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07/03/2005 | FRANCE | N°2004/02773

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 07 mars 2005, 2004/02773


07/03/2005 ARRÊT N°126 N°RG: 04/02773 CF/EKM Décision déférée du 03 Juin 2004 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - 04/568 G. COUSTEAUX

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

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COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ère Chambre Section 1

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ARRÊT DU SEPT MARS DEUX MILLE CINQ

*** APPELANTE Madame X... représentée par la SCP MALET, avoués à la Cour assistée de la SCP INTER BARREAUX RASTOUL-FONTANIER-COMBAREL-DEGIOANN, avocats au barreau de TOULOUSE INTIMEES SOCIETE A représentée par la SCP CANTALOUBE-FERRIEU CERR

I, avoués à la Cour assistée de la SCP ELKAIM-PAGANI-MONTERET-AMAR, avocats au barreau de PARIS CAISSE P représ...

07/03/2005 ARRÊT N°126 N°RG: 04/02773 CF/EKM Décision déférée du 03 Juin 2004 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - 04/568 G. COUSTEAUX

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ère Chambre Section 1

***

ARRÊT DU SEPT MARS DEUX MILLE CINQ

*** APPELANTE Madame X... représentée par la SCP MALET, avoués à la Cour assistée de la SCP INTER BARREAUX RASTOUL-FONTANIER-COMBAREL-DEGIOANN, avocats au barreau de TOULOUSE INTIMEES SOCIETE A représentée par la SCP CANTALOUBE-FERRIEU CERRI, avoués à la Cour assistée de la SCP ELKAIM-PAGANI-MONTERET-AMAR, avocats au barreau de PARIS CAISSE P représentée par la SCP SOREL-DESSART-SOREL, avoués à la Cour assistée de Me Jean-Paul SERRES, avocat au barreau de TOULOUSE COMPOSITION DE LA COUR L'affaire a été débattue le 31 Janvier 2005 en audience publique, devant la Cour composée de : H. MAS, président X... FOURNIEL, conseiller O. COLENO, conseiller qui en ont délibéré. Greffier, lors des débats : E. KAIM-MARTIN ARRET : - contradictoire - prononcé par mise à disposition au greffe après avis aux parties - signé par H. MAS, président, et par E. KAIM-MARTIN, greffier de chambre.

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EXPOSE DU LITIGE

Par acte d'huissier du 16 mars 2004, mademoiselle Marie-Hélène X... a fait assigner la société A devant le juge des référés du tribunal de grande instance de TOULOUSE aux fins de voir désigner un expert à

l'effet de rechercher la cause de la sclérose en plaques qui se serait déclarée après la troisième injection, courant 1997, du vaccin GENHEVAC B fabriqué par les laboratoires de la société susvisée.

La Caisse P a été appelée en cause.

Suivant ordonnance en date du 3 juin 2004, le juge des référés a :

-rejeté la demande d'expertise formulée par mademoiselle X...; -rejeté tous les autres chefs de demandes des parties ; -condamné mademoiselle X... aux entiers dépens ; -débouté la société A de sa demande sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile .

Par déclaration en date du 15 juin 2004 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas discutées , mademoiselle X... a relevé appel de cette ordonnance .

Par conclusions du 18 janvier 2005, elle demande à la cour de désigner un expert neurologue et un expert pharmacovigilant , et de statuer ce que de droit sur les dépens.

L'appelante expose : -qu'elle a reçu trois injections du vaccin GENHEVAC B les 17 janvier , 17 février et 18 août 1997; - que dès le lendemain de la dernière injection elle a ressenti une gêne musculaire croissante dans le bras droit, disparue au bout d'un mois, que fin octobre 1998 sont réapparus des troubles sensitifs au niveau du membre supérieur droit, que ces troubles se sont étendus à la paroi thoracique et abdominale, ainsi qu'aux doigts de la main gauche, et qu'un examen IRM de la moelle cervicale pratiqué début décembre 1998 a révélé une affection démyélinisante (suspicion de sclérose en plaques ) ; -que ce diagnostic a été confirmé par un nouvel IRM en mai 1999, qui a montré une accentuation des lésions , que plusieurs traitements ont été mis en place, et qu'elle s'est vu notifier par la Caisse P l'attribution d'une pension d'invalidité deuxième catégorie à compter du 26 novembre 2002.

Mademoiselle X... fait valoir : -qu'il existe une accumulation d'indices permettant de douter de l'innocuité du vaccin contre l'hépatite B, voire de son mode d'administration ; -qu'il a été précisé par le "Vidal" et par les fabricants dans les précautions d'emploi, que toute stimulation immunitaire comporte le risque d'induire une poussée chez les patients atteints de sclérose en plaques (SEP ); -que les arrêts de la première chambre civile de la cour de cassation du 23 septembre 2003 n'ont pas mis un terme au litige puisqu'elle a renvoyé l'examen des affaires au fond, et qu'aucune décision de l'assemblée plénière n'est intervenue; -qu'il n'existe en France aucun centre de vaccino-vigilance consacré aux effets indésirables du vaccin, et que les statistiques ne peuvent être regardées avec une fiabilité absolue ; -qu'aux termes de l'article L 3111-9 du code de la santé publique, l'Etat supporte la réparation d'un dommage imputable directement à une vaccination obligatoire, et que la Direction Générale de la Santé a déjà indemnisé des personnes soumises à la vaccination contre l'hépatite B; -que la chambre sociale de la cour de cassation considère que la vaccination contre l'hépatite B imposée au salarié en raison de son activité professionnelle constitue un accident du travail, et partant, que cette vaccination est le facteur déclenchant de certaines maladies dont la SEP jusqu'alors latentes; -qu'en matière médicale, le juge peut rarement se fonder sur des certitudes et fonde le plus souvent sa décision sur un faisceau d'indices, des présomptions graves, précises et concordantes, ainsi pour les victimes de contamination post-transfusionnelle par le virus du SIDA, de l'hépatite X..., ou encore pour les victimes d'infections nosocomiales; -que la causalité juridique ne s'identifie pas à la causalité scientifique et concerne l'imputabilité d'un dommage à un acte en vue de son indemnisation; -que le principe de précaution, qui trouve sa première expression

dans la Convention de Vienne de 1985 pour la protection de la couche d'ozone, a été introduit dans le droit positif français en 1995 par la loi dite Barnier sur le renforcement de la protection de l'environnement, et consacré comme un principe général du droit communautaire, de nature à fonder des décisions juridictionnelles ; -que ce principe, impliquant que le doute doit profiter aux victimes , a prévalu dans les affaires du DISTILBENE , du sang contaminé ou de la maladie de CREUTZFELD-JACOB; -que rejeter les demandes engagées par les personnes atteintes de sclérose en plaques ou d'autres maladies neurologiques et auto-immunes recensées en exigeant la démonstration expresse d'un lien causal, aboutit à consacrer une inégalité inacceptable des victimes devant la loi et devant l'indemnisation d'un grave préjudice ; -que la lecture des diffusions scientifiques officielles sur les effets secondaires possibles du vaccin ou de l'aluminium entrant dans sa composition, ne permet pas de se satisfaire des conclusions tronquées et rassurantes qui en ont découlé;

L'appelante estime que compte tenu des pièces versées aux débats, de la co'ncidence avérée dans les dates et de la gravité des troubles qu'elle présente, elle justifie d'un intérêt légitime pour solliciter la mesure d'expertise qui lui a été refusée.

Selon écritures du 10 janvier 2005, la société A conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise, et à la condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel, qui pourront être recouvrés directement par la SCP CANTALOUBE-FERRIEU-CERRI, avoué.

L'intimée soutient : -que la plupart des études publiées convergent pour établir qu'il n'existe aucun lien démontré entre la vaccination contre l'hépatite B et l'induction, ou l'aggravation de la sclérose

en plaques ; -que l'étude clinique et biologique n'a fourni aucun argument en faveur d'un lien causal; -qu'elle a pleinement rempli son devoir d'informer les utilisateurs de vaccins d'éventuels effets indésirables rapportés ; -que dans le cadre des dossiers relatifs au sang contaminé et à la maladie de CREUTZFELD-JACOB, la preuve était faite du défaut du produit et du lien de causalité entre le défaut de ce produit et les atteintes aux personnes, alors qu'en ce qui concerne le vaccin contre l'hépatite B, si l'objectivité scientifique ne permet pas d'exclure l'existence d'un risque faible, l'innocuité du vaccin et son bénéfice ont été constamment réaffirmés. -que la demande d'expertise présentée par mademoiselle X... ne peut être considérée comme légitime au vu des principes rappelés par la cour de cassation le 23 septembre 2003; -que ces principes imposent qu'avant d'être admise à discuter du principe d'une responsabilité la demanderesse doit rapporter la preuve positive d'un lien de causalité direct et certain entre la vaccination dont elle a bénéficié et la maladie dont elle est atteinte, preuve ne pouvant être rapportée que sur la base d'une certitude, une simple possibilité , hypothèse ou co'ncidence temporelle étant radicalement insuffisante à la constituer; -que le principe de précaution ne figure dans aucun texte de droit applicable à la responsabilité de personnes de droit privé , ne doit pas être confondu avec le devoir d'information du producteur de médicaments , et que sur ce point mademoiselle X... ne peut méconnaître les termes de la monographie VIDAL et de la notice du vaccin; -qu'il ne saurait être tiré argument de la décision de la DGS d'indemniser plusieurs personnes sur le fondement de l'article 3111-4 du code de la santé publique.

La société A ajoute que quand bien même et par impossible mademoiselle X... rapporterait la preuve d'un lien de causalité direct et certain entre la vaccination dont elle a bénéficié et la maladie

dont elle est atteinte, il lui appartiendrait encore de rapporter la preuve d'un défaut causal de ce vaccin, c'est à dire d'un défaut ayant un lien de causalité tout aussi direct et certain avec l'apparition de la sclérose en plaques .

La Caisse P demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur le mérite de la demande de l'appelante, de réserver ses droits dans l'hypothèse où il serait fait droit à cette demande d'expertise , et de mettre les dépens à la charge de toutes parties succombantes, excepté la concluante , et ce avec distraction au profit de la SCP SORELetamp;DESSARTetamp;SOREL.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 31 janvier 2005 .

MOTIFS DE LA DECISION : Sur l'application de l'article 145 du nouveau code de procédure civile :

L'article 145 du nouveau code de procédure civile dispose que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

L'existence de contestations sérieuses ne constitue pas un obstacle à la mise en oeuvre des dispositions précitées.

En revanche le motif légitime de nature à justifier l'organisation d' une mesure d'instruction doit être apprécié au regard de la pertinence des investigations demandées et de leur utilité à servir de fondement à l'action envisagée, qui ne doit pas être manifestement vouée à l'échec.

En l'espèce l'action au fond que mademoiselle X... entend engager a pour objet de rechercher la responsabilité de la société A en sa qualité de producteur du vaccin contre l'hépatite B.

Le succès d'une telle action suppose que soit rapportée la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre le défaut

et le dommage .

La démonstration de cette preuve peut résulter d'un faisceau d'indices précis et concordants , après qu'aient été écartées toutes les autres causes possibles.

En conséquence ainsi que l'a souligné le premier juge, la responsabilité de la société A dans l'apparition de la sclérose en plaques dont mademoiselle X... est atteinte ne serait susceptible d'être engagée qu'à la condition d'établir un lien de causalité direct et certain entre la vaccination et la maladie, ou un faisceau d'indices précis et concordants, notamment chronologiques, après que toute autre cause d'apparition de la maladie ait été éliminée.

Or l'ensemble des données médicales actuelles produites par la société A montrent que les causes de la sclérose en plaques demeurent inconnues.

Dès lors même si la mesure d'expertise sollicitée mettait en évidence un faisceau d'indices, notamment chronologiques, elle ne pourrait pour autant établir un lien de causalité direct et certain entre la vaccination et la survenance de la maladie qui affecte mademoiselle X...

Il convient au surplus d'observer que les mentions portées sur le dictionnaire VIDAL ne permettent pas d'établir un lien de causalité avec l'apparition de la maladie , et que la précision de cas rapportés de sclérose en plaques participe du devoir d'information du patient , sans impliquer une reconnaissance de l'imputabilité de la maladie au vaccin, en l'absence d'éléments médicaux concordants.

Les divers travaux scientifiques versés aux débats par la société intimée, dont les plus récents prennent en compte les données publiées de l'étude Hernan et Coll invoquée par l'appelante, ne permettent pas de conclure à l'existence d'une relation causale entre l'administration du vaccin contre l'hépatite B chez l'adulte, et la

survenue d'affections démyélinisantes telles que la sclérose en plaques.

Le lien de causalité ne peut se déduire d'une simple possibilité ou de la conclusion scientifique que tout risque ne peut pas être exclu. En l'état des connaissances de la science, il n'apparaît pas possible de procéder par analogie avec les cas de contamination par le VHC ou le VIH à la suite de transfusions, et de poser une présomption d'imputabilité .

Par ailleurs les indemnisations qui interviennent dans le cas de personnes vaccinées dans le cadre de leurs obligations professionnelles répondent à des critères propres distincts de ceux afférents à la responsabilité civile de droit commun.elles répondent à des critères propres distincts de ceux afférents à la responsabilité civile de droit commun.

A supposer que le principe de précaution, dont il ne peut être discuté qu'il s'agit d'un principe juridique, puisse avoir une influence sur la responsabilité de la société mise en cause, il ne saurait avoir d'incidence au niveau de la mesure d'instruction sollicitée, laquelle ne pourrait , pour les raisons précitées, conduire à déterminer un lien de causalité entre la vaccination et la maladie.

Il s'ensuit que mademoiselle X... , dont la demande au fond serait manifestement vouée à l'échec, ne justifie pas d'un intérêt légitime à voir ordonner une mesure d'expertise.

La décision déférée sera par conséquent confirmée. Sur l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile :

Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais non compris dans les dépens exposés en première instance et en cause d'appel. Sur les dépens :

Mademoiselle X..., déboutée de ses prétentions, a été condamnée à bon droit aux dépens de première instance.

Son appel étant rejeté, elle en supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS : La cour, En la forme, déclare l'appel recevable . Au fond, confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée. Dit n'y avoir lieu à indemnité au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel par la société A. Condamne mademoiselle X... aux dépens de la présente procédure, dont distraction au profit de la SCP CANTALOUBE-FERRIEU-CERRI et de la SCP SOREL-DESSART-SOREL, avoués, étant précisé que mademoiselle X... est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle . Le présent arrêt a été signé par H. MAS, président et E. KAIM-MARTIN, greffier : LE GREFFIER :

LE PRESIDENT : E. KAIM-MARTIN

H. MAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Numéro d'arrêt : 2004/02773
Date de la décision : 07/03/2005

Analyses

REFERE - Sauvegarde d'éléments de preuve avant tout procès - Applications diverses -

L'article 145 du nouveau code de procédure civile dispose que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.Le motif légitime de nature à justifier l'organisation d' une mesure d'instruction doit être apprécié au regard de la pertinence des investigations demandées et de leur utilité à servir de fondement à l'action envisagée, qui ne doit pas être manifestement vouée à l'échec.En l'espèce, l'action au fond que mademoiselle C entend engager a pour objet de rechercher la responsabilité de la société A en sa qualité de producteur du vaccin contre l'hépatite B.Le succès d'une telle action suppose que soit rapportée la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre le défaut et le dommage . La responsabilité de la société A dans l'apparition de la sclérose en plaques dont mademoiselle C est atteinte ne serait susceptible d'être engagée qu'à la condition d'établir un lien de causalité direct et certain entre la vaccination et la maladie, ou un faisceau d'indices précis et concordants, notamment chronologiques, après que toute autre cause d'apparition de la maladie ait été éliminée.Or, l'ensemble des données médicales actuelles produites par la société A montrent que les causes de la sclérose en plaques demeurent inconnues.Dès lors même si la mesure d'expertise sollicitée mettait en évidence un faisceau d'indices, notamment chronologiques, elle ne pourrait pour autant établir un lien de causalité direct et certain entre la vaccination et la survenance de la maladie qui affecte mademoiselle C.


Références :

article 145 du nouveau code de procédure civile

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.toulouse;arret;2005-03-07;2004.02773 ?
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