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16/01/2007 | FRANCE | N°JURITEXT000007627601

France | France, Cour d'appel de Toulouse, Ct0042, 16 janvier 2007, JURITEXT000007627601


16/01/2007ARRÊT No22NoRG: 05/03780CD/CCDécision déférée du 28 Juin 2005 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - 05/719J.M BAISSUSPierre HONTANGreprésenté par la SCP SOREL-DESSART-SORELC/SA LES EDITIONS MARECHAL LE CANARD ENCHAINEreprésentée par la SCP RIVES-PODESTA

réformationGrosse délivréeleà

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

3ème Chambre Section 1

***

ARRÊT DU SEIZE JANVIER DEUX MILLE SEPT

***APPELANT(E/S)Monsieur Pierre X... rue Borquedis64200 BIARRITZreprésenté par

la SCP SOREL-DESSART-SOREL, avoués à la Courassisté de la SCP SCP DE CAUNES FORGET SCP DE CAUNES FORGET, avocats au b...

16/01/2007ARRÊT No22NoRG: 05/03780CD/CCDécision déférée du 28 Juin 2005 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - 05/719J.M BAISSUSPierre HONTANGreprésenté par la SCP SOREL-DESSART-SORELC/SA LES EDITIONS MARECHAL LE CANARD ENCHAINEreprésentée par la SCP RIVES-PODESTA

réformationGrosse délivréeleà

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

3ème Chambre Section 1

***

ARRÊT DU SEIZE JANVIER DEUX MILLE SEPT

***APPELANT(E/S)Monsieur Pierre X... rue Borquedis64200 BIARRITZreprésenté par la SCP SOREL-DESSART-SOREL, avoués à la Courassisté de la SCP SCP DE CAUNES FORGET SCP DE CAUNES FORGET, avocats au barreau de TOULOUSEINTIME(E/S)SA LES EDITIONS MARECHAL LE CANARD ENCHAINE2, rue des Petits Pères75002 PARISreprésentée par la SCP RIVES-PODESTA, avoués à la Courassistée de Me CHARRIERE BOURNAZEL, avocat au barreau de PARISCOMPOSITION DE LA COURAprès audition du rapport, l'affaire a été débattue le 26 septembre 2006 en audience publique devant la cour composée de :C. DREUILHE, présidentF. HELIP, conseillerJ.L. LAMANT, conseillerqui en ont délibéré.Greffier, lors des débats : C. COQUEBLINARRET : - contradictoire- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties- signé par C. DREUILHE, président, et par C. COQUEBLIN, greffier de chambre

LES FAITS, LA PROCEDURE ANTERIEURE

Le 22 décembre 2004, l'hebdomadaire "Le Canard Enchainé" édité par la SA les Editions Maréchal le Canard enchaîné a publié en première page un article intitulé "L'éthique en toc du proc".

Par ordonnance en date du 7 avril 2005, le juge des référés du tribunal de grande instance de TOULOUSE a :- dit qu'en publiant en page 1 de son numéro du 22 décembre 2004 un article intitulé "L'éthique en toc du proc" le Canard Enchainé a porté atteinte à la présomption d'innocence bénéficiant à Monsieur Pierre Y...- ordonné la publication du communiqué suivant : "Par ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse du 7 avril 2004, la SA les Editions Maréchal Le Canard Enchaîné, éditrice du journal le Canard Enchaîné, a été condamnée pour avoir porté atteinte à la présomption d'innocence bénéficiant à Monsieur Pierre Y... en le présentant dans un article du 22 décembre 2004 intitulé" L'éthique en toc du Proc" comme coupable de faits faisant l'objet d'une instruction judiciaire- condamné la SA les Editions Maréchal le Canard Enchaîné à verser à Monsieur Pierre Y... une provision de 10.000 ç.

Dans son édition du 27 avril 2005, "le Canard Enchaîné" a publié en page 4 le communiqué imposé par l'ordonnance du 7 avril 2005 dans un

encart intitulé "publication judiciaire". Cet encart est paru lui-même enchâssé dans la première des quatre colonnes d'un article intitulé "Les tours de passe-passe d'un procureur innocent" sous-titré "Une astuce juridique permet au magistrat de faire condamner le "Canard" sous la signature de Monsieur Louis Marie Z..., DECISION APPELEE

Par exploit en date du 4 mai 2005, Monsieur Y... a fait assigner la SA Editions Maréchal Le Canard Enchaîné devant le juge des référés du tribunal de grande instance de TOULOUSE afin : - d entendre juger, sur le fondement de l'article 9 -1 du code civil et des articles 46 et 809 du nouveau code de procédure civile que cette société a, en publiant en page 4 de son numéro du 27 avril 2005 dans l'article intitulé "Les tours de passe-passe d'un procureur innocent", porté atteinte à la présomption d'innocence lui bénéficiant- de voir ordonner la publication en première page dans les quinze jours suivant sa signification du dispositif de l'ordonnance à intervenir ou subsidiairement du communiqué suivant : "Par ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse le Canard Enchaîné a été condamné pour avoir une seconde fois porté atteinte à la présomption d'innocence bénéficiant à Monsieur Pierre Y... en le présentant dans un article du 27 avril 2005 intitulé "Les tours de passe-passe d'un procureur innocent" comme coupable de faits faisant l'objet d'une instruction judiciaire sous astreinte provisoire de 150 ç par jour de retard à compter du quinzième jour- de voir condamner la SA Editions Maréchal le Canard Enchaîné à lui verser une indemnité provisionnelle de 40.000 ç ainsi que la somme de 5.000 ç sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

En réplique, le Canard Enchaîné a fait valoir que l'article 9 -1 du code civil est contraire à la Convention européenne des droits de l'homme, que l'article 9-1 du code civil prive la défense des faits justificatifs de la preuve de la vérité et de la bonne foi, que subsidiairement l'atteinte à la présomption d'innocence n'est pas constitué et a sollicité une indemnité de 5.000 ç par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par ordonnance en date du 28 juin 2006, le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse a débouté Monsieur Pierre Y... de ses demandes et l'a condamné à payer à la SA Editions Maréchal Le Canard Enchaîné la somme de 1.500 ç par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Monsieur Y... a interjeté appel de cette décision le 5 juillet 2005.PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions responsives et récapitulatives déposées le 24 août 2006, Monsieur Pierre Y... demande à la cour :- d'écarter les moyens de prescriptions soulevés par la SA Editions Maréchal Le Canard Enchaîné dans ses conclusions du 6 février 2006 et de réformer l'ordonnance du 28 juin 2005- de dire que la SA a, en publiant en page 4 du numéro du journal le Canard Enchaîné du 27 avril 2005 un article intitulé "Les tours de passe-passe d'un procureur innocent", porté atteinte à sa présomption d'innocence- d'ordonner la publication dans les quinze jours et sous astreinte du dispositif de l'arrêt à intervenir ou du communique visé dans l'assignation introductive d'instance- de lui allouer une indemnisation provisionnelle de 40.000 ç, outre une indemnité de 6.000 ç au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par conclusions responsives et récapitulatives déposées le 9 août 2006, la SA Editions Maréchal Le Canard Enchaîné demande à la cour de déclarer l'action de Monsieur Pierre Y... prescrite et de le déclarer irrecevable dans ses demandes, à titre subsidiaire de confirmer l'ordonnance entreprise, et y ajoutant de lui allouer la somme de 2.500 ç sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.MOTIFS DE LA DECISION

Vu les conclusions susviséesSur la prescription

Le Canard Enchaîné prétend en page 5 de ses conclusions, et par application de l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881, que l'action de Monsieur Y... est prescrite. Il invoque l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 qui dispose :

"Les actions fondées sur une atteinte au respect de la présomption d'innocence commises par l'un des moyens visés à l'article 23 se prescriront après trois mois révolus à compter du jour de l'acte de publicité" et la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l'introduction d'une action n'a pas d'effet interruptif de prescription pour l'ensemble du litige, le demandeur devant réitérer de manière trimestrielle sa volonté de poursuivre l'action.

Dans le cas présent, Monsieur Y... a interjeté appel de cette ordonnance le 5 juillet 2005. Il a déposé des conclusions au greffe le 8 juillet, conclusions qui lui ont été notifiées le 22 juillet.

Afin d'interrompre la prescription, Monsieur Y... aurait dû manifesté sa volonté de poursuivre l'action avant le 22 octobre 2005 alors qu'il n'a déposé ses écritures au greffe de la cour que le 29

novembre 2005 Il serait donc prescrit, les démarches faites auprès du conseiller de la mise en état comme la fixation de l'affaire s'analysant comme des actes d'administration judiciaire dépourvues de tout effet interruptif.

Cette analyse est erronée.

L'action est fondée sur les dispositions de l'article 9-1 du code civil et son application relève du droit commun régissant les actions civiles et non des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

S'il appartient au juge, par l'application de l'article 12 du nouveau code de procédure civile, de restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en ont proposé, il n'existe en l'espèce aucune ambigu'té sur la nature de l'action engagée par Monsieur Y....

Monsieur Y... a précisément et exclusivement fondé son action sur les dispositions de l'article 9-1 du code civil qui énonce, dans sa rédaction issue de la loi du 15 juin 2000, le droit au respect de la présomption d'innocence et prévoit que lorsqu'une personne est avant toute condamnation publiquement présentée comme coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne physique ou morale responsable de cette atteinte.

La protection de la présomption d'innocence appartient à un domaine autonome et distinct de celui de la diffamation et découle de divers textes au plus haut de la hiérarchie des droits fondamentaux en tant que garantie autonome accordée à l'individu.

Et si la loi de 1881 vise à encadrer les conditions dans lesquelles peut être réparée l'atteinte à l'honneur et à la considération, l'article 9-1 du code civil a pour but de garantir l'équité du procès futur en évitant que les magistrats qui auront éventuellement à connaître de l'affaire soient eux-mêmes influencés par l'opinion véhiculée par la presse.

La loi du 29 juillet 1881 institue un régime de sanctions et donne à la personne mise en cause le droit de bénéficier dans les pages du journal qui l'a diffamé d'un droit de réponse.

L'article 9-1 du code civil institue un mécanisme de cessation du dommage ouvert à la personne faisant l'objet d'une enquête ou d'une information pour que cesse l'atteinte dont elle est l'objet.

Et il serait aberrant d'autoriser la preuve de la culpabilité d'une personne qui n'a pas été précisément déclarée coupable par des juges.

Il n'existe donc aucune équivoque sur le fondement juridique de l'action qui obéit au droit commun et seule l'intimée a introduit dans le débat le formalisme de la loi de 1881 qui n'est pas applicable au cas d'espèce. Il est dés lors sans pertinence de soutenir qu'une action en diffamation se serait soldée par la déconfiture de Monsieur Y... ou de dire que le Canard Enchaîné est

lésé par cette procédure qui ne lui permet pas d'administrer la preuve de la vérité des faits alors que cette vérité ne peut être qu'une vérité judiciaire inexistante en l'état de l'information judiciaire.

Les moyens tirés de la prescription et de l'application de la loi de 1881 sont donc rejetés.Sur la non conformité de l'article 9-1 du code civil aux dispositions de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme

Le premier juge a, aux termes d'une analyse complète et minutieuse des textes applicables et par des motifs pertinents que la cour adopte expressément, justement dit que l'article 9-1 du code civil ne viole en rien les dispositions de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Cette argumentation est donc rejetée.Au fond

C'est par un raisonnement paradoxal que la cour infirme que Monsieur Y... a été débouté de sa demande.

L'atteinte à la présomption d'innocence est constituée lorsqu'un journal publie un article manifestant clairement avant tout jugement par la juridiction compétente sa propre conviction quant à la culpabilité de la personne mise en cause dans des conditions de nature à persuader les lecteurs de cette culpabilité.

Le premier juge a considéré en page 9 OE 2 que "l'expression de la seule opinion d'une conviction quant à la culpabilité avant jugement, c'est-à-dire littéralement d'un préjugé, n'est pas suffisante à elle

seule pour porter atteinte à la présomption d'innocence dés lors que son auteur rappelle dans le même temps à son lecteur, de manière non équivoque, que l'intéressé bénéficie de cette protection fondamentale".

Il a estimé en quelque sorte que l'expression d'un préjugé pouvait être neutralisée par le rappel non équivoque du bénéfice de la présomption d'innocence.

Cette analyse ne peut être retenue.

Un article concluant à une culpabilité acquise est attentatoire à la présomption d'innocence et cette atteinte est établie dés lors qu'existe la volonté de faire adhérer le public à son préjugé.L'article en cause

Le sens général de l'article consiste, en jetant le discrédit sur l'ordonnance de référé du 7 avril 2005 et en présentant le recours à la présomption d'innocence comme un subterfuge (astuce juridique ou subtile finasserie de juriste), à développer sur un mode faussement conditionnel le thème de la culpabilité de Monsieur Y...

Le titre (Les tours de passe-passe d'un procureur innocent) annonce le sens de l'article : il s'agit d'une tromperie adroite prêtée à un procureur qualifié d'innocent ; il situe l'action par un jeu de mot (une passe; une maison de passe).

Le sous-titre "Une astuce juridique permet au magistrat de faire condamner le Canard" signifie que par pure habileté Monsieur Y... a réussi à bénéficier de la présomption d'innocence, ce qui induit

que sans cette habileté il n'aurait pas pu se faire passer pour innocent.

En première colonne, l'article vise "l'élasticité morale du procureur", ce qui induit une moralité à géométrie variable et annonce les faits qui lui sont imputés "s'être payé du bon temps avec une carte volée" ou plutôt "d'être accusé de ....", ce qui est une interprétation narquoise de la présomption d'innocence.

Si l'alternative théorique à la culpabilité est évoquée, le journal n'y croit pas et le développe.

En colonne deux, il est écrit : "Car c'est vrai, le ci-devant procureur de Bayonne n'est pas encore déshonoré. Il risque seulement de l'être dans quelques mois, quand la justice se sera prononcée".

C'est une affirmation qui ne présente pas d'aléa, l'événement attendu est seulement différé, sa réalisation n'est pas douteuse.

Après l'intertitre "présomption, piège à con ", l'article se poursuit en colonne 2 : "Par parenthèse, Pierre Y... s'est bien gardé de nous poursuivre pour diffamation. Subtile finasserie de juriste. Dans ce cas, la loi nous aurait permis d'apporter la preuve de nos affirmations ou d'établir notre bonne foi. Côté plaignant, le charme du procès pour atteinte à la présomption d'innocence, c'est qu'il est gagnant à tous les coups. Peu importe que le fait imputé soit vrai ou faux. Il suffit que la justice ait été saisie et ne se soit pas encore prononcée".

Le sens de ce paragraphe revient à dire que Monsieur Y... s'est

abstenu d'utiliser la procédure de diffamation qui aurait permis au journal d'apporte la preuve de la vérité des faits, à savoir le vol d'une carte bleue pour se payer les services d'une prostituée.

En utilisant l'article 9-1 du code civil, le journal ne pouvait que perdre puisqu'il n'y aurait pas de débats sur la vérité des faits et Monsieur Y... ne pouvait que gagner puisque la preuve de la culpabilité serait impossible à rapporter. Et la bonne foi alléguée crédibilise la position du journal victime "d'une subtile finasserie de juriste".

Le journal martèle son propos : "Est-il bien conforme à la Convention européenne des droits de l'homme d'interdire au journaliste de dire la vérité trop tôt ä"

Le principe de la culpabilité de Monsieur Y... est donc posée, et bien posée. Aucune réserve, aucune prudence n'émaillent les propos, le journal, en colonne deux et trois, donnant les détails de l'affaire, narration de laquelle il résulte qu'une carte bleue a été volée, qu'elle a été utilisée par quelqu'un qui ne peut être que Monsieur Y..., l utilisation du conditionnel ne l'étant que sur le mode ironique et les explications données par Monsieur Y... moquées et tournées en dérision.

Et "enfin le Conseil supérieur de la magistrature devant lequel Monsieur Y... a été traduit n'a pas été convaincu.... Question atteinte à la présomption d'innocence, le Canard est en bonne compagnie".

Si le Conseil supérieur de la magistrature, autorité morale et

juridique supérieure, n'a pu qu être convaincu de la culpabilité de Monsieur Y... et l'a suspendu sans plus attendre, c'est qu'on ne peut qu'être convaincu avec lui.

Et l'article se termine comme il suit : "Attendons sagement la vérité judiciaire à laquelle il conviendra de donner le retentissement qu''elle mérite. Pierre Y..., suspendu avec traitement, va recevoir un petit supplément de 10.000 ç versé par Le Canard. Selon les tarifs pratiqués au Bijou, cela pourrait représenter une quarantaine de joyeuses nuits. Mais il n'y a aucune présomption sur l'usage qu'il pourrait au conditionnel en faire".

Le journal signifie donc au lecteur que la vérité judiciaire corroborera la vérité journalistique, le tout étant assorti de la menace d'une punition pour avoir osé s'attaquer à lui, "le retentissement qu'elle mérite". Sur l'existence d'un préjugé

Le premier juge, en analysant l'article litigieux, a admis ce préjugé. Le titre évoque les tours de magie grâce auxquels le procureur Y... a pu se faire passer pour innocent par les phrases déjà relevées- "Est-il bien conforme à la Convention européenne des droits de l'homme d'interdire aux journalistes de dire la vérité trop tôt ä"- "Une astuce juridique permet au magistrat de faire condamner le Canard"Le Canard évoque l'habileté malicieuse de ce proc qui veut passer pour innocent; s'il veut passer pour innocent, c'est qu'il ne l'est pas.

Le journal salue l'élasticité morale du procureur "qui venait de prononcer en Allemagne une conférence décisive sur "les principes fondamentaux d'éthique pour le ministère public" avant de se payer du

bon temps avec une carte volée. Ou plutôt d'être accusé de ... . Et c'est bien là tout le problème".

La formulation par l'emploi des points de suspension est ambiguù comme l'a justement relevé le premier juge mais le sens de la phrase ne l'est pas. A... dit de façon affirmative que la carte est volée et le problème n'est pas de savoir si le procureur a volé cette carte mais de savoir si on peut en parler.

De même la formule "le ci-devant procureur de Bayonne" est une contre-vérité car si Monsieur Y... a fait l'objet d'une interdiction temporaire d'exercer il est toujours en titre le procureur de Bayonne ; insinuer le contraire est anticiper sur une sanction judiciaire qui, pour le journal, serait latente et seulement différée, opinion confortée par la formule définitive "pas encore déshonoré".

Enfin la formule" présomption, piège à con" n'est pas de portée générale, le seul problème traité dans l'article étant la mise en cause directe "de l'innocence de Monsieur Y...".

La formule entre parenthèses "noter le conditionnel " est un clin d'oeil au public faisant comprendre que le journal n'est pas dupe d'un système juridique absurde consistant à présenter comme éventuels des faits dont on sait bien qu'ils sont certains.

Le passage suivant "Toute la question est de savoir si le client du 23 mai Pierre Y... est - pardon - serait le même que celui du 26", procède de même veine, l'utilisation une nouvelle fois ironique du conditionnel étant fait pour augmenter l'idée de la certitude de la

culpabilité.

Plus loin, la défense de Monsieur Y... est moquée : "Interrogé, Y... reconnaît s'être rendu au Bijou le 23 mai pour y acheter des cigarettes. Etrange démarche dans un pays où pullulent les distributeurs automatiques et alors que rien ne signale à l'extérieur de l'établissement la vente de tabac".

En tournant en ridicule cette défense, le journal démontre a contrario que celui qui a à opposer d'aussi pauvres moyens est nécessairement coupable.

Le Canard explique ensuite que le Conseil supérieur de la magistrature devant lequel Monsieur Y... a été "traduit" n'a pas été convaincu de son innocence, ce qui signifie que le Conseil supérieur de la magistrature a jugé Monsieur Y... coupable, le Canard revendiquant dès lors "La bonne compagnie du Conseil supérieur de la magistrature".

Le préjugé de Monsieur B..., rédacteur de l'article sur la culpabilité de Monsieur Y..., est donc manifeste.L'adhésion du lecteur

Il n'existe aucune possibilité pour le lecteur d'imaginer un seul instant, après avoir lu cet article, que Monsieur Y... n'est pas coupable. L'utilisation de formules narquoises entraîne la sympathie pour le journal qui se présente comme victime d'une utilisation perverse de mécanismes judiciaires absurdes. Le lecteur ne peut qu'adhérer sans faille à la conviction de la culpabilité.Le rappel formel de l'existence de la présomption d'innocence exonère-t-il le

journal ä

Le rôle du juge tel qu'il lui est confié par l'article 9-1 du code civil est d'empêcher concrètement et réellement l'atteinte consistant en ce qu'une personne soit présentée publiquement comme coupable de faits faisant l'objet d'une instruction.

Et la seule question qui se pose à la lecture de l'article même, en incluant l'encadré "publication judiciaire", est d analyser si dans l'article Monsieur Y... a été présenté comme coupable des faits qui font l'objet d'une information.

Tel est bien le cas de l'espèce, la formulation de l'article équivoque quant à l'innocence étant affirmative quant à la culpabilité.

Cette publication judiciaire fait l'objet d'une attaque en règle de la part du Canard qui dénonce l'absurdité d'une loi qui permet de bénéficier de la présomption d'innocence même lorsqu'on est coupable. Et la publication judiciaire n'équilibre pas l'article ni ne neutralise l'atteinte à la présomption d'innocence mais est utilisée par un effet d'antithèse pour rappeler renouveler et aggraver cette atteinte.

La décision est donc réformée ; la cour dit que le Canard Enchaîné a à nouveau et pour la seconde fois porté atteinte à la présomption d'innocence bénéficiant à Monsieur Y... A... ordonne, selon les modalités édictées dans le dispositif du présent arrêt, la publication d'un communiqué qui sera précisé dans le dispositif.

La SA Les Editions Maréchal le Canard Enchaîné est condamnée à réparer la grave atteinte subie par Monsieur Y... C... tenu des circonstances très particulières de cette atteinte commise au bénéfice de la publication d'un communiqué judiciaire détourné de sa finalité, il sera alloué à Monsieur Pierre Y... une indemnité provisionnelle de 20.000 ç.

L'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au profit de l'appelant contraint d'ester en justice et d'exposer des frais irrépétibles pour défendre ses intérêts.

Les dépens suivent le sort du principal.PAR CES MOTIFS La courRejetant toutes autres demandes Réforme l'ordonnance de référé du 28 juin 2005 dans toutes ses dispositions;Dit que les Editions Maréchal le Canard Enchaîné ont, en publiant en page 4 du journal le Canard Enchaîné du 27 avril 2005 un article intitulé "Les tours de passe-passe d'un procureur innocent", porté atteinte à la présomption d'innocence bénéficiant à Monsieur Pierre Y... ;Ordonne en conséquence la publication du communiqué suivant en première page du Canard Enchaîné dans les quinze jours qui suivront la signification du présent arrêt et sous astreinte provisoire de 150 ç par jour de retard passé ce délai : "Par arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 16 janvier 2007, le journal le Canard Enchaîné a été condamné pour avoir une seconde fois porté atteinte à la présomption d'innocence bénéficiant à Monsieur Pierre Y... en le présentant dans un article du 27 avril 2005 intitulé "Les tours de passe-passe d'un procureur innocent" comme coupable de faits faisant l'objet d'une instruction" ;Condamne les Editions Maréchal le Canard Enchaîné à payer à Monsieur Pierre Y... une indemnité provisionnelle de

20.000 ç en réparation de son préjudice et la somme de 4.000 ç par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;Les condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de la SCP SOREL DESSART SOREL, avoué, sur leur affirmation de droit.LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : Ct0042
Numéro d'arrêt : JURITEXT000007627601
Date de la décision : 16/01/2007

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.toulouse;arret;2007-01-16;juritext000007627601 ?
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