17/03/2006 ARRÊT No No RG : 05/01304 GD/HH Décision déférée du 07 Février 2005 - Conseil de Prud'hommes de TOULOUSE (03/1470) Daniel BLANC SOCIETE CREATIONS RIVERS C/ Jeanine X...
CONFIRMATION PARTIELLE
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4ème Chambre Section 2 - Chambre sociale
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ARRÊT DU DIX SEPT MARS DEUX MILLE SIX
[***] APPELANT(S) SOCIETE CREATIONS RIVERS Parc d'Activités de Saint Martin du Touch 6, Avenue Saint Granier 31026 TOULOUSE CEDEX 03 représentée par Me Olivier PIQUEMAL, avocat au barreau de TOULOUSE INTIME(S) Monsieur Jeanine X... 481 Route de Plantaurèle 31860 LABARTHE SUR LEZE représenté par Me MATHIEU,MARIEZ, avocat au barreau de TOULOUSE COMPOSITION DE LA COUR En application des dispositions de l'article 945.1 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Février 2006, en audience publique, devant G. DARDE, président, chargé d'instruire l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de : G. DARDE, président M. TREILLES, conseiller M.P. PELLARIN, conseiller Greffier, lors des débats : D. FOLTYN-NIDECKER ARRET : - CONTRADICTOIRE - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile
- signé par G. DARDE, président, et par D. FOLTYN-NIDECKER, greffier de chambre.
FAITS ET PROCÉDURE
Embauchée par la Société CRÉATIONS RIVERS le 1er avril 1984 en vertu d'un contrat de travail à durée indéterminée, Jeanine X..., qui était en dernier lieu chef comptable, a été licenciée pour motif économique par lettre recommandée du 30 janvier 2003.
Elle saisissait le conseil de prud'hommes de Toulouse le 17 juin 2003 pour obtenir le paiement de dommages-intérêts, considérant que le licenciement n'était pas justifié par une cause réelle et sérieuse. Dans son jugement du 7 février 2005 le conseil de prud'hommes retenant la réalité du motif économique invoqué, mais considérant que l'employeur n'avait pas exécuté son obligation de reclassement, condamnait la Société CRÉATIONS RIVERS à payer à la demanderesse 52.000 ç de dommages-intérêts et 1.500 ç en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par déclaration reçue le 1er mars 2005, la Société CRÉATIONS RIVERS a interjeté appel de ce jugement en le limitant aux dispositions relatives à l'obligation de reclassement et à la réparation. PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La Société CRÉATIONS RIVERS qui conteste l'étendue de l'appel incident demande à la cour de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a considéré qu'elle n'avait pas exécuté son obligation de reclassement, de le confirmer en ce qu'il a retenu la réalité du motif économique, et subsidiairement dans tous les cas de limiter la
réparation à six mois de salaire.
Elle soutient que les difficultés économiques invoquées résultent de la situation de la Société CREEKS appartenant au même groupe, de sorte qu'une réorganisation a dû être mise en oeuvre pour sauvegarder la compétitivité de ce groupe, ainsi que cela ressort du projet de licenciement collectif et du rapport du Cabinet SECAFI ALPHA. Selon elle, son appel limité exclut toute remise en cause de la chose ainsi jugée.
Elle ajoute que dans le cadre de cette réorganisation, la suppression du poste de Jeanine X... était inévitable ainsi que l'a admis le conseil de prud'hommes.
Elle indique enfin que l'on ne pouvait lui reprocher d'avoir méconnu son obligation de reclassement alors, d'une part, que le recrutement envisagé mais non suivi d'effet ne portait que sur un poste d'adjoint au chef comptable et, d'autre part, qu'une recherche a été menée au niveau du groupe mais s'est révélée infructueuse.
Jeanine X... demande par appel incident la réformation du jugement en ce qu'il a retenu un motif économique réel et sérieux, mais en réclame la confirmation en ce qu'il a considéré que l'obligation de reclassement avait été méconnue.
Sur son appel incident, elle réclame en outre 130.000 ç de dommages-intérêts et 5.000 ç en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Elle soutient que l'appel principal limité ne lui interdit pas de contester le jugement dans d'autres dispositions que celles visées par cet appel principal et rappelle que dans un précédent arrêt concernant un autre salarié du même employeur, la cour a exclu le motif économique qui avait été invoqué en termes identiques dans la lettre de licenciement.
Elle indique que la situation est identique dans son cas personnel
puisque la Société CRÉATIONS RIVERS continue de faire état de difficultés que connaît une Société CREEKS qui n'est pas l'employeur concerné.
Ainsi selon elle, la restructuration invoquée n'a été entreprise que pour réaliser des économies dans un contexte pourtant favorable et n'a obéi qu'à une volonté de rationalisation financière.
Elle ajoute que la description du poste qu'il avait été envisagé de pourvoir par un recrutement extérieur correspond exactement à celui qu'elle occupait et ne concerne pas un adjoint, contrairement à ce qui est soutenu.
Elle fait enfin valoir qu'aucune recherche véritable de reclassement n'a été menée au sein du groupe et que son préjudice est particulièrement important puisqu'à l'âge de 57 ans, avec 19 ans d'ancienneté, elle a été mise au chômage avec une période de carence de 75 jours. SUR QUOI
Vu les articles L 122-4, L 122-14-2, L 122-14-4, L 321-1 du code du travail, 548 du nouveau code de procédure civile
Sur l'étendue du litige soumis à la cour
Attendu que l'appel principal limité ne peut avoir pour effet de réduire la portée de l'appel incident dès lors qu'il est recevable ; Attendu que Jeanine X..., qui était partie en première instance et qui a été intimée par l'appelante, est donc recevable dans son appel incident qui peut porter sur l'une ou l'autre des dispositions du jugement même non critiquées par l'appel principal ;
Attendu que la Société CRÉATIONS RIVERS ne peut donc pas soutenir, en se fondant sur l'article 562 du nouveau code de procédure civile que n'est dévolu à la cour que son appel limité, alors qu'en formant appel incident comme elle était en droit de le faire, Jeanine X... a étendu l'effet dévolutif à l'ensemble du litige tel qu'il existait
en première instance ;
Sur le fond
Attendu que le contrat de travail sans détermination de durée peut prendre fin à l'initiative de l'une ou de l'autre des parties ; que cependant le licenciement ne peut être justifié que par une cause réelle et sérieuse qui doit être caractérisée par des faits objectifs matériellement vérifiables que l'employeur est tenu d'énoncer dans la lettre de notification de la rupture du contrat, conformément aux dispositions de l'article L 122-14-2 du code du travail, laquelle fixe ainsi la limite du débat judiciaire ;
Attendu qu'en l'espèce la Société CRÉATIONS RIVERS invoque un motif économique dans les termes suivants :
"La Société CREEKS enregistre depuis plusieurs années des résultats déficitaires, ceux-ci se sont aggravés sur l'année 2002 et ont entraîné un plan de restructuration qui a fait l'objet de consultations de nos instances représentatives du personnel. La reconversion vers un concept performant de magasins s'est avérée indispensable et nous avons cédé la majorité des points de vente Creeks.
Cette baisse d'activité entraîne une réduction importante de la charge de travail des services transversaux des Sociétés Creeks et Créations Rivers. Votre poste de chef comptable est ainsi supprimé." Attendu que le motif économique ainsi défini par l'employeur ne peut légitimer le licenciement, en application de l'article L 321-1 du code du travail, que si la suppression du poste qu'occupait Jeanine X... a été rendue nécessaire par les difficultés dont il est fait état ; que dans tous les cas l'employeur est tenu préalablement à la notification du licenciement, de rechercher dans l'entreprise, ou
dans le groupe auquel elle appartient, le reclassement du salarié dont l'emploi ne peut être maintenu ;
Attendu que dans son arrêt du 8 septembre 2005 la cour, dans l'instance opposant la même Société CRÉATIONS RIVERS à un autre de ses salariés licencié pour le même motif en des termes identiques, a retenu, par infirmation du jugement qui avait admis la réalité du motif économique, que le licenciement ainsi intervenu était dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors que les difficultés économiques invoquées concernait, selon la lettre elle-même, une autre société du groupe que celle employant la demanderesse, et que la Société CRÉATIONS RIVERS ne faisait valoir ni des difficultés au niveau du groupe ni que la réorganisation ayant conduit à la suppression du poste de la salariée était commandée par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du groupe auquel elle appartient ;
Attendu que cette décision, qui est opposable à la Société CRÉATIONS RIVERS, doit être prise en compte en l'espèce dès lors que les données du litige et notamment les termes de la lettre de licenciement sont exactement les mêmes, l'employeur se référant à la même cause que précédemment et en ayant tiré les mêmes conséquences quant à la situation de Jeanine X..., et qu'aucune pièce ne permet de revenir sur cette appréciation, le rapport de SECAFI ALPHA ne concernant que la Société CREEKS ;
Attendu qu'il s'agit en effet pour la cour d'apprécier la même réalité économique que dans le cas précédent, qui n'a donc pu changer d'une instance à l'autre puisque dans chaque cas le licenciement a été notifié le même jour ; qu'ainsi la cour, en présence du même employeur, ne peut pas dire autrement sur la réalité du motif économique que ce qu'elle a déjà dit dans l'instance précédente par référence à une situation objective ;
Attendu que le licenciement de Jeanine X... est donc sans cause réelle et sérieuse en ce qu'il n'est pas justifié par des difficultés économiques de la Société CRÉATIONS RIVERS elle-même, de sorte que la nécessité de la suppression de l'emploi de cette salariée n'apparaît pas ; que cette nécessité ne ressort pas davantage quant à la sauvegarde de la compétitivité de la Société CRÉATIONS RIVERS, puisqu'elle ne peut se concevoir s'il n'y a pas de difficultés économiques avérées ni à son niveau ni à celui du groupe auquel elle appartient, actuelles ou prévisibles ;
Mais attendu que la lettre de licenciement ne contient aucune indication sur la manière dont l'employeur a pu constater avant la notification de la rupture que le reclassement de la salariée était impossible ; qu'ainsi faute pour la Société CRÉATIONS RIVERS
Mais attendu que la lettre de licenciement ne contient aucune indication sur la manière dont l'employeur a pu constater avant la notification de la rupture que le reclassement de la salariée était impossible ; qu'ainsi faute pour la Société CRÉATIONS RIVERS d'avoir exécuté l'une des obligations essentielles avant de décider le licenciement de Jeanine X..., celui-ci est encore pour ce seul motif surabondant dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu que Jeanine X... est donc en droit d'obtenir réparation du préjudice que lui occasionne la rupture de son contrat de travail, caractérisé essentiellement par la perte de son emploi alors qu'elle était âgée de 57 ans et donc proche de la retraite, ce qui a une incidence défavorable directe sur ses droits à pension ;
Attendu que la réparation doit encore prendre en compte l'ancienneté dans l'entreprise, le montant du dernier salaire et la situation qu'à connue la demanderesse dans la recherche d'un nouvel emploi ;
Attendu que Jeanine X..., qui avait une ancienneté de 19 ans et percevait au jour de la rupture un salaire mensuel moyen de 4.325 ç,
doit, en considération des autres éléments de préjudice rappelés plus haut, percevoir une indemnisation de 105.000 ç en application de l'article L 122-14-4 du code du travail ;
Attendu que la Société CRÉATIONS RIVERS doit en outre, par application du même texte, rembourser à l'ASSEDIC les prestations qu'elle a pu verser à Jeanine X... à la suite de la rupture du contrat de travail ;
Attendu que la Société CRÉATIONS RIVERS qui succombe en son appel en doit les dépens ; qu'aucune considération d'équité ne commande d'exclure l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au profit de l'intimée qui a engagé des frais non compris dans les dépens. PAR CES MOTIFS
La cour
Confirme le jugement prononcé par le conseil de prud'hommes de Toulouse le 7 février 2005 en ce qu'il a dit que l'obligation de reclassement n'avait pas été observée, a statué sur les dépens et a fait application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Réformant pour le surplus et statuant à nouveau,
Dit que le licenciement notifié à Jeanine X... n'est pas justifié par une cause économique réelle et sérieuse.
Condamne la Société CRÉATIONS RIVERS à payer à Jeanine X... la somme de 105.000 ç en réparation du préjudice résultant pour elle de la rupture illégitime du contrat de travail.
La condamne au paiement des dépens d'appel.
La condamne à payer à Jeanine X... la somme supplémentaire de 2.000 ç en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par M. G. DARDE, président et par Mme D. FOLTYN-NIDECKER, greffier.
Le greffier
Le président
Dominique FOLTYN-NIDECKER
Gilbert DARDE