'assureur dommages-ouvrage, rendu destinataire de déclarations de sinistre limitées, de ne s'être pas saisi lui-même d'un désordre généralisé qui n'existait pas alors, en tout cas n'était pas apparent, n'a pas été porté à sa connaissance par les experts et ne revêt d'ailleurs toujours pas un degré de gravité uniforme 19 ans après la réception, que le tribunal n'avait pas été saisi d'une demande contre l'assureur décennal et n'avait pu sans violer le principe de contradiction se prononcer sur ce fondement sans solliciter les explications des parties, qu'il n'y a pas désordre évolutif dès lors que les désordres initiaux n'ont pas donné lieu à une action en justice, que les dommages de deux seules jardinières ont rempli la condition de gravité pendant le délai d'épreuve, et que ceux apparus ultérieurement, concernant d'autres jardinières, constituent des désordres nouveaux et non une évolution du désordre initial, enfin qu'il n'existe aucune indivisibilité des polices d'assurance dommages-ouvrage et décennale ni conflit d'intérêt.
Aux termes de ses dernières conclusions du 6 septembre 2007, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Gaillac conclut à la condamnation in solidum de la SCI DU RAISIN et la S.A.GAN EUROCOURTAGE IARD au paiement de la somme de 495.350,57 € à réévaluer.
Il soutient que la garantie décennale était bien dans le débat devant le premier juge, que les désordres survenus sur la totalité des jardinières de la résidence appartiennent à la catégorie des désordres futurs de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur, que la société GAN EUROCOURTAGE, personne morale unique, s'est placée dans une situation purement potestative privant son intervention de toute objectivité, que c'est dans le dessein d'éviter, à l'approche de la fin du délai d'épreuve, de mobiliser sa garantie sur un désordre généralisé dont elle avait connaissance que la société GAN EUROCOURTAGE a désigné un nouvel expert pour instruire une nouvelle déclaration de sinistre identique à une précédente qu'elle avait dû garantir, que l'opération d'assurance dommages-ouvrage et de responsabilité civile décennale du promoteur est une opération contractuelle unique et indivisible, que le désordre affecte globalement un type d'ouvrage déterminé et donc les mêmes ouvrages que ceux d'origine, que les dires qu'il a adressés à l'expert, manifestant clairement sa volonté de poursuivre l'instance, ont interrompu la prescription, que le syndic de copropriété s'est trouvé en situation de ne pouvoir agir tant que l'assemblée générale n'avait pas délibéré sur les conclusions de l'expert et ainsi dans un cas de suspension de la prescription, qu'en vertu de l'article 2257 du code civil la prescription n'a pas couru entre la date de la première délibération d'assemblée générale et l'accomplissement de la condition qu'elle avait posé à son action, à savoir le dépôt du rapport d'expertise.
Aux termes de ses dernières conclusions du 7 septembre 2007, la SCI DU RAISIN conclut à l'irrecevabilité comme nouvelle de toute demande à son encontre et, au bénéfice d'un appel incident, demande à la Cour de juger prescrite l'action à son encontre et n'y avoir lieu à lui déclarer l'arrêt à intervenir opposable afin qu'elle ne puisse subir le paiement d'une quelconque franchise.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu qu'aux termes express de son assignation, c'est exclusivement en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage que le syndicat des copropriétaires demandait condamnation de la société GAN EUROCOURTAGE, les constructeurs n'étant tout aussi expressément assignés que pour permettre à l'assureur dommages-ouvrage d'exercer ses recours et non en vue d'une condamnation ;
que s'il ne résulte pas des conclusions signifiées ensuite par le syndicat des copropriétaires une modification nette de ces principes qui n'y étaient cependant plus aussi formellement exprimés, il en ressort néanmoins que la garantie décennale des constructeurs était invoquée ainsi que la double qualité de la société GAN au soutien de la demande de condamnation formée à son encontre ;
mais que quoiqu'il en soit l'appelante n'est pas fondée à faire grief au premier juge d'un manquement au principe de contradiction alors qu'elle s'est précisément expliquée, pour la contester, sur la garantie décennale des constructeurs, sa forclusion, et précisément sur les principes finalement adoptés par le premier juge en ce qui concerne la relation entre une reconnaissance de garantie de l'assureur dommages-ouvrage et l'interruption du délai de la garantie décennale des constructeurs ;
que le premier juge est par conséquent demeuré dans le contenu des débats qui lui avaient été soumis ;
Attendu, sur la prescription de l'action, qu'aux termes de l'article L.242-1 du code des assurances, c'est en dehors de toute recherche des responsabilités que l'assurance dommages-ouvrage a pour objet de garantir le paiement de dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1 ;
qu'il s'ensuit nécessairement que la reconnaissance de garantie de l'assureur dommages-ouvrage, dans le cadre d'une assurance de chose, ne peut pas valoir reconnaissance de responsabilité d'un constructeur ;
Attendu qu'il en va ainsi également dans le cas où la même compagnie d'assurances a consenti à la fois, pour un même ouvrage, une police dommages-ouvrage au bénéfice du maître de l'ouvrage et une police de responsabilité civile au bénéfice d'un constructeur, le souscripteur de la première ;
Attendu que c'est en vain que le syndicat des copropriétaires prétend soutenir que l'opération d'assurance dommages-ouvrage et de responsabilité civile décennale du promoteur serait une opération contractuelle unique et indivisible ;
que ces polices d'assurance, qui ont certes été conclues en même temps et par un même souscripteur pour une même opération et auprès d'un même assureur, sont de natures différentes, l'une assurance de chose, l'autre assurance de responsabilité, ont donc des objets différents, et que les conditions de fond pour la mise en oeuvre des garanties ne se superposent que partiellement ;
Attendu que, se contentant d'une pétition de principe, le syndicat des copropriétaires ne démontre pas que la double qualité de l'assureur aurait eu une incidence sur le traitement des sinistres considérés là où, à quelques mois d'intervalle seulement ses services ont donné à des sinistres de même nature deux sorts différents, l'un de garantie, favorable à l'assuré, pour deux jardinières et pour des raisons qui ne sont à vrai dire explicitées ni par le rapport de son premier expert versé aux débats qui ne donne aucune indication sur la nature du dommage, se contentant de le décrire, ni par la notification de l'assureur, l'autre de non-garantie pour une jardinière, cette fois défavorable, sur la base de l'avis d'un autre expert considérant cette fois expressément que le dommage constaté sur celle-ci est de nature esthétique ;
que ces contradictions ne révèlent rien de plus qu'une incohérence qu'aucun élément objectif ne permet d'interpréter ;
que s'il est vrai que l'expert judiciaire indique que le phénomène rencontré et son évolution sont connus et font l'objet de nombreuses publications (page 52), il n'en désigne qu'une qui date de mars-avril 2004 (page 42), et le problème semble au contraire être mal connu à la date d'intervention des deux experts dommages-ouvrage puisqu'il ressort également de l'appréciation de l'expert judiciaire que même le premier expert dont le rapport a abouti à garantie a donné une définition très insuffisante des travaux à réaliser ;
Attendu en tout état de cause que l'avis de l'assureur dommages-ouvrage sur l'absence de garantie n'est pas insurmontable pour l'assuré qui ne s'est en l'occurrence pas ému du refus de garantie opposé peu après un accord pour un objet en apparence identique ;
que c'est donc sans fondement qu'il est soutenu que la société GAN EUROCOURTAGE, personne morale unique, se serait "placée dans une situation purement potestative" privant son intervention de toute objectivité et que c'est dans le dessein d'éviter, à l'approche de la fin du délai d'épreuve, de mobiliser sa garantie sur un désordre généralisé dont elle avait connaissance que la société GAN EUROCOURTAGE a désigné un nouvel expert pour instruire une nouvelle déclaration de sinistre identique à une précédente qu'elle avait dû garantir ;
Attendu que les motifs par lesquels le premier juge a déclaré accomplie la prescription biennale de l'action contre l'assureur dommages-ouvrage ne font en eux-mêmes l'objet d'aucune critique et sont justifiés ;
Attendu qu'aux termes de l'article L.114-2 du code des assurances, la prescription est interrompue par une des causes ordinaires d'interruption de la prescription, par la désignation d'experts à la suite d'un sinistre, et que l'interruption peut résulter de l'envoi d'une lettre recommandée ;
que les dires adressés à l'expert par le syndicat des copropriétaires ne revêtent pas les caractères d'actes signifiés à celui qu'ont veut empêcher de prescrire -l'assureur- au sens de cet article et de l'article 2244 du code civil et n'ont donc pas interrompu la prescription ;
Attendu que la suspension de la prescription suppose l'impossibilité d'agir ;
que ce n'est pas sur la tête du syndic de copropriété mais celle du syndicat des copropriétaires dont il n'est que l'organe que peut s'apprécier l'impossibilité d'agir, et que c'est donc en vain qu'il est soutenu que celui-ci se serait trouvé en situation de ne pouvoir agir tant que l'assemblée générale n'avait pas délibéré sur les conclusions de l'expert ;
qu'il ne résulte d'aucune circonstance invoquée que le syndicat des copropriétaires se serait trouvé dans l'impossibilité d'agir avant l'accomplissement de la prescription ;
que c'est de même sans fondement qu'il est soutenu qu'en vertu de l'article 2257 du code civil la prescription n'aurait pas couru entre la date de la première délibération d' assemblée générale et l'accomplissement de la condition qu'elle avait posé à son action, à savoir le dépôt du rapport d'expertise, alors que non seulement ce n'est pas une condition au sens de l'article invoqué, mais qu'en outre elle ne serait pas opposable à l'assureur ;
Attendu par conséquent que c'est à juste titre qu'il est soutenu que l'action est prescrite tant à l'égard de l'assureur dommages-ouvrage qu'à l'égard de la SCI DU RAISIN et du GAN EUROCOURTAGE assureur de celle-ci, ces derniers en l'absence de toute cause d'interruption de la prescription dans le délai de dix ans à compter de la réception ;
Attendu qu'il n'y a par conséquent pas lieu de statuer sur les autres moyens, que le jugement doit être réformé et l'action du syndicat des copropriétaires déclarée irrecevable ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme la décision déférée et, statuant à nouveau,
Déclare le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Gaillac bâtiments G et H irrecevable en son action comme atteinte par la prescription biennale à l'égard de l'assureur dommages-ouvrage et par la forclusion décennale à l'égard de la SCI DU RAISIN et de la société GAN EUROCOURTAGE prise en sa qualité d'assureur de la responsabilité civile décennale de cette dernière,
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Rejette la demande formée par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Gaillac bâtiments G et H,
Condamne le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Gaillac bâtiments G et H à payer à la SCI DU RAISIN et à la société GAN EUROCOURTAGE chacune la somme de 2.000 €,
Condamne le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Gaillac bâtiments G et H aux entiers dépens de l'instance, en ce compris ceux exposés tant en appel qu'en premier ressort, honoraires de l'expert compris, et reconnaît pour ceux d'appel, à la SCP CANTALOUBE-FERRIEU CERRI et la SCP BOYER-LESCAT-MERLE, avoués qui en ont fait la demande, le droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT