31/10/2007
ARRÊT No726
No RG : 06/04395
CP/MB
Décision déférée du 06 Septembre 2006 - Conseil de Prud'hommes de TOULOUSE (05/01306)
J.P. AZAIS
MAISON DE RETRAITE "LES AÎNÉS DU LAURAGAIS"
C/
Abderrazzak X...
INFIRMATION
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4ème Chambre Section 1 - Chambre sociale
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ARRÊT DU TRENTE ET UN OCTOBRE DEUX MILLE SEPT
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APPELANTE
MAISON DE RETRAITE "LES AÎNÉS DU LAURAGAIS"
...
31450 BAZIEGE
représentée par Me Anne LEPARGNEUR, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉ
Monsieur Abderrazzak X...
80 Allées de Barcelone
31000 TOULOUSE
représenté par M. Georges PLONTZ (délégué syndical ouvrier)
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945.1 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Septembre 2007, en audience publique, devant C. PESSO, conseiller, chargée d'instruire l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
B. Y..., président
C. PESSO, conseiller
C. CHASSAGNE, conseiller
Greffier, lors des débats : P. Z...
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile
- signé par B. Y..., président, et par P. Z..., greffier de chambre.
FAITS ET PROCÉDURE
M. X... a été engagé le 24 novembre 2001 en qualité d'aide soignant par la société LES AINES DU LAURAGAIS qui exploite une maison de retraite médicalisée. A compter du 25 février 2002, il travaillait de nuit.
Le 8 novembre 2002, il a reçu un avertissement.
A la suite d'incidents ayant donné lieu à un dépôt de plainte auprès de la gendarmerie, il a été mis à pied à titre conservatoire le 12 janvier 2005 puis convoqué à un entretien préalable et licencié pour faute grave le 14 février 2005.
Saisi par le salarié, le conseil de prud'hommes de Toulouse a, par jugement en date du 6 septembre 2006, dit que le licenciement de M. X... est dénué de cause réelle et sérieuse, condamné la société LES AINES DU LAURAGAIS à lui payer diverses sommes à titre d'indemnités et dommages-intérêts de rupture ainsi que de salaire pour la durée de la mise à pied et débouté l'intéressé du surplus de ses prétentions.
Par déclaration au greffe en date du 21 septembre 2006, la société LES AINES DU LAURAGAIS a régulièrement relevé appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La société LES AINES DU LAURAGAIS demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de dire le licenciement fondé sur une faute grave, à tout le moins, sur une cause réelle et sérieuse, d'ordonner le remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire, de condamner M. X... à lui payer 2.000€ sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elle soutient que le licenciement est fondé sur plusieurs motifs vérifiables et objectifs, constitutifs d'une faute grave, révélés par l'enquête de gendarmerie et par les témoignages du personnel et des résidents recueillis durant la mise à pied de M. X...: étant le seul homme travaillant la nuit, il a été identifié par deux résidentes Mmes A... et B... pour les avoir frappées, des traces d'hématomes ayant été constatées sur la première, peu important que la plainte pénale ait fait l'objet d'un classement sans suite qui n'a pas autorité de chose jugée; plusieurs témoignages attestent du manque de soins et de surveillance ainsi que de la violence verbale dont l'intéressé faisait preuve envers les personnes âgées, agissements constitutifs de maltraitance et de mise en danger de la sécurité d'autrui.
M. X... conclut à la confirmation du jugement déféré et à l'allocation d'une somme supplémentaire de 500€ sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Reprenant à son compte les motifs du jugement entrepris, il soutient que la société LES AINES DU LAURAGAIS ne rapporte pas la preuve, dont la charge lui incombe, de faits constitutifs d'une faute grave, alors qu'elle invoque des faits déjà sanctionnés, que les attestations produites, qui sont tardives, indirectes ou imprécises, ne sont pas probantes, que les faits constatés peuvent avoir d'autres causes, qu'il n'a pas été nommément identifié par Mmes A... et B..., que la plainte pénale a été classée sans suite.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du débat judiciaire, énonce trois griefs constitutifs de la faute grave à l'encontre de M. X...:
- des violences commises sur deux résidentes: dans la nuit du 6 janvier 2005 sur Mme A... et dans la nuit du 10 au 11 janvier 2005 sur Mme B...;
- des actes de maltraitance envers des personnes âgées caractérisés par un manque de respect et des manquements à ses fonctions: absence de soins, irrespect total de la dignité, humiliations constantes durant les toilettes, attitude arrogante envers les plaintes, refus d'effectuer les changes et de réaliser la surveillance nocturne, humiliations et insultes blessantes;
- manquements graves et volontaires aux règles de sécurité pouvant entraîner la mise en danger de la vie d'autrui: débranchement des sonnettes d'alarme.
M. C..., infirmier libéral, atteste avoir constaté le 10 janvier 2005 à 8 heures, qu'une résidente de la maison de retraite, Mme A... présentait un important hématome à la base du cou ainsi qu'une écorchure sur la joue, et que, sur son interrogation, cette dame lui avait dit que "l'homme de la nuit" l'avait giflée.
Ce témoignage est corroboré par celui de M. D..., infirmier salarié de l'établissement, qui indique que Mme A... avait des angoisses à cause du personnel de nuit, ayant peur "d'un homme", et par ceux de Mmes E... et F..., agents de service hospitalier, qui affirment avoir, un matin de janvier 2005, trouvé cette résidente en pleurs, qui leur a dit que "celui de la nuit" l'avait frappée.
Après le signalement fait par M. C... et la plainte déposée à la gendarmerie, Mme A... a été examinée par un médecin légiste qui a constaté plusieurs traces ecchymotiques à la lisière du cuir chevelu, dans la région cervicale et de la clavicule, sur les avant-bras et les mains.
Par ailleurs, Mme G... a écrit "sous la dictée" de sa mère Mme B... une attestation selon laquelle"le veilleur de nuit" lui avait donné une tape sur la tête le 12 janvier 2005, au réveil, l'avait déjà frappée auparavant, sur la jambe ou sur la tête, et s'énervait quand les résidents l'appelaient la nuit.
En outre, Mmes E... et F... ainsi que d'autres membres du personnel, Mmes H... et I... attestent qu'il leur arrivait, le matin, de trouver, des résidentes souillées qui leur disaient n'avoir pas osé appeler le veilleur de nuit pour aller aux toilettes car elles se faisaient "disputer, secouer", avaient peur de lui et que, parfois, elles constataient que les sonnettes étaient débranchées. M. D..., infirmier, a également fait ce constat, au moins une fois, alors que M. X... était veilleur de nuit.
Selon Melle J..., qui a travaillé la nuit avec M. X... , il avait un comportement vulgaire avec les résidentes, les traitant de "salope", de "pute", faisant des réflexions insultantes telles "laisse la crever cette vieille, elle coûte cher à la sécu", et il faisait ses rondes en faisant en sorte de ne pas changer les protections hygiéniques des résidents.
Le conseil de prud'hommes a estimé que l'employeur ne rapportait pas la preuve de la faute grave reprochée à M. X... en énonçant que Mme A... ne l'a pas désigné nommément mais a parlé de "l'homme de la nuit", qu'il n'est pas établi que les ecchymoses qu'elle a présentées étaient dues à des coups ni que l'intéressé a volontairement débranché les sonnettes, que les attestations des collègues de l'intéressée sont tardifs, que le témoignage de Mme G... est indirect, que les faits n'ont pas été dénoncés en temps utile et ont été classés sans suite par le Parquet.
C'est par une inexacte appréciation des éléments de preuve produits aux débats que les premiers juges n'ont pas pris en considération le contenu des attestations. En effet, elles ont été établies pour confirmer les éléments recueillis par l'employeur lors de l'enquête interne diligentée à la suite du signalement éffectué par M. C...; elles ont d'ailleurs, à l'exception de celle de Mme G..., été établies avant le licenciement; certaines sont des témoignages directs, d'autres relatent des déclarations que des personnes âgées ont faites devant elles qui constituent des renseignements utiles. Par ailleurs, à l'exception d'une imprécision sur la date à laquelle Mme A... a été trouvée en pleurs (6 ou 7 janvier 2005), elles sont précises et circonstanciées.
Il résulte de l'ensemble de ces témoignages que deux résidentes se sont plaintes de violences commises par "l'homme" ou "veilleur" de nuit. Or, la société LES AINES DU LAURAGAIS indique que M. X... est le seul homme à effectuer un travail de nuit, ce qu'il ne conteste pas.
Ces plaintes, malgré l'âge avancé de leurs auteurs, sont crédibles, en particulier celle de Mme A... qui a répété la même accusation à plusieurs personnes à quelques jours d'intervalle, d'autant qu'elle est étayée par les ecchymoses apparues sur plusieurs parties de son corps, même si le médecin légiste a noté sa fragilité cutanée due à son âge.
Quant au classement sans suite de la plainte déposée par Mme A..., il est sans incidence sur la présente procédure.
Or le comportement empreint de violence de M. X... est confirmé par son attitude générale avec les personnes âgées consistant à éviter de répondre à leur demande d'aller aux toilettes ou de procéder au changement des protections hygiéniques, le cas échéant en les privant de la possibilité de l'appeler grâce à la sonnette installée dans la chambre.
D'ailleurs, il avait déjà été sanctionné par l'avertissement du 8 novembre 2002, que l'employeur a pu valablement rappeler dans la lettre de licenciement, par lequel il lui était reproché d'avoir débranché les sonnettes d'alarme des chambres et d'avoir fait des remarques désobligeantes lors des changes de nuit, ces faits étant dûment établis par le courrier de la fille d'un résident.
Il est ainsi établi que ce salarié a commis des actes de brutalité envers des résidents, a porté atteinte à leur dignité par des propos insultants, a fait preuve de carence dans les soins et la surveillance, causant à ces personnes vulnérables dont il avait la charge, des sentiments d'angoisse, des situations d'humiliation et même de danger. .
Ces faits, qui sont des actes de maltraitance et des manquements aux fonctions d'aide soignant, constituent un faute grave justifiant le licenciement de l'intéressé sans maintien dans l'entreprise durant la période de préavis ainsi que la mise à pied à titre conservatoire dès la révélation des faits.
En conséquence, infirmant le jugement déféré, il y a lieu de dire que le licenciement de M. X... est justifié et de le débouter de l'intégralité de ses demandes.
Le salarié, qui succombe, sera condamné aux dépens. Il ne peut, de ce fait, bénéficier de l' application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et devra au contraire payer sur ce fondement à la société LES AINES DU LAURAGAIS la somme de 1.000€.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse en date du 6 septembre 2006,
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de M. X... repose sur une faute grave,
Déboute M. X... de toutes ses demandes,
Condamne M. X... aux entiers dépens,
Le condamne à payer à la société LES AINES DU LAURAGAIS 1.000€ sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par monsieur BRUNET, président et madame MARENGO, greffier.
Le greffier,Le président,
P. Z...B. Y...