09/05/2005 ARRÊT N°241 N°RG: 04/03056 OC/CD Décision déférée du 24 Juin 2004 - Tribunal de Commerce de TOULOUSE - M. X...
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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COUR D'APPEL DE TOULOUSE
1ère Chambre Section 1
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ARRÊT DU NEUF MAI DEUX MILLE CINQ
*** APPELANTE SARL A représentée par la SCP MALET, avoués à la Cour assistée de la SCP BOUSCATEL-CANDELIER CARRRIERE-GIVANOVITCH, avocats au barreau de TOULOUSE INTIMES Monsieur Y... représentés par la SCP BOYER-LESCAT-MERLE, avoués à la Cour assistée de la SELARL SOCIETE Y... AVOCATS POURQUIE ET ASSOCIES, avocats au barreau de TOULOUSE SARL B représentée par la SCP SOREL-DESSART-SOREL, avoués à la Cour assistée de Me Caroline VONG, avocat au barreau de TOULOUSE COMPOSITION DE LA COUR L'affaire a été débattue le 8 Mars 2005 en audience publique, devant la Cour composée de : H. MAS, président Z... FOURNIEL, conseiller O. COLENO, conseiller qui en ont délibéré. Greffier, lors des débats : E. KAIM-MARTIN ARRET : - contradictoire - prononcé par mise à disposition au greffe après avis aux parties - signé par H. MAS, président, et par E. KAIM-MARTIN, greffier de chambre. ******** FAITS ET PROCEDURE
Le 7 mai 2003, les époux Y..., propriétaires exploitants depuis 1991 d'un fonds de commerce de café-bar-restaurant à ... ont confié à l'agence immobilière A mandat non exclusif de vendre leur fonds pour le prix de 133.000 ä commission de 11.000 ä incluse.
Après qu'ils aient accepté le 19 décembre 2003 une offre d'achat émise par monsieur Z... au prix de 99.436 ä, les époux Y... ont signé le 16
janvier 2004 un acte sous seing privé de vente au profit de la S.A.R.L. B en cours de constitution rédigé par Maître Sarradet, notaire, qui contenait une condition suspensive d'obtention d'un prêt par l'acquéreur au plus tard le 29 février 2004.
Après avoir, le 3 mars 2004, prétendu se prévaloir de la non-réalisation de cette condition, les époux Y..., informés de sa réalisation effective, ont fait connaître qu'ils ne souhaitaient plus contracter aux conditions prévues et ont fait défaut à la sommation qui leur avait été adressée à comparaître le 1er avril 2004 devant le notaire, qui en a dressé procès-verbal de carence.
Suivant acte d'huissier du 5 mai 2004, la société B, autorisée à cette fin, a fait citer à jour fixe les époux Y... devant le tribunal de commerce de Toulouse en vente forcée.
Par acte d'huissier du 11 mai 2004, les époux Y... ont appelé l'agence d'affaires 2 A en garantie et dédommagement de leur préjudice.
Par le jugement déféré du 24 juin 2004, le tribunal, joignant les deux instances, a débouté la S.A.R.L. B de sa demande et condamné la société A à payer aux époux Y... la somme de 7.623 ä à titre de dommages et intérêts et à la société B celle de 8.000 ä, considérant d'une part que le personnel du fonds de commerce mentionné dans l'acte au titre de l'article L.122-12 du code du travail ne représentait pas l'ensemble des salariés attachés au fonds, ensuite que les conditions du nouveau mandat de vente obtenu par l'agent immobilier le jour-même de l'offre d'achat ne correspondaient pas à celles de cette dernière, enfin que l'agent d'affaires avait porté préjudice à la société B par son manque de rigueur et par manquement à son obligation de conseil. La société A, régulièrement appelante, poursuit la réformation de cette décision en toutes ses dispositions et demande à la Cour de juger la vente parfaite et de condamner les époux Y... à lui payer la
somme de 7.623 ä HT soit 9.117,10 ä TTC au titre de sa commission, subsidiairement et si la vente n'était pas validée, de ramener cette somme à 3.800 ä HT conformément aux stipulations du mandat.
Elle soutient que l'éventuelle inexactitude des mentions relatives au personnel salarié ne pouvait occasionner aucun grief au vendeur, qu'elle n'était pas tenue d'une obligation de conseil juridique à cet égard d'autant moins que les époux Y... avaient un conseil en la personne de leur expert-comptable, que l'offre d'achat en réduction a été acceptée pour des raisons précises négociées et en même temps qu'un second mandat dont les conditions étaient conformes, que les époux Y... ne démontrent pas que leur consentement aurait été vicié alors qu'ils ont disposé d'un temps suffisant de réflexion avant la signature de l'acte sous seing privé, qu'aucune faute ni manquement ne peut lui être imputée dans l'exécution du mandat, et que l'engagement des parties figurant dans un acte unique, elle a droit à sa commission.
La S.A.R.L. B, appelante incidente, conclut de même à la réformation de la décision en toutes ses dispositions et demande à la Cour de condamner sous astreinte les époux Y... à régulariser la vente ainsi qu'au paiement de la somme de 39.428,75 ä à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de leur refus injustifié d'exécuter leurs obligations, outre 3.000 ä pour procédure abusive.
Elle fait valoir que les premiers juges ont totalement occulté sa demande en réalisation de la vente, que les conditions suspensives ayant été réalisées, la vente est parfaite, que les époux Y... sont de mauvaise foi alors que les mentions de l'acte relatives au personnel salarié sont sans incidence à leur égard, les dispositions légales applicables à ce titre étant d'ordre public.
Les époux Y... concluent à la confirmation pure et simple du jugement
dont appel, soutenant par reprise pure et simple des termes de leur assignation qu'ils ont été manipulés par l'agence immobilière qui n'a pas hésité à exercer des pressions à leur encontre, les forçant à s'engager dans des conditions de précipitation inacceptables. Ils soulignent le caractère excessif et injustifié du préjudice allégué par la S.A.R.L. B.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que pour prétendre se soustraire à l'exécution des obligations qu'ils ont contractées aux termes de l'acte sous seing privé du 16 avril 2004, les époux Y... allèguent que c'est sous l'influence des fausses informations que leur a données l'agent d'affaires que, dans la précipitation induite par son seul désir de percevoir sa commission, ils ont consenti à une transaction qu'ils n'auraient pas acceptée s'ils avaient pu être éclairés ;
qu'à ce titre, ils font valoir à titre principal que le personnel mentionné dans l'acte sous seing privé au titre de l'article L.122-12 du code du travail ne représenterait pas l'ensemble des salariés attachés au fonds de commerce, et aurait en particulier volontairement omis Monsieur A..., l'agent immobilier leur ayant conseillé de le licencier, le tout pour permettre aux acquéreurs de bénéficier d'une aide pour la création d'un premier emploi ;
Attendu qu'il ressort des documents versés aux débats, en ce qui concerne la reprise du personnel, que le 19 décembre 2003, deux offres d'achat sous conditions suspensives ont été successivement établies et acceptées dont les mentions divergent sur ce seul chapitre, institué au rang de condition suspensive de l'offre ;
que sur la première offre, consentie au prix de 106.715 ä, il avait seulement été mentionné la reprise d'une serveuse en fonction dans le fonds de commerce, Mademoiselle B..., et que dans la deuxième offre, consentie au prix de 99.436 ä qui est celui de l'acte sous seing
privé ultérieur, il a été ajouté à ce titre Madame Y... en qualité de cuisinière ;
Attendu que les époux Y... démontrent, par les pièces qu'ils produisent, bulletins de salaires et DADS 2003 que Monsieur A... faisait bien partie de leur personnel salarié au moment de la vente projetée, et depuis presque quatre ans, ce que confirme du reste la fiche de renseignements de l'agent immobilier sur le fonds à vendre qui évoque l'emploi de deux salariés à temps partiel en dehors des époux Y... ;
Attendu qu'il en résulte en premier lieu qu'il n'entrait pas dans les intentions de l'acquéreur de reprendre la totalité du personnel salarié du fonds, ce que confirme le dossier élaboré pour les besoins du financement de son projet qui n'envisageait qu'un emploi à mi-temps, et que les parties ont été conduites à négocier sur un point sur lequel elles ne jouissaient pas de toute liberté, les dispositions de l'article L.122 -12 du code du travail étant d'ordre public et l'accord du cédant et du cessionnaire en vue de faire échec à ses dispositions ne constituant pas une cause de licenciement ;
que les appelants ne s'en expliquent pas de façon satisfaisante en se bornant à rappeler ce dernier caractère de cette disposition légale et en faisant valoir qu'elle n'aurait de conséquence que pour l'acquéreur, ce qui n'est pas exact dès lors que, selon les conventions litigieuses, le vendeur aurait dû prendre en charge le licenciement de la ou des personnes non reprises ;
qu'en effet, la reprise d'une seule personne au lieu de deux, puis de deux au lieu de trois faisait l'objet, au niveau de l'offre d'achat, d'une condition suspensive au profit de l'acquéreur ;
Attendu que le fait que la seule différence entre les deux offres d'achat acceptées réside dans le contour de ces reprises, avec les conséquences qui en découlent sur le prix, atteste d'une part que les négociations auxquelles l'agent d'affaire a concouru ont bien tourné
autour de ce point, d'autre part qu'il y avait eu là un élément déterminant de l'échange des consentements ;
que l'agent immobilier qui se prévaut d'une spécialité dans les transactions sur les fonds de commerce ne peut prétendre n'être pas tenu d'une obligation de conseil envers son mandant en ce qui concerne le sort des contrats de travail dans la cession ;
qu'en apportant son concours à des négociations de cette nature sans en éclairer son mandant, ce qu'il ne prétend pas avoir fait, voire au contraire en prodiguant des conseils discutables comme le soutiennent les époux Y... sans en être précisément contredits, l'agent immobilier a manqué à ses obligations, favorisé l'apparition d'un vice du consentement chez les vendeurs et engagé sa responsabilité à leur égard ;
Attendu que les époux Y... sont fondés à se prévaloir de l'inefficacité de telles conventions contraires à l'ordre public mais également, et dans ce contexte, d'une forme de contrainte, par exploitation de leur ignorance sur un point de technique juridique dont tout porte à faire admettre qu'ils pouvaient ne pas en connaître les contours, ni discerner toutes les conséquences qu'il était susceptible d'emporter à leur égard tant vis-à-vis du cessionnaire que du ou des salariés ; que cette contrainte peut être admise dans la mesure où les données de la cause font apparaître, ainsi qu'ils le soutiennent, l'existence d'une précipitation dans les négociations qui ont donné lieu à l'établissement, le même jour, de quatre conventions successives, deux offres d'achat acceptées différentes et deux mandats de vente exclusifs adaptés à chaque offre, le tout plusieurs mois après une mise en vente jusqu'alors restée infructueuse ;
Attendu que le délai entre ces négociations et l'établissement de l'acte sous seing privé est bref, eu égard à la période particulière
de l'année, entre le 19 décembre et le 16 janvier, et a pu ne pas permettre aux vendeurs d'obtenir des conseils éclairés, d'autant plus que les correspondances produites font apparaître que l'élaboration du projet de cet acte n'a pu être achevée qu'au tout dernier moment, la veille de la signature ;
que l'attestation établie par le notaire qui a élaboré l'acte sous seing privé ne contredit pas cette analyse dès lors que rien n'indique que celui-ci pouvait être informé de la consistance de l'effectif salarial du fonds, différente de celle qui lui était indiquée, et que les époux Y... n'auraient pas alors été informés sur le point litigieux ;
que ne modifie pas non plus l'analyse le fait que la reprise de salariés n'ait plus fait l'objet d'une condition suspensive dans l'acte sous seing privé, ce qui ne pouvait être, mais seulement d'une déclaration du vendeur, qui était alors fausse ;
Attendu que l'incidence de ces données inexactes sur la détermination des conditions essentielles de la convention n'est pas précisément discutée et se déduit suffisamment des termes des négociations ;
Attendu que c'est à bon droit sur ces bases que les premiers juges ont rejeté les demandes de la S.A.R.L. B et fait droit à la demande de dommages et intérêts des époux Y... contre la société A qui n'en discute pas le montant ;
que la société A ne peut, à raison de sa faute, être fondée à prétendre à l'application de la clause du mandat prévoyant son indemnisation en cas d'échec de la vente ;
que la société B ne poursuivant que la réformation de la décision sans former aucune demande contre la société A, la condamnation prononcée à l'encontre de cette dernière à son profit, qui n'avait pas été demandée en première instance, doit être réformée ;
Attendu que eu égard aux circonstances de la cause et aux
considérations d'équité qui s'en dégagent, il ne sera pas fait plus ample application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en faveur des époux Y... ;
que les demandes à ce titre de la société A et de la société B qui succombent ne sont pas fondées ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme la décision déférée en ce qu'elle a débouté la société B de sa demande en régularisation de l'acte de vente du fonds de commerce et condamné la société A au paiement des sommes de 7.623 ä à titre de dommages et intérêts et 1.000 ä en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en faveur des époux Y...,
Réforme le jugement dont appel en ses autres dispositions, par voie de retranchement,
Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples,
Condamne la société A. et la société B aux entiers dépens de l'instance en appel, et reconnaît à la SCP BOYER-LESCAT-MERLE, avoué qui en a fait la demande, le droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du nouveau code de procédure civile. Le présent arrêt a été signé par H. MAS, président, et par E. KAIM MARTIN, greffier. LE GREFFIER
LE PRESIDENT E. KAIM MARTIN
H. MAS